Psykick Lyrikah - Derrière moi

Publié le 18 Avril 2011

Psykick Lyrikah - Derrière moi

"Je n'entends que la foudre"

    Arm, après diverses collaborations et des albums qui n'ont cessé d'ouvrir le champ à un autre rap, mâtiné de rock puissant et d'électro, est ici presque seul aux commandes. La voix d'Iris sur le titre 5 affirme une déjà ancienne et fructueuse complicité. Robert le Magnifique, si présent sur Des Lumières sous la pluie, pose ses scratchs sur le 9. Tepr co-compose le titre 2. Sans oublier Reptile, ingénieur du son d'autres groupes hexagonaux de rap. Tout le reste, paroles, voix, composition, c'est Arm. 

  Tordre le coup à la chronique ?

  Ne pas céder à la panique

  D'écrire vite des lignes vides 

  Qu'on retrouve sur quinze sites

  Entrelardées de pub menteuses.

   Ce qui frappe, c'est la frappe, celle des machines, puissantes, lourdes, implacables. Noires, comme les mots en légions denses qui creusent en nous les émotions oubliées. Arm, tu n'écris pas pour qu'on surfe sur ta musique. Tu attaques grave, tu forces l'écoute, et ça plaît pas à tous ceux qui veulent de la musique de chou rave pour continuer à consommer vite fait le nez dans le sable comme les autruches de  ce « triste âge vide ». Tu « aime(s) le vent lorsqu'il annonce le bordel », « retourner les mots, voir leur envers ». Tu pourrais faire tiens ceux de Frédéric Nietzsche dans Le Gai Savoir : « Oui, je sais mon origine ! / Insatiable, telle la flamme, / Je me consume incandescent / Lumière devient tout ce que je prends / Charbon tout ce que je laisse ; / Flamme je suis assurément ! » Fragment 62, Ecce Homo. « Demande quelle lueur ne s'écrit pas » écris-tu dans "Jusque là", le second titre. Voici l'homme qui cherche au fond des pupilles une trace d'humanité, qui traque ce qui reste à l'écart loin des discours officiels. Tu cherches les guetteurs, tu interroges le sens, tu « n'a(s) pas l'heure d'ici », nouveau Melmoth,- c'est le titre d'un de tes interludes, homme errant qui rêve d'autres tournures.

  Jamais tu n'avais si bien pris langue, comme l'indique ton troisième titre, "Quelle langue", pour nous parler d'une autre rive, celle des rêves décomposés, des illusions tronçonnées à tomber dans des failles méchantes. Tu nous embarques du côté du noir, un p'tit tour au cœur des ténèbres pour retrouver sa dignité, et mine de rien un peu d'azur, ça pourrait étonner les cloportes qu'on parle d'azur dans un texte du vingt et unième siècle, moi ça me réconforte qu'on se souvienne d'amours anciennes, qu'on chante la solitude nécessaire pour renaître au temps du collectif qui ne tolère pas le négatif. À l'écoute du vide, car « qui devine, qui décèle les éclats que l'on cache » dans ce monde qui mène les mêmes guerres, où « Personne ne vit / Personne n'attend / Personne ne suit / Personne n'entends / Personne », refrain de la chanson éponyme, la sixième, la seule dont l'orchestration je dois l'avouer m'agace un brin, allez c'est dit. Rien d'autre à te reprocher, tant je vibre avec toi, et ça empire avec la magnifique émouvante "Rien ne change", sobrement rythmée par des percussions sèches sur un fond de claviers lyriques très  méditatifs. Tu es si loin des autres, si près de l'essentiel, un Léo Ferré sans sa fausse gouaille et ses postures d'anar, sans vouloir t'écraser juste pour te situer du côté de l'amour fou des mots parce que derrière toi et tes airs de boxeur buté il y a un homme qui tutoie les étoiles noyées, celui du cœur du fond des choses qui prend le temps d'interroger des lendemains au rythme sans doute plus durs, qui « sait parler au visage de la nuit ». Tu nous redonnes une langue qui se défait de déchanter quand on la trahit pour pas se faire comprendre au nom d'une conception marchande de l'harmonie qui voudrait qu'on chante en anglais parce que c'est plus vendant à défaut d'être bandant, c'est mieux quand on ne comprend rien, ça mange pas de pain, on raconte des histoires de lapin dans des lapinières, on se prépare mieux pour « rêve(r) de force et d'acier » et laisser décoller les avions de notre force de frappe - l'autre, sans lever le museau de notre fourrage artificiel aromatisé à la banane.  

   Mais qui écoute encore vraiment, qui ? « Qui retient son souffle / Aujourd'hui / Qui anticipe et revient sur ses pas / (...) Qui pour me dire / À quel monde j'appartiens », seulement je n'en finirai pas de te citer, je plonge dans tes mots comme dans la mer fraîche au printemps, histoire de se décrasser des formules lasses, je me baigne dans ton flot ardent, j'écoute monter la rumeur calme des fonds,  celle des vies qui se défont et des rêves qui nous font, et même si tu n'as « (...) rien à dire / Sur plein de choses » avec toi se lève un vent métaphysique aux accents prophétiques. Tes mots en grappes épaisses nous cinglent, pourtant tu n'es pas fou, juste mélancolique, et ce qui ne plaît pas, c'est le rappel de l'essentiel qui paraît démentiel à tous ceux qui ne veulent plus rien voir dans leurs mouroirs. Quelque part entre Saint Jean et Pascal tu nous armes pour l'éveil. Maintenant, ensemble, nous pourrons « regarder le monde brûler ».

Paru chez Idwet le 6 avril 2011 / 11 titres / 41 minutes

Pour aller plus loin

- à propos de l'album précédent,  Vu d'ici

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 29 mars 2021)

Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

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