Publié le 7 Septembre 2007

Graham Fitkin / Ruth Wall : une cure de Jouvence pour la harpe !
   Le dernier disque de Graham Fitkin, l'un de mes compositeurs de référence, est sorti en juillet. Disons tout de suite que je suis un peu partagé, perplexe, et embarrassé de chroniquer un disque auquel je n'adhère pas totalement. Ce blog sélectionne en principe mes coups de cœur, alors ? Je crains d'être injuste, de n'avoir pas écouté le disque suffisamment. En même temps, sacraliser un artiste, c'est parfois nier son humanité, c'est-à-dire ses irrégularités, ses baisses de tension créatrice, ses erreurs. Les meilleurs ont leurs faiblesses. Ces évidences rappelées, rassurez-vous, ce ne sera pas un éreintement, je me lance...
  
Ruth Wall et ses harpes
Ruth Wall et ses harpes
Graham Fitkin poursuit sa collaboration avec Ruth Wall, qui l'accompagnait aux claviers sur Kaplan, sorti en 2003. Cette fois, Ruth joue de la harpe, de trois harpes différentes, une irlandaise, une écossaise, et une troisième aux sonorités éclatantes, conjuguant en somme tradition et modernité. Les parties de harpe sont dans l'ensemble superbes. Graham l'environne de ses claviers, de ses sons pré-enregistrés et de manipulations électroniques  (le duo tourne actuellement dans le Royaume-Uni, et c'est alors sur scène que Graham utilise ses machines). Les compositions sont vives, brillantes, voire virtuoses. On retrouve le puissant dynamisme qui anime les œuvres du britannique, son constructivisme qui élabore des structures enchevêtrées en perpétuel mouvement, son sens des ruptures saisissantes. L'ensemble est lumineux, agrémenté de quelques passages plus élégiaques,  et défie les catégories : est-ce encore du classique contemporain ? Plus vraiment, quoique diront certains, qu'on songe à Philip Glass ou Mickaël Nyman, chantres d'une musique contemporaine accessible... La harpe s'intègre à son environnement synthétique, électronique, créant des ambiances à la Brian Eno. Alors, me direz-vous, où sont les réserves ? J'y viens. A côté d'indéniables réussites, comme le premier titre "Snow clamp", qui pourrait être un tube dans le meilleur sens du terme, ou encore l'admirable début du quatrième, "Battery people", et presque toute la fin de l'album, très tenue, deux plages détonnent par leur facilité, leur tape-à-l'oreille, "Constant shame", qui porte bien son titre hélas, morceau "dance" racoleur, et "Close hold", de la même veine. Les titres deux et quatre, bien commencés, deviennent presque mièvres, envahis par des nappes de claviers faciles. Bien sûr, globalement le disque passe, séduit et ravira les adeptes du casque. Je l'écoute encore en ce moment avec plaisir, et que souhaiter de plus ? L'immense Brian Eno est aussi mièvre à ses heures. Et voici une "music for film" colorée, qui s'impose avec brio, sans prétention, sans rien qui pèse...Il reste que j'attendais davantage de Graham Fitkin. C'est peut-être ce qui me rend en effet injuste. Il me semble en tout état de cause que ses œuvres pour piano et ensembles de musique de chambre sont plus originales ( voir mon article d'avril 2007), et je suis de ceux qui voudraient l'entendre à nouveau sur ce terrain, où il a plus et mieux à dire. Au piano, Graham ! Et fait appel aux meilleurs quatuors à cordes..., en intégrant ta sirène harpiste !?
 
Graham Fitkin et Ruth Wall sur le vif
Graham Fitkin et Ruth Wall sur le vif

  Les voici en séance d'enregistrement et sur scène. Je crois qu'il faudrait les voir en concert : à quand une tournée en France ? Merci en tous les cas de contribuer à sortir la harpe de son ghetto folklorique.
Le site de Ruth Wall, la belle harpiste, est très bien fait.

