Publié le 30 Mai 2025
Deaf Center est le duo formé par deux musiciens norvégiens installés à Berlin depuis 2003, Erik K Skodvin, régulièrement présent ici, pour ses disques solo sous son nom ou sous son pseudonyme Svarte Greiner, et Otto A Tottland. Ils nous proposent avec Reverie deux longues pièces dans la continuité de Recount (2014) et, par le son, du 45 tours Vintage Well (2008) et de Owl Splinters (2011). Deux plongées dans leur univers si prenant, où l'improvisation tient une grande place. Enregistré en direct en octobre 2024 au studio Morphine Raum de Berlin à l'occasion du quinzième anniversaire de la maison de disque sonic pieces, le disque permet de retrouver Otto A Totland au piano et Erik K Skodvin à la guitare, au violoncelle, à l'électronique et au traitement.
[L'impression des oreilles]
Un grattement de gorge, le piano léger, aérien et fragile ouvre une ligne de rêverie pour le premier titre, "Rev". Quelques notes plus graves, et des boucles vaporeuses lointaines en écho : une grâce magnifique, bouleversante, si vite installée, c'est la magie de ce duo extraordinaire. On s'enfonce avec eux dans un univers arachnéen de résonances, peu à peu tapissé de doux bourdons, d'où s'élèvent comme des trompes mugissantes. Le piano se fait plus dramatique, ponctuant une masse sonore se densifiant. Le rythme s'accélère, les textures électroniques se mêlent et s'embrasent, ne cessent de retomber des vagues hurlantes, des sirènes lacèrent le ciel qui semble s'effondrer en lâchant des étoiles filantes. Quelle somptuosité ! Le piano ne cessera pas pour autant d'ourler sa broderie diaphane et flottante, merveilleuse, jusqu'à sa fin d'une paix céleste.
"Erie" commence par une grappe lourde de piano et des frémissements de violoncelle. L'atmosphère est méditative, élégiaque, et déjà fissurée de motifs dramatiques, sombres. C'est une musique qui s'en va dans les tréfonds, une musique déchirée, en allée vers une douloureuse extase vibrante, plombée de bourdons et paradoxalement irriguée de traînées de lumières, de sonneries mystérieuses. Les bourdons s'enflent, les textures flottent, et revient le piano, qui ponctue d'accords mélancoliques la disparition progressive des décors grandioses d'une disparition nimbée d'irréalité. Suivent quelques minutes en apesanteur sur la rémanence de la tourmente précédente, le piano comme une éponge effaçant et conjurant les signes du désastre, se maintenant par des accords répétés, prudents, sur le fil du silence, s'essayant à une légèreté retrouvée, presque une gaieté, avant de s'abandonner décidément à sa pente mélancolique, à son inclinaison au désastre, au ravage d'une tristesse qui n'a pas de nom.
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Deux pièces sensibles d'une rare splendeur. Un chef d'œuvre !
Paraît le 30 mai 2025 chez sonic pieces (Berlin, Allemagne) / 2 plages / 34 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur Bandcamp :