Antony and the Johnsons - Swanlights
Publié le 20 Novembre 2010
Mystères d'envols
Dès les premières notes, l'émotion, intense. La voix, le piano, tout est nouveau, les tâtonnements dans le recueillement du dit, every/ everything/ everything is new, la harpe s'ajoute au piano, la voix s'élance sur le vide, s'enroule et coule dans la volupté du mélisme accompagnée des cordes, de la guitare plus tard. Une envolée somptueuse, et folle, un hymne vibrant à la vie. C'est le premier titre de Swanlights, le quatrième disque d'Antony Hegarty et de son groupe, autrement dit d'Antony and the Johnsons. On sait qu'il sera difficile de rester à une telle hauteur, et j'avoue ma surprise à lire toutes ces chroniques qui prétendent que l'album ne commencerait vraiment qu'avec le titre éponyme, le sixième de l'album. Antony évolue d'album en album, s'affirme comme un vrai compositeur, et pas seulement de chansons. Ne l'enfermez ni dans la pop, ni ailleurs ! Antony est un artiste à part entière, un vrai musicien qui cherche en s'entourant d'autres musiciens et compositeurs de talent, comme je le signalais dans l'article consacré à Another World.
Le second titre, "The Great White Ocean", est émouvant dans sa simplicité quasi folk, voix-guitare sèche et un fond lointain de cordes pour une histoire qu'on peut relier avec l'ours blanc ensanglanté de la pochette, un aurevoir à toute la famille.
Mystères d'envols
Co-signé par le génial Nico Muhly, "Ghost" réalise l'accord idéal entre la voix de contre-ténor ou de haute-contre d' Antony ( ce sont bien sûr des approximations) et le piano caracolant, les cordes caressantes : il s'agit d'ouvrir le ciel, de partager sa peau comme le serpent convoqué dans cette incantation vibrante. Comprenez bien que l'horizon d'Antony, c'est aussi celui de la mélodie, du lied.., ce qui n'exclue pas hélas un titre plus facile comme "I'm in Love", envahi par des répétitions stériles. Suit un délicieux intermède pour cordes et piano, "Violetta", à la grâce mystérieuse. Le titre éponyme commence comme certains morceaux de Robert Wyatt, murmures fondus dans le lent tournoiement sonore du piano et des cordes glissandi, puis la voix se détache, décolle, se dédouble dans un halo suspendu sur un mur électrique animé de courtes saccades et traversé d'éclairs de guitare, le piano repart, emporte le morceau vers sa disparition, véritable évaporation à l'image de ce que suggère le titre, avec ce néologisme de "Swanlights", splendide trouvaille pour évoquer le rayon de lumière émis par un esprit au moment de quitter un corps. Lumières du cygne, cygne-lumières, juste avant le bouleversant "The Spirit Was Gone", thrène admirable, tremblé dans les harmoniques du piano et de lointaines cordes qui s'approchent. Là, les répétitions ne sont pas agaçantes ou synonymes de faiblesse d'écriture, elles sont signifiantes, "it's hard to understand", la plainte se retourne en elle-même, dérisoire annulation du temps mortifère. L'ondulant "Thank you for your love" prend des teintes cuivrées, ronflantes, sorte d'hymne affolé après le désolé titre précédent. La construction soignée de l'album devient de plus en plus évidente, Antony alternant tensions sublimes et relâchements presque triviaux. Co-signé et co-interprété par Björk, "Flétta" est un duo lumineux ponctué de pauses très douces, intimes, servi par un piano tour à tour introspectif et endiablé. "Salt silver Oxygen" commence de manière primesautière, « The flying horse carries me across the sky », fait se succéder des images étonnantes - notamment celle d'un Christ devenu femme, dansant avec son cercueil, tandis que l'orchestre, d'abord léger, entame une marche ponctuée par le trombone, s'envole et se dissout...Le disque se referme avec un autre chef d'œuvre, "Christina's farm", dont les paroles font écho au premier titre : « everything was new / every sock and shoe / my face and your face tenderly renewed ». Le piano, avec son martèlement obstiné, est encore pour beaucoup dans l'extraordinaire beauté de ce morceau lyrique. Le chant d'Antony y est à son plus haut niveau, dépouillé des tics qui agacent tant certains : plein, recueilli, suave comme il sait l'être, la modulation comme caresse de l'ineffable. « i awoke to find a whiteness inside / everything did shine, slyly, from each body ». Tout brille en effet après le passage de cette voix archangélique qui tutoie l'au-delà des apparences.
Paru en 2010 chez Secretly canadian / 11 titres / 43 minutes
Mes titres préférés : Everything is new / Ghost / Violetta / Swanlights / The Spirit was Gone / Flétta / Salt siver Oxygen / Christina's farm // Presque tout, en somme...
Pour aller plus loin
- une fausse vidéo du dernier titre, "Christina's farm" :
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 16 mars 2021)