Six titres en écoute ici.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Paru en 2007 chez GFR / 10 plages / 54 minutes environ

(Remise en page et illustrations visuelles et sonores de cet article en date du 20 juin 2020)
 

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Rédigé par dionys

Publié dans #Graham Fitkin

Publié le 14 Août 2007

Terry Riley (3) : une relecture fulgurante des Keyboard studies
   Devenu au fil des écoutes un fan de Terry Riley, l'allemand Steffen Schleiermacher a fait  l'acquisition des partitions des Keyboard studies 1 et 2 du maître, parfois mentionnées dans des écrits le concernant, mais jamais enregistrées. Après un arrangement pour clavier électronique, il est parvenu à des versions jouables en concert. Très répétitives, elles sont représentatives du premier Riley, proches des premières œuvres de Steve Reich, et d'une intensité extraordinaire : des trous noirs sidérants, un voyage implacable vers l'au-delà absolu. Le disque comporte également une composition de Schleiermacher, intitulée "Hommage à RILEY-REICHlich verGlasst : elle vaut le détour, dix-sept minutes d'intelligence, de symbiose avec l'univers des fondateurs du minimalisme. Je  reparlerai probablement de Steffen Schleiermacher, artiste indépendant et pianiste spécialisé dans la musique contemporaine.
Steffen Schleiermacher à l'oeuvre.
Steffen Schleiermacher

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Rédigé par dionys

Publié dans #Terry Riley

Publié le 21 Juillet 2007

Terry Riley (1) : la troisième oreille de l'absolu
   (Nouvelle mise en page + illustrations sonores )
Je profite de l'été pour décoller davantage de l'actualité, qui nous entraîne impitoyablement en avant, nous impose les sorties innombrables d'une société d'hyper-consommation : sortons de l'hyper-marché, résistons aux stimuli et sachons regarder ailleurs, en arrière, à côté des feux illusoires de la rampe médiatique. Retour à l'essentiel, aux musiques fondamentales qui aident à construire l'être avant de le dépasser. Retour à Terry, le maître des claviers, l'improvisateur le plus génial de notre époque, l'homme des concerts-fleuves, des nuits d'envolées psychédéliques, des chevauchées transcendantes. L'un des fondateurs de la musique minimaliste répétitive avec In C, en do majeur, composée en 1964 : 53 motifs, "patterns", à répéter par chaque interprète, chacun d'eux étant libre de répéter le motif autant de fois qu'il le désire avant de passer au motif suivant, d'où la création d'une tapisserie sonore chatoyante, ondulante comme l'infini qu'elle semble condenser. Je ne reviens pas sur la biographie de ce musicien né en 1935, imprégné de jazz, de musique contemporaine, formé par un maître indien pendant plusieurs années. Terry Riley est le plus occidental des musiciens orientaux, voilà ce qu'on pourrait dire de son oeuvre immense, si mal connue en France.
     Ce premier billet  met l'accent sur d
eux disques. Shri Camel, sorti en 1978 chez CBS, - album, que j'avais en vinyl et que je viens de recevoir en laser, reste une merveille : Terry, à l'orgue électronique modifié pour atteindre une "intonation juste", avec un système d'écho numérisé, crée une œuvre psychédélique au sens fort, orientale, qui peut tisser jusqu'à seize nappes d'orgue simultanément, atteignant une complexité vertigineuse, d'une beauté stupéfiante. Laissez-vous porter jusqu'au "Desert of ice"...Et regardez bien la pochette, perdez-vous en elle comme dans la musique...
Terry Riley : le piano comme une harpe !
Terry Riley sort du piano Bösendorfer Imperial un orchestre complet...
Le second est un double album sorti en 1986 chez Celestial Harmonies, The Harp of New Albion. L'idée de départ est de traiter le piano comme une harpe, d'où un instrument qui sonne autrement, dépaysant. Les onze mouvements de cette vaste pièce sont improvisés, mais jalonnés d'éléments composés qui structurent l'ensemble. L'utilisation d'un Bösendorfer Imperial permet de tirer du piano comme un orchestre complet. Les sons fondamentaux se fondent dans un halo constant d'harmoniques. Pris dans la fougue pianistique de Terry, on a un peu l'impression de vivre à l'intérieur de la chevelure splendide d'une comète.
Pour finir un vieil adage soufi cité par Terry :

La pensée qui est planifiée est  tradition.
La pensée qui n'est pas planifiée est imagination.
La pensée qui est les deux à la fois est l'esprit.
Carte établie par le navigateur et corsaire anglais Francis Drake.

