Chronique des musiques singulières : contemporaines, électroniques, expérimentales, du monde parfois. Entre actualité et inactualité, prendre le temps des musiques différentes, non-formatées...
Samuel Reinhard (né en 1980) est un compositeur suisse de musique électroacoustique installé à New-York. Profondément transformé par une résidence selon lui manquée dans le désert Mojave (Californie), il compose une musique inspirée par un minimalisme décanté et des principes aléatoires, fondée sur des répétitions et des durées prolongées. En juillet 2022, il a sorti un disque superbe, intitulé tout simplement Répétitions, édité conjointement par Hallow Ground (label suisse que l'on retrouve régulièrement dans ces colonnes) et Präsens Editionen (autre label suisse de Lucerne), disque qui rassemble quatre pièces de longueur similaire formant un cycle pour trois pianos. Le nouveau disque édité par elsewhere music continue et approfondit sa recherche d'une musique visant à rapprocher les interprètes et les auditeurs dans une écoute profonde de la lenteur, des infimes fluctuations au fil des répétitions et des silences.
Piano et shō : rencontre harmonique !
Dès le départ, j'aimais beaucoup l'idée d'associer le piano et le shō, orgue à bouche avec dix-sept tubes de bambou de la musique traditionnelle japonaise Gagaku (musique de cour raffinée) : le frapper du piano, son côté percussif, et le souffle, la respiration. Mais le shō est à sa manière un petit clavier, et le piano, en faisant résonner les notes longuement, se rapproche de ce petit orgue : pour les deux instruments, l'harmonique prime alors sur le mélodique. Le disque réunit le pianiste canadien Paul Jacob Fossum et la japonaise Haruna Higashida, joueuse de shō dans le style Gagaku très impliquée dans la musique contemporaine.
Samuel Reinhard par Hatnim Lee
Plénitude de la Vacuité
Deux pièces de durée voisine constituent l'album. Dans la première, enregistrée en session multipiste, trois pianos et trois shōs se succèdent, se répondent. Quelques notes égrenées, répétées, forment l'armature de la composition. Elles résonnent longuement. Peu à peu se crée comme un escalier intérieur, un colimaçon réfracté sur plusieurs niveaux, aéré de silences. La mélodie restreinte fournit des pas, des marches harmoniques. On est enveloppé par un lent enchevêtrement, les notes des shōs formant comme des traînes scintillantes aux harmoniques des pianos. Les répétitions se dissolvent dans cette matière mouvante, ce flottement presque immobile des harmoniques. Tout n'est plus qu'infinie douceur, sérénité immense. L'auditeur s'abandonne à une temporalité étirée, véhicule d'une ineffable beauté. Samuel Reinhard est l'architecte minutieux du Ravissement.
Visages de l'Éternel Retour...
La seconde pièce est pour un seul piano et un seul shō. Samuel Reinhard la présente ainsi : « Dans la deuxième pièce, un piano se déplace à travers un trio de figures – un arpège, une improvisation, un accord – pendant toute la durée de l'interprétation.Chaque itération de cette séquence est accompagnée d'un seul shō, qui sélectionne et joue librement une note ou un accord, émergeant de la première figure du piano et disparaissant dans la troisième. Tout au long, les joueurs maintiennent les notes par le toucher ou la respiration jusqu'à ce que le son disparaisse. » Le piano se trouve tantôt seul, tantôt accompagné par le shō dont les harmoniques doublent les siennes. On dirait que le piano appelle le shō, qu'il le fait surgir pour l'épouser, l'écouter, se fondre avec lui dans le silence. Chaque séquence est en effet comme une étreinte aérienne, renouvelée et approfondie, de plus en plus gorgée de temps, de plus en plus informée par le silence. Elle nous emmène toujours plus dans un hors-temps qui esquisse peut-être le profil aveugle de l'Éternité.
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Un disque miraculeux. Le mariage mystique de l'Occident et de l'Orient aux Portes secrètes du Silence.
