Astrïd - High Blues
Publié le 16 Octobre 2012
High Blues est le troisième album d'Astrïd, groupe français qui existe depuis une quinzaine d'années...et que je découvre maintenant seulement grâce à l'un de mes fidèles lecteurs. Au départ, c'était un duo constitué par Cyril Secq - guitare, guitare à archet, harmonium et autre -, Yvan Ros aux percussions et à la contrebasse, auquel sont venus s'adjoindre Vinina Andreani au violon et à la kalimba, Guillaume Wickel aux clarinettes, à l'harmonium et au rhodes...De quoi nous concocter une musique de chambre électrique et boisée, chaude et colorée, n'ayant pas peur de s'étirer, de s'échapper des formats trop convenus.
Le premier titre éponyme, c'est vingt-cinq minutes d'une balade vaporeuse menée par la guitare électrique. Le thème est un motif sans cesse repris, varié, dans des boucles tranquilles parfumées d'harmonium, de percussions cliquetantes, de flutes chavirées. Lent et doux délire, on croit entendre une cornemuse parfois. On est ailleurs, dans un pays de forêts et de rocs aux formes étranges. Une clarinette vous ensorcelle au détour d'un bosquet. Elle s'entortille autour de la guitare comme du lierre, et les alentours se mettent à bouger, les arbres s'enflamment. Il y a quelque part un barde que l'on n'entend pas, mais qui fait vivre le paysage. Musique de volutes, de soupirs mélodieux : tous les gnomes, toutes les créatures féériques concourent à l'immense et mouvant enlacement. Comme il est bon de se laisser aller à goûter cette musique sensuelle et mystérieuse !
Le second titre, "erik s.", ne cache pas sa source. Plus bucolique que le premier, flirtant souvent avec le silence, il se développe paresseusement. Les instruments sont touchés avec amour, avec retenue, pour mieux faire entendre leurs timbres. Peu à peu, tous sont dans le cercle, autour du feu invisible qui crépite. L'incandescence monte, on est à nouveau embarqué dans une cérémonie, pris par le charme, c'est-à-dire le carmen incantatoire. La "Suite", solennellement ouverte par une percussion sombre et puissante, est scandée par la guitare électrique : nous sommes chez une confrérie soufie de derviches convertis au post rock psychédélique. La guitare tournoie, sa robe bordée d'étincelles, belle à décrocher tous les luminaires enfumés.
Retour à une ambiance plus nettement folk avec "James", guitare acoustique en avant. Elle chante à peine, cherche sa ligne, se reprend, persiste : moments de simple grâce, limpides. Le repos avant l'entrée dans une autre autre danse orientalisante, la clarinette m'évoquant le doudouk arménien y est pour quelque chose. Une de ces danses crétoises ou grecques ramenées par les rébètes quittant l'Asie mineure.
Le disque se termine avec "bysimh" : là aussi, une longue intro, le temps de prendre le temps, de saisir l'impalpable, la mélodie, le rythme qui vient. Il faut dire ce plaisir de l'auditeur qui se sent respecté : comme les musiciens, il attend ce qu'il faudra savoir saisir, le moment venu, et qu'on pressent sans l'avoir encore cerné. À l'opposé de tous ceux qui assènent, assomment, pressés de montrer leur talent, leur inspiration...Du silence surgit le rythme lancinant qui colle à la peau, le lent balancement pendulaire où l'ego se dissout.
Car, l'air de rien, High Blues est un superbe album de tranquilles transes illuminantes.
Si, après un tel disque, Astrïd ne parvient pas à mieux tourner en France...
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Paru en 2012 chez Rune Grammofon / 5 titres / 53' environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 23 mai 2021)