Carte établie par le navigateur et corsaire anglais Francis Drake.

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Rédigé par dionys

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Publié le 11 Juillet 2007

Tord Gustavsen/ Diego Amador/ Vassilis Tsabropoulos : quand le piano réinvente la tradition
(Nouvelle mise en page + illustrations sonores / Émission du 8 juillet 2007 )  
Trois pays, trois traditions, trois pianistes qui se distinguent par une audace tranquille. L'air de rien, ils sortent chacun à leur manière un courant musical de la sclérose. 
Tord Gustavsen au piano

Le norvégien Tord Gustavsen tord le cou (tordant, non ?) à un jazz qui court après la performance, comprise comme une démonstration de virtuosité, de maîtrise, culminant dans le solo pendant lequel les autres instrumentistes éventuels se taisent pour mieux faire ressortir le talent du maestro. Il rompt aussi avec un certain type de phrasé devenu très prévisible, bref avec tout ce qui, dans le jazz, relève d'une extériorité vite creuse. Il choisit des lignes mélodiques d'une grande simplicité, explorées avec retenue, délicatesse : un minimum de notes pour camper une ambiance. Suggérer plutôt que d'assener, démontrer, voilà sa ligne, qui privilégie l'intériorité, l'exploration de l'âme. Harald Johnsen à la basse et Jarle Vespestad aux percussions sertissent le piano dans un écrin léger, tout en frémissements, frottements, ponctuations sensibles. Sans doute son rôle d'accompagnateur de la chanteuse Silje Nergaard a-t-il contribué à cette discrétion du trio et de son compositeur, mais c'est surtout le fruit d'une démarche consciente. Ses trois albums en trio, le premier date de  2003, constituent à ses yeux une trilogie, l'approfondissement d'une voie : calme, réconfort et émotion garantis pour l'auditeur !

Diego Amador
Le sévillan Diego Amador, né en 1973 (Gustavsen est de 1970) dans une famille de gitans, aborde quant à lui la tradition flamenca ...au piano. "Guitariste frustré", comme il se définit lui-même, il aborde son piano comme une guitare, utilisant parfois ses ongles, attaquant directement les cordes au besoin. Quelque part entre jazz, musique contemporaine et flamenco, cet improvisateur autodidacte bouscule les règles, impose son énergie et sa virtuosité - nous sommes aux antipodes de Gustavsen !, sans cesser de faire chanter son instrument. Et il a réussi à m'intéresser à ce flamenco qui souvent m'exaspère par ses postures, ses mimiques, ce qui n'est pas un mince prodige...Piano Jondo, qui vient se sortir, est en fait son second solo après El aire de lo puro en 2001. Ecoutez notamment le prodigieux titre 7, Seguiriya de Pildorilla, avec passages  très contemporains, changements rythmiques imprévus, cordes pincées, doublage à la guitare et claquements des mains sur la fin.
 
Tord Gustavsen/ Diego Amador/ Vassilis Tsabropoulos : quand le piano réinvente la tradition
Vassilis Tsabropoulos

Pianiste de formation classique, le grec Vassilis Tsabropoulos joue notamment Rachmaninov ou Prokofiev, mais participe aussi depuis plusieurs années à des expériences jazz en trio. Avec Akroasis, sorti en 2003, il revient aux racines de la musique grecque, à savoir les hymnes de la liturgie byzantine, pour en donner un éclairage nouveau, plus pianistique comme il dit, sous l'angle de la musique improvisée. " Son côté intemporel et sa simplicité expressive peuvent parler à n'importe qui, pas seulement aux pratiquants", affirme-t-il. Le disque propose la relecture de cinq hymnes, auxquels s'ajoutent trois compositions personnelles. De l'austère majesté des amples phrases mélodiques, parfois répétées, variées, entrecroisées, finit par se dégager une sérénité mystérieuse, tournoyante, intemporelle.

