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Publié le 18 Décembre 2009

William Duckworth : "The Time Curve Preludes", chef d'oeuvre du post-minimalisme.

   Que voilà un cycle admirable ! Découvert grâce à l'interprétation du livre I par Bruce Brubaker (voir mon article précédent). On peut encore se procurer l'enregistrement intégral des deux livres, 24 préludes comme chez Debussy, par un autre pianiste américain, Bruce Neely : c'est un des très beaux disques du label new-yorkais Lovely Music, fondé en 1978 et consacré aux nouvelles musiques américaines. L'enregistrement initial remonte à 1979, le cd est de 1990, d'une fraîcheur extraordinaire. Rien à ajouter à l'article précédent, le second livre est aussi beau que le premier. Bien sûr, l'écoute des deux livres permet de mieux percevoir l'architecture en courbe du cycle. Tout ce que l'on peut attendre de la musique : force et douceur, limpidité et chatoiements, éclat et mystère. Quelques morceaux sont en écoute ici.

Paru en 1979 puis 1990 pour le Cd chez Lovely Music / 24 plages / 57 minutes environ
Pour aller plus loin :

En 2011, le pianiste américain R. Andrew Lee a enregistré le cycle chez Irritable Hedgehog.

-Album en écoute et en vente sur bandcamp

 
William Duckworth : "The Time Curve Preludes", chef d'oeuvre du post-minimalisme.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 janvier 2021)

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Publié le 13 Décembre 2009

Bruce Brubaker (2), défricheur des musiques d'aujourd'hui.
  Bruce Brubaker fait décidément partie de ces rares pianistes qui n'ont peur de rien, qui vont jusqu'au bout de leurs enthousiasmes musicaux. Sur hope street tunnel blues, sorti en 2007, il propose un programme qui alterne des œuvres de Philip Glass et d'Alvin Curran. Si le premier a gagné les faveurs du grand public, le second reste dans l'ombre alors qu'il est l'un des compositeurs majeurs de ce temps. De Glass, Bruce interprète une transcription de "Knee Play 4", un fragment de l'opéra Einstein on the beach", "Wichita Vortex sutra", deux morceaux typiques de ce minimaliste au lyrisme fluide, le célébrissime "Opening",  un morceau que je ne me lasse pas de réécouter, mais aussi une des très belles études pour piano, la cinquième, intériorisée et frémissante, un versant moins grand public de ce compositeur prolifique. D'Alvin Curran, Bruce retient le morceau éponyme, prodigieux, une machine à accumuler de l'énergie avant de se résoudre en fleuve irrésistible, en vrai blues lancinant. Et il se lance à nouveau dans ce monument pour piano, "Inner cities", dont il interprète cette fois, après la première pièce sur son disque précédent, la seconde, tout aussi radicale dans sa beauté  lumineuse et désolée, dans son obstinée recherche d'absolu. Plus de vingt minutes si loin des vaines agitations, si près du son originel et ultime à la fois...

Paru en 2007 chez Arabesque Recordings / 6 plages / 60 minutes environ
Bruce Brubaker (2), défricheur des musiques d'aujourd'hui.

   Fidèle à Philip Glass, Bruce Brubaker a sorti voici quelques mois un nouvel opus où il interprète ses six études dans la version originale de 1994. À écouter pour ne pas enfermer le minimaliste dans des clichés injustes ! Comme dans ses disques précédents, le pianiste en profite pour entraîner ses auditeurs vers de nouveaux continents. Cette fois,  vers un autre de ses compatriotes, né en 1943, William Duckworth, compositeur, professeur de musique à l'université de Bucknell, à qui l'on doit un superbe cycle pour piano, The Time curve preludes (1977-1978), que certains considèrent comme l'une des premières manifestations du postminimalisme. En tout cas, un grand cycle, dont nous n'avons ici que le premier livre de 12 préludes. Alors, un Debussy du postminimalisme ? Assez juste pour quelques pièces vaporeuses, lignes impalpables et clapotements. Il y a aussi du John Cage - compositeur qu'il a beaucoup étudié, dans ces pièces imprévisibles, discrètement envoûtantes, je pense au sixième prélude, carillon en boucles serrées, l'une des pièces où le titre d'ensemble se comprend le mieux, l'auditeur pris dans les filets du temps courbe. Comme des miniatures d'une extraordinaire fraîcheur, labiles, des truites qui s'échappent dans les éclaboussures, éblouissantes et rieuses.