Paru début mai 2024 chez elsewhere music (Jersey City, New Jersey / États-Unis) / 2 plages / 41 minutes environ
Mon compagnonnage avec Yannis Kyriakides se poursuit disque après disque. Septième article consacré aux disques qu'il signe seul, ou cosignés avec Andy Moor. Je renvoie àl'articleAmiandospour quelques éléments biographiques sur Yannis, à l'article Rebetika pour Andy. Les renseignements fournis par le compositeur lui-même sont précieux pour comprendre la genèse de ce nouvel album : « Hypnokaséta (2020-2021) est un ensemble continu de 16 pièces pour quatuor à cordes, improvisateur (jeu de cassettes et de n'importe quel instrument) et électronique en direct.Le matériel source est basé sur les rêves que j’ai faits au cours des premiers mois de confinement, entre avril et juin 2020. Les récits de ces rêves sont encodés dans la musique jouée par le quatuor et également cryptés dans les textures sonores qui l’entourent.Les morceaux alternent entre quatuor en premier plan et intermèdes électroniques, où solos ou duos soutiennent le paysage sonore.Le titre de la pièce (en grec pour « cassette de sommeil ») fait référence à une théorie des rêves proposée par Daniel Dennett, selon laquelle les rêves sont chargés dans la conscience comme une cassette pendant la nuit et joués juste avant le réveil. » Ce n'est pas la première fois que les rêves sont au centre de la musique du compositeur. Il y eut évidemmentDreams, en 2012, mais la plupart des œuvres de Yannis sont directement ou indirectement liés aux rêves. Les souvenirs aussi deviennent comme des rêves, surtout ceux d'un passé dont nous sommes coupés, exclus, passé de la partie grecque de Chypre dont il est originaire, évoqué dans Resorts & Ruins, en 2015, passé collectif d'avant la Grande Catastrophe (perte de l'Asie mineure) dans Rebetika. Face, en 2021, interroge le visage lui-même en tant que matière du rêve par sa capacité à nourrir fantasmes et craintes. Hypnokaséta poursuit l'exploration des territoires oniriques en revenant à leur veine intime...
L'interprétation réunit le Quatuor Bozzini (interprète notamment d'Éliane Radigue), Andy Moor à la guitare et aux bandes magnétiques, Yannis Kyriakides à l'électronique.
Le compositeur Yannis Kyriakides
Vous trouverez sur la page Bandcamp du disque le synopsis des rêves encodés dans la musique. Il est fourni à titre indicatif. On peut tout à fait l'ignorer, ce que j'ai fait. Je viens seulement de le découvrir en préparant ces lignes, et je l'oublie pour mieux écouter...
Le disque est découpé en six plages, dont la durée varie entre un plus de cinq minutes et presque neuf. Ce qui me bouleverse dans la musique de Yannis Kyriakides, c'est sa manière d'arriver au cœur de l'émotion. On commence au ras de quelques sons, un bruissement, un battement, puis le violon dessine de courtes arabesques, l'arrière-plan se peuple de micro surgissements, et un peu après deux minutes, le quatuor vient nous prendre le cœur, nous plonger dans l'élégie, le mystère, la grande respiration d'un sommeil irréel. Avec une économie, une sobriété, sculpturales. "Hypnokaséta II" est tout en courbes, en glissendos moelleux, zébrés par les interventions d'Andy, tapissés par la matière électronique du rêve. C'est une caverne sonore tout au fond de nous, dans laquelle gisent des chuchotements déformés, des soubresauts et des fractures. Comme d'habitude, la guitare d'Andy fait merveille par sa capacité d'illumination, et l'on retient son souffle pendant la coda magique, réduite à quelques griffures sonores.
Fastes oniriques
"Hypnokaséta III" semble surgir de la Renaissance par ses coloris fastueux, sa nonchalance aristocratique, contrastant avec les grimacements des bandes magnétiques et de l'électronique. Un bourdon continu soulève le quatuor, la musique se fait tranquillement énorme, magnifique et lent courant dans lequel s'inscrivent les écritures graves du violoncelle et de sons percussifs, puis les graffitis tourmentés de la guitare. C'est cela, la splendeur, la beauté extatique d'une musique composée avec une rigueur admirable. Le quatuor étincelle dans la partie suivante, "Hypnokaséta IV", en apesanteur onirique, environné de quelques bruits et égratignures faisant mieux ressortir sa majesté. La coda est un condensé d'inquiétante étrangeté, avec grenouilles synthétiques et fantômes...
On ne quitte pas les sommets en "Hypnokaséta V", sorte de thrène d'une noire beauté. Le quatuor à cordes est d'une lenteur somptueuse, juste relevé par des échos et des bourdons, un orgue lointain, un enroulement velouté de textures frottées. Une musique à frémir, venue d'un autre monde...
Et "Hypnokaséta VI" déroule une dernière merveille étrange, cordes effarantes et glissantes à la manière des sirènes, sur un lit de hoquets, de bruits presque malicieux. La pièce semble se creuser de l'intérieur, happée par le vide, devenue poème électroacoustique au phrasé troué de silences et de curiosités. Tout un zoo improbable se love dans les plis de ce rêve délicieusement halluciné.
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Le disque sublime d'un des plus grands compositeurs de notre temps, magistralement interprété. Un chef d'œuvre éblouissant.
