Publié le 27 Septembre 2024

Christopher Chaplin - Door 1 Door 2

[À propos du disque et du compositeur] 

Après Patriarchs paru en novembre 2021, le compositeur britannique Christopher James Chaplin confirme son goût pour les mythes et les prophéties. Il écrit à propos de son nouveau disque : « Les mythes de notre tradition occidentale m’ont souvent captivé, qu’ils soient grecs, romains ou judéo-chrétiens. Les mythes sont un récit collectif transcendant, une mémoire enfouie, non intellectuelle mais spirituelle, vivante à tous les sens d’un autre monde. Ces histoires décrivent souvent des passages interdits gardés par des créatures terrifiantes ressemblant à des monstres, qui, si elles sont conquises, donnent accès à d’autres plans.  Porte 1 – Porte 2  sont deux de ces plans, ouvrant sur la prophétie et la royauté. » Sa musique entre électronique et avant-garde traverse les frontières des genres au point d'incorporer différentes formes de chant ou de non-chant (mots parlés) pour créer une étonnante musique de chambre sur des mots très anciens.

Le compositeur James Chaplin

Le compositeur James Chaplin

[L'impression des oreilles]

Le premier titre, "The Feathered Girl" (La Fille à plumes), se présente comme une musique roulante, on suit une route vers l'ailleurs sur un tapis clapotant de battements synthétiques tandis qu'une voix, celle de Carmen Alt-Chaplin, égrène les mots de l'énigme du Sphinx rapportés par l'auteur grec Athénée de Naucratis (vers 170 - après 223). L'électronique se boursoufle de sons raclés de fausse guitare écorchée, bouillonne de gargouillements. La vidéo réalisée par le compositeur parcourt des paysages désertiques grandioses aux montagnes rocheuses espacées : porte d'un autre monde...

 

Variations apocalyptiques sur les Livres de Jonas et de Job

"Nineveh" met en musique un extrait de la Vulgate (Bible en latin), le quatrième verset de la prophétie de Jonas qui prédit la ruine de Ninive (Livre de Jonas, III, 4) : « 4 et coepit Iona introire in civitatem itinere diei unius et clamavit et dixit adhuc quadraginta dies et Nineve subvertetur » ( « Et Jonas, y étant entré, y marcha pendant un jour, et il cria en disant : Dans quarante jours Ninive sera détruite. » Traduction de Lemaître de Sacy). Toujours l'intérêt pour les prophètes, Jonas étant considéré comme l'un des douze petits prophètes. C'est le chanteur grec Tassos Apostolou qui chante la voix de basse pour ce texte terrible sur un fond de décomposition, de destruction : déflagrations, bris divers, trompettes, et un enveloppement majestueux d'orgue et cordes, presque à la Arvo Pärt ! Une magnifique réussite !

"Hashem" (titre 3) est le substitut utilisé par de nombreux juifs pour désigner Dieu - dont le nom ne se prononce pas, dans la conversation courante. La pièce commence par un extrait chantonné du livre de Job (XXVIII, 12), lorsqu'il recherche l'origine, le principe et la source de la religion, dans la version de la Bible du roi Jacques (King James Version en anglais, de 1611) : « But where shall wisdom be found? And where is the place of understanding? » (« Mais où trouvera-t-on la sagesse ? et quel est le lieu de l'intelligence ? » Traduction de Lemaître de Sacy). Un peu plus loin, on entend deux autres extraits de Job (XXXVIII, 4 à 8, 16 à 21), toujours pris dans la KJV. Dieu montre à Job quelle distance il y a entre la créature et son Créateur : « Where wast thou when I laid the foundations of the earth? declare, if thou hast understanding.Who hath laid the measures thereof, if thou knowest? or who hath stretched the line upon it? Whereupon are the foundations thereof fastened? or who laid the corner stone thereof; When the morning stars sang together, and all the sons of God shouted for joy? Or who shut up the sea with doors, when it brake forth, as if it had issued out of the womb? (...)  16 Hast thou entered into the springs of the sea? or hast thou walked in the search of the depth? 17 Have the gates of death been opened unto thee? or hast thou seen the doors of the shadow of death? 18 Hast thou perceived the breadth of the earth? declare if thou knowest it all. 19 Where is the way where light dwelleth? and as for darkness, where is the place thereof, 20 That thou shouldest take it to the bound thereof, and that thou shouldest know the paths to the house thereof? 21 Knowest thou it, because thou wast then born? or because the number of thy days is great? »