Time Curve (Musique de Philip Glass et William Duckworth)

Paru en 2009 chez Arabesque Recordings / 18 plages / 70 minutes environ
Pour aller plus loin
- mon article précédent consacré au pianiste, le 19 novembre.
- une vidéo où Bruce montre comment il "prépare" son piano pour jouer la musique de William Duckworth.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 janvier 2021)

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Publié le 3 Mai 2023

William Duckworth - The Time Curve Preludes (Emmanuele Arciuli + Costanza Savarese)

   Considérés par le compositeur et critique musical Kyle Gann comme la première œuvre post-minimaliste, les Time Curve Preludes de William Duckworth (1943 - 2012) ont peu à peu acquis la renommée qu'ils méritent. Ces vingt-quatre petites pièces pour piano, composées en 1977 et 1978, ont été crées en 1979 par le pianiste Neely Bruce, intégrale enregistrée chez Lovely Music la même année. Bruce Brubaker, pour lequel le compositeur écrivait un concerto pour piano dans les derniers mois de sa vie, donna une belle version des douze premières en 2009 chez Arabesque Recordings. En 2011, le pianiste R. Andrew Lee a enregistré le cycle chez Irritable Hedgehog. Trois interprétations par trois pianistes américains importants, et d'autres sans doute qui m'ont échappé, témoignent de l'attraction exercée par ce cycle, devenu au fil des ans un classique. À juste titre !

William Duckworth - The Time Curve Preludes (Emmanuele Arciuli + Costanza Savarese)
William Duckworth - The Time Curve Preludes (Emmanuele Arciuli + Costanza Savarese)William Duckworth - The Time Curve Preludes (Emmanuele Arciuli + Costanza Savarese)
Emmanuele Arciuli

Emmanuele Arciuli

   C'est au tour d'un pianiste européen, l'italien Emmanuele Arciuli, familier des œuvres de Georges Crumb, Philip Glass, Lou Harrison ou Frederick Rzewski, de proposer sur ce disque paru voici peu chez Neuma Records son interprétation des douze premières pièces. Une interprétation qui n'a rien à envier à celle de ses prédécesseurs. Le piano est enregistré de plus près, plus mat que chez Neely Bruce. Le parti-pris d'un toucher très analytique, les notes bien détachées alors que chez Nelly ou Bruce elles sont plus enchaînées, donne des lectures à la fois équilibrées et d'une grande luminosité. Dans le prélude VI, un des préludes ineffables du cycle, on entend, par différence, que Neely joue sur le tapis des harmoniques, que Bruce accentue le pendulum enivrant de la pièce, tout en la ralentissant suavement, tandis que Emmanuele choisit de creuser les contrastes pour donner le sentiment d'une rigueur quasi mathématique tout à fait envoûtante ! Bruce plonge le prélude VII dans une brume languide, Neely en fait sonner les dissonances ; Emmanuele ôte la brume, donne à la pièce son côté boogie woogie détourné par Satie. Sous ses doigts, le VIII étincelle mystérieusement, assez loin de Bruce et de son rubato alangui (2'50 - au demeurant magnifique !), plus proche de la grâce légère de Neely. Je ne poursuis pas une comparaison très partielle. Cette nouvelle version a ses caractères propres, qui la rendent aussi attachante que les "anciennes".

   Dans l'ensemble, il se dégage de l'interprétation de Emmanuele Arciuli un sentiment de grande paix radieuse, ce qui n'exclut pas une belle énergie dans les préludes les plus nerveux.

Un titre en cache un autre...  

   Le titre de l'album ne laisse pas prévoir une jolie surprise, celle de découvrir un petit cycle de mélodies (soprano et piano) du même compositeur, titré Simple Songs About Sex and War, sur des paroles du poète américain Hayden Carruth (1921 - 2008) : cinq pièces entre un peu moins de deux minutes et un peu plus de trois pour environ quatorze minutes au total. On y retrouve le même pianiste pour accompagner la soprano italienne Costanza Savarese, par ailleurs guitariste classique internationalement reconnue et artiste interdisciplinaire.

Costanza Savarese

Costanza Savarese

   Ce cycle est la dernière œuvre composée par William Duckworth. Cinq pièces délicieuses ! Sur la première, "Six O'clock" Costanza Savarese chante d'une petite voix pointue, mutine. La langoureuse "If Love's No More" permet à la voix souple de la chanteuse de donner toute sa mesure. Je pensais parfois à Kate Bush en l'écoutant. On n'est pas loin des chansons de cabaret, entre gouaille et dramatisation affectée, sur des mélodies superbes, parfois avec d'audacieuses ruptures de ton, comme sur "The Stranger", la quatrième. La dernière, "Always or the Children or Whatever", est empreinte d'une nostalgie magnifique. Quel beau testament musical !
   Un disque admirable servi par de brillants interprètes.

