Publié le 24 Septembre 2009

Daniel Bernard Roumain, un violoniste pour aujourd'hui.
   Comme Vincent Segal (cf. un article précédent), Daniel Bernard Roumain, alias DBR, américain d'origine haïtienne, met la pratique classique de son instrument au service des musiques d'aujourd'hui. Sa carrière est encore modeste, quatre disques à son actif. Compositeur, il multiplie les collaborations, comme on le verra par la suite. Sa trajectoire, d'abord incertaine, s'affirme avec son dernier opus.
Qui n'est pas celui-ci...Pulsing, sorti en 2006 sur DBR Music, manifestait encore très maladroitement les velléités d'ouverture de DBR vers les musiques électroniques. L'album s'ouvre pourtant sur un très beau titre, "Orbit", tout à fait digne des meilleures musiques contemporaines. Violon en pizzicati pour des motifs en boucle, jeux de réverbération et d'approfondissement. Mes oreilles étaient ravies, plus dure fut la suite. Morceaux mous, saupoudrés d'une électronique-gadget. "Wanted", le septième titre, prouvait à nouveau les possibilités du compositeur, morceau syncopé assez hypnotique, très minimal. Et puis cela retombait dans le joli insipide avec le justement bien titré "Cotillion 2", tout ce que je déteste dans le violon pour caniches. "Filter" essayait ensuite de réparer mon traumatisme, avec un peu trop de crincrins à mon goût. Le disque se terminait plus heureusement avec un collage de fragments dialogués sur fond de violon au lyrisme tenu : pas encore du Eve Beglarian, notez bien ! Au total, un disque peu pulsant, peu reichien, des promesses...
  etudes4violin&electronix est nettement plus consistant. Sorti en 2007 sur le label Thirsty Ear, il est mieux composé, bénéficie de collaborations de choc, DJ Spooky, Ryuichi Sakamoto, DJ Scientific...et Philip Glass. Dès le premier titre, on prend de l'altitude avec l'éthéré "black man singing", violon libéré, beats de DJ Spooky, flûte envoutante de Peter Gordon. "The Need to be", le titre suivant, est une merveille d'abord toute gracile, dialogue entre le violon de dbr et le piano de Ryuichi Sakamoto, puis le ton se fait plus grave, introspectif, le piano en arpèges éclaboussés, le violon en stases étincelantes. Dbr ose enfin une vraie composition, et c'est un peu plus de dix minutes de bonheur. DJ Spooky réapparaît avec le titre trois, "resonance", presque jazzy, dbr aussi au piano, c'est bien enlevé, finies les mièvreries..."The need to follow", qui forme dyptique avec ""The need to be", est peut-être plus beau encore, chant d'une intensité bouleversante soutenu par le clapotis océanique du piano de Sakamoto. Sur "divergence", dbr est seul au violon, piano et synthétiseurs : c'est limpide, évident. Quelle différence en un an !! Voici qu'il ajoute une partie de violon à une composition pour piano solo de Philip Glass, "Metamorphosis". Pourquoi pas, même si le piano se suffisait seul. Les deux hommes ont en commun le goût des mélodies, des reprises. dbr se coule sans problème dans la musique de Glass, avec un certain brio. Belle composition, de toute façon. Qui vaut mieux que le morceau suivant, le titre faible de l'album, passons..."fayetteville", avant-dernier titre,  en fait un peu trop, mais "lava" renoue avec le meilleur, atmosphère mystérieuse, apesanteur de soieries aériennes.dbr, un violoniste à suivre.
Paru en 2007 chez Thirsty Ear / 9 titres / 47 minutes environ
Pour aller plus loin
- le site de dbr.