Paru le 24 mai 2024 chez Unsounds (Amsterdam, Pays-Bas) / 6 plages / 42 minutes environ
Faut-il encore présenter ces deux hommes ? Merzbow(né en 1956), pseudonyme du japonais Masami Akita, est l'un des musiciens majeurs du courant bruitiste expérimental, auteur d'une œuvre prolifique. Il a collaboré avec de nombreux musiciens et, hasard qui n'en est pas un, avec le guitariste français Richard Pinhas dont je viens de chroniquer End of the Line. Il assure la composition électronique de l'album, à base d'effets variés et de générateurs de bruits. Côté piano, c'est Nicolas Horvath (né en 1977), pianiste virtuose auteur d'une intégrale Erik Satie, d'une autre intégrale consacrée à Philip Glass, infatigable défricheur des musiques d'aujourd'hui, à la recherche de musiciens injustement oubliés de notre époque ou des siècles passés. Il vient de sortir un disque consacré aux Nocturnes secrets de Frédéric Chopin, incluant pour la première fois les Nocturnes révisés par Chopin lui-même, retrouvés sur les partitions de ses élèves. Mais Nicolas Horvath est aussi improvisateur, compositeur de musique électroacoustique, impliqué depuis des années dans la scène expérimentale, notamment sous les pseudonyme de Dapnom ! Aussi n'est-il pas si surprenant qu'il ait multiplié les collaborations avec des artistes a priori assez éloignés de la musique classique ou contemporaine même. Défenseur ardent des Minimalistes, y compris les moins (re)connus, n'a-t-il pas osé déconstruire le monument inaugural de ce courant, November de Dennis Johnson, dans une collaboration avec le musicien électronique Lustmord, représentant majeur du courant de l'ambiante sombre (dark ambient), sous le titre The Fall ? S'il fallait chercher une lignée menant à cette nouvelle collaboration, elle viendrait en partie de là, et de la volonté du pianiste de collaborer avec le maître du Japanoise depuis fort longtemps.
Les deux musiciens ont communiqué à distance pour ce disque. Le premier titre, "N9512MIX", résulte d'une longue improvisation du pianiste envoyée à Merzbow, lequel a "réagi" en ajoutant sa musique. C'est l'inverse pour le second titre, "914 for Horwath", sauf que Nicolas Horvath a moins improvisé pour mieux suivre les sons électroniques du japonais et assurer une certaine unité à l'album.
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Ce qui reste Après...
Sur la pochette du disque (il existe deux variantes de l'image), on voit un piano dans une salle presque vide, comme laissée à l'abandon, délabrée, au sol jonché de salissures diverses. Sur l'une des deux images, le piano n'a plus de pieds, incroyablement sale. Vous êtes prévenus : n'attendez pas une musique propre, bien élevée. Vous êtes dans un non-lieu, à l'écart de toutes les académies. C'est une scène expérimentale peut-être, un lieu de fin de monde probablement, un lieu de déréliction. Un lieu détruit. Il ne reste presque plus rien. Carcasses et ossatures, débris. Et fantômes...
Les bribes d'une improvisation au piano cherchent à se faire entendre sous un déluge de crachotis, sifflements, ondes troubles, traversées non identifiées. C'est "N9512MIX" : vestiges d'un lyrisme lisztien bombardés en continu sous une pluie bruitiste, laquelle se change parfois en plainte face au piano massif, capable de devenir lui aussi liquide. Les deux musiques se heurtent, se fuient, se rejoignent improbablement. Parfois l'électronique se calme, le piano se fait mieux entendre, se met de la partie, devenant agressif, outrageusement contemporain pour mimer une destruction à l'œuvre, conjointe cette fois. C'est une union contre-nature, monstrueuse, on entend des hurlements et des martèlements. Deux larrons en foire terminale, un jeu de massacre, jubilatoire, ubuesque. La pâte sonore se fait grouillante, les fragments mélodiques s'y fondent avec délice sans craindre la fusillade électronique. C'est la mise à mort de toute musique romantique, recouverte d'un linceul électronique grimaçant, et c'est aussi une apothéose inverse du piano, survivant à ce déluge infernal : rien ne tue la beauté, elle résiste, elle persiste, elle transcende ce qui devait la recouvrir. Je ne comprends tout cela qu'à la quatrième écoute. Je ne vous cache pas qu'à la première, je trouvais cette musique calamiteuse. En un sens, je ne me trompais pas, car elle est tout sauf pitoyable, mais elle annonce en effet des calamités. Elle est poreuse aux désastres et destructions de notre temps. Elle les intériorise et les joue comme une tragédie, elle est au contraire impitoyable, brutale. Il n'est plus temps de séduire quand tout se délite et se désagrège, semble-t-elle nous dire avec un acharnement et une énergie terribles.
Persistances lyriques
dans un monde dévasté...