   Ce programme aura été introduit par les créations électroniques d'An On Bast, compositrice polonaise déjà présentée dans de précédents articles. C'est à mon sens le même esprit qui les réunit : partir de la tradition, se nourrir d'elle, pour créer les musiques d'aujourd'hui. N'a-t-elle pas utilisé du Liszt comme échantillon pour l'une de ses pièces les plus abouties, son De profundis ? (à écouter en bas de l'article)
Les DISQUES

An On Bast : Minimal walking (piste 4, 5' 17)
                         Whocat (p.5, 4' 40)
                         De Profundis (p.6, 6' 21), extraits de Welcome scissors (2006)
Tord Gustavsen Trio : Vicar street (p.2, 3' 46)
                                           Karmosin (p.7, 5' 12)
                                           Where we went (p.9, 4' 49)
                                           Vesper (p.12, 4' 30), extraits de Being there (ECM, 2007)
Diego Amador : Solea del Churri (p.1, 7' 43)
                               Pa los viejitos (p.2, 4' 33)
                            Seguiriya de pildorilla (p.7, 9' 54), extraits de Piano Jondo (World Village, 2007)

Tord Gustavsen Trio : Tears transforming (p.1, 5' 38)
                                           The Ground (p.12, 7' 16), extraits de The ground( ECM, 2004)
                                          
Turning point (p.7, 5' 52), extrait de Changing places ( ECM, 2003)
Vassilis Tsabropoulos : Hymns I & II (p.1-2, 10')
                                              The secret garden (p.4, 5' 58), extraits de Akroasis (ECM, 2003)

 

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Publié le 29 Juin 2007

(Nouvelle mise en page + illustrations sonores / Proposition du 24 juin 2007 )

    S'affranchir du temps est un rêve ancestral que tentent de réaliser les musiciens réunis pour cet article. Ils y travaillent par deux voies en apparence inconciliables. Les premiers sculptent des masses sonores en grande partie d'origine électronique, lourdes nappes qui apparaissent et disparaissent dans un halo de silence, traversées de traînées instrumentales acoustiques en surimpression parfois à peine décelable. Privées de tout élément percussif, les compositions semblent alors pouvoir s'étirer à l'infini dans une temporalité distendue à l'extrême. Le second cherche le son d'Or tel un mystique illuminé en jouant obstinément une ou plusieurs notes, en martelant ses deux pianos pour créer une pâte sonore en vibration : l'alternance de ralentis et d'accélérations - ces dernières étant les plus longues, happe l'auditeur dans un tourbillon frénétique qui semble condenser le temps, le réduire au seul présent de la note frappée fondue dans l'écho des harmoniques des précédentes. Il n'y a plus vraiment de passé ni de futur, mais ce moment d'intensité, ce climax dans lequel on voudrait s'engouffrer comme dans une trouée de lumière fulgurante.
  
Stars of the Lid - And Their Refinement of the Decline
Stars of the Lid : double cd, deux heures de musique !
Adam Wiltzis et Brian Mcbride, duo américain connu pour avoir exploré les drones de guitare sur de précédents albums, reviennent après six ans d'absence avec un double cd, presque deux heures de musique, offrant au label Kranky, label spécialisé dans la musique ambiante, les musiques électroniques, expérimentales d'aujourd'hui, un centième numéro exceptionnel. L'ensemble est grandiose, majestueux : les lentes incantations au grain velouté se déploient en vagues frémissantes, tournoyantes, enrichies de violoncelles( jusqu'à trois), de cors, de trompettes, de clarinette. Le temps est un luxe que nos deux compositeurs nous invitent à déguster dans la pénombre, confortablement installés, oublieux de toutes les obligations qui nous harcèlent : les nuages tournent sur fond crépusculaire, découvrent soudain des échappées iridescentes. La mer vient mourir sur les rivages apaisés d'un ailleurs qui nous attend. Tout le raffinement du déclin dans l'or profond des soirs d'orage.
 
Hakobune - A Sense of Place
Hakobune - A Sense of Place
Une série limitée à 155 exemplaires pour ce musicien japonais, Takahiro Yorifuji, qui, sous le nom de Hakobune, propose des paysages issus de drones de guitare auxquels s'ajoutent quelques effets. Un cdr malheureusement injouable sur votre ordinateur : seule une chaîne lui convient, ou en core un bon lecteur de cd auto.
  Je ne présente pas à nouveau Tim Hecker (cf. article ici), qui clôt la première série, celle des expansions électroniques.
  

