Newspeak - sweet light crude
Publié le 4 Avril 2011
Après Victoire et Janus, deux ensembles américains qui se consacrent aux musiques d'aujourd'hui, voici Newspeak, toujours sur New Amsterdam Records. L'ensemble compte huit membres : Caleb Burhans au violon, Melissa Hughes au chant, James Johnston au piano, synthétiseurs et orgue, Taylor Levine à la guitare, Eileen Mack, codirigeante aux clarinettes, Brian Snow au violoncelle et deux percussionnistes, Yuri Yamashita et David T. Little, également son directeur artistique, selon lequel Newspeak est né sous les feux conjugués de Black Sabbath, Louis Andriessen, Dead Kennedys et Frederic Rzewski. L'ouverture est donc de rigueur et cela donne un album stimulant, sans doute un peu dispersé, mais n'est-ce pas lié au concept lui-même, puisqu'il rassemble six pièces de six compositeurs ?
J'avoue ne guère accrocher au premier titre signé Oscar Bettison, très jazzy, construit sur des tempi variables. Par contre, dès la seconde pièce, la magie s'installe. " I would prefer not to", de Stefan Weisman, se déroule comme un magnifique adagio transfiguré par le dialogue entre la voix archangélique de Mélissa Hughes et les autres instruments : la guitare électrique lumineuse et incisive, le piano qui pose ses notes répétées, les déchirures percussives, le violoncelle et le violon qui les encerclent dans des volutes glissantes, ce qui donne une pièce mystérieuse, d'une douceur ineffable. La seconde partie de la composition, comme hachurée par des silences et des baisses de tension, prend un relief extraordinaire, si bien que j'ai pensé à plusieurs reprises à l'opéra de David Lang, Michael Gordon et Julia Wolfe, The Carbon Copy Building, notamment l'ouverture et le finale.
La composition du directeur artistique, David T. Little, qui donne son titre à l'album, est aussi une belle réussite. Présentée comme une chanson d'amour et de dépendance, elle évolue entre lied passionné et effervescence rock, servie par une mise en place instrumentale impeccable. Missy Mazzoli, directrice et compositrice de l'ensemble Victoire déjà évoqué, signe le quatrième titre, "In Spite of All This", dominé par les glissements du violon, des courbures suaves qui m'ont rappelé une compositrice dont on parle assez peu, Lois V. Vierk. Morceau à la fois mélancolique et virtuose, intense, comme travaillé par des bouillonnements intérieurs finalement recouverts par la trame répétitive qui tisse son cocon insidieux. "Brennschluβ", de Pat Muchmore, est une pièce détonante, écartelée entre les incursions sidérales dans les aigus éthérés, les convulsions électriques désordonnées et le chant suspendu de Mélissa, pythie farouche et vindicative ou charmeuse d'arcs-en-ciel - la pochette ne nous rappelle-t-elle pas que le mot allemand du titre désigne le sommet de la trajectoire balistique d'un missile, plus particulièrement le moment où le moteur cesse de brûler du carburant ? Quant au dernier titre signé par le violoniste de l'ensemble, Caleb Burhans, c'est bien un requiem, comme l'indique le titre, "Requiem for a General Motors in Janesville", mais un requiem nettement post-rock, dominé par les interventions étirées de la guitare électrique et la langueur des cordes, et pour finir l'envolée de la voix dans le beau climax brûlé.
Cette nouvelle langue, à la différence de la novlangue imaginée par George Orwell dans 1984 (immense roman, faut-il le rappeler, terriblement d'actualité...), est à découvrir sans inquiétude...
Paru en 2010 chez New Amsterdam Records / 6 titres / 42 minutes
Pour aller plus loin
- le blog de Melissa, encore elle : concerts, recettes de cuisine (une apple pie notamment !), et des trouvailles musicales à faire, entre autre une belle pièce de David First, électronique et voix : on peut écouter et suivre le texte anglais d'Anselme Berrigan.
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 mars 2021)