Nico Muhly - I Drink the Air Before Me
Publié le 12 Juin 2011
Nico Muhly aura trente ans le 26 août, mais la valeur n'attend pas le nombre des années comme l'a dit quelqu'un. Le catalogue de ses oeuvres est impressionnant. Choriste dans une église dès l'enfance, il pratique le piano dès l'âge de dix ans, étudie la littérature anglaise avant de collaborer étroitement avec Philip Glas, et plus ponctuellement avec Björk, Antony and The Johnsons. I Drink the Air Before Me est son troisième album solo, après speak volumes en 2007 et mothertongue en 2008. À peu près en même temps est sorti A Good Understanding, grande composition pour chœur, tandis qu'il nous prépare un opéra !
Commandée en tant que la musique d'un spectacle de la Stephen Petronio Dance Company à l'occasion de son vingt-cinquième anniversaire, l'œuvre se veut forte, enthousiaste, pour fêter la circonstance. Un chœur d'enfant intervient au début et à la fin. Sur la pochette, Nico nous dit que la musique aurait un rapport avec le temps atmosphérique : tempêtes, anxiété liée à la vie côtière. Elle nous plonge au centre d'une tempête, avec ses tourbillons, ses irrégularités. Divisée en douze épisodes, elle évolue autour de constellations tourbillonnantes de notes, plus ou moins audibles. En dehors de la chorale et de la programmation assurée notamment par le fidèle Valgeir Sigurdsson, elle fait appel à un petit effectif de chambre : flûte, piano, alto, basse et bien sûr trombone et basson, deux instruments régulièrement mis en valeur par le new-yorkais.
D'emblée, la puissance de "Fire Down Below" nous frappe et nous prend : coups de fouet des cordes, doublés par les éclats profonds du trombone qui gronde. Le chœur d'enfants s'élève limpide dans une atmosphère cravachée d'arrêts brutaux, envahie par la ronde insidieuse des graves. C'est majestueux, inquiétant et superbe. Le piano et la flûte caracolent dans l'atmosphère orageuse, l'alto chante, indifférent, en pacificateur, comme s'il exorcisait la terreur. Arrive le "First Storm", agitation extrême, affolement des instruments, tout en maintenant une ligne mélodique perceptible. "Salty Dog" fait dialoguer le basson et le piano sur un fond mouvant de cordes : tempo bucolique peu à peu perturbé par le piano à coup de notes plaquées jusqu'au silence ; le trombone reprend avec des notes isolées, accompagné par les pizzicati de l'alto, puis par le réveil du basson, à nouveau interrompu par l'impoli piano, la querelle étant résorbée par l'alto langoureux, altier, bien au-dessus des piètres querelles, et tous se rejoignent dans une ligne finale où les coassements du trombone répondent à la noblesse de l'alto lyrique. J'arrête là l'exercice : la musique de Nico Muhly est en perpétuel mouvement, inventive, expressive, jouant de tous les registres, de tous les écarts avec une désinvolture magnifique, sans toutefois jamais cabotiner, car l'écriture est pleine, incisive, déliée. Ce disque est une fête fantasque et colorée, un bonheur, un régal à l'évidence pour une compagnie de danse, mais aussi pour tout auditeur ravi qu'on s'adresse à ses oreilles avec tant d'intelligence malicieuse. Nico Muhly n'a plus rien à envier à ses aînés : à mon sens, on entend peu sa proximité dans le travail avec Philip Glass, un peu plus l'influence de Steve Reich, et, surtout, celle de David Lang, par ce sens du tranché, de la découpe hardie, moins implacable, moins sombre, plus joueuse, mais parfois aussi magistrale comme dans "Music under Pressure 3 - Ensemble".
Paru en 2010 chez Bedroom Community - Decca / 12 titres / 53 minutes
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