Peintre, sculpteur, compositeur et par dessus-tout extraordinaire "performeur", Charlemagne Palestine est le second que

Charlemagne Palestine - A sweet Quasimodo between Black Vampire
Charlemagne Palestine : prendre le temps d'entrer dans son univers !

j'évoquais au début de cet article. Né en  1947,  marqué, enfant, par sa participation à la chorale d'une synagogue de Brooklyn, par sa rencontre ensuite avec la musique concrète de Pierre Henry, - qui conforte son goût pour les sons des moteurs ou d'autres objets quotidiens, avec les expériences électroniques d'un Varèse, il pratique les collages sonores, écoute les sons avec attention dans une orientation spirituelle, plongeant au cœur des harmoniques, des échos, interrogeant avec obstination les bourdons, les drones pour plonger l'auditeur dans un univers en vibration et le mettre ainsi dans un état d'extase, d'extériorité absolue à lui-même, le moi comme dissous, aboli. Cette orientation n'est pas sans rappeler celle de La Monte Young dans son pays, ou celle d'un Giacinto Scelsi en Italie. L'abandon de toute virtuosité, voire de toute mélodie, le marginalise pendant un temps, d'autant que le succès du minimalisme sous sa forme répétitive le déçoit. Après avoir utilisé oscillateurs électroniques et synthétiseurs, il revient aux sonorités acoustiques, sans doute influencé par son expérience de carillonneur pendant six ans dans une église new-yorkaise. Il joue alors de l'orgue d'église, du piano. Il chante parfois aussi, initié au chant drupad de l'Inde par le grand Prandit Pran Nath, auprès de qui Terry Riley et La Monte Young ont d'ailleurs étudié. Ce dernier enregistrement permet de l'entendre en public, jouant simultanément sur deux pianos Yamaha : la pratique du "strumming", ce martèlement d'une note ou d'un très court motif, alterne avec des moments d'apaisement. Après une courte introduction, une pièce de trente-six minutes seulement, ce qui est peu pour Palestine, dont les concerts durent souvent des heures, voire des nuits entières. C'est assez pour découvrir l'un des créateurs les plus singuliers d'aujourd'hui, dont l'enthousiasme est intact après tant d'année, et dont l'influence ne cesse de grandir.
Les DISQUES

And their refinement of the decline de Stars of the Lid est paru en 2007 chez Kranky

Harmony in Ultraviolet de Tim Hecker est paru en 2007 chez Kranky

Sense of place de Hakobune est paru en 2007 chez U-Cover

a sweet quasimodo between black vampire butterflies de Charlemagne Palestine est paru en 2007 chez Cold Blue Music

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Rédigé par dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Électroniques

Publié le 20 Juin 2007

Maya Beiser célèbre Astor Piazzolla et Joaquin Nin

Maya Beiser célèbre Astor Piazzolla et Joaquin Nin

(Nouvelle mise en page + illustrations sonores )
 

