Publié le 27 Juillet 2024
[À propos du disque et du compositeur]
En 2017, le musicien de Hong-Kong Olivier Cong sortait son premier album A Ghost and his paintings. Ce titre est emblématique de sa musique, inspirée d'œuvres littéraires et d'autres arts comme le cinéma : depuis 2020, il a commencé à composer des musiques de films, notamment pour le réalisateur pékinois Tian Zhuangzhuang et Elegies de la réalisatrice hongkongaise Ann Hui (2023). Ce second album, hommage à sa ville natale, est né dans des circonstances particulières, qui expliquent le titre qu'il lui a donné : « J'attendais que le bus arrive à l'arrêt lorsque la pluie a commencé à tomber. Je me suis rapidement enfui dans une chapelle voisine, et c'est de là qu'est née l'idée de cet album. À l’intérieur de la chapelle, je me suis souvenu du parfum de l’île Maurice, d’où était originaire mon père, et des piliers de bois humides mêlés à l’encens rituel. » La chapelle, les pluies des Tropiques, les bruits de la grande cité, tout cela se retrouve dans cette nouvelle œuvre, marquée par sa vénération pour Ryuichi Sakamoto et sa retenue orientale.
Sur la couverture du disque, la photographie extraite du film Tropical Malady (2004) par le réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, nous plonge tout de suite dans un univers de solitude, de mysticisme onirique, décalé quand on pense à une ville aussi peuplée et bruyante que Hong-Kong.
Instrumentarium : Piano, électronique ambiante, shakuhachi, yuan chinois (luth chinois à long manche, dit guitare-lune), guzheng (famille des cithares sur table) + textes dits.
[L'impression des oreilles]
Le premier titre, "I am afraid of", est un curieux seuil : le compositeur a collecté des enregistrements vocaux d'étrangers anonymes décrivant leurs peurs les plus profondes, manière de donner au disque une dimension universelle, dans la mesure où les réponses montrent les mêmes peurs fondamentales de la mort, de l'amour ou de la solitude. En plongeant ces textes dans une atmosphère rituelle à base de sorte de gongs, de vagues cadencées de bourdons, d'électronique et d'instruments orientaux, Olivier Cong place comme une prière à l'orée de son disque, suivie d'un réconfort, "Solace", lente marche diaphane en canon de piano nébuleux, shakuhachi et ondes sinusoïdales. Musique déchirante et mystérieuse, un cœur qui bat très fort entouré de lassos harmoniques !
Olivier Cong est un poète mélancolique, comme le confirme "They don't sleep on the beach anymore" (titre 3), du Tim Hecker à l'orgue bourdonnant, environné de vagues bruitistes adoucies. Nous sommes dans un temple abandonné au milieu de nulle part... [ Précision pour la vidéo après l'illustration : trente premières secondes absentes du disque]
"Moon Dance"nous confronte à un environnement nocturne mystérieux, peuplé de bruits, craquements. L'électronique chuinte, des déchirures zèbrent l'espace... et c'est le mangeur de vent ("Wind Eater", titre 5), ravages de l'orage tandis que des cloches sonnent. Indéniablement, Olivier Cong a un sens cinématographique de la musique. Le beau solo de shakuhachi de "Burning" accompagne les crépitements d'un feu : ode mélancolique à la solitude. Le shakuhachi est ensuite dédoublé sur un fond très léger de clavier. Le titre suivant, "solitude study", poursuit cette dérive, entre retenue minimale et poussées intenses. Les fantômes sont là, tout proches, toutes les mélodies sont courbes, puis on entend leur chœur bruissant, c'est magnifique. "When the labour is for love" (titre 8) reste au même niveau, hymne ténébreux labouré de drones massifs sur lesquels le luth ou le guzheng brode une dentelle.
Brutal retour au "réel" avec "dok" ? Bruits d'un port, mais un réel distancié, décanté, rythmé : intrigant ! Portail pour "Solid sun", l'envahissement du mystère, une sensation mystique de décollage, d'ailleurs une cloche tinte dans ce monde en suspens, en fusion lente. Et c'est l'embrasement, la marche à la disparition... Encore un grand titre !
Le titre chinois non traduit (Paix à toute la famille) de la onzième pièce nous ramène à la ville, ses bruits, mais aussi au luth yuan, à une sorte de shō (instrument non mentionné dans la présentation du disque) : tout est transcendé par le chant apaisé d'étranges guitares. L'humour du titre douze, "A saint about to fall" (un saint sur le point de tomber, comprendre peut-être de succomber, de fauter) convient à une musique trébuchante, hoquetante, saisie par le bruissement d'une ivresse de plus en plus folle, stupide au bord du vide...Il reste à prier : "Prayer of mine" donne à entendre les mots d'Olivier sur fond vibrant de violoncelle (ou électronique ?). Titre émouvant, bouleversant, d'une beauté désolée, une toile d'orgue s'ajoutant au violoncelle.
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Un grand disque sensible d'ambiante habitée !
Publié en juillet 2024 chez Room40 (Brisbane, Australie) / 13 plages / 54 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur Bandcamp :