Publié le 27 Mars 2025
Née en Australie, la compositrice, violoncelliste et improvisatrice Judith Hamann vit et travaille à Berlin. Son dernier disque rassemble six pièces composées sur plusieurs années et dans plusieurs pays. Titré Aunes, il tient son nom d'une ancienne unité de mesure française pour les tissus, variable selon les régions et les matériaux. Une manière de signaler que ses "chants", comme elle les appelle, par leurs caractéristiques, sont indissociables des instruments, des sons, des lieux et des communautés où la musique a été conçue. En plus de son violoncelle, Judith Hamann utilise synthétiseurs, orgue, sons extérieurs et, pour la première fois, sa propre voix.
Commençons par les réticences qui m'ont d'abord fait hésiter à parler de ce disque. En dépit des références à des musiciens prestigieux comme Luc Ferrari, je dois reconnaître que les deux "chants" les plus courts, me semblent d'un bien mince intérêt. Je ne pense ni que tout soit musique, ni que tout soit art. La dimension documentaire de la musique ne sauve pas tout. "Casa di Reposo, Gesu' Redentore" (titre 2), évocation sonore de la montée d'une colline menant à une messe en plein air à Chiusure, mêle bruits de pas, voix plus ou moins proches, bâillements, stridulations d'insectes. Dans un disque ethnographique ou des souvenirs personnels de voyage, pourquoi pas... Mêmes remarques à peu près pour le titre 4, "brückstarke (lung song)" : chant pulmonaire et enregistrements de terrain d'une volière imaginaire, sans doute, ce n'est pas pour autant un poème sonore...
Heureusement, il reste quatre titres plus longs, chacun entre cinq et seize minutes (pour le dernier). Où l'on retrouve vraiment la musique !
"by the line" (titre 1) touche par l'alliance intime entre les synthétiseurs bourdonnants et les frottements sur le micro, la voix fredonnée, murmurante. Musique ondulée, fragile, comme au bord de la désagrégation qui débouche sur une lumière aveuglante...Sur "seventeen fabrics of measure" (titre 3), orgue, violoncelle et voix sont au seuil du mystère, recueillis et intériorisés, dans un frémissement couplé par moments au léger grondement de l'antre interdit : une paix souveraine baigne cette belle pièce.
"schloss, night" (titre 5) poursuit dans la lignée du titre 3, véritable ode à la fragilité, à l'émotion contenue, ce duo d'orgue et de chant sans paroles semble suspendu dans les airs, merveille au ras des souffles de l'orgue et de la voix, juste replacé dans l'environnement doucement réverbérant de l'église et dans les glissements alanguis des jeux d'orgue en sourdine. Quant au dernier titre, "neither from nor towards", le plus long, c'est sans conteste le sommet de l'album. Deux voix douces et éthérées s'enlacent, se relaient autour du violoncelle aux suaves et profondes inflexions en intonation juste, dans un climat extatique de continuelle reprise du thème et variations. De la pièce se dégagent à la fois une tonalité médiévale - le violoncelle sonne un peu comme une viole de gambe, et une allure d'avant-garde...intemporelle !
La couverture surprenante reproduit un extrait de tableau réalisé à partir de morceaux de laine teinte cousus par Wilder Alison, ami de la compositrice et résident de l'Akademie Schloss Solitude où une partie de la musique a été enregistrée.
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Oublions les scories ! aunes est un voyage vers la splendeur intérieure grâce à des chants qui sont des tentatives tranquilles d'envoûtement.
Paru le 14 mars chez Shelter Press (France) / 6 plages / 39 minutes
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur Bandcamp :