AGF : "Words are missing", l'éloquence électronique.

Publié le 26 Février 2010

AGF : "Words are missing", l'éloquence électronique.
   Pas question d'abandonner si vite Antye Greie, alias AGF. Poussés par l'actualité vers de nouveaux rivages (réminiscences, vous êtes partout...),nous l'aurions déjà oubliés, sauf que l'un des principes de ce blog est de résister, de s'arrêter, d'orner la mémoire des plus beaux fleurons rencontrés en chemin. Je remonte donc un peu dans la carrière solo d'Antye. En 2008, sortie de Words are missing sur son label Agf producktion. Album conceptuel ? L'abandon des langues connues a été pratiqué par bien d'autres. Pas question en tout cas d'inventer une langue. Retour à la lettre du son, oserait-on dire. Comme une tentative de poésie sonore lettriste. Phonèmes et échantillons électroniques sont ici sur le même plan, traités comme des matériaux pour d'étonnants poèmes électroniques. "Letters Make No Meaning (Weapons No War Germs No Disease"), l'un des titres les plus emblématiques de l'album, est construit sur des rafales de phonèmes doublées de beats métalliques, ponctuées de vocalisations déformées, de coups de gong mystérieux.                                                                                                                      

   "Food Combination Chart" est d'abord dominé par les métallophones, les froissements de textures, puis comme illuminé par des notes tenues d'orgue et une pulsation cardiaque trouble. "Die Ufer Sind in Feindes Hand" repose sur de micro séquences fracturées alliant voix et éructations de bruits compressés qui libèrent après une minute un univers en fermentation, celui des infra sensations peut-être. C'est dire que l'album est tout sauf froid, parcouru d'une vie frémissante dans les plis et replis des sons. Agf explore l'en deçà du langage, ses fondements rythmiques primordiaux, organiques. Écoutez "Cognitive Modules Party II", le chant de l'apprentissage des phonèmes, la voix adulte doublée par une voix infantile, ou "Dread in Strangers Eyes", véritable marmite bouillonnante de sons en construction. Nous voilà "Head Inside Cloud", la tête à l'intérieur d'un nuage où les sons s'agglomèrent avant une courte pluie mélodique. Il arrive que l'on danse dans les rebondissements répétés des phonèmes,  que dans leur tremblement émouvant surgisse une musique de très loin, choeurs retenus au seuil de la formulation, c'est le très beau "Ooops For Understanding III", préfiguration des derniers titres de  l'album, comme le magnifique "Kz", diamant farouche au sein duquel la voix nue s'émeut. Les phonèmes eux-mêmes sont abolis, rognés dans le troublant "I-War" : faut-il comprendre que dans cette guerre électronique ils sont progressivement fondus, absorbés, pour nous précipiter "Under Water (RUN!)", dans les eaux primordiales, le clapotis si doux des enfants sons ? Un très grand disque, d'une impressionnante tenue et, au final, d'une musicalité profondément apaisante, sans doute parce qu'elle est épurée, débarrassée des clichés, conventions.
   Un beau livret de 16 pages accompagne le cd, livret illustré de calligraphies, dessins et photographies d'Agf. Sur son site, vous pourrez télécharger un document pdf de présentation de l'album.
Paru en 2008 chez Agf Produktion / 16 plages / 56 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur bandcamp :                            

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 31 janvier 2021)

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc...

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