Breton- Other People's Problems / Picore - Assyrian vertigo
Publié le 18 Mars 2012
Meph. - On commence ces notes d'écoute ? [ Catégorie abandonnée depuis...]
Dio. - Une nouvelle catégorie consacrée à des disques qu'on aime...
Meph. - Mais pas assez pour une chronique à part entière, c'est çà le concept ?
Dio. - En partie. Ça voudrait aller plus vite pour des disques inégaux de la mouvance pop au sens large, être aussi plus polémique, avec de la critique négative plus marquée. Breton est tout désigné pour ce début.
Meph. - Le groupe, un collectif londonien, fait un tabac bien orchestré, avec clips à l'appui.
Dio. - J'ai bondi quand j'ai entendu la référence à André Breton.
Meph. - Très vite oubliée, disons-le d'emblée. Mais le début de Other People's Problems est excellent. Ouverture d'enfer avec "Pacemaker", du rap intelligent bien syncopé, strié de sons sales, chant acide du meneur, chœurs écoutables...
Dio. - Et une section de cordes superbe auxquels ils laissent toute la fin élégiaque imprévue.
Meph. -"Electrician", le second titre, est tout aussi réjouissant, une électro vive, traversée de claviers incandescents. C'est nerveux, joyeux, bien ponctué et bien fini.
Dio. - "Edward The Confessor" continue sur la lancée d'un rock tout en nerfs, un brin halluciné, aéré de quelques arpèges de harpe.
Meph. - J'adore ce toupet, ces petits grains décalés dans la folie dense de ce groupe qui sait en finir, contrairement à tant d'autres.
Dio. - D'un seul coup il y a "2 years", bluette qui serait bêtement sentimentale si elle n'était désossée, déclinée en tranches troubles et belles, section de cordes magnifiquement découpée par des percussions hésitantes, des ralentis étonnants.
Meph. - Dis, ça prend la tournure d'une chronique ? Pas moyen qu'on fasse court ?
Dio. - Tu seras d'accord avec moi, la suite est moins bonne...
Meph. - Je taille à la hache : "Wood and Plastic", bruyant pour pas grand chose ; "Governing correctly", de la pop très ordinaire, pas de quoi frémir, trop de chœurs et de chipotages.
Dio. - Quant à "Interference"...
Meph. - On se croirait sur un stade, pas dans le disque d'un groupe qui compte...
Dio. - Je sens que tu vas te faire beaucoup d'ennemis !
Meph. - Halte aux critiques molles, consensuelles, qui veulent hurler avec les sirènes publicitaires !!
C'est mauvais, circulez !
Dio. - "Ghost note" commence mieux, pour se perdre en percussions bien lourdes, en synthés répandus comme du gros rouge...
Meph. - On retrouve un peu de finesse avec la harpe au début d'"Oxides", le chant mis à distance, les décalages rythmiques, avant que le synthé ne bave à nouveau.
Dio. - Au point qu'on se demande si on écoute le même album que celui des quatre premiers titres. Et c'est pire pour "Jostle", même pas drôle, franchement consternant.
Meph. - Ça donne envie de piétiner cette saloperie de clavier envahissant...
Dio. - Oui, heureusement qu'on revient au meilleur avec le dernier titre, "The Commission": presque de l'ambiante, chanté avec retenue, entre pulse et syncope, grondant et émouvant.
Meph. - Cinq titres sur onze à se caler dans les oreilles.
Dio. - On espère qu'ils vont ne garder que le meilleur pour être un peu plus surréalistes.
Meph. - Sinon, plus question de parler d'André...Ils ne seront plus que ...bretonS !!
Dio. - Je te laisse assumer la responsabilité de tes allusions anti-folkloriques...
Meph. - Si on passait à Picore ?
Dio. Je sens que tu vibres un peu plus avec les lyonnais, qui en sont à leur troisième album.
Meph. - Je veux : rien de vraiment mauvais, ici. Disons quelques titres moins puissants, et puis un défaut : on entend parfois mal les textes en français, c'est vraiment dommage de sabrer le caractère visionnaire des paroles. On a beau s'allonger les oreilles...
Dio. - Restées pointues...
Meph. - Paix, chrétien refoulé ! Pour les amateurs, voilà un post-rock mâtiné d'industriel et de musique planante qui nous entraîne dans une alchimie barbare, puissante. Le titre ne ment pas : vertige assyrien, vents de sables à décoiffer les tiares les mieux accrochées.
Dio. - D'accord, mais reconnais le caractère plus convenu de certaines attaques, comme le début presque caricatural de "Fiasco", post-rock de mille tonnes...
Meph. - Ma mansuétude n'est pas infinie. Je leur pardonne parce qu'ils sont vraiment dans leur voyage vers une Assyrie largement fantasmée...
Dio. - Déjà par Delacroix dans La Mort de Sardanapale, tableau qu'ils font d'ailleurs figurer sur leur site.
Meph. - Suffit d'écouter le chanteur pour sentir l'authenticité de la fougue, de l'inspiration qui anime cette musique violemment colorée, sculptée par des percussions massives, éclairée par les guitares traçantes et transcendée par les claviers atmosphériques.
Dio. - Avec de très belles pages rêveuses soulignées par une clarinette ou une trompette inattendues.
Meph. - Une musique qui prend le temps d'installer ses atmosphères au lieu de ne penser qu'aux formats radiophoniques imbéciles.
Dio. - Tu penses notamment aux quasi neuf minutes de l'envoûtant "Gilgamesh".
Meph. - En effet. Morceau proliférant, monstrueux, loin des manières de Breton...
Dio. - Tu n'as pas digéré leurs faiblesses !
Meph. - Je n'aime pas qu'on ne tienne pas ses promesses. J'attendais un groupe à mi-chemin entre rock et musique contemporaine, dans la mouvance de Bang On A Can...
Dio. - N'exagère pas...
Meph. - Pas de trahison ou de tapage avec Picore, la trajectoire est claire, le projet consistant. La fin d'album, pas seulement cinq minutes, note-le bien, mais vingt-cinq minutes, les quatre derniers titres, est de très haute tenue, à la fois majestueuse et folle, frénétique.
Dio. - "Vertigo", mélopée voluptueuse introvertie, est une belle invitation à la fuite d'une société verrouillée : « N'attendez pas la lumière de ceux qui la vendent. »
Meph. - Une lente avancée vers la lumière fulgurante... beaucoup plus proche du surréalisme, au fond, que ces usurpateurs...
Dio. - Restons-en là, veux-tu. On attend que Breton écarte les scories qui l'aveuglent.
Meph. - Et on se prosterne devant la hauteur de vue de Picore.
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Breton : Paru en 2012 chez FatCat Records / 11 titres / Moins de 42 minutes.
Picore : Paru en novembre 2011 chez Jarring Effects / 13 titres / 61 minutes (le double CD inclut tout un disque de remixes).
Pour aller plus loin
album de Breton en écoute et en vente sur bandcamp :
- puis une très belle, et très inquiétante (Meph. - Encore la fascination enfantine pour la technologie ?) , vidéo sur le dernier titre de l'album de Breton :
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 21 avril 2021)