Gavin Bryars - Piano Concerto (The Solway Canal)...
Publié le 25 Septembre 2012
Je viens de vérifier que le nom de Gavin Bryars ne figurait dans aucun titre d'article de ce blog. Incidemment, on le trouve dans un article consacré à Carla Bozulich, et un second à Pierre-Yves Macé...
Meph. - Je te sens consterné, effrayé par ce trou incompréhensible dans ta liste de références sacrées.
Dio. - Content de te revoir, vieux démon. Tu ne crois pas si bien dire !
Meph. - Parce que Gavin, quand même, est au cœur de ton parcours.
Dio. - Je me rappelle le choc produit par l'écoute du Quatuor à cordes n°1.
Meph. - Interprété par le Quatuor Arditti, qui comprenait encore Alexander Balanescu avant qu'il ne fonde son propre quatuor. Un enregistrement de 1986 des nouvelles séries d'ECM encore assez récentes.
Dio. - Oui, la collection commence en 1984.
Meph. - Et va publier, en plus de Gavin, Steve Reich, Meredith Monk...
Dio. - Je te vois venir : tu ne vas quand même pas verser une larme, toi ?
Meph. - Big brother, il serait interdit de se souvenir ? Le fait est que tu as décroché de la production de Gavin après cette période féconde de la fin des années quatre-vingt et du début des années quatre-vingt dix.
Dio. - J'ai moins aimé ses disques du label Point Music, une filiale de Philips. Et j'en ai manqué quelques suivants.
Meph. - Tu le retrouves chez Naxos.
Dio. - Label indépendant fondé en 1987, qui fête donc en 2012 son vingt-cinquième anniversaire.
Meph. - Et cela ne te chagrine pas de le retrouver dans cette collection réputée d'abord pour être bon marché ?
Dio. - Pas du tout. D'abord, parce que Klaus Heymann, son fondateur, n'a jamais sacrifié la qualité. Ensuite parce qu'il a édité des compositeurs peu connus en valorisant des répertoires nationaux. Enfin, parce qu'il a l'audace de consacrer des disques à des compositeurs d'aujourd'hui, et pas n'importe lesquels. Vois le disque consacré à David Lang, magistral !
Meph. - Tu as raison. Je le retrouve avec plaisir.
Dio. - Quelques mots rapides pour le présenter : compositeur britannique né en 1943, contrebassiste de jazz, fondateur de ce drôle d'orchestre, le Portsmouth Sinfonia, qui avait le toupet de proposer des versions sonores approximatives de pièces classiques...
Meph. - Et membre du Collège de pataphysique, n'oublie pas, ça situe le bonhomme au parcours atypique. Devenu compositeur post minimaliste en suivant sa pente, pas un véritable cursus académique.
Dio. - Que nous retrouvons ici avec deux pièces pour piano seul et le concerto qui donne son titre à l'album. Je m'étonne qu'il te plaise, toi l'amateur d'énergie, de force. Ne le trouves-tu pas un tantinet mou ?
Meph. - Cela m'arrive de lui décocher ce reproche. Pour cet enregistrement, je retiens ma langue. J'apprécie en lui la mélancolie, le sens de la lenteur, le goût des graves. Sa musique est chaleureuse, brumeuse. Elle me semble témoigner de la faiblesse humaine. Éloignée de toute prétention, elle coule comme une rivière modeste aux beautés discrètes.
Dio. - Une musique facile, dans le meilleur sens du terme, en somme : pas de tics avant-gardistes, un zeste d'électronique...
Meph. - L'équivalent britannique d'un Philip Glass : tous les deux ont réussi à être vraiment populaires, ce qui déplaît, tu t'en doutes.
Dio. - Gavin, comme d'autres minimalistes, revient aux sources anciennes. La première pièce l'affiche dès son titre "After Handel's Vesper", à l'origine prévue pour clavecin.
Meph. - Clavecin ? Impensable pour Gavin, l'homme des cordes sombres. Déjà, le piano, c'est une surprise.
Dio. - Cela donne une pièce fluide, parfois lente, à d'autres moments d'une belle vigueur, qui tient à la fois de l'ornementation baroque et du minimalisme par les accès de flux pulsant la dynamisant à intervalles réguliers, héritage de la première période de Gavin.
Meph. - De l'allure, vraiment, une ligne mélodique prenante, un lyrisme parfois orchestral.
Dio. - La composition suivante, "Ramble on Cortona", doublement dérivée d'une pièce antérieure de Gavin, "Laude", et de thèmes issus d'un manuscrit du treizième siècle trouvé à Cortona...
Meph. - Je t'arrête : à chaque fois, je pense à Janácek, "Dans les brumes".
Dio. - Gavin appartient donc au passé ?
Meph. - Il y a du néo classicisme dans le post minimalisme, non ?
Dio. - Je te l'accorde. Pour en revenir à Janácek, je trouve la narration de Bryars plus simple, et s'il y a brouillard, il est plein de douce lumière, ce n'est pas oppressant : le piano résonne tranquillement, il nous montre un chemin. "ramble", c'est une balade. Tu vois, moi, je pense bien plus à Gurdjieff, surtout dans les deux dernières minutes.
Meph. - On bavarde, mais on va bientôt excéder la longueur maximum d'un article.
Dio. - Signe des temps : se presser, jeter. J'en arrive et termine avec le concerto.
Meph. - Le gros morceau, presque une demi-heure. Impressionnant, grave, dramatique, sur le temps qui passe. Une méditation élégiaque au bord dudit canal, sur les mots du poète écossais Edwin Morgan - on regrette que le livret ne nous en dise pas plus, ne fournisse pas le texte, le chant passant de temps en temps à l'arrière-plan de surcroît -, par un bel ensemble vocal, la Cappella Amsterdam.
Dio. - Le piano est plus lyrique que jamais, tandis que l'orchestre compose une tapisserie sonore vaporeuse, chatoyante.
Meph. - Et l'on se laisse porter par cette coulée profonde, hypnotique, le grand Gavin du Sinking of the Titanic...
Dio. - Bien avant le film...Oui, la vie est un songe aux multiples couleurs, un nuage qui passe, somptueux et changeant. On pourrait reprendre les mots de Walt Whitman que je citais dans l'article sur The Open road de Kate Moore : « We will sail pathless and wild seas ; / We will go where winds blow, waves dash... / Allons ! with power, liberty, the earth, the elements ! »
Meph. - C'est en effet un hommage émouvant à la vie. Le canal ne mène-t-il pas à la mer, à l'infini ?
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Paru en 2011 chez Naxos / 3 titres / 52 minutes environ.
Pour aller plus loin
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 mai 2021)