Donnacha Dennehy / Lisa Moore - Stainless Staining

Publié le 10 Septembre 2012

Donnacha Dennehy / Lisa Moore - Stainless Staining

   Le compositeur irlandais Donnacha Dennehy, fondateur du Crash Ensemble, auquel on doit l'extraordinaire  Grá agus Brá sorti l'an passé, a le vent en poupe. Après son irruption fracassante sur le label Nonesuch (Steve Reich, Ingram Marshal, notamment), le voici adopté par Cantaloupe Music, le label fondé par Michael Gordon, David Lang et Julia Wolfe. Et joué par la fougueuse pianiste d'origine australienne Lisa Moore, dont la production discographique témoigne de l'ouverture et de l'engagement au service des musiques les plus passionnantes d'aujourd'hui. C'est ainsi qu'aux côtés d'une intégrale de l'œuvre pour piano de Leoš Janácek on trouve de multiples collaborations avec différents orchestres et ensembles - on ne sera pas étonné de la retrouver dans le Bang On A Can All-Stars, et publiant des enregistrements de pièces des compositeurs américains défendus dans ces colonnes.

   Stainless Staining est le troisième volet d'une trilogie de formats courts entamée par Lisa avec Seven consacré à Don Byron, poursuivie avec Lightning Slingers and Dead Ringers, musiques de Annie Gosfield. Je ne vais pas polémiquer au sujet de ces disques-cds dont la durée est nettement inférieure à trente minutes, mais à l'heure de la prolifération des fichiers au détriment des disques physiques (comme on dit, n'est-ce pas), de tels choix éditoriaux me laissent encore plus perplexes qu'à l'ordinaire : pourquoi diable ne pas utiliser le support à plein, et ainsi gaspiller de la matière ??? Vous sentez mon agacement devant ce non-sens... Passons à l'essentiel !

     En dépit de sa durée - c'est juré, je n'insisterai pas davantage - ce disque vaut le détour. Le morceau éponyme, presque un quart d'heure, lui, est un nouvel exemple de la puissance de la musique de l'irlandais. Composée à partir d'échantillons de piano à la fois normalement joué, mais aussi de l'intérieur, la pièce doit sa fascination à la masse d'harmoniques charriée dans une irrésistible pulsation -pas étonnant que Donnacha soit accueilli par des labels reichien et / ou languien (néologisme forgé à partir de David Lang, avec un "u" intercalé pour la prononciation française). Les martèlements étagés se chevauchant génèrent un climat frénétique et trépidant, mais non dénué d'un sfumato qui donne une dimension rêveuse assez imprévue à cette cavalcade farouche. Les décrochements internes fréquents, les frappes sur le bois, les touches et les cordes de l'instrument, fracturent et densifient l'aura sonore, modelant une sculpture aux reliefs accusés. Donnacha Dennehy est décidément un compositeur inspiré ! Quelle force, quelle chaleur !

  "Réservoir", un peu moins de dix minutes, c'est l'autre face de Donnacha : une sensibilité frémissante, un lyrisme bouleversant sans pathos. Le compositeur établit un lien entre sa composition en deux temps distincts et une vidéo vue des années auparavant d'un homme coulant peu à peu. La première partie, c'est comme un au revoir passionné, la lutte pour rester dans la lumière : notes répétées en crescendos ou decrescendos, spirales vertigineuses, le gouffre qui réclame sa proie. La seconde, c'est le monde sous-marin, glauques harmonies, paniques amplifiées par le jeu insistant de la pédale, la chute dans les graves profonds malgré les révoltes aiguës. 

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Paru en 2012 chez Cantaloupe Music / 2 titres / 24 minutes environ

Pour aller plus loin

- le site personnel de Lisa Moore

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 avril 2021)

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