( « 4 Où étiez-vous quand je jetais les fondements de la terre ? dites-le-moi, si vous avez de l’intelligence. 5 Savez-vous qui en a réglé toutes les mesures, ou qui a tendu sur elle le cordeau ? 6 Savez-vous sur quoi ses bases sont affermies, ou qui en a posé la pierre angulaire ? 7 Où étiez-vous lorsque les astres du matin me louaient tous ensemble, et que tous les enfants de Dieu étaient transportés de joie ? 8 Qui a mis des digues à la mer pour la tenir enfermée, lorsqu’elle se débordait en sortant comme du sein de sa mère ? (...) 16 Etes-vous entré jusqu’au fond de la mer ? et avez-vous parcouru les réduits les plus secrets de l’abîme ? 17 Les portes de la mort vous ont-elles été ouvertes ? les avez-vous vues, ces portes noires et ténébreuses ? 18 Avez-vous considéré toute l’étendue de la terre ? Déclarez-moi toutes ces choses, si vous en avez la connaissance. 19 Dites-moi quelle est la voie qui conduit où habite la lumière, et quel est le lieu des ténèbres : 20 afin que vous conduisiez cette lumière et ces ténèbres chacune en son propre lieu, ayant connu le chemin et les routes de leur demeure. 21 Saviez-vous alors que vous deviez naître ? et connaissiez-vous le nombre de vos jours ? »Traduction de Lemaître de Sacy )

La diction du texte par la voix féminine de Carmen est enveloppée d'une sorte de voile froissé pour marquer la distance. Puis revient le chantonnement du verset XVIII, 12, qui sert de refrain, de leit-motiv à cette musique grandiose et mystérieuse, avant deux brèves réponses de Job sans doute (?) et un dernier extrait du chapitre XL cette fois, versets 7 à 10 : « “Gird up thy loins now like a man; I will demand of thee, and declare thou unto Me. Wilt thou also disannul My judgment? Wilt thou condemn Me, that thou mayest be righteous? Hast thou an arm like God? Or canst thou thunder with a voice like Him? 10 “Deck thyself now with majesty and excellency; and array thyself with glory and beauty. » ( « 2 Ceignez vos reins comme un homme ; je vous interrogerai, et répondez-moi. 3 Est-ce que vous prétendez détruire l’équité de mes jugements, et me condamner moi-même pour vous justifier ? 4 Avez-vous comme Dieu un bras tout-puissant ? et votre voix tonne-t-elle comme la sienne ? 5 Revêtez-vous d’éclat et de beauté, montez sur un trône élevé, soyez plein de gloire, et parez-vous des vêtements les plus magnifiques.» Traduction Lemaître de Sacy, avec un décalage de numérotation que je n'explique pas...)

   La musique de James Chaplin sert à merveille le texte biblique, alternant passages obscurs et envolées lumineuses, manière d'exprimer le tourbillon dont s'entoure Dieu et la puissance de sa Grâce.

 

    Après les mythologies grecque et biblique, James Chaplin passe avec le dernier titre, "The Isle of Apples", à la mythologie celtique : l'île des pommes, l'île fortunée, c'est Avallon, porte de l'autre monde, de la Féérie, mentionnée pour la première fois par Geoffroy de Monmouth dans sa Vita Merlini (vers 1145). La compostion est construite sur le contraste entre une première partie presque bruitiste, moulinette broyant le folklore celtique, et une seconde majestueuse et harmonieuse, chantée par la soprano italienne Michela Varvaro dans la pure tradition de l'opéra italien, avec toutefois sur la fin des chœurs et des boucles minimalistes surprenantes de synthétiseur. Je n'ai cette fois pas retrouvé les références du texte, hélas...

------------------

James Chaplin est l'un des authentiques compositeurs inspirés d'aujourd'hui, associant avec audace grands textes universels et avant-garde musicale.

 

Paru en septembre 2024 chez Fabrique Records (Vienne, Autriche) / 4 plages / 32 minutes environ

Très belle peinture de couverture de Tim Story : une croix ou un visage, ou les deux...

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur Bandcamp :

brique Records

Lire la suite

Publié le 18 Septembre 2024

BAŞAK GÜNAK - Rewilding

[À propos du disque et de la compositrice] 

   Artiste sonore et compositrice née à Istanbul et installée à Berlin, Baśak Günak est connue sous le nom de Ah! Kosmos dans le monde de la musique électronique. Elle compose pour des installations sonores, pour la danse et le théâtre. Sur Rewilding (Réensauvegement), elle travaille autour des notions d'auto-réensauvagement, de recherche de nourriture et de décomposition, réutilisant des matériaux issus de ses installations. On y trouvera aussi la déconstruction d'une chanson folklorique du Sud-Est de l'Anatolie. Les instruments utilisés vont de l'orgue, de la clarinette basse, du halldrophone (violoncelle electroacoustique), au synthétiseur Buchla 100 et à un piano cassé, auxquels il convient d'ajouter processus électroniques et programmation. Le disque comporte huit compositions, d'une durée comprise entre un peu plus de deux minutes et onze minutes.