"914 for HORVATH" s'inscrit dans la même perspective, mais le piano n'est plus en-dessous, il est en première ligne, à égalité avec l'électronique de Merzbow. On peut suivre la composition frémissante du pianiste, en dépit des assauts bruitistes. Étranges épousailles, naissance d'un autre lyrisme, post industriel si l'on veut. Vers huit minutes, la musique de Merzbow peut évoquer les hélicoptères du film de Coppola, Apocalypse now, dont les pâles, d'abord à plein régime, ne parviennent ensuite plus à tourner rond, tandis que le piano médite, indifférent à cette ankylose passagère de la technologie, qu'il renaît pour mieux marteler face au retour des fraises et des rotors. La pièce est une alternance de crescendos et de decrescendos, d'invasions et de quasi disparitions. N'entend-on pas les convulsions d'un monde touché au cœur, qui ne fonctionne plus que par à-coups, passant d'accélérations à ralentis dans une jactance post-rock avec souvenirs de guitare électrique et de rythmes rock'n roll détraqués à la moulinette, le piano mélodique en dépit de tout ? Si la rage gagne parfois le piano dont les reliefs dramatiques gardent grande allure, ces derniers font mieux ressortir la veine élégiaque intériorisée se frayant un chemin dans les décombres. Et les ombres de Leoš Janáček, d'AlexandreScriabine, ou encore d'Erik Satie, viennent hanter et enchanter le cauchemar.
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Un sacré choc, que je n'ai digéré et apprécié qu'après les premières écoutes (pas assez concentrées, je le reconnais). Une expérience des limites, symptôme d'une société perturbée dans ses fondements, cherchant à tâtons au milieu des ténèbres fracassantes des raisons d'espérer...ou de désespérer plus encore. Comme on dit, âmes sensibles s'abstenir ? La sensibilité affleure partout dans ce disque brûlant d'une frénésie nihiliste.
Paru le 2 mai 2024 chez Sub Rosa Label 5bruxelles, Belgique) / 2 plages / 44 minutes environ
Pas d'extrait à vous proposer en écoute...
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Livret avec un excellent texte de présentation du musicologue Guillaume Kosmicki.
Traduction du texte en anglais figurant à l'intérieur du digipack, et non crédité. [ j'ai systématiquement traduit "noise" par « bruit », tout simplement, avec une majuscule, pour le distinguer du bruit ordinaire. ]
Le fondateur du légendaire HELDON, Richard Pinhas, continue sa carrière avec ce dix-septième album sur le label Bam Balam. Ici en compagnie du franco-britannique multi-instrumentiste RG Rough aux machines. Avec le renfort de Ren Karlmann à la batterie.
Deux dérives autour de vingt minutes chacune. Du post-rock parfois ambiant, parfois psychédélique et complètement flamboyant. Fin de la ligne, comme une fin de partie ? Une musique pour perdre le contrôle, se dissoudre dans un flux hypnotique, porté par le rythme lourd, emporté vers des contrées fabuleuses. Se perdre dans la lumière, comme le Van Gogh de la fin, voir des soleils partout, et se foutre de tout, dans une grande dissolution. Quand l'univers vacille, dans le second titre, on franchit le mur en se fracassant les étoiles, on sait que tout le reste est illusion. Il n'y a plus que le rythme obsédant, la lumière qui fulgure, et on est heureux comme des rois dans la montée de la guitare et des machines, on fonce à l'aveugle, éblouis, réconciliés avec l'univers...
Oubliez la ligne, et flambez.
Paru fin avril 2024 chez Bal Balam Records (Bordeaux, France) / 2 plages / 40 minutes
Je me suis à nouveau laissé séduire par la musique de Bruno Letort, guitariste, orchestrateur, compositeur et producteur de l'émission "Tapage nocturne" consacrée aux musiques inventives sur France Musique. N'était-il pas fatal que nous nous retrouvions ? N'a-t-il pas créé pour Radio France le beau label Signature, aux choix si variés, si audacieux ? En 2019, j'ai salué Cartographie des sens, paru chez Musicube. En 2023, je le retrouve sur l'album Pianisphere de François Mardirossian et Thibaut Crassin, pour lequel il a écrit le cycle éponyme. Disque paru chez Soond, comme pour cette nouvelle parution. Mais il s'agissait de musique de chambre, pas toujours très orthodoxe, certes, ou de piano. Là, Bruno Letort revient plus près du jazz, avec lequel je ne suis pas à l'aise, qui emporte rarement mon adhésion, malgré mes efforts d'écoute. Il arrive toutefois que mes préventions tombent, comme ici. Un miracle, en somme ? C'est qu'il s'agit en fait d'une musique contemporaine ouverte et inventive, peu soucieuse de rentrer dans les codes des genres.