Maya Beiser sur scène

Encore Maya ? Je suis hanté, que voulez-vous ! Les pochettes de ces deux derniers albums n'arrangent rien : yeux verts hypnotiques, cheveux rouges au vent dans un contre-jour qui blanchit par contraste l'ovale pur du visage sur Almost Human, elle vous tient, elle vous emporte avec feu vers les territoires inconnus qu'elle entend défricher. Parce qu'elle a grandi en Israël entre un village arabe à la vie scandée par les appels à la prière et une communauté argentine baignée par le tango alors qu'elle-même apprenait à jouer la musique de Bach sur son violoncelle, écoutait après les heures de pratique Janis Joplin ou Billie Holiday, Maya Beiser n'a jamais entendu les frontières musicales. Aussi, une fois installée aux Etats-Unis, a-t-elle tout naturellement intégré, au début des années 90, le Bang On a Can All Stars, " cet ensemble de virtuoses guerriers de la New Music", comme le définit l'un de ses fondateurs, Michaël Gordon. Elle est alors le violoncelle solo de "Industry", composition lancinante et inquiétante de ce dernier, à la texture qui s'épaissit et s'accélère progressivement dans un mouvement affolé de locomotive. Embarquée dans la nouvelle musique, qui réconcilie tendances contemporaines et rythmiques apparentées rock au sens très large, elle n'oublie pas pour autant la musique espagnole ou argentine qu'elle connaît si bien et enregistre avec le pianiste Anthony de Mare Oblivion, sorti en 1999 sur le label Koch International Classics auquel elle restera fidèle jusqu'à ce jour, disque consacré au créateur argentin du nuevo tango, Astor Piazzolla, et au compositeur Joaquin Nin, père de l'écrivain Anaïs Nin. Ce qui l'a séduit chez le second, c'est d'abord un parcours aussi itinérant que le sien. Né à La Havane, élevé en Espagne, Joaquin Nin, comme d'autres musiciens espagnols de son temps, Albeniz ou De Falla, vient bien sûr à Paris quelques années. De surcroît, il se passionne pour la musique de l'Espagne baroque, écrit de petites pièces, des "commentaires" à la manière des petits maîtres du dix-huitième siècle, quelque part entre Bach... et Ravel, décalé en somme dans un territoire non répertorié et partout chez lui, comme elle, dans la musique sans frontières. Sa carrière solo est ensuite ponctuée de deux disques faisant la part belle à la musique contemporaine dans sa diversité.

  

Maya Beiser - World to come
Maya Beiser - World to come

Le premier, World to come, réalise le rêve d'une sorte d'orchestre de violoncelles grâce à la technique d'enregistrement multi-pistes de son seul instrument : l'argentin Osvaldo Golijov lui écrit Mariel, courte pièce au lyrisme ample et foisonnant ; l'américain David Lang, l'un des autres co-fondateurs de  Bang On A Can, lui offre l'œuvre en quatre parties qui a donné son titre à l'album ; elle y interprète aussi deux oeuvres méditatives, Fratres -dans une version pour quatre violoncelles, de l'estonien Arvo Pärt, et Lament to Phaedra de l'anglais John Tavener. Quatre compositeurs, quatre écritures contrastées, quatre voyages dans de nouveaux territoires. Le second, Almost Human, sorti au début de cette année et partiellement chroniqué dans l'article du 7 juin, pousse plus loin encore le périple et l'expérimentation : narration, chant et violoncelle pour la vaste composition d'Eve Beglarian consacrée au texte du poète Henri Michaux "Je vous écris d'un pays lointain" (traduit en américain); violoncelle et échantillons électroniques (notamment vocaux) pour deux pièces visionnaires, puissantes,  du compositeur anglais Joby Talbot, connu pour sa collaboration avec le groupe de Neil Hannon, The Divine Comedy,  et des musiques de films notamment. Entre ces deux disques, il faut mentionner le Cello Counterpoint, que Steve Reich écrit pour elle, et figurant sur You are (Variations), trois mouvements enchaînés pour huit violoncelles (Maya en direct avec sept pistes pré-enregistrées) : un sommet de complexité sereine, le tissage reichien dans son mouvement irrésistible.
 

Maya Beiser

     Avec elle, le violoncelle s'affranchit de toute tutelle, de tout rôle codifié pour exprimer la plénitude de son âme universelle, protéiforme : lyrique, bien sûr, pathétique, sans doute, mais aussi introspectif, majestueux, déchiré, vibrant, explosif, tellurique, stellaire... Scientifiques, cessez de vous quereller sur la forme de l'univers : Maya nous prouve qu'il a celle d'un violoncelle.
Joaquin Nin : Chants d'Espagne (p.2 à 5, 8' 49) , extraits de Oblivion(Koch.., 1999)

Steve Reich : Cello Counterpoint (p.5, 11' 31), extrait de You are (Variations)(Nonesuch, 2005) . Le lien vous permettra(notamment) de la voir interprétant ce morceau.

Joby Talbot : Motion detector (p.9, 6' 07)
                          Falling (p.10, 8' 21), extraits de Almost Human(Koch.., 2007)
Arvo Pärt : Fratres (p.6, 10' 35)
Osvaldo Golijov : Mariel (p.1, 7' 32), extraits de World to come(Koch.., 2003)
Michaël Gordon : Industry (p.7, 10' 19), repris sur Bang On A Can Classics(Cantaloupe, 2002)
Pour des écoutes et des videos, se reporter à l'article du 7 juin déjà mentionné.