BAŞAK GÜNAK  (Ah! Kosmos) par Arda Funda

BAŞAK GÜNAK (Ah! Kosmos) par Arda Funda

[L'impression des oreilles]

   La musique de Baśak Günak est celle des lointains nimbés de brumes. "Canon Bee" nous entraîne dans un rituel ponctué par le violoncelle électroacoustique utilisé comme percussion. C'est un bourdonnement très doux, pailleté d'électronique, de clochettes, comme un retour sur l'immense plateau anatolien. Le titre éponyme sonne comme une pastorale mélancolique, clarinette basse bruissante et vibrante, sons graves occupant tout l'espace sonore. Avec "Foraging", tout un peuple de voix surgit, un immense balbutiement, une prière informe, longue traîne ondulante enveloppée d'orgue et de synthétiseur : profonde douceur de la résurrection d'un passé enfoui.

La musique est voix, souffle et pouls...  

"Wings" ne fait que confirmer la dimension mystique d'une musique résolument tournée vers un au-delà insaisissable. L'élan vers l'infini de l'énorme vague sombre est arrêté par une percussion implacable, qui vient à plusieurs reprises découper le bel ordre d'envol sans toutefois l'empêcher de repartir vers sa destination, ailleurs. "Porous" (titre 5) est la poursuite du voyage, l'orgue ou le Buchla derrière des voiles, des micro-rideaux de particules voletantes, des sifflements très doux. Pour arriver à "Inside", labyrinthe souterrain où se croisent voix murmurées et bourdons abyssaux, le tout formant comme un immense mantra. Quant au marais du titre 7, "Swamp", comment ne pas songer à ceux de l'Achéron ? Le réensauvagement, c'est la plongée dans des eaux infernales, mais aussi primordiales. De multiples voix sourdent des voûtes sombres, voix des morts, voix immémoriales. La clarinette basse souligne l'incantation hypnotique d'un trait de braise noire par-dessus les eaux bouillonnantes des épaisses couches électroniques. Le cœur de l'album est là, dans ce titre sauvage, tumultueux...

   "Holy Swamp" (Essaim sacré) fait évidemment écho au titre initial, "Canon Bee" (Abeille Canon". Après le bain dans le marais (et les fleuves souterrains), plus rien ne fait obstacle : la musique déroule son ruban bourdonnant piqueté de minuscules craquements, son ample pulsation paisible, elle déborde, s'enfle, se vaporise dans les lointains...

-------------------

Rewilding est le disque mystérieux d'une sibylle de la musique électronique ambiante d'aujourd'hui.

Paraît le 20 septembre 2024 chez Subtext Recordings (Berlin, Allemagne) / 8 plages / 37 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur Bandcamp :

Lire la suite

Publié le 16 Septembre 2024

Marcus Fjellström - The Last Sunset of The Year

[À propos du disque et du compositeur] 

  L'an dernier, j'avais rendu un hommage tardif à Marcus Fjellström (1979 - 2017), compositeur suédois redécouvert dans mes piles de disques. Ce 20 septembre sortira The Last Sunset of the Year, une compilation de ses dernières œuvres rassemblée par Erik K Skodvin, compositeur et fondateur du label berlinois Miasmah, et Dave Kajganich, producteur et scénariste. Il aura fallu sept ans de travail pour la mener à bien. Si elle comporte des pièces écrites pour la bande originale de la première saison de la série télévisée The Terror, qui racontait l'échec de l'expédition Franklin de 1845 pour trouver le fameux passage du Nord-Ouest, elle apporte de nombreux inédits composés pendant cette période. Les pièces rassemblées forment un ensemble cohérent dépassant le cadre de la série. Il faut donc considérer le disque comme l'ultime témoignage musical de ce maître de l'étrange musical.

   Le titre de l'album vient du moment où des marins britanniques, coincés dans la banquise hivernale, se tiennent sur le pont d'un des navires condamnés pour regarder le soleil se lever à l'horizon un bref moment puis se coucher immédiatement après, dernier coucher de soleil avant six semaines d'obscurité : ultime beauté...avant leur propre mort !