Quand je dis "jazz", entendons-nous. Un jazz très libre qui n'est pas non plus du "free jazz", parce que mâtiné massivement de musique de chambre, orchestrale, et qu'il lorgne aussi bien du côté d'une musique contemporaine raffinée que du rock et de ses alentours. Bruno Letort adore brouiller les frontières, d'où une musique pleine de fantaisie, d'imprévus. Pour ce disque, il a proposé à un certain nombre de musiciens dont il aime le travail d'improviser librement, ces matériaux étant repris pour s'insérer dans une composition pour grand ensemble instrumental. L'improvisation précède l'écrit, encore un brouillage et un retournement. Parmi les musiciens qui ont accepté cette expérience, on trouve David Krakauer (clarinette), Evan Ziporyn (clarinette basse), David Torn (guitare), Régïs Boulard (batterie), et bien d'autres au basson, au violon, à l'alto, au violoncelle, à la contrebasse, au Cristal Baschet et au waterphone (instrument que je découvre), au cor d'harmonie, à la voix, sans oublier le compositeur lui-même sur cinq des huit morceaux à l'électronique, aux claviers et aux percussions. Les huit titres sont cosignés par Bruno Letort et l'un des participants (deux même pour le sixième). Et Laurie Anderson a écrit ou coécrit les textes entendus sur deux titres.
...un traverseur de mondes...
Ainsi "The Windshield", premier titre et le plus "jazz" de tous par la clarinette, le cor, le basson ou la contrebasse, la chaleur boisée, cuivrée de l'ensemble au rythme entraînant, est soudain dépaysé par l'intervention du violon, puis de la voix de Mike Ladd disant un texte de Laurie Anderson. Pas question en somme de rester sur place ! "Black Night" fait cohabiter les volutes serrées de la clarinette de David Krakauer avec des cordes, un arrière-plan frémissant, un peu noir en effet. La clarinette lance des appels dans la nuit qui s'épaissit de halètements et de plaintes, avec une étonnante coda de musique de chambre. Le titre éponyme, le plus long avec ses dix minutes, pourrait être la bande son d'un film fantastique ou d'épouvante. La musique attend quelque chose ou quelqu'un, il se trame un drame dans les coulisses et mine de rien cela ressemble à un quatuor de musique contemporaine, magnifique dérive élégiaque des cordes, pizzicatis, bois frappés, glissendos et violoncelles grondants, contrebasse effrayée. Savoureuse musique, sur laquelle se pose la guitare enjôleuse de David Torn, laquelle vire rageuse, bien brûlée sur le paysage inquiétant des cordes presque suaves. On ne s'ennuie pas en écoutant la musique de Bruno Letort ! Ce musée noir joue délicieusement avec nos frayeurs.
"Ecstatic Grey Limit" poursuit dans cette veine jouant avec nos nerfs de musique à suspense, mais cette fois la musique s'envole, grandiose, se permettant de brefs silences pour mieux relancer la tension, jouant d'une alliance magnifique de section de cordes et de guitare électrique déchaînée (David Torn encore). Pas d'emphase cependant, une écriture dense, économe, aux gestes nets. Après une telle réussite, "Black Magic5" couple le Quatuor Amòn (deux violons, alto et violoncelle) avec une rythmique à la hache et la clarinette basse d'Evan Zyporin aux arabesques (un peu) orientalisantes inattendues et aux élongations agonisantes incroyables.La musique prend une tournure rock, et l'instant d'après se dérobe, s'alanguit. Quel plaisir que cette liberté prise, que cette jungle improvisée ! "Newspaper" semble revenir dans la pure musique contemporaine, sauf que la clarinette basse d'Evan fait la folle, que les mots dits par David Linx, et dédoublés, puis chantés comme à l'opéra (je pense aux opéras contemporains américains) ou comme par un crooner, nous tirent vers l'Ensemble Bang On A Can (dont Evan Zyporin fut membre)
... orchestrateur hors-pair de nos imaginaires !
Un autre quatuor à cordes, le Tana Quartet, fait bon ménage avec la guitare de David Torn, le Cristal Baschet et le waterphone de Thomas Bloch pour le septième titre, "Stupid Clock", ambiante fantomatique agitée de drones, bouillonnante de curiosités sonores, qui se permet des échappées belles de guitare et de repartir dans des nuées trépidantes, trouées de brèves explosions, s'effilochant en traînées mélancoliques vaporeuses. Encore une superbe pièce, passionnante jusqu'au bout, retour des cordes majestueuses et intrusions étranges du Cristal Baschet. "Black oscillations", dernier titre, et quatrième de la série "Black", c'est l'apothéose des cordes (deux violons, trois altos, deux violoncelles et une contre-basse), flanquées d'une électronique sombre et étrange avec martèlement ironique de claviers. Titre clivé aux contrastes saisissants. Une authentique musique expressionniste : Nosferatu n'est pas loin !
Ce disque réussit une traversée de mondes, de genres avec un incontestable brio tout en gardant une incisive concision. Avec Bruno Letort, la libre fantaisie épouse un sens inné de l'élégance, de la mesure. Et quel plaisir d'entendre tous ces talentueux musiciens s'en donner à joie d'instrument !
