Steve Reich : "Daniel Variations", la pulsation plus que jamais !

Publié le 23 Juin 2008

Steve Reich : "Daniel Variations", la pulsation plus que jamais !
   C'est toujours la même chose, diront les détracteurs. C'est indéniable, du Steve Reich pur jus. Et alors ? Faut-il reprocher à Bach d'être toujours Bach, à Proust d'écrire comme Proust, à Fellini de filmer comme Fellini ? Cela s'appelle le style, la signature, qui distingue l'artiste véritable des suiveurs, des faiseurs interchangeables. A plus de soixante-dix ans (il est né en 1936), Steve nous offre deux oeuvres fortes qui, si elle n'apportent rien de vraiment nouveau, puisent à la même source féconde qui traverse son oeuvre, la pulsation. Entrelacement de motifs répétés et variés, chaque composition est emportée par un dynamisme puissant, ce "pulse" qui saisit dès les premières secondes pour ne nous lâcher qu'à la fin. Marqué par les musiques africaines et le gamelan indonésien, Steve écrit ce qu'on peut considérer comme de la musique occidentale de transe. Il faut s'abandonner au flux, au martèlement percussif, pour goûter le vertige suave de cette musique sans cesse renaissante, virtuellement éternelle : le monde s'abolit pour devenir pur mouvement, transport subtil et ferveur. Car le fond reichien est religieux, il y a de la mélopée, de la ratiocination litanique, comme un enroulement de phylactères dans les cerveaux possédés. Les quatre mouvements des Daniel variations qui ouvrent ce nouvel opus sont fondés chacun sur une seule phrase chantée par la "Los Angeles Master Chorale", reprise et triturée, fondue dans l'accompagnement instrumental de cordes, de vibraphones et de pianos. Les phrases 1 et 3 sont extraites du livre biblique de Daniel, tandis que les 2 et 4 sont des propos liés au journaliste juif américain Daniel Pearl, enlevé puis assassiné par des extrémistes islamiques au Pakistan en 2002. Il suffit de répéter "My name is Daniel Pearl" pour que la psalmodie transcende l'horreur, nie la disparition en réintégrant son essence, c'est-à-dire son nom dans la pensée juive, dans le grand cycle vital. La répétition est pauvreté volontaire, et non manque d'inspiration, dépouillement et non sécheresse : elle imite la vie pour mieux l'épouser.  

   Les Variations for vibes, pianos & strings qui complètent le programme sont un bel exemple de l'équilibre parfait auquel Steve parvient avec une souveraine maîtrise : simplicité évidente, "classicisme" minimaliste de la trame syncopée, comme déhanchée par les pianos traités comme des percussions qui aèrent la pâte tournoyante des quatuors à cordes. Ecoutez ça très fort, c'est prodigieux, l'énergie et la grâce, fast/slow/fast, du Bach sur la plage de l'au-delà. On ne dira jamais assez que chaque création de Steve est un nouvel hymne à la vie, un acte de foi fougueux. Je connais peu de musiques qui atteignent à cette sérénité lumineuse par delà toutes les interrogations posées.

Paru en 2008 chez Nonesuch / 7 plages / 52 minutes environ

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores en novembre 2020)

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