  L'ensemble est structuré en quatre grandes parties ("Last Morning Watch" / "Last Draughts, Last Best Efforts" / "Last Fixed Position" / "Last heat, Last Exertions" ), elles-mêmes respectivement subdivisées en sept, sept, cinq et sept sections, si l'on veut se référer à une narration.

[L'impression des oreilles]

Marcus Fjellström, sculpteur sonore de la Terreur

   L'album commence de manière très orchestrale par un mouvement lent et majestueux suivant le lever de la lumière, toute ourlée d'ombre. Ce déploiement fastueux se poursuit pendant "Last Morning Watch II", déjà envahi par le mystère : enroulements aigus sur fond de bourdons, atmosphère feutrée. Le larghetto du III se fait plus menaçant, plaçant les arpèges d'une harpe (?) folâtre sur une toile très sombre traversée au loin par des claquements. Tout ce premier ensemble est marqué par une attente sourde devant des manifestations naturelles à la fois magnifiques et angoissantes. C'est un véritable poème symphonique aux couleurs diaphanes, d'une bouleversante douceur.

 

 

   La seconde partie, "Last Draughts, Last Best Efforts", s'assombrit nettement, d'une lenteur menaçante. L'atmosphère se raréfie, se coagule. Le magnifique andantino (X), miracle fragile, est comme une ultime marche sur la glace tandis que les menaces s'accumulent. Marcus Fjellström donne à l'ambiante sombre ses lettres de noblesse, ciselant la densité ténébreuse dans les pièces suivantes pour en extraire le potentiel fantomatique. L'adagio (XIV) termine cette partie en faisant du piano lumineux un funambule condamné à tourner en rond dans un monde épaissi où les vents meurent.

   La troisième partie, "Last Fixed Position", est la plus intensément tragique. Le compositeur y déploie un art magistral de la fresque angoissante. Densité sombre et grandiose du puissant XVI, et puis voici l'halluciné XVII, le plus long titre, chef d'œuvre de l'album, comme une danse macabre de squelettes grelottants de scorbutiques, pestiférés à leur manière (on entend leurs clochettes...) entourés de vents fuligineux... Tout se défait ensuite dans des frottements, lueurs d'orgue ténues, hululements minuscules, ce très beau XVIII bruissant, puis comme des voix spectrales dans des halos troubles, le sépulcral XIX, très lent tourbillon de mort.

   Entendrait-on les trompettes du jugement ? C'est "Last Heat, Last Exertions", les derniers sursauts avant la grande immobilité. Les vents glacés balaient le paysage où bégaient des réminiscences pastorales dérisoires (XXI). Les blocs de glace s'entrechoquent. La venue des ultimes délires (XXII) se manifeste par des cordes folles et de bourdons profonds,  des inflexions courbes. La pièce XXIII est un des autres sommets de cette album par son art de la concision, de l'allusion. La musique d'horreur de Marcus Fjellström refuse une dramaturgie pathétique ou grandiloquente. Elle cerne l'inquiétante étrangeté par des climats, ici le tambourinement dans la couche des bourdons et des levées de cordes frémissantes. La pièce suivante (XXIV) n'est pas moins réussie, dernières stries dans les noirs d'encre d'orgue de catacombe. Des trompettes sonnent encore en XXV, accompagnement funèbre d'un lent engloutissement qui se poursuit en XXVI par des sons tenus, glissendos decrescendo...

----------------------

Entre expressionnisme dépouillé et néo-classicisme visionnaire, le testament impressionnant d'un compositeur majeur de l'ambiante la plus sombre.

Paraît le 20 septembre 2024 chez Miasmah Recordings (Berlin, Allemagne) / 28 plages / 1 heure et 27 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur Bandcamp :

Lire la suite

Publié le 10 Septembre 2024

Connor D'Netto & Yvette Ofa Agapow - Material

[À propos du disque et des compositeurs]

Connor D'Netto et Yvette Ofa Agapow sont deux musiciens australiens pouvant être présentés comme "post-genre", tant ils mêlent de tendances et d'influences. La musique de Connor D'Netto navigue entre post-minimalisme, néo-classique, pop, musique électronique ; celle de Yvette Ofa Agapow est entre bruitisme, ambiante, musique de bourdons, etc. Première collaboration entre les deux artistes, Material est l'instantané de deux tranches de vie, sorte de collage sonore marqué par des souvenirs et événements personnels, traumatiques ou non, et leur goût pour des matériaux sonores comme les bandes magnétiques, le métal, les fibres naturelles et divers objets. Élaboré sur une longue période, le disque comporte cinq parties titrées "Material" I à V, avec ajout de quelques mots en guise de programme : "chute rugueuse, bras écorchés" / "lin posé sur la pierre" / "ça vient par vagues" / "déficit en dopamine" / "à temps"