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Très belle pochette et jolie présentation des titres. Un seul regret : la disparition du français (même si nombre de musiciens sont américains, je sais, mais ils sont plus ouverts qu'on ne le pense.). Et Bruxelles, n'en déplaise à Soond, c'est Bruxelles !! Je dis cela pour la page Bandcamp...
Paru fin avril 2024 chez Soond (Bruxelles, Belgique) / 8 plages / 52 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur Bandcamp :
Voici le texte écrit par Laurie Anderson et David Linx pour "Newspaper" (titre 6) :
VOIX 1 : The Newspaper,
You’re the only one who knows what's real
And what isn’t
That's why I'm telling you all this
And not just recalling
The places I've been and what I've seen
VOIX 2 : An avalanche of absence and emptiness under heavens of confusion, we now talk in bumper stickers and yet we are, still, taken aback…
VOIX 1 : Why aren't we allowed to leave as often as we want
For all the work we've put into
These latrines, these cemeteries, this war
VOIX 2 : both shocked and in awe of all the noise that comes with lies. But beauty is elastic and comes in unrecognizable shapes.
VOIX 1 : So listen closely to these newspapers and magazines
They're full of the news, correct?
VOIX 2 : But what becomes of us when we spend all our time trying not to lose.
One can’t win when one doesn’t lose.
VOIX 1 : We lay our heads down on the newspapers
VOIX 2 : Very much
VOIX 1 : And pull the blanket up over our heads
And in training for war, one of the first things that General Macon did
VOIX 2 : Very much like rhythm can only be felt,
VOIX 1 : Was to burn all the newspapers.
VOIX 2 : Danced to and on, when it’s safe, nothing is safe.
VOIX 1 : So give us back our names We'd like to see them read aloud.
VOIX 2 : Peace comes only with the acceptance that nothing is safe,
Après Brighter Than I Thought (2020), le label britannique Audiobulb Records vient de sortir un deuxième album, Frameworks, du pianiste, compositeur et producteur américain Micah Pick. La particularité la plus audible de ce nouvel opus, c'est l'emploi pour le piano de l'intonation juste (pour cette notion, voir ici) selon des gammes précisées par le compositeur. Les micro-intervalles utilisés peuvent au début surprendre l'auditeur néophyte, créer un certain inconfort d'écoute. L'oreille s'habitue, rassurez-vous. Assez vite, l'intonation juste impose son charme propre ! En plus du piano, vous entendrez des synthétiseurs analogiques et modulaires, des rythmes programmés, des sons de terrain, le tout bien sûr traité électroniquement, si bien que la part purement acoustique est difficile à cerner, comme souvent maintenant.
"Have this Mind" plonge dans l'ambiance : une poussée de bourdon de synthétiseur sur fond pailleté de poussières électroniques précède l'entrée du piano, doublé par les synthétiseurs. Le piano scintille, en gerbes mélodieuses. Il patauge dans des eaux un peu troubles, distille un air un peu mélancolique, puis tout s'embrase dans un grand jeu orchestral avant le retour au calme, piano méditatif. Rien d'agressif dans cette musique aimable, séduisante même. Avec "Glacial Requiem", Micah Pick passe à la vitesse supérieure. Piano dramatique sur un fond rayé, fracturé, aux textures granuleuses. Pièce impressionnante, qui donne toute sa mesure au piano en intonation juste : c'est de toute beauté !
Le court " A Moment" nous enfonce plus encore dans un monde tumultueux où les couches sonores se bousculent, prélude à un autre grand sommet du disque, le superbe "Broken Trellis", flottant dans une apesanteur inquiétante. Le piano interroge le mystère, tente de surnager dans un chaos de forces troubles. De le très belle musique électronique !
"Shapes and Shards" (titre 5) est plus noir encore, comme si nous étions au point de rencontre de courants telluriques, glauques et clapotants, parcourus de percussions erratiques. Le piano réapparaît dans le titre suivant, "Chiastic Crux" (titre 6). Il semble planer sur un brouillard de bourdons en voyage, puis il impose sa marque, le morceau prenant une tournure presque techno répétitive. Il caracole limpidement au milieu d'un déluge de zébrures, avant de revenir royalement calme sur un fond désolé. Quelques enregistrements de terrain posent le décor de "Afterwind", pièce plus apaisée au début. Mais la méditation du piano se détache sur des structures rayées aux mouvements entrecoupés. Le piano se fait plus énergique, rentre en synergie avec l'arrière-plan décidément rien moins que dompté.
"Earth Everlasting" (titre 8, Terre éternelle) reprend une des mélodies de "Broken Trellis" dans un contexte plus ambiant. C'est un hymne élégiaque, peu à peu à nouveau envahi par des forces obscures, épaisses, hymne qui voudrait être chant de lumière et qui est étouffé par les ténèbres !
