My Brightest Diamond - All things will unwind

Publié le 5 Janvier 2012

My Brightest Diamond - All things will unwind

   Troisième album de My Brightest Diamond, All things will unwind marque un retour vers la chanson après l'essai de formats hybrides à mi-chemin entre pop et musique contemporaine (et d'ailleurs réussis !). Mais quel retour ! J'avais d'abord écrit "chanson pop" : j'ai très vite enlevé le "pop", qui ne veut rien dire ici. Shara Worden, chanteuse et compositrice du groupe qu'elle a fondé, redonne à la chanson toute sa noblesse native, alliant textes poétiques et orchestrations raffinées. Plus d'une fois, en l'écoutant, j'ai songé à Manos Hadjidakis, ce crétois génial qui haussait sans cesse la chanson au rang de la mélodie (au sens classique du mot), de la musique de chambre, réussissant le mariage entre cultures populaire et savante. Solidement épaulée par toute une pléiade d'excellents instrumentistes, parmi lesquels les membres de yMusic, ensemble qui sort actuellement son premier album sur New Amsterdam records, Shara rayonne littéralement. Chaque chanson est un bijou délicat bourré de trouvailles, de surprises : rien de moins convenu que ces pièces dont aucune n'excède quatre minutes trente.

   "We Added It Up"commence avec des accents folk, guitare sèche en avant, puis la voix presque guillerette, moqueuse, pourtant déjà ourlée de ce velours qui lui donne tant d'expressivité. Très vite, d'autres instruments rejoignent Shara pour un petit conte facétieux sur les différences au cœur du couple. La pièce dérape alors vers une tonalité rêveuse pour évoquer la fusion / confusion opérée par l'amour, entre hymne langoureux et spiritual, chœurs à l'appui. Ravissant !

   "Reaching through to the Other Side" a des accents plus graves pour chanter la vie mystérieuse. La voix s'envole, archangélique, frémissante, soutenue par cordes, flûte ; tout ralentit, extatiquement, avant que ne sonnent comme des éclats de fanfare pour finir. Introduction de chambre pour "In the beginning" : la voix vient s'y poser comme un colibri sur une fleur, fragile, retenue, immatérielle, elle bat des ailes dans des vocalises transparentes, des ralentis fervents. Qu'est-ce que la vie, cette bobine à dévider ? : "This is the oldest story, this the finest tale / Our time, our question awaits / Will we seize it / Can we catch it, our reel to reel / My only chance at this / I will take hold of it." Les interrogations se résolvent à nouveau en un alleluia approfondi par une pointe de mélancolie. Le plus bouleversant dans ces pièces, c'est la capacité de Shara à changer de registre, à passer de la légèreté à une suavité confondante, voire à une puissance, une gravité diaphane.

   "Be Brave", le cinquième titre, est à cet égard un chef d'œuvre. S'identifiant successivement à un oiseau, une baleine, aux éléments, à un(e) esclave, au bourreau puis à la victime, elle virevolte, comme si elle éprouvait les affres de ceux pour lesquels elle s'inquiète, dans le temps même où elle constate "It's so light, it's so easy just to be", se demandant "Oh God, what's my responsability". La chanson suivante n'est pas moins envoûtante, la voix de soprano Shara comme en apesanteur, traversée d'inflexions plus graves soulignées par la clarinette. Le texte énumère tout ce qu'elle ne fait pas, lui opposant à chaque fin de couplet "but she saves the day", chute tout simplement sublime. Un piano préparé accompagne "Ding Dang", chanson plus amère sur les apparences trompeuses. La réussite de cet album tient au sens inné du dosage : la légèreté n'y est jamais mièvre ou agaçante et vaine, tandis que la gravité n'est ni emphatique ni ennuyeuse. Shara nous promène de semi-confidences en mini-contes amusés, comme le délicieux "There's a Rat", traitant aussi le sérieux sur le mode fantaisiste, maîtresse d'une cérémonie étincelante de ces ombres mêmes. On retrouve DM Stith pour un court et émouvant duo sur "Everything is in Line". Que du beau monde pour cette fête ! Un aveu pour terminer : la pochette m'inquiétait, d'autant plus qu'un chroniqueur anglo-saxon signalait le "repli" de Shara sur la chanson sans en souligner les qualités si particulières. Derrière les plumes et les couleurs, en l'ouvrant, cette pochette on voit Shara regardant dans les yeux une tête aux orbites noires coiffée d'un bonnet rayé, un peu de rouge sur les pommettes comme un écho des siennes : posture d'Hamlet tenant la tête de mort dans la célèbre scène. La fête est d'autant plus belle que la mort est là, en filigrane, à peine déguisée, qui nous rappelle que la vie est mascarade. 

Paru en 2011 chez Blue Sword - Asthmatic Kitty Records/ 11 titres / 43 minutes.

Pour aller plus loin

- mon article sur l'album précédent,  a thousand shark's teeth, avec une courte notice biographique.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 14 avril 2021)

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