Connor D'Netto & Yvette Ofa Agapow par George Levi

Connor D'Netto & Yvette Ofa Agapow par George Levi

[L'impression des oreilles]

  Au début, l'impression d'une musique post-industrielle : machines errantes... Mais les bourdons opaques, les longues traînées spiralées créent un univers sonore énigmatique, celle d'une musique ambiante hantée en son cœur par des présences discrètes, dissimulées derrière des blocs se transformant soudain en sources de lumière, et c'est le très beau "Material II", lin posé sur la pierre, liquide et ouaté, flux minimaliste à la douce pulsation, très reichien jusque dans l'usage de marimbas ou instruments voisins : pluie micro-syncopée en gouttelettes micacées, sous-tendue de drones de velours !

   Entre de brèves ponctuations percussives, "Material III" alterne glissandos ténus comme sur le bord d'un verre et vagues surgissantes, violentes et râpeuses, tornades troubles au milieu desquelles s'entrechoquent des nuages de particules. Peu à peu, les glissandos s'étoffent de phrases mélodiques animées que les vagues détruisent rageusement sans parvenir à les faire disparaître : la fragilité renaît au cœur des tourmentes !

    "Material IV", déficit de dopamine, paraît désarticulé, percussions erratiques comme des bulles dans le vide, parfois troublées de déflagrations mourantes, puis cela se construit, se sédimente, coagule dirait-on autour de vagues électroniques, de grouillements, de déchirures, avec un crescendo crachotant, lacéré par les cymbales, orgasme douloureux avant l'apaisement.

   La voix humaine apparaît en "Material V", voix fragile dans un milieu quasi amniotique, caverne de bourdons continus et de clapotis. Une voix infra-humaine (masculine ?) semble répondre à la voix féminine en un étrange duo ralenti tandis que s'éteignent les dernières sombres couleurs musicales.

----------------------------

Une fantaisie électronique en cinq mouvements nimbée d'une belle aura poétique.

 

Paru début août 2024 chez Room40  (Brisbane, Australie) / 5 plages / 38 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur Bandcamp :

Lire la suite

Publié le 2 Septembre 2024

Luca Perciballi - Sacred Habits

[À propos du disque et du compositeur]

  Installé à Modène en Italie, l'artiste sonore et compositeur Luca Perciballi explore les potentialités sonores de la guitare depuis une dizaine d'années. En 2021, il jouait de la guitare acoustique et électrique sur Didone d'Alessandro Bossetti, compositeur passionnant que l'on retrouve aussi sur le label Unsounds, régulièrement présent ici. Sur ce nouveau disque, il recourt à une guitare « augmentée » par l'électronique, des préparations de l'instrument, des haut-parleurs préparés et de la percussion avec ses pieds.

[L'impression des oreilles]

   D'un titre à l'autre, la guitare se métamorphose. Caquetante, véritable basse-cour de gallinacées ou d'oiseaux métalliques, elle se stratosphérise en quelques secondes, brûle comme une guitare de rockeur survolté. "Sacred Habits IX" est à cet égard un sommet hallucinant, qui nous entraîne dans des espaces magnétiques, stratifiés de vibrations, saturés de bruits amplifiés. "Sacred Habits II" joue sur un tapis de drones d'orgue une partition de guitare toute en griffures électrisées, troubles.

   Horloge enrouée et claudicante, "Sacred Habits III" assène un rock épais, acide se terminant sur un crescendo énorme. Luca Perciballi explore toutes les portes de l'étrange, s'offre le luxe d'une ambiante fantomatique sur "Sacred Habits IV", aux textures arrachées. Quant à "Sacred Habits VII", il prend des allures de rituel...tibétain, la guitare devenue trompes (au pluriel !), accompagnée d'une percussion puissante. Ses incursions dans des genres dont il bouscule allègrement les frontières ne l'empêche pas d'écrire de superbes moments de guitare pure (enfin presque...), comme dans "Sacred Habits X", fin, étincelant : de toute beauté !

-------------

Un disque éblouissant, qui se termine sur l'extatique et iconoclaste "Sacred Habits XI".

 

Paru en juin 2024 chez Kohlhaas Records (Trento, Italie) / 11 plages / 43 minutes environ

Pour aller plus loin

- disque en écoute et en vente sur Bandcamp :

Lire la suite