"Be Interlude" (titre 9), c'est le court retour des puissances glauques, écrasantes, avant "Bursting Downstream", long (pas trop : trois minutes trente environ) bouillonnement informe, pas le meilleur titre. Très belle fin heureusement avec "Sea Coda".
Le meilleur dans ce disque généreux, c'est le piano, à chaque fois que la composition lui donne un rôle marqué pour donner forme à l'électronique, éviter en somme une musique électro-ambiante trop facile.
Un très bon disque tout de même !
Titres préférés :
1) "Glacial Requiem" (titre 2)
2) "Have This Mind" (titre 1) / "Broken Trellis" (titre 4) / "Afterwind" (titre 7) et "Sea Coda" (titre 11)
Remarque
En écoutant "Glacial Requiem", j'ai à chaque fois eu l'impression que je connaissais déjà ce titre, depuis longtemps même. Je pensais à Harold Budd. J'ai cherché en vain dans sa discographie. Rien trouvé !
Paru en avril 2024 chez Audiobulb (Sheffield, Royaume-Uni) / 11 plages / 48 minutes environ
Troisième rencontre entre deux géants des musiques contemporaines et électroniques. Je les suis épisodiquement l'un et l'autre, ce blog se permettant des incursions à droite et à gauche pour débusquer des merveilles. Mais là, je reviens à eux. La merveille, c'est eux. Rutger Zuydervelt, alias Machinefabriek, musicien et compositeur néerlandais, si prolifique que je ne le célèbre que trop épisodiquement. Et Bruno Duplant, le sidérant et magistral Bruno Duplant!
Un seul titre de trente-six minutes. Rutger présente ainsi leur collaboration : « Cela a commencé simplement : Bruno m'a envoyé ses pièces, et j'ai ajouté les miennes.Et nous étions heureux.Jusqu’à ce que nous ne le soyons plus et décidions de faire bouger un peu les choses : les parties de Bruno ont été saccagées, ne gardant que mes sifflements de science-fiction.Une dalle d'orgue a ensuite été ajoutée au mélange, ajoutant un sentiment de menace et de malaise avecses grappes de tons atonaux.Un peu plus de montage et de (dé)réglage ont été effectués, et voilà : voici Edge of Oblivion. »
Oublions les détails. Bruno et Rutger sont des créateurs de mondes. C'est une musique totale, d'immersion absolue, vertigineuse et brûlante. Cela commence doucement, percussion feutrée, glissements qui se croisent, les froissements de science-fiction dont parle Rutger. Tout cela se creuse, se croise, s'intensifie. Le tissage musical se serre comme un filet, un filet à prendre l'âme, la dérober. Sans vous en être rendu compte, vous n'êtes plus là, emporté par ce flux aux transparences subtiles, dont la profondeur a augmenté, abritant maintenant des courants inconnus, véritables machines à éraser la tête, car cette musique est lynchienne, inquiétante, lourde.
Radieuse noire...
Radieuse noire. Orgue des abysses, où sont tapis des forets électroniques à vriller vos dernières résistances, des orages souterrains riches en bourdons épais à faire crier de jouissance. C'est une descente majestueuse, d'une indicible beauté terrible, terrassante, profonde comme le cosmos qui ondule tel un serpent dans les cavernes de la création. Avec sa traîne royale charriant toutes les poussières galactiques dans l'ultime maelstrom, tout rayonnant de mystères.
Un disque prodigieux, une pure fulguration !
Paru le 9 mai 2024 chez autoproduit par Machinefabriek / 1 plage / 36 minutes
Specio est le duo formé par Sasha Andrès (textes, chant, percussions, bruits) et Nicolas Laureau (guitares, claviers, piano, batterie). Tous les deux ont un passé rock et alentours, sont actifs sur la scène indépendante à travers différents projets, comme le duo Covers in Inferno (au nom qui n’est pas sans rapport avec l’album sans titre de Specio) formé par Nicolas et François Breut.
Leur projet répond à l’un de mes vœux les plus chers : entendre des poèmes ou textes français chantés en français. Ce qui devrait sembler aller de soi ne va hélas plus de soi, tant nombre de chanteurs et musiciens français ont déserté la langue française, comme honteux de leur si belle langue, pour un anglais médiocre, mal prononcé, très souvent pitoyable, sous le prétexte ridicule et fallacieux de toucher un plus vaste public. À l’heure où l’on ne cesse de célébrer la biodiversité, je milite pour la diversité des langues, menacée par des langues internationales, mondialisées (l’anglais surtout), qui n’ont plus ni âme, ni histoire, des langues dévitalisées parce que, privées de leur fonction poétique comme dirait Roman Jakobson, elle sont réduites à leur fonction communicante, utilitaire. Sasha Andrès chante aussi en anglais sur le disque, c’est vrai, mais un anglais réduit à sa dimension musicale : les paroles ne comptent plus, sont d’ailleurs souvent inaudibles en tant que telles, l’anglais n’est plus qu’un instrument parmi d’autres. Et puis cela vient après le bonheur…
Protéger ? Restreindre la liberté, comme d'habitude...