 

Paru en février 2023 chez Neuma Records / 17 plages / 45 minutes environ

Pour aller plus loin

- disque en écoute et en vente sur bandcamp :

ma

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Publié le 28 Avril 2021

Lois Svard - With and without memory

Le Temps fragmenté est tout le Temps

[ Reparution d'un article de juillet 2012, en raison de son intemporalité pianistique et de son importance !  ]

    Cela faisait un moment que je voulais revenir vers la pianiste américaine Lois Svard, dont le disque Other Places, consacré à des pièces d'Élodie Lauten, Jerry Hunt et Kyle Gann, devrait figurer dans les discothèques  de tous les amoureux du piano. Pianiste rare, elle a peu enregistré, mais, à l'instar d'une Sarah Cahill, met son talent au service des meilleures musiques contemporaines. Elle passe aisément de Franz Liszt au piano préparé, participe à des créations multimédia. Dans ce disque paru en 1994 chez Lovely Music, elle interprète des pièces de "Blue" Gene Tiranny, William Duckworth et Robert Ashley. Une manière de nous proposer trois entrées différentes dans les musiques d'aujourd'hui.

   "Blue" Gene Tiranny est un compositeur d'avant-garde, pianiste, né en 1945. Il interprète d'habitude ses propres compositions, aussi est-ce une première d'entendre une autre jouer sa musique. Il a participé à des enregistrements avec Laurie Anderson, John Cage, mais aussi Carla Bley. Son style, s'il emprunte au jazz sa fluidité versatile, son aspect improvisé, est extrêmement élaboré, parfois rythmiquement complexe, à d'autres moments presque impressionniste. C'est son nocturne éponyme qui ouvre l'album de Lois Svard : une belle méditation éclatée en fragments tour à tour brillants et évanescents, aux limites parfois de la dissonance. Des fragments qui se souviennent ou pas du précédent, selon une logique souterraine qui donne à l'ensemble un aspect intriguant. La pièce ne se livre pas facilement, fantasque et sévère, ramassée et soudain détendue en éclats vifs, en à-plats désamorçant tout lyrisme intempestif. Encore un compositeur à mieux découvrir...

   La seconde composition est de William Duckworth, l'auteur d'un autre cycle majeur, splendide, les Time Curve Preludes, dont j'ai chroniqué l'interprétation par Bruce Brubaker. Les neuf Imaginary Dances, dont la plus longue n'atteint pas les trois minutes, rappellent immédiatement à l'oreille cet autre ensemble. Allègres, dynamiques, elles enferment l'auditeur dans un réseau serré de motifs issus du jazz, du bluegrass, mais aussi de musiques médiévales ou orientales, nous dit la pochette très renseignée de l'album. La numéro cinq, la plus courte, moins d'une minute, est un miracle de grâce transparente. La six décline de manière solennelle et répétitive le thème central du cycle, souvenir des Time Curve Preludes. La sept, très jazzy, s'amuse à le bousculer, à flirter avec le bastringue, tandis que la huit avance sur des miroirs brisés. Le cycle s'achève sur la touche à peine élégiaque de la dernière dance, qui se courbe pour s'arrêter sur un long silence.

   La dernière entrée est pour moi une surprise. Il m'est arrivé d'écouter des fragments d'œuvres de Robert Ashley : je restais impassible, extérieur. La rencontre n'avait pas encore eu lieu avec cet autre américain né en 1930, compositeur de musique électronique, d'opéras et de nombreuses pièces hybrides utilisant le multimédia. Il n'en est pas de même pour les presque trente-huit minutes de cette "Van Cao's Meditation". Le choc est rude, avec ce monolithe qui rumine dans la durée une ligne de notes au relief marqué : jeu fascinant de reprises, d'amplifications qui prennent tout leur relief du silence qui entoure chaque bloc. L'impression que tout recommence, qu'il faut toujours recommencer pour espérer aller plus loin : Sisyphe au piano, mais un Sisyphe qui saurait varier sa route vers les sommets, ménageant pauses et détours, ajoutant sa touche à chaque remontée, affirmant ainsi sa liberté en dépit du cadre contraint. Une manière se suggérer l'infini dans le fini, chaque nouveau segment ayant tendance à s'allonger, à devenir un prisme fascinant, à la fois autonome et chargé de réminiscences. Un pièce magistrale, inépuisable...