 

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 18 janvier  2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Électroniques

Publié le 17 Septembre 2009

DM Stith : "Heavy Ghost", envols d'amour !
   Il a aidé à l'enregistrement de l'un des albums de son amie Shara Worden, de My Brightest Diamond, et cela s'entend. Il vient d'enregistrer sur le même label, Ashmatic Kitty Records, son premier album, Heavy Ghost. Une voix un peu à la Cat Stevens, veloutée avec des inflexions haut perchées, qui s'enveloppe volontiers de chœurs séraphiques, se love dans des textures instrumentales denses. Un piano presque caverneux, fantomatique, une guitare grattée avec dilection, obstination, des cordes soudain comme une nuée suave, sont au service de compositions constellées d'idées, de surprises. Le résultat est souvent éblouissant. Dès le premier titre, "Isaac's song", on est emporté dans la tourmente inspirée, d'autant plus saisissante qu'elle est brève, 1' 38 !! C'est une musique d'envol, de ferveur, le gospel n'est pas loin, les halètements épuisés d'allégresse succèdent au crescendo irrésistible. "Pity Dance" commence avec voix et guitare, s'étoffe en chemin de chœurs légers, de steel guitar, explose d'une décoction puissante de piano, claquements de mains, cordes, avant une coda fragile et la reprise frémissante de "Creekmouth", dialogue entre la voix feutrée de David Michael et des chœurs retenus, lointains, sur un sous-bassement percussif qui envahit le champ sonore de sa claudication.

"Pigs", guitare raclée, voix caressantes, DM soprano évanescent, termine en vents puissants d'anges coagulés. Les esprits sont bien au rendez-vous de "Spirit parade", ils tournoient lentement avant d'être saisis par des appels  et par l'harmonium, ravis en somme. Voix et piano pour "BMB", un soupçon de chœurs, puis des cordes pulsantes, la voix de DM qui se perd très haut, le piano extatique, mur monolithe de cordes, tout s'arrache, c'est à des moments stupéfiants comme celui-là qu'on comprend qu'on a affaire à un vrai créateur, qui sait transcender le format "chanson" pour aboutir à des compositions flirtant avec la musique contemporaine. Tout le reste de l'album est à l'avenant, si bien qu'on ne lui reproche plus de ne durer qu'à peine quarante minutes, car ici tout est plein, tout s'enflamme pour des incendies de beauté, des nuages de passion contenue  comme le superbe "GMS", piano sur un tapis de voix diaphanes. À l'évidence l'un des albums essentiels de cette année ! La fin de l'album est d'une beauté raffinée sidérante !!

Paru en 2009 chez Ashmatic Kitty Records / 12 plages / 44 minutes environ
Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :
- ensuite, une belle vidéo du sublime "BMB" :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 18 janvier  2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 10 Septembre 2009

Ballaké Sissoko / Vincent Segal : "Chamber Music", boire à la source.

Meph.- Là, chapeau bas !
Dio.- Pourquoi donc ?
Meph.- Pour une fois, tu es en avance sur l'actualité !
Dio.- Ah oui, je n'y avais pas prêté attention...
Meph.- Redescends sur terre, le disque sortira le 5 octobre.

Dio.- Parfait ! Comme nous étions en retard avec le troisième album de Death Ambient, l'équilibre est retrouvé, non ?

 

Après la forêt engloutie, une musique qui coule de source. Après les raffinements électroniques et électriques, le retour à l'acoustique -représenté dans le trio chroniqué précédemment par le multi-instrumentiste japonais Kato Hideki. Ici, kora et violoncelle, rien de plus. Une rencontre limpide, sans arrières pensées, entre deux instrumentistes formidables. Ballaké Sissoko, malien de Bamako, est devenu au fil des années le grand maître incontesté de la kora, cette harpe-luth à 21 cordes d'origine mandingue. Il a imposé l'instrument dans de multiples festivals et grâce à de nombreuses collaborations, notamment avec Ross Daly, cet extraordinaire multi-instrumentiste d'origine irlandaise devenu joueur de lyra crétoise. Vincent Segal, d'origine rémoise, joue aussi bien du violoncelle acoustique qu'électrique. Comme Ballaké, il se livre aux expérimentations les plus diverses, passant par l'Ensemble intercontemporain et par des groupes de jazz, la chanson, le rock. Tous les deux transcendent les frontières : pas question d'enfermer la kora dans le monde des musiques traditionnelles et le violoncelle dans celui de la musique classique. Il n'est donc pas étonnant de les retrouver ensembles sur ce disque au titre pourtant presque provocateur. On les attendait peut-être dans des expérimentations et métissages débridés, ils se livrent à un sobre exercice de dialogue attentif, se partagent les compositions. Pièces calmes et envoûtantes, rythmées par le retour obsessionnel de certains thèmes, avec quelques morceaux un brin plus lyriques, mais il est rien moins évident que de deviner le compositeur, tant l'autre prend les manières de l'un, s'insinue dans son univers. Ainsi le titre 5, "Histoire de Molly", signé par Vincent Segal, se déploie avec la sereine majesté d'une ritournelle africaine, le violoncelle s'y fait même oriental, tout en mélismes insinuants. Seule exception à ce double chant intériorisé, une chanteuse intervient brièvement sur le titre 7, "Regret-à Kader Barry". Tout va de soi, la fontaine est fraîche, le monde chante, le temps s'égrène avec les notes cristallines de la kora, glisse sur les arpèges du violoncelle. On est bien.
Pour aller plus loin
- un article antérieur consacré à Thee, Stranded horse, où l'on retrouve la kora.
- Le site de Bumcello, pour découvrir d'autres aspects de l'activité de Vincent Segal, avec pas mal de titres en écoute.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 17 janvier  2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Hybrides et Mélanges, #Musiques du Monde - Folk

