guitare(s)

Publié le 4 Avril 2025

Primož Bončina & Phil Maguire - Stone and Worship
Pierre et Adoration !

   Beau titre pour un disque constitué de quatre massives pièces entre quinze et presque vingt-et-une minutes. Le compositeur slovène Primož Bončina manie la guitare électrique en s'intéressant à ses possibilités tonales et spectrales, jouant sur l'amplification et des sons prolongés, dans un esprit inspiré notamment par la musique électronique minimaliste et ses expériences de musique Métal. Phil Maguire, lui, musicien écossais installé à Cork en Irlande, produit de la musique électronique à l'aide de synthétiseurs et d'ordinateurs. Leur intérêt commun pour les musiques à bourdons (drones) débouche sur ce disque enregistré d'abord dans la cave d'un ancien séminaire catholique, lieu propice à la méditation et à tous les phénomènes de halo, de résonance, puis enrichi d'arrangements et des contributions de deux chanteurs sur les deux premiers titres.

Primož Bončina & Phil Maguire

Primož Bončina & Phil Maguire

   Le premier titre "Dolorosa" est marqué par la contribution vocale de Golem mécanique, dont je viens de chroniquer le dernier album Siamo tutti in pericolo. Mille-feuilles de sons tenus et de bourdons, cette pièce plonge l'auditeur dans une atmosphère gothique tout à fait grandiose, illuminante. La(les) voix de Karen Jebane (Golem mécanique) incante(nt) une tapisserie grondante aux dérapages tonals renversants. Lorsque la guitare rentre en jeu, elle enflamme peu à peu cette dernière, soulevée de mouvements intérieurs, et l'incendie couve, l'orage menace, les métaux fondent, des épées flamboyantes et floues zèbrent les ténèbres boursouflées, contrepoint prodigieux à la voix de Karen, d'une pureté hors d'atteinte. "Dolorosa" signe l'émergence d'un hybride farouche de Métal épais, d'électronique bouillonnante pour une messe d'apocalypse.

   "(Vangelis) Acolyte" se tient d'emblée très haut, orgue cristallin et bourdons vrillés, cernés de textures épaisses : la voix de Dylan Desmond (du groupe de Métal doom Bell Witch) démultipliée, vient s'y percher au milieu de nappes de résonances. Les claviers introduisent un élément mélodique parmi ces nuages de sons tenus que la guitare déchire à grandes griffures métalliques. Les fréquences modulées donnent à la pièce une dimension spectrale : les timbres sont brouillés, les sons perçus comme à travers un voile. C'est pourquoi cette musique prend une dimension mystique, favorisée par la résonance religieuse du chant de Dylan que l'on imagine très bien dans de vastes grottes éclairées par des torches fumeuses plongeant la "scène" dans un clair-obscur nébuleux. Quelle cérémonie d'une grandeur funèbre y célèbre-t-on  ? Le titre pourrait nous amener à penser que la pièce est en hommage (indirect) à Vangelis (Evángelos Odysséas Papathanassíou, 1943 - 2022), grand maître des claviers : sous réserve.

  La pièce finale, sur deux pistes pour presque trente-deux minutes, réussit le tour de force d'être à la fois d'une force et d'une épaisseur incroyables, et en même temps d'une tessiture parfois diaphane. Pierre et adoration, pleinement, l'adoration transcendant les matériaux portés à incandescence explosive. Après "Movements in dust" (Mouvements dans la poussière), "Megalithic Fountain" (Fontaine mégalithique) est un déferlement sonore de métal en fusion, la guitare enchâssée dans le magma électronique aux immenses traces rageuses pour une immense explosion au ralenti en boucles lentes de plus en plus lacérées, déchiquetées...

   Rien à vous proposer hélas en illustration sonore : une trop courte vidéo sur une plateforme bien connue. Mais il y a le Bandcamp ci-dessous pour vous immerger...

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Un disque d'une splendeur noire, abyssale et terminale.

Paru en mars 2025 chez Cloudchamber Recordings (?) / 4 plages / 1 heure et 12 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur Bandcamp :

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Publié le 18 Novembre 2024

Christopher Colm Morrin - Sketches 1-17

Sketches ? Ce sont dix-sept archives sonores accumulées par Christopher Colm Morrin, artiste multidisciplinaire de Dublin (Irlande), expérimentant avec une guitare et quelques pédales. Des esquisses, des croquis, « témoins de l'immobilité et de l'attention » pour permettre aux choses « de prendre le temps qu'elles prennent » comme l'écrit la poétesse Mary Oliver.

Christopher Colm Morrin, par © Karolina Spolniewski

Christopher Colm Morrin, par © Karolina Spolniewski

Ébauches du Transitoire infini...  

    La première esquisse dure dix-huit minutes trente. Christopher Colm Morrin prend le temps de saisir ce qui vient. La pièce développe sur un léger bourdon continu des accords, des griffures de guitare, repris en boucles, étirés. La musique flotte au gré des scansions rythmiques imprimées par la guitare à ce flux fragile. Douce somptuosité, qui s'approfondit de passages plus texturés, pendant lesquels les lignes ondulent dans un nuage d'harmoniques. J'étais conquis !

 

   Prêt pour cette longue odyssée sonore, car il y a quelque chose de maritime dans ces compositions dérivantes, enveloppées de lumières un peu troubles. On dirait parfois des sillages se mélangeant peu à peu à l'océan, ou bien des émergences de rêves, qui se maintiennent à peine au fil du réel, guettées par la disparition. L'esquisse six est l'une des merveilles de cet album. Carillonnante, elle flamboie dans un brouillard de réverbérations, animé d'une sourde pulsation, et se vaporise dans un long embrasement.

La guitare transfigurée...

    L'une des beautés de ce double album, c'est la transfiguration de la guitare, reconnaissable par exemple au début  de l'esquisse sept avec ses accords hésitants, puis totalement autre grâce aux pédales (sans doute, aucun autre instrument n'est mentionné...), devenue comme un synthétiseur ou un orgue, ou encore comme un vibraphone éthéré.

   L'autre longue pièce, la 9 (plus de seize minutes), est dans sa première partie une splendeur stratifiée de bourdons micro-saccadés et de guitare rauque, épaisse, trouée d'un bruit de pas avant une extraordinaire remontée en puissance comme le suivi de pales d'hélicoptère et un foisonnement grandiose de girations : Apocalypse, now ! Une coda majestueuse en façon de comète traçante termine cette composition magnifique.

   L'esquisse 11 démultiplie les résonances de la guitare, rayonnante et coupante, devenue presque guimbarde. De titre en titre, Christopher Colm Morrin esquisse des paysages lointains souvent sublimes, empreints d'un calme majestueux, auxquels des fulgurances, des envolées, de lentes volatilisations et métamorphoses donnent une dimension fabuleuse, comme en 13, des mouvances moelleuses se transformant en rayonnements cosmiques habités par des voix spectrales. Toute la fin est d'ailleurs d'une renversante beauté, à commencer par l'esquisse 14, esquif lancé dans l'espace, que de courtes mélodies incantent au cours d'une navigation dissolvante.

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Dix-sept nocturnes pour guitare nimbée : de quoi enluminer toute la Nuit !

Paru le 25 octobre 2024 chez Stray Signals (Berlin, Allemagne) / double cd, 17 plages / 2 heures et 17 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur Bandcamp :

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Guitare(s), #Musiques Contemporaines - Expérimentales