Florent Ghys - Music for Dimensions : suite minimaliste à tomber du baobab.

Publié le 11 Septembre 2011

Florent Ghys - Music for Dimensions : suite minimaliste à tomber du baobab.

   Sorti en septembre 2008, Music for Dimensions m'aurait peut-être échappé sans la vigilance d'un de mes lecteurs - lequel contribue régulièrement à élargir mon champ exploratoire, ce dont je le remercie vivement - qui m'a proposé un petit jeu : identifier la musique d'un enregistrement qu'il m'avait fait parvenir. J'ai d'emblée fait part de mon enthousiasme : "Magnifique, immense, à tomber des arbres", en reprenant pour l'expression en italiques le titre de l'album de Peter Broderick chroniqué récemment. Je me suis lancé, proposant d'abord de bons amateurs (à l'écoute du seul premier titre), et donc piste vite abandonnée, puis successivement Wim Mertens, "mais l'instrumentarium n'est guère le sien, et puis c'est mieux encore !" écrivais-je alors, Alvin Curran, voire un John Adams inconnu. En somme, je séchais lamentablement. J'ai été mieux inspiré en suggérant un ensemble du type Bang On A Can, comme vous allez le voir. Je disposai alors de trois indices : Caleb Burhans + compositeur français + Cantaloupe. J'épluchai bien sûr le catalogue d'un de mes labels favoris, perplexe...lorsque l'envoi d'un fragment de notice biographique me permit d'identifier Florent Ghys, présent sur Cantaloupe avec Baroque tardif : soli, prolongé par un Baroque tardif tout court en train de sortir. Le jeu de piste n'était toutefois pas tout à fait terminé, car mon disque n'était ni l'un ni l'autre, mais un album sorti en 2008, disponible sous forme de CD-R en le commandant au compositeur, et écoutable sur son site.

   Né à Lyon en 1979, Florent Ghys, contrebassiste et compositeur, s'inscrit pour aller vite dans la mouvance minimaliste. Il a collaboré avec de nombreux ensembles, dont...Bang On A Can et Sentieri Selvaggi. Music for Dimensions regroupe une série de pièces illustrant le film "Dimensions, une promenade mathématique". Je croyais entendre un ensemble de chambre, alors que Florent enregistre des pistes successives. Contrebasses, guitares, pianos, c'est toujours lui sur ce disque acoustique d'un bout à l'autre.

  De multiples écoutes n'ont en rien entamé mon enthousiasme. À chaque fois, je suis fasciné par la beauté rigoureuse de l'écriture, souvent en canon : de bref motifs syncopés créent un pulse entraînant, peu à peu étoffé jusqu'à prendre une dimension quasi orchestrale au fil des entrées successives, le tout rendu plus serré encore par le retour en boucles de certaines cellules sonores. Dès le premier titre, le charme - au sens étymologique ! - opère : la contrebasse, pizzicato ou à l'archet, en grappes virevoltantes, nous saisit, parfois frappée aussi, presque à nu à certains moments, se démultiplie, avant de réapparaître plus loin ronflante, en longues coulées enveloppantes autour du noyau pulsant. "Bricole anticyclonique (2)" commence aussi dans le dénuement, à la guitare, prolifère radieusement dans un beau jeu de contrepoint. Déjà emporté, j'ai fondu en écoutant "Zoboko (2)", pour plusieurs pianos (combien, au juste ?), des pianos qui sonnent à la limite du déglingué : irrésistible, digne des plus grands...

     "Laurine (8)" m'a achevé : tourbillon de cordes majestueuses, sans cesse renaissantes, ça vous caresse l'âme et vous déchire de délice, pièce phénix qui s'étire en longues ellipses enrichies par des guitares. Quelle intensité magnifique, quels frissons !! Il n'est que juste que Florent enregistre sur Cantaloupe, le label de David Lang, Julia Wolfe et Michael Gordon... On se demande toujours comment on va pouvoir écouter autre chose après...Or le reste est aussi fort, on va de surprise en surprise : "Wa (3)" joue sur des mélodies à la Lois V. Vierk, avec des sortes de glissandi tordus extraordinaires ponctués de micro irruptions vocales presque facétieuses. "Ongles" est une ode limpide à la guitare, sous forme d'ondes concentriques dans lesquelles se noierait Narcisse. "Rupture" se veut vieux vinyl craquelé, les cordes dérapant légèrement dans une ronde désuète, ensorcelante. Guitares électriques pour "Air (2)", morceau digne de l'opéra  The Carbon Copy Building des trois compositeurs susnommés, justement ! "Canon perpetuus" avoue sa dette au Canon a 4 BWV 1074 part 2" de Jean-Sébastien Bach. Quant à "Cinq pianos", c'est une superbe pièce de minimalisme fluide, d'un strumming léger, entre Michael Harrisson, Lubomyr Melnyk et quelques autres. Le disque se termine magistralement sur "Laurine (1)", variante du titre quatre qu'on dirait s'ouvrir sur du sitar avant que ne reprenne la psalmodie baroque sortie d'un film de Peter Greenaway, d'où son côté Michael Nyman, et je n'étais donc pas si loin en proposant Wim Mertens, l'honneur est sauf... La pièce est somptueuse, langoureuse, dangereuse..."L'air du baobab", cordes d'une élégance sublime pour une pièce de chambre en forme d'élégie sombre, referme ce disque splendide, l'un des plus beaux de ces dernières années, à replacer dans les premiers de l'année 2008, juste après Pierced de David Lang et For Lou Harrisson de John Luther Adams, c'est dire.

   À noter que Florent Ghys, déjà invité au marathon annuel de Bang On A Can, est en train de s'installer aux États-Unis. Notre pays ne sait pas retenir ses talents. Il est d'ailleurs sidérant qu'un compositeur de cette envergure n'ait pas trouvé de maisons de disques françaises pour le soutenir. M'enfin, tous ses disques sont en écoute et en téléchargement sur son site.

   Paru en 2008, autoproduit / 12 titres / 77 minutes environ.

Pour aller plus loin

- le site de Florent Ghys

- le site du film "Dimensions : une promenade mathématique" : visible en ligne, très bien fait, limpide, en plusieurs parties.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 12 avril 2021)

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