Nico Muhly : "speaks volumes", dans la cour des grands.

Publié le 5 Juillet 2010

Nico Muhly : "speaks volumes", dans la cour des grands.

  Nico Muhly, né en 1981, appartient à cette jeune génération de compositeurs influencée par les grandes œuvres conceptuelles du trio minimaliste Reich-Riley-Glass. Après des études en littérature anglaise, il obtient son diplôme de composition à la Julliard School de New York. Il est proche de Philip Glass, dont il est l'éditeur et le claviériste pour de nombreuses pièces, travaille avec Björk, sollicite la collaboration du chanteur Antony. Auteur de musiques de film, il est particulièrement remarqué pour la B.O. de The Reader.

   speaks volumes, sorti début 2007, est son premier disque, qui réunit sept pièces pour petite formation de chambre. Le tout est enregistré et mixé par Valgeir Sigurdsson, producteur et ingénieur du son de la déjà citée Björk et de quelques autres, Valgeir qui sort ces jours-ci son premier album solo. L'islandais imprime sa marque en enregistrant les instruments de très près et en ajoutant un environnement électronique discret et efficace.

   "Clear music" commence par une phrase languide de violoncelle qui s'étire, se déploie peu à peu dans l'énergie retrouvée, s'épanouit au contact du célesta. La harpe apporte son contrepoint plus grave. Et le trio va, plus enjoué ou plus réfléchi, avec de beaux passages transparents, des dissonances calculées, vers sa résolution méditative. Nico Muhly reconnaît deux sources d'inspiration à cette pièce : le motet Mater Christi Sanctissima de John Taverner, compositeur anglais de la Renaissance, et Vespertine ...de Björk ! "It goes without saying" fait dialoguer d'emblée clarinette et harmonium, l'acoustique organique et les machines : morceau tout en tension, en chromatisme ostentatoire, dans une scansion hâchée très reichienne. Les drones percussifs s'invitent pour une envolée auréolée de trouées lumineuses, ponctuée par les bruits de la soufflerie, les frappes sur les touches. Le début de la pièce suivante, "Honest Music" peut faire songer à la musique d'un Michael Nyman : présence emphatique des cordes langoureuses et insinuantes sur un bourdon de clavier. Le violon chante, domine, épaulé par la harpe et des arrangements enveloppants de cordes et claviers, dans un mouvement aéré de stases solo, jalonné de silences et de reprises en chœur, ce qui me fait aussi songer à un autre anglais, Graham Fitkin , c'est frappant notamment sur la superbe fin, proche dans l'esprit de celle de Slow. D'ailleurs, comme Graham, Nico est d'abord pianiste, et un beau pianiste : il suffit d'écouter "Quiet Music", clair obscur austère, où la rareté est densité expressive. Le piano balbutie, tintinnabule brièvement, découpant le silence en lanières de lumière. "Pillaging Music" semble d'abord un clone (assumé comme l'indique le titre), un remix de bien des pièces percussives de Steve Reich, mais en plus dissonant, destructuré : piano, marimba, sorte de gamelan aussi, mènent une danse de trémolos parcourue de silences frémissants. Pièce au final surprenante, pleine de fantaisie. Retour au piano solo avec "A Hudson cycle", morceau choral hanté par Philip Glass cette fois, l'excellent Glass des pièces pour piano : lumineux et émouvant. Le disque se termine avec "Keep in touch" : faux retour au début avec un phrasé solo d'alto,  mais détruit par des froissements, les cordes grincent, grimpent dans des aigus agressifs. tandis qu'une voix se fait entendre. Tout se calme, l'harmonium (et ses clapets bien audibles) apporte sa douceur suave dans laquelle se fond d'abord la voix d'Antony. Le morceau se fait prière miaulante, lamento douceâtre et déjanté, plombé de percussions métalliques. Sans doute la pièce la plus inventive, écartelée entre sentimentalisme et parodie, ferveur et folie, avec son long crescendo incandescent, sa retombée majestueuse et décalée à la fois dans les mélismes gentiment outranciers d'Antony.

    Un disque difficile à classer, entre post-minimalisme et électro. Parler de néo-classicisme à son égard m'étonne. Singulier en tout cas, inspiré et souvent beau, sans rien à jeter comme dirait Georges.

Paru en 2007 chez Bedroom Community / 7 plages  / 54 minutes //

Pour aller plus loin

- le site de Bedroom community, avec une page consacrée à l'album, en écoute intégrale.

- Album en écoute et en vente sur bandcamp :
 

Attendez une douzaine de  secondes avant le début de "Honest Music", un sommet de la musique contemporaine :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 mars 2021)

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Électroniques

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