   Le tout est porté par le jeu précis, lumineux, de Lois Svard qui sculpte chaque contour avec fermeté et une sereine aisance. On comprend que Robert Ashley ait écrit "Van Cao's meditation" pour elle. Ajoutons que le tout est présenté par Kyle Gann, critique musical et compositeur talentueux.

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Paru en 1994 chez Lovely Music / 3 titres - 11 pistes / 66 minutes environ.

Pour aller plus loin

- le site personnel de Lois Svard

- "Van Cao's Meditation" en écoute intégrale :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 avril 2021)

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Publié le 23 Juillet 2015

Michael Mizrahi - The Bright Motion

   Le pianiste Michael Mizrahi, un des membres fondateurs de l'Ensemble NOW,  a rassemblé dans ce disque paru en 2012 des pièces pour piano solo composées entre 2008 et 2011, certaines composées spécialement pour le pianiste, et deux pour cet album. Il précise dans le livret que, si le piano a pu sembler moins en faveur à la fin du vingtième siècle - ce qui me paraît assez discutable - il a retrouvé toute sa place, paraissant particulièrement apte à servir les nouvelles musiques, ce à quoi les lecteurs de ce blog ne peuvent qu’acquiescer en raison du nombre d’articles consacrés à la musique contemporaine pour piano dans ces colonnes.
   "Unravel" (2010) de Patrick Burke joue avec une cellule de trois notes répétées, reprises en écho, prolongées d'arpèges qui s'effilochent en belles traînées brillantes, tournent et cascadent jusqu'à ce que des notes graves reprennent le fil, donnent à la pièce une forte allure tout en contrepoints martelés entre aigus et graves. Une chevauchée haletante se développe, puissante, pour revenir au motif initial, repris en boucles avant une résolution lumineuse et calme. Je ne sais pas pourquoi, n'ayant pas avec moi mes disques, l'atmosphère m'évoque celle des compositions de Peter Garland. Un beau début de disque, en tout cas !

   "Computer waves" (2011) de William Britelle, compositeur de musique électro-acoustique installé à Brooklyn, est une sorte de mouvement perpétuel très animé, virtuose, une série de vagues qui se résorbent en goutelettes avant une accalmie, un ralenti élégiaque, puis une reprise énergique et syncopée.

   Le titre éponyme de Mark Dancigers (Extraits de ces œuvres ici), en deux parties (2007 pour la II, 2011 pour la I), est à mon sens le sommet de l'album, le plus long aussi avec plus de dix-huit minutes. La première est vaporeuse, aérienne et gracile, mais les graves et les mediums la rendent plus sérieuse, rêveuse. Des accords arpégés se succèdent, tantôt dans les aigus, tantôt dans les autres registres. Jeux d'eaux subtils, frémissants, qui élèvent une muraille de plus en plus impressionnante d'où s'échappe ensuite une sublime mélodie. On revient au thème initial, approfondi, décanté, avant une nouvelle avancée mélodique solennelle et magnifique, plusieurs fois reprise et prolongée d'un friselis délicat dans les aigus. "The Bright Motion I" est décidément une splendeur. La deuxième partie ne déçoit pas. Commencée sur le friselis de la première, elle avance d'abord par une série d'hésitations, prend une tournure presque orchestrale, écartelée entre des aigus virtuoses et des basses profondes, en un long crescendo qui cède la place à un moment plus calme, facétieux dans les aigus, mais aussi à nouveau puissant dans les médiums : éblouissant moment de piano qui, comme par une pirouette, nous dépose sur le sable de nos rêves enfouis.

   Premier mouvement en écoute ci-dessous :

   Les "Four pieces for solo piano" de Ryan Brown sont quatre quasi miniatures explorant surtout le registre aigu du piano, avec quelques incursions dans les médiums. Petits bijoux surprenants, prenants, qui tirent des feux d'artifice délicats, amusants, dansants même. Il y a beaucoup d'humour dans ces piécettes aussi rafraîchissantes que mystérieuses !

   "Faux Patterns" (2010) de John Mayrose se situe quelque part entre Morton Feldman et William Duckworth, gravitant gravement autour de deux notes dans une atmosphère brumeuse. Moment magique, hors du temps...

  Le programme se termine avec la "First ballade"(2008) de Judd Greenstein, membre actif de l'Ensemble NOW. Une cellule répétée de quatre notes bute sur une note isolée, tenace, s'augmente et se fragmente : tourbillons, les graves se déchaînent, les médiums cavalcadent, la pièce coule alors avec une belle évidence, se développe en une longue phrase mélodique colorée, animée de grondements sourds, aérée par des moments plus doux avant de reprendre un cours labile et de se résoudre en quelques calmes accords.

