l'autre chanson francaise

Publié le 24 Juin 2012

Gul de Boa - Le Chant des peaux si bleues

Il n'est jamais trop tard pour découvrir un artiste qui s'est accompli dans votre dos, en catimini. Gul de Boa en est ainsi à son cinquième album. Et ça fait sacrément du bien d'entendre de vrais textes sobrement et efficacement mis en musique. Et en français...

Meph. - Arrête, tu plaisantes ? Il n'anonne pas en anglais comme tous les fatigués de la langue et les pressés de gagner du pognon en s'exprimant dans la langue du marketing souriant qui n'a plus rien à voir avec celle de Shakespeare ?

Dio. - En amoureux de la langue, il la cajole pour parfois la disloquer à la manière d'un Jean-Pierre Brisset : ainsi, le chant des possibles devient au fil des redites le chant des peaux si bleues. La voix tour à tour incisive et limpide ou plus grave et rocailleuse, bien timbrée, se fait mordante, sensible, s'emporte et s'enflamme dans un environnement musical plutôt rock, très électrique. Splendide guitare sur plusieurs titres, "Le Pavé numérique" dès le départ, ou "Cocotte minute", et surtout les magnifiques "La fucking guitar" et "Un peu".

Meph. - Guitare, contrebasse, batterie : et basta, pas besoin de tout un équipement technologique élaboré. Une touche de piano çà et là, rien de plus.

Dio. - Avec des textes en prise sur notre quotidien, mais vu avec malice, comme dans le premier titre, "Le Pavé numérique", ou le parodique "Cocotte minute", histoire d'un petit malfrat d'aujourd'hui intoxiqué par la société de consommation dont « Les cocottes sont (l')unique proie". Mais je me doute que certains titres ont plus particulièrement ta faveur...

Meph. - "Masochiste", confession hilarante d'un adepte de Sacher-Masoch. Ici, amour rime intérieurement avec...labour, délicieux à-peu-près : « Tape-moi sur le système / Prends moi le chou / Pousse-moi à bout / Fais-moi monter dans les tours / Sur mes grands chevaux / De labour, mon amour, / Et aux rideaux. » Et puis "Ton cul", plus pudique que ne le laisse penser le titre, et j'aime ce genre de décalage. Belle dialectique entre l'âme et le cul, pour une fois à égalité, sans fausse pudibonderie. Ou "Immature", une évocation d'un séjour peu conforme dans une maison de retraite : rebelle jusqu'au bout, Gul, dans ce monde dégoulinant de bonne conscience.

Dio. - La veine satirique est en effet réjouissante. Dans "Les Nouvelles du Dimanche", « Les sourires sont de mise et les souris soumises / Tranchent de géants gigots à des gendres idéaux. ». Verlaine revu par Queneau ou Boris Vian !!

Meph. - N'oublions pas des chansons...d'amour, voire méta...physiques.

 Dio. - "La fucking guitar", notre préférée, non ? La guitare chaude, en boucles insistantes et en longues trainées fulgurantes, sur un texte superbe. Je ne résiste pas au plaisir d'en citer le second couplet : « Tu sais petite moi des sirènes / J'en ai connu de plus coquines. / Elles avaient des yeux de Chimène / Et des mâchoires de requine. / Elles naviguaient entre deux mers / Poussées par les courants d'air chaud, / Là où s'accouplent les chimères / Aux dieux des reality show. / Sur les larges flots furibards / Tous secoué par les embruns, / Je ne faisais pas le malin. / Sur les larges flots furibards / Je composais des airs marins / À la fucking guitar. »

Meph. - Comme quoi on n'est pas contre l'anglais, à partir du moment où il est assimilé, couché dans notre langue comme dans un édredon de plumes fines.

Dio. - Je fonds à l'écoute de "24h", chant d'amour bouleversant pas si éloigné de la fougue folle d'un Léo Ferré, de "Mi ammazi (tu me tues)", voix et guitare, percussions frottées et sourdes...

Meph. - On aime sans restriction, pour tout dire, et on salue un frère qui nous rassure : on ose encore penser, chanter à mots nus, charnus, prononcés jusqu'à l'os.

Dio. - J'allais oublier : j'ai souvent pensé à Marcel Kanche !

Meph. - Ingrat, tu ne lui as encore consacré aucune chronique.

Dio. - Je ne suis pas toujours à l'aise avec ses textes, et surtout ses musiques, même si je lui reconnais une originalité indéniable. Qu'il écoute Gul de Boa !! Eh, dis, tu as remarqué sur la pochette ?

Meph. - La main sur la cigarette absente, remplacée par une croix rouge ?

Dio. - Dire qu'on en est là, aujourd'hui, avec la liberté...

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Paru voici peu chez Royale Zone - Accès digital / 13 titres / 40 minutes

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 25 avril 2021)

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Publié le 30 Octobre 2011

Institut - Ils étaient tombés amoureux instantanément

   De la chanson française, et qui s'écoute sans qu'on détourne les oreilles. Ce n'est pas si fréquent, une fois éliminés ceux qui n'ont rien à dire, et le disent mal ou en anglais châtrévomi, et ceux dont la musique fait mal tant elle est faible. Arnaud Dumatin, qui a déjà publié deux albums sous le nom d'Emma - deux albums que je ne connais pas, je dois le dire - , a collaboré avec plusieurs musiciens, dont Olivier Mellano, ce qui n'a pas manqué de retenir mon attention, ce dernier étant un compagnon de longue date d'Arm de Psykick Lyrikah. Il signe textes et musiques, accompagné par Emmanuel Mario. Beaucoup de guitare, des claviers, de la programmation, un peu de batterie, mais aussi du thérémine, un soupçon de trombone ou de saxophone. Et les voies additionnelles d'Emmanuelle Ferron, et même de Liz Bastard de  Del Cielo sur le titre 9 : pas de chœurs douceâtres, mais de vraies doublures qui approfondissent le champ.

     J'aime bien la voix fragile et douce d'Arnaud Dumatin, qui dit-chante des textes en prise directe sur aujourd'hui, des textes qui décollent insidieusement d'une réalité trop ordinaire pour nous emmener dans une douce folie. Voici un extrait du titre éponyme : « Frédéric et Melba s'étaient rencontrés chez france Coiffure. Melba lui avait dit : "Votre moustache semble douce sous vos doigts." ne voulant pas flatter sa vanité, Frédéric avait répondu : "Je vous donne 7/10 et je suis généreux". "Ne changez-vous pas de femme comme de chaussettes ?" osa-t-elle. "Je sais être fidèle à mes chaussettes". Ils étaient tombés amoureux instantanément et avaient trouvé ensemble un modèle économique approprié. Ils ne voyaient