Le bonheur d’entendre un texte du poète Henri Michaux, « Agir, je viens » pour ouvrir le disque ? Hélas, ce bonheur nous ( ce "nous" inclut bien sûr les auditeurs du disque) a été refusé par les ayants droits. J'ai eu la chance de l'entendre avant leur refus. C'était un texte bien dit de la belle voix grave de Sasha, accompagnée à la guitare, aux claviers et à l’électronique par Nicolas. Un « chant te soulève, est animé de beaucoup de ruisseaux, ce chant est nourri par un Niagara calmé », une chanson d’amour comme on en entend trop peu, portée par une mélodie simple et prenante. Hélas, comme trop souvent dans l'histoire de la littérature, les ayants droits, au nom de l'image supposée du poète, de l'écrivain, du cinéaste, exercent de fait une censure dommageable, quand ils ne trahissent pas carrément la pensée du mort qu'ils disent protéger. C'était l'occasion de faire entendre à un large public un texte d'un poète majeur, connu surtout des amateurs. Occasion manquée, c'est pitoyable. Un texte beau et fort de Sasha Andrès sur la liberté d'adaptation et d'interprétation remplace celui du poète : « Que faire quand les vivants sont plus morts que les morts ? (...) Cet empêchement sonne faux (...) » Passons à la suite !
Ayant quitté le chemin droit...
« Flux » nous précipite dans un univers plus souterrain. La musique se fait répétitive, claviers résonnants et insectes électroniques. Comme un chant de la matière-lumière pour « affûte(r) ton cœur, qu’il puisse survivre aux tempêtes, aux douleurs », une autre chanson d’amour revivifiant. « Light Codes », s’il est chanté en anglais, déconstruit la langue, les langues mêmes que l’on croit entendre, métamorphosées en la ligne vocale d’une langue inconnue, des proférations, entourées d’un brouillard musical qui va s’épaississant, guitares électriques comme poix brûlante. Pour la première fois, je songeais au rock allemand de la fin des années soixante, celui de Can par exemple. Pour la première fois aussi, je commençais à songer à Dante. Car ce disque est un chemin initiatique.
je me trouvai dans une forêt obscure...
On semble revenir au jour avec la ritournelle de piano de « Va jouer », mais rien ne ressemble plus à rien, la langue a régressé vers une enfance folle, langue originelle hurlante, sifflante, toute au plaisir de faire du bruit. C’est un minimalisme doucement frénétique, prélude à la dérive de « Birds Nest », langue lâchée en vocalises aériennes, guitares étincelantes et bourdonnantes.
Retour à un texte compréhensible, en français, accompagnement ciselé au piano et à la guitare. Texte érotique magnifique, litanie à partir de l’impératif « Ouvre » décliné avec les différentes parties du corps. Voix suave, dédoublée, invitation à l’amour le plus charnel. C’est ça, la grande chanson française contemporaine, sensuelle et intelligente, du pur plaisir, loin, très loin des rengaines et bluettes. Un chef d’œuvre !
Lumière brûlée, délices...
« Vertical Janus » sonne comme du Harold Budd, piano ouaté et résonnant en grandioses cascades, voix de Sasha démultipliée glissante, les voix informes d’un rêve, une guitare éclatée dans les creux, et tout de plus en plus halluciné, absolument fantastique ! Après le Paradis gnostique d’ « Ouvrir », un Purgatoire vertigineux, en apesanteur, éclairé par les flammes de l’Enfer proche… « Teenage » fait alors figure de parenthèse, souvenirs transparents que lèche une guitare lourde, soudain flambante, grondante, coupante. Inutile de préciser que j’eusse aimé des paroles en français, compréhensibles, mais cet anglais comme mourant, du bout des lèvres, n’est pas pour me déplaire.
Si « Râga » est présenté comme un bonus, pour moi c’est l’aboutissement, le couronnement de cet album. Une descente aux Enfers. Pour la première fois une voix masculine, celle de Nicolas peut-être, en ouverture dhrupadisante (je risque le néologisme), à laquelle répond celle de Sasha sur fond de bourdons, de guitares enflammées. C’est un dialogue des Ombres au milieu des vapeurs méphitiques de plus en plus chargées. La musique est quelque part à la confluence des délires planants de Ash Ra Tempel, des plongées hallucinées de Sonic Youth ou des vaticinations du Velvet Underground. Un abandon total, une immense immersion dans la lumière brûlée.
Un disque habité, d'une infernale splendeur.
Paraît le 10 mai 2024 chez Prohibited Records (Paris, France) / 9 plages / 47 minutes environ