Maya Beiser - Je n'entends pas les frontières

 

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Publié le 14 Juin 2007

(Nouvelle mise en page + illustrations sonores / Proposition du 10/06/07)  
   
An On Bast - Welcome Scissors

  Déjà présente dans la proposition du 13 mai de cette année (voir article), la polonaise Anna Suda (An on Bast, c'est elle) reçoit enfin ici la place qu'elle mérite. Welcome scissors, son premier album paru en mai 2006, révèle une compositrice majeure de la mouvance électronique, qui n'a rien à envier à Aphex Twin ou Tim Hecker. Sa pratique du piano et du chant choral depuis des années nourrit son approche du matériau électronique. Elle produit ses propres échantillons à partir d'échantillonneurs, synthétizeurs analogiques et machines à rythmes pour créer une texture synthétique fluide, harmonique, hantée de murmures, fragments de conversation, scratches, bruits divers, entre downtempo et musique abstraite. Chaque titre suit une idée sonore avec une rigueur qui n'exclut pas un lyrisme ample, comme en témoigne notamment le titre 6, un De Profundis résultant d'un collage audacieux entre fragments d'une œuvre chorale de Liszt, piano, scratches puissants et cloches : stupéfiante beauté qui transcende les oppositions entre musique romantique et musique électronique. Lors des premières écoutes, j'avais pensé à Arvo Pärt ou à Penderecki, mais Anna m'a très gentiment signalé l'origine de l'emprunt. Toute la fin de l'album est magnifique comme les fins de Radio Head ou de The Eraser, le dernier album de Thom Yorke. Nappes d'orgue déchirées de rayures, trouées de voix inconnues, rythmées de beats lancinants, tissent aux confins de l'humain une toile subtile, lumineuse. Welcome scissors ! Anna a produit un second album, Happy-Go-Lucky, en septembre 2006 : je suis sur sa piste...Elle en annonce un troisième pour l'automne : il aura pour titre "Words are dead" et incluera le superbe "Just blast", présent sur la compilation de la Red Bull Academy Music.

An on Bast/ Robert le Magnifique/ Maya Beiser :  Variations sur l'(in)humain

   Robert le Magnifique, pseudonyme d'un musicien breton, bassiste manieur de platines et de machines rytnmiques, producteur, et le duo Abstrackt Keal Agram (Tepr et My dog is gay) signent la musique de la célèbre pièce de Shakespeare mise en scène par David Gauchard. Si le titre 5, "Claudius et Gertrude", au jazz très conventionnel, ne m'enthousiasme guère, le reste de l'album tient souvent la gageure, grâce à la participation du quatuor Debussy (titre 3), du rappeur Arm, et de quelques autres. Lire l' article consacré à la conception de cette version de la pièce.
Hamlet, thème et variations est paru en 2007 chez Idwet

Le dernier volet de ces variations sur l'(in)humain est fourni par la fin de la pièce d' Eve Beglarian sur le texte d'Henri Michaux, "Je vous écris d'un pays lointain" (voir article précédent), beau contrepoint aux délicates compositions synthétiques, infra-humaines et troublantes, de An on Bast.
Eve Beglarian Extraits de Almost Human ( Koch international classics, 2006), disque de Maya Beiser, qui vient de me signaler la disparition prématurée d'Alexandra Montano dont le chant accompagnait son violoncelle. Mezzo-soprano, Alexandra faisait partie du Philip Glass Ensemble, interprétait aussi bien de la musique médiévale que le répertoire français (Ravel, Debussy, Fauré). Avant Amost Human, on peut l'entendre sur
The Witches of Venice de Philip Glass, sorti à la fin de 2006.
 

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Publié le 7 Juin 2007

Psykick Lyrikah / Maya Beiser : "C'est vers là-bas qu'on vit d'éloquence"
(Nouvelle mise en page + illustration sonore / Proposition du 03/06/07)
   Arm, Maya, le rappeur inspiré et la violoncelliste prodige, nous ramènent à la poésie, pas la mièvre, la consensuelle qui englue, non, la forte qui emporte et ravit vers "un ciel étrange dont l'éclat sera triste et rare". Au cœur des villes se creuse comme le "pays lointain" dont Henri Michaux, ce mutiné intérieur, ramenait dans les années trente du siècle passé douze lettres à l'énigmatique beauté. Deux disques qui n'ont pas peur des textes, et qui les servent avec ferveur, dans un geste d'une évidence lyrique confondante.
Le groupe rennais, composé au départ du rappeur Arm, du compositeur Mr Teddybear et de DJ Remo, s'est d'abord fait connaître dans le milieu hip-hop par une cassette de 90 minutes très soignée avant  de s'affirmer par une réussite éclatante, l'album "Des lumières sous la pluie", sorti en octobre 2004, noire et hallucinée descente aux enfers urbains servie par des textes percutants, nourris (pour le meilleur !) de références littéraires, et par une musique qui mêle scratchs, électronique, guitare dans un contrepoint foisonnant d'une incroyable puisssance d'appel. Le nouvel album pourra surprendre, mais il est bien dans la continuité de l'univers d'Arm. A l'aspect torturé, visionnaire, du précédent, visible sur la pochette et sur les visuels, répond l'image frontale du duo : ils nous regardent, d'hommes à hommes. Le sépia antérieur cède la place au noir et blanc. Plus d'accompagnement flamboyant, mais une guitare, celle d'Olivier Mellano, pour l'essentiel, pour l'émotion. Le rap d'Ar
m est l'arme du spleen, du crime poétique, car "c'est vers là-bas qu'on voit graviter les ruines" et "qu'on perdra nos styles factices". C'est un acte de dépouillement, celui d'un  homme qui "a raté quelques trains et (qui) est resté là l'air de rien", et qui découvre l'amour, malgré la ville prédatrice. "C'est ta main que je cherche dans l'élan la foudre dans la course et n'aimant que cette voix qui s'est tue.." Bouleversant titre 4, "L'aurore", inspiré du film de Murnau. "Comment faire pour atteindre l'aurore" pourrait être la question qui traverse ces textes que la guitare d'Olivier Mellano prolonge d'accents blues (le titre 6, "Rétines larges"), de rock oppressant (le titre 8, "Patience"), souvent d'accords déchirants, ciselés dans une lumière électrique au ras des mots qui consument et conjurent le quotidien mortel. La poursuite (titre 3) s'interrompt parfois, bute sur des clairières, des aveux qui sonnent justes, loin des postures d'un certain rap tonitruant (surtout truand ?) : " j'ignorais tout des paysages au calme plat / des nuages scintillants sur un ciel aux couleurs de soie ". Ce disque est un acte de courage, un face à face sans fard avec la grâce, avec les grands vides. La place d'Arm, vulnérable...
 

  

Maya Beiser Almost Human

Interprète du Cello Counterpoint de son maître et mentor Steve Reich, morceau qui figure sur You are, sorti en 2005, Maya Beiser poursuit une carrière solo éclectique et toujours passionnante. L'essentiel de son nouvel album est consacré à "I am writing to you from a far off country" une oeuvre de Eve Beglarian, compositrice qui, d'habitude, aime associer voix, électronique, samples, sur les textes d'Henri Michaux, "Je vous écris d'un pays lointain". Mais ici, juste les voix d'Alexandra Montano pour un chant en arrière-plan, de Maya qui dit le texte de Michaux et de son violoncelle, bien sûr. Le résultat est envoûtant, décalé, comme la prose de Michaux : nous sommes au seuil de l'humain, en effet, quelque part ailleurs, au bout du monde, là où "l'éducation des frissons n'est pas bien faite", où il n'y a "qu'un soleil par mois, et pour peu de temps", entre Steve Reich et Ingram Marshall, sur les nouvelles terres du lyrisme sauvage.
Almost Human est paru fin 2006 chez Koch International classics

Pour terminer :
- un site consacré à
Henri Michaux, avec la fin de "Je vous écris d'un pays lointain".
- un extrait de "cette vie est la nôtre", rhapsodie de Benoît Conort, paru en 2001 chez Champ Vallon. Entre le rap d'Arm et lui, il y a des affinités...

Benoît Conort - Cette vie est la nôtre

 

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