Publié le 5 Septembre 2009

Death Ambient : "Drunken Forest", le son inouï des abysses.
   J'ai failli passer à côté d'un disque essentiel, paru en 2007, où l'on retrouve Fred Frith, sa guitare électrique et son goût des expériences musicales, en compagnie d'Ikue Mori aux machines percussives et à l'ordinateur portable, et de Kato Hideki à la guitare basse et électrique, mais aussi au banjo, à l'ukulele, au violon, à la mandoline, aux machines, dans ce trio extraordinaire fondé en 1995 par les deux derniers, Death Ambient. Trois disques en douze ans : le premier en 1995, avec comme titre le nom du trio, Synaesthesia en 1995, et Drunken Forest en 2007, tous les trois sur le label de John Zorn, Tzadik. N'y allons pas par quatre chemins. Drunken Forest est un album magistral de bout en bout, parfaitement abouti. La symbiose entre les musiciens est totale, les percussions de Jim Pugliese, invité pour le disque, s'intégrant sans problème à l'univers musical de ces créateurs inspirés. Les idées sonores fourmillent, agencées avec une intelligence rare pour produire une musique expérimentale ambiante d'une densité extraordinaire. Tout un monde englouti, suggéré par le titre de l'album et ceux de certains morceaux, comme "Lake Chad", "Green house", "Yellow Rain", "River Yigris", surgit pour le plus grand plaisir de nos oreilles. De nouveaux territoires sont sans cesse convoqués, nous voilà dans une "Dead zone" ou une "Coral Necropolis". Textures liquides, minérales, atmosphères étranges et belles sont au rendez-vous d'un disque qui, tout en étant écoutable d'emblée -ce qui est loin d'être le cas de certaines bouillies expérimentales, est saisissant, inépuisable. La guitare de Fred est fulgurante par brèves irruptions, d'une splendeur brûlée dans les lenteurs, Ikue tisse des plans à la fois aérés et complexes, tandis que Kato pose ses instruments acoustiques divers comme des traînées de joyaux sur les fumerolles de paysages oniriques en perpétuelle métamorphose. Le titre éponyme est d'une beauté presque tactile, flûte puis violon éthérés survolant un sous-bassement percussif haché de guitare incisive et d'autres accidents sonores, froissements, orages souterrains, rugissements électriques en crescendo de graves. Pourquoi "tactile", adjectif surgi à la frappe ? Cet effet vient sans doute du caractère sculptural  et visionnaire de la musique. Jamais le terme de matériau sonore n'a mieux convenu qu'ici, sans pour autant que le résutat soit une quelconque musique simplement concrète. "Drunken Forest" est un chef d'œuvre de musique concrète poétique élaborée par des artistes accomplis.
Paru en juin 2007 chez Tzadik. 11 titres pour environ 54 minutes.
Pour aller plus loin
- une chronique en anglais (ici).
- Un extrait en écoute, je n'ai pas identifié de quel disque il provient, mais les trois comparses sont bien là :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 17 janvier  2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Expérimentales