Ingram Marshall - September Canons
Publié le 21 Janvier 2010
De drame et d'éther
Introduction majestueuse, brumeuse : les violons frémissent sur place tandis que le violon soliste chante éperdu sur les eaux primordiales. Pas de doute, on est bien sur la galaxie Ingram Marshall, compositeur américain passionnant né en 1942. Pionnier de la musique électronique la plus radicale, assistant de Morton Subotnick au California Institute of Arts, connaisseur de la musique de Java et Bali qu'il a étudiée lors d'un voyage effectué en compagnie de Charlemagne Palestine, il refuse de se laisser enfermer dans un style, une tendance. Dans les marges du minimalisme, il écrit une oeuvre post-romantique hantée par Sibelius, Bach et Charles Ives, ou encore les hymnes de son pays. Aucun dogme, une recherche constante du beau : « Le mot "beau" est difficile à définir, mais d'une certaine manière, il est toujours à l'arrière-plan de ma pensée lorque je compose. Je cherche toujours une expression du magnifique, du beau, du splendide, du sensuel, quelque chose qui saisit, qui est palpable et qui n'est pas désagréable en surface. Je pense vraiment qu'une expérience musicale devrait être enveloppante, et que la réussite d'une pièce est liée à l'implication totale de l'auditeur, presque d'une manière narcotique - pas pour s'enfermer dans une transe, mais pour être vraiment en elle. » Ces propos d'Ingram sur le livret d'accompagnement de September Canons sont la base de son art de la composition en tant qu'art poétique en effet. On peut y ajouter cette remarque, qui relativise l'importance de la structure : « La structure est très importante, mais j'en suis venu à faire confiance à mon attirance intuitive pour le sombre et le beau et l'inépuisable. » Les quatre titres de cet album en sont une éblouissante illustration, en même temps qu'ils offrent une traversée à rebours de trente années de composition.
"September Canons" (2002) ouvre l'album de manière somptueuse, bel exemple de la manière dont Ingram Marshall transcende l'électronique. Pièce pour violon avec processus électroniques, notammment d'amplification et de retardement, c'est un lamento sur les événements du 11 septembre 2001, d'où son titre. Rien de funèbre pourtant, un lyrisme voluptueux qui transporte très loin, avec cette faculté impressionnante de donner à entendre les esprits, une musique spirite en un sens, envahie par des nuées virevoltantes, des balbutiements de pizzicati.
"Peacable Kingdom" combine des sons enregistrés lors d'une procession funéraire sur l'île dalmate de Korcula, des sons de cloche d'église à Belago en Italie, et un ensemble de chambre. C'est au départ une commande d'un cousin de sa femme, fatigué d'entendre toujours les mêmes marches funèbres dans cette île où un enterrement est une affaire collective. L'atmosphère est sombre, sans doute influencée par l'histoire pleine de violence et de guerre de la Yougoslavie, mais Ingram précise qu'il pensait beaucoup à une vieille ferme du Vermont baptisée "The Peacable Kingdom" par ses habitants. La guerre est effacée par un lieu référent à une imagerie pacifique. Là encore, un pas de côté vers l'ailleurs, les circonstances dépaysées pour que surgisse la beauté , pour que s'engouffre le sublime.
"Woodstone" (1981) est un double hommage. C'est la seule composition pour orchestre gamelan d'Ingram - un orchestre non pas indonésien ici, mais bien américain, The Berkeley Gamelan, qu'assez facétieusement il se plaît à farcir d'un thème emprunté à la Waldstein Sonata de Beethoven ! Le titre est l'équivalent anglais de "Waldstein". En tout cas, le résultat est un morceau réjouissant aux sonorités cristallines et transparentes, ponctué de brefs moments introspectifs ouatés d'ombres.
La flûte gambuh, la plus grande des flûtes de la musique balinaise, déploie ses mystères dans le dernier titre, entièrement interprété par le compositeur, qui joue aussi du synthétiseur et utilise en direct des processus électroniques. On remonte aux années 70, pendant lesquelles il élaborait The Fragility Cycles, dont on trouve des fragments épars dans sa discographie. Magnifique fragilité, évanescente et tendre, lointaine et insinuante, très proche dans l'esprit et les inflexions de la symphonie pour cuivres et synthétiseurs Light over Water composée par John Adams en 1983, une des meilleures compositions de ce dernier, publiée d'ailleurs sur le label New Albion, comme la majeure partie de l'œuvre d'Ingram Marshall.
Le disque n'est toutefois pas sorti sur New Albion, qui semble en veilleuse, mais sur New World Records, qui accomplit un travail remarquable de diffusion des musiques américaines les plus... singulières !
"Peacable Kingdom" combine des sons enregistrés lors d'une procession funéraire sur l'île dalmate de Korcula, des sons de cloche d'église à Belago en Italie, et un ensemble de chambre. C'est au départ une commande d'un cousin de sa femme, fatigué d'entendre toujours les mêmes marches funèbres dans cette île où un enterrement est une affaire collective. L'atmosphère est sombre, sans doute influencée par l'histoire pleine de violence et de guerre de la Yougoslavie, mais Ingram précise qu'il pensait beaucoup à une vieille ferme du Vermont baptisée "The Peacable Kingdom" par ses habitants. La guerre est effacée par un lieu référent à une imagerie pacifique. Là encore, un pas de côté vers l'ailleurs, les circonstances dépaysées pour que surgisse la beauté , pour que s'engouffre le sublime.
"Woodstone" (1981) est un double hommage. C'est la seule composition pour orchestre gamelan d'Ingram - un orchestre non pas indonésien ici, mais bien américain, The Berkeley Gamelan, qu'assez facétieusement il se plaît à farcir d'un thème emprunté à la Waldstein Sonata de Beethoven ! Le titre est l'équivalent anglais de "Waldstein". En tout cas, le résultat est un morceau réjouissant aux sonorités cristallines et transparentes, ponctué de brefs moments introspectifs ouatés d'ombres.
La flûte gambuh, la plus grande des flûtes de la musique balinaise, déploie ses mystères dans le dernier titre, entièrement interprété par le compositeur, qui joue aussi du synthétiseur et utilise en direct des processus électroniques. On remonte aux années 70, pendant lesquelles il élaborait The Fragility Cycles, dont on trouve des fragments épars dans sa discographie. Magnifique fragilité, évanescente et tendre, lointaine et insinuante, très proche dans l'esprit et les inflexions de la symphonie pour cuivres et synthétiseurs Light over Water composée par John Adams en 1983, une des meilleures compositions de ce dernier, publiée d'ailleurs sur le label New Albion, comme la majeure partie de l'œuvre d'Ingram Marshall.
Le disque n'est toutefois pas sorti sur New Albion, qui semble en veilleuse, mais sur New World Records, qui accomplit un travail remarquable de diffusion des musiques américaines les plus... singulières !
Paru en 2009 chez New World Records / 4 plages / 63 minutes environ
Pour aller plus loin
- ma chronique d'un disque précédent d'Ingram, Dark Waters.
- un bel article consacré à Ingram Marshall sur Néosphères
Pour aller plus loin
- ma chronique d'un disque précédent d'Ingram, Dark Waters.
- un bel article consacré à Ingram Marshall sur Néosphères
(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 29 janvier 2021)