   Un très beau programme pour se réconcilier avec la musique contemporaine, beaucoup plus audible qu'on ne le dit quand on prend le temps de sortir des chapelles "intégristes" qui ont tant fait pour sa déplorable image.

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The Bright Motion, paru  en 2012 chez New Amsterdam Records / 10 pistes / 52 minutes environ.

Pour aller plus loin :

- l'album en écoute sur bandcamp (où l'on ne trouve que la version numérique à télécharger ; pour le vrai cd, passez par les plate-formes habituelles, le disque est disponible) :

Le pianiste Michael Mizrahi

Le pianiste Michael Mizrahi

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 9 août 2021)

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Publié le 2 Janvier 2022

Yvar Mikhashoff
Yvar Mikhashoff

Yvar Mikhashoff

Hommage à Yvar Mikhashoff

   Comment ai-je découvert le pianiste Yvar Mikhashoff (1941 - 1993) ? Après sa mort, en 1995, avec deux disques marquants. Précisons tout de suite que je n'ai aucunement l'intention de retracer sa biographie, que vous trouverez ailleurs. Mon hommage rassemble quelques disques qui me semblent toujours mériter le détour, quelques disques qui témoignent de son talent, de sa curiosité, de son engagement auprès de nombre de compositeurs dont il fut l'ami. Il fut le constant défenseur de la musique nouvelle et des œuvres méconnues. En 1995, le label américain mode records sort un disque qui rassemble trois pièces d'Alvin Curran, compositeur américain aujourd'hui résidant à Rome : un des grands disques pour piano de la fin du XXe siècle. On y trouve Schteti Variations I, longue « œuvre de pure imagination fantasque » selon Alvin, composée à partir d'une vieille berceuse yiddish, Rosinen une Mandeln, à la mémoire de Morton Feldam. Pour moi, il était clair que le disque ne me quitterait plus. On y trouve ensuite For Cornelius (1982, révisé en 1990), à la mémoire du compositeur britannique Cornelius Cardew, décédé en 1981. Une pièce éblouissante, jouée merveilleusement par Yvar, pièce qui n'est pas sans lien avec le second disque dont je vais parler. D'un seul bloc, mais en deux temps distincts : à la première partie séduisante, mélodieuse, dans l'esprit de Satie, répond une seconde partie grandiose, ravageuse, à base de notes répétées martelées. Inoubliable ! Puis The Last Acts of Julian Beck (1985), en trois parties, « "à la mémoire" d'un ami cher, révolutionnaire utopien, et cofondateur du Living Theater (le "théâtre vivant") », calmes méditations minimales écrites spontanément : une splendeur méditative. À part For Cornelius, rien sur les plates-formes d'écoute, ce qui rend le disque encore plus nécessaire !

Hommage à Yvar Mikhashoff

    La même année 1995 sort chez New Albion Records un choix de dix-neuf tangos sous le beau titre Incitation to Desire. Yvar collectionnait les tangos. Entre 1983 et 1991, il a commandé pas moins de 127 tangos pour piano seul à 127 compositeurs du monde entier, tellement il connaissait de monde, et tellement cette danse lui plaisait ! Ces enregistrements sont parmi les derniers effectués par le pianiste avant sa mort précoce du sida. Ce disque n'intéresse pas que les amateurs de tango, car il montre que la dénomination "tango" souffre à peu près tous les tempéraments ! Une incroyable traversée de la musique contemporaine : à vous de découvrir ces perles rares ! [Depuis, en 2019, le label Naxos a publié un autre choix de 18 tangos inédits sous le titre Tangos for Yvar, par la pianiste biélorusse Hanna Shybayeva.] En illustration sonore de Incitation to Desire, un tango d'inspiration minimaliste de William Duckworth.

Hommage à Yvar Mikhashoff

   « J'ai commencé à transcrire des opéras au cours de l'été 1991. Ce qui me poussa à m'y plonger si profondément provint d'une nécessité. John Cage avait écrit son Europera 5 pour moi au printemps de cette année-là (...) dans cette œuvre, je devais jouer six extraits d'opéras, trois presque inconnus et trois très connus. » écrit Yvar dans le livret accompagnant le double album Opera sorti en 2006, à nouveau chez mode records. Nécessité fait loi, Yvar se lance alors dans la transcription, avec la volonté de « faire emploi de tout le registre du piano, élargissant l'éventail du morceau dans les aigus comme dans les graves. » Le premier disque regroupe les Anciens (The Traditional) : Puccini, Bellini, Verdi et à nouveau Puccini. Le second aborde les modernes : Debussy, Berg,  et deux compositeurs encore vivants à ce moment-là, Syvano Bussotti (1931 -  mort depuis en 2021) et Kevin Volans (né en 1949). Pas facile de vous trouver une illustration originale, en dehors des grands classiques...Allez, va pour Casta Diva de Bellini, aria qu'il a varié dans le style de Chopin, l'opéra ayant été écrit en même temps que les premiers nocturnes de Chopin, fait-il remarquer dans ses notes...mais ce n'est pas sous les doigts d'Yvar, je le regrette.

Hommage à Yvar Mikhashoff

   Le 19 mai 1984 de quinze à vingt-deux heures, Yvar Mikhashoff joue soixante-dix compositions couvrant soixante-dix années (1914 - 1984) en sept heures, lors du Great American Piano Marathon à Broadway. Peut-être inaugure-t-il une pratique qui a aujourd'hui la faveur de bien des jeunes pianistes : celle des concerts fleuves, énormes, pouvant durer jusqu'à plusieurs jours d'affilée. Yvar a organisé plusieurs marathons de ce type. Un coffret de quatre cds parus chez mode records, sa maison de prédilection, prolonge et enrichit la collection d'œuvres alors exécutées, car le panorama est même un peu élargi, jusqu'en 1991, tout en restant chronologique. C'est une mine ce coffret, le régal des fouineurs, dont je ne pourrai vous donner qu'une mince idée, tant le choix d'extraits sur les plates formes est limité. Pensez : 48 compositeurs, 62 compositions, plus de quatre heures et demi de piano, et quel ! Je vous propose Solo de Lukas Foss (1922 - 2009), compositeur américain né à Berlin, qui étudia le piano au Conservatoire de Paris entre 1933 et 1937 avant de partir pour les États-Unis où il s'installa.

Hommage à Yvar Mikhashoff

   En 1991, le label New Albion Records publie un disque consacré à Virgil Thomson (1896 - 1989), américain qui étudia la composition à Paris avec Nadia Boulanger et fut influencé lors d'un second séjour parisien de 1925 à 1940 par le Groupe des Six. Plus tard il devint un compositeur de référence, souvent associé à Aaron Copland. Yvar le connut bien. Les pièces qu'il interprète sont de courtes mélodies avec la soprano Martha Herr, le percussionniste John Boudler et le trompettiste David Kuehn sur certaines d'entre elles. Pièces légères, facétieuses, pleines de vie, loin de toute rigidité académique. Beaucoup de portraits miniatures saisis sur le vif. En illustration sonore, une ravissante "Valse gregoienne"(sans "r", mon correcteur n'est pas content) chantée en français...

   Outre cette sélection, vous trouverez chez mode records des disques consacrés au grand ami d'Yvar, John Cage, un autre aux mélodrames de Richard Strauss

En complément :

- le disque consacré à Alvin Curran en écoute et en vente (numérique seulement) sur bandcamp

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Publié le 5 Novembre 2013

Minimalist Dream house : à l'auberge Labèque.

   Les fausses jumelles du piano, Katia et Marielle Labèque, ont voulu fêter à leur manière le cinquantenaire du courant minimaliste, si représenté dans ces colonnes. Elles ont repris le titre des concerts donnés par LaMonte Young dans le loft de Yoko Ono en 1951. Sans aucunement prétendre à l'exhaustivité, elles ont rassemblé en trois cds œuvres connues et moins connues de ce mouvement capital, surtout anglo-saxon - elles se cantonnent d'ailleurs pour l'essentiel à ce seul domaine -  qui a aussi essaimé en Europe, notamment aux Pays-Bas (voir par exemple Simeon ten Holt, Douwe Eisenga  ou Peter Adriaanz), en Belgique (avec l'incontournable Wim Mertens), mais aussi en France (retour aux sources si l'on accepte l'idée qu'Erik Satie, dans ses "Vexations", en serait le lointain fondateur), avec l'injustement méconnu Frédéric Lagnau ou encore Éliane Radigue (article à venir, à écrire !!!), et j'en oublie comme me le feront remarquer certains lecteurs, auxquels je répondrai que ça viendra sans doute, ce blog étant en expansion...comme l'univers !

   Difficile de rendre compte point par  point. Disons que je ne partage pas une partie des choix : ne comptez pas sur cette anthologie pour découvrir le meilleur de cette constellation, c'est d'abord un choix très personnel, et donc discutable, sans doute guidé en partie par la volonté de montrer comment le minimalisme transpire un peu partout aujourd'hui encore. Bien sûr le minimalisme est influencé par le jazz, le rag-time, mais préférer la complexité rythmique ou la virtuosité comme les sœurs l'affichent dès les peu enthousiasmants "Four movements for two pianos" de Philip Glass, c'est à mon sens passer à côté de l'essentiel. Car le minimalisme, par sa tendance à l'abstraction, ses préférences pour les lignes, boucles, est bien meilleur lorsque tourné vers l'intériorité, la lente et obstinée recherche d'une extase. À tout prendre, les choix effectués par le pianiste néerlandais Jeroen Van Veen dans ses deux coffrets consacrés au minimalisme sont plus pertinents, parce qu'ils cernent bien une radicalité occultée ici au profit de la dimension démonstrative. Qu'on écoute du même Philip Glass le superbe "In again, Out again"...la vidéo n'offre que la première moitié...

Philip Glass, au meilleur de son inspiration...

   Le choix des "Water dances" de Michael Nyman pour terminer le cd 3 n'est guère plus probant : musique creuse, à la limite du grotesque, comme il arrive trop souvent à ce compositeur heureusement plus convaincant lorsqu'il écrit d'intrigantes musiques de films pour Peter Greenaway. Autre moment assez faible, "Hymn to a great city" d'Arvo Pärt, une pièce que je préfère oublier, insignifiante pour un admirateur du grand Arvo comme moi..."Experiences I" de John Cage n'est pas non plus de la meilleure veine, même si sa ligne capricieuse, sinueuse comme une mélodie chinoise, n'est pas sans charme.

    Alors, allez-vous me dire, après un tel éreintement  ?? Partiel, notez-le bien...  

En effet, le choix de petites pièces d'Howard Skempton, compositeur britannique et accordéoniste né en 1947, est déjà beaucoup plus stimulant. Son écriture, sobre et dense, nous vaut des joyaux intimistes parfois non dénués d'humour. Les "Nocturnes" et les "Images" sont souvent magnifiques, là je tire mon chapeau pour ces belles découvertes. Je salue également la présence de William Duckworth (1943 - 2012), compositeur américain présent à travers une sélection de son chef d'œuvre, The Time Curve Preludes : sélection, hélas, qui ne permet pas de suivre la rigueur du développement des vingt-quatre pièces du cycle, magistralement interprété ailleurs par Bruce Brubaker

   J'écoute le prélude 5 des "Images" (1989) de Skempton, et c'est à tomber.

   Ce n'est pas tout. Les deux sœurs, sur les cds deux et trois, s'entourent de trois musiciens. Le chanteur, guitariste, bassiste David Chalmin, le pianiste et claviériste Nicola Tescari, le percussionniste Raphaël Séguinier, qui manient tous les trois les sons électroniques, viennent renforcer les deux pianistes pour d'une part une interprétation de pièces de pop-électro de Brian Eno, Radio Head ou Suicide : j'aime bien la version très jungle de "In Dark Trees" de Brian, la délicate et émouvante "Pyramid Song" par Katia au piano et David au chant, la folie opaque de "Ghost Rider" de Suicide. On trouve aussi sur le cd 2 deux compositions de Nicola Tescari : "Suonar Rimembrando", d'après une chaconne de Tarquinio Merula, élégiaque et vibrante, vraiment superbe ; "En 4 Parenthèses", étonnant collage de climats sonores travaillés.

   "Gameland" de David Chalmin allie passages intimistes et envolées orchestrales évocatrices des orchestres gamelans indonésiens, le tout transcendé par une frénésie réjouissante. "Free to X" de Raphaël Séguinier est une étude pour percussions assez impressionnante, très tenue, tendue, sur un environnement sonore dense et saturé. Bref, que du bon de ce côté !

   J'ai gardé pour la fin le morceau des connaisseurs, la cerise sur l'anthologie. Une nouvelle version de "In C", la mythique composition de Terry Riley, l'un des papes du minimalisme. Cette pièce pour ensemble libre de 1964 ne cesse d'être reprise. L'une des dernières fois, c'était par le Salt Lake Electric Ensemble en 2010. Si l'on considère les soixante-seize minutes et vingt secondes de la version du vingt-cinquième anniversaire parue chez New Albion Records en 1995 (le concert enregistré date, lui, du 14 janvier 1990), il s'agit d'une version courte de seulement un peu plus de vingt-huit minutes, mais cette durée n'est pas exceptionnelle non plus. En tout cas, c'est une interprétation à la fois puissante, colorée, subtile même avec des percussions variées, de la grosse caisse à des sons métalliques d'une grande finesse, des sortes de glockenspiel qui donnent à certains passages le parfum oriental indispensable à toute bonne version. Les sœurs et leur groupe réussissent à la fois à rendre la complexité des textures, une densité foisonnante, et une profondeur étonnante : voilà une version qui ne manque pas d'air, parcourue par des vents pulsants et des effets de transparence rafraîchissants.

   En somme, trois cds inégaux, mais suffisamment riches en belles surprises pour valoir le détour...même si l'auberge des sœurs n'est pas espagnole !!

...un dernier mot : je sais bien que le minimalisme vient d'Outre-Atlantique, mais je ne vois là aucune raison valable pour nous assener encore une pochette et un livret monolingue en anglais. Les livrets bilingues, trilingues, ça existe, non ??? Pas d'économie pour occulter une langue, la nôtre !

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Paru chez KML en 2013 / 3 cds / 19, 12 et 6 pistes / 56', 48' et 57'

Pour aller plus loin

- Katia, Marielle à la Cité de la Musique, en février 2013, présentent le projet.

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 juillet 2021)

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Publié le 28 Mars 2023

William Fowler Collins - Hallucinating Loss

William Fowler Collins, né en 1974, est un compositeur installé dans la compagne au Nouveau-Mexique. Sa musique se situe quelques part entre une ambiante sombre, une forme de néo-classicisme à base de drones. Il a déjà collaboré avec Daniel Menche sur l'album split (2014) , Il présente son nouveau disque comme une méditation sur la douleur, la perte et le chagrin. "Opening scene" explose, gerbe de drones vibrants. Pas question d'en rester aux affects premiers. Une musique cinématographique, nous dit-on. Des affects médiatisés, projetés sur une scène grandiose.

William Fowler Collins - Hallucinating Loss

     "Death acquires A Different Meaning", second titre, revendique ce changement : "la mort acquière un sens différent". Les plaintes de Johanna Hedva trouent le ciel, entendit-on jamais de telles pleureuses ? Des plaintes aux imprécations, il n'y a pas si loin. Ces voix qui se croisent dans le lent tournoiement d'une draperie synthétique échappent aux catégories, dépassent les peines initiales, pour atteindre un niveau cosmique, d'où peut-être le titre de l'album, Hallucinating Loss. L'hallucination dépayse, agrandit. "Interpreting Nightmares" est un titre hanté, d'une abyssale noirceur, dans la déflagration incessante de drones effrayants, de déchirures lancées à toute allure dans les ténèbres, le violoncelle tel un guetteur imperturbable au milieu des visions. C'est donc une musique authentiquement sublime, dans les hauteurs. L'harmonium de "Return Visit" oscille en pleine lévitation tandis que Maria Valentina Chirico plafonne à ses côtés (c'est elle qui joue de l'harmonium). La seconde partie du titre est le retour proprement dit, sous la forme d'une poussée sourde accompagnée d'un grondement encore plus sourd. On retrouve la voix de Maria Valentina Chirico sur le titre suivant, d'abord réduit à un sifflement intermittent sur fond de drones, lequel devient peu à peu une mélopée hyper élégiaque, je veux dire distante, avec l'alto stratosphérique. La voix n'est plus qu'une trace archangélique cerclée par le violon ou l'alto en mouvements suaves. C'est une merveille d'ambiante anthracite, synthétiseurs altiers, souverains, puis un battement comme de tambours transforme la pièce en crescendo soufi. Nous étions pourtant prévenus par le titre, "Preliminal Rites". Plus rien n'existe que cette frénésie battante, d'ailleurs absorbée par le sous-bassement de drones. Il ne reste qu'un tournoiement grave, pour nous enlever définitivement !

  Le titre éponyme, le dernier, revient à un calme relatif, tout bouillonnant de drones comme un chaudron surchauffé, le violoncelle fondu dans la masse. Comme si la douleur enfermée ne pouvant sortir se mettait à muter, à lever, à se jouer une partition spectaculaire, fabuleuse, avant, épuisée par l'effort, de s'affaisser dans des gargouillis répétitifs sombres, hébétés, stupéfiés par l'intensité de la perte.

   Un disque fort, dramatique, avec de très belles envolées.

Très belle couverture de Claudia X. Valdes

Paru en septembre 2022 chez Sicksicksick Distro / Wertern Noir Recordings / 6 plages / 45 minutes environ

Pour aller plus loin

- peu de choses sur les plates-formes à vous faire écouter pour ce disque-ci. J'ai placé un renvoi à un autre disque de William Fowler Collins, Tenebroso (2012) en toute fin d'article. Très beau disque !

- disque en écoute et en vente sur bandcamp :

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Ambiante sombre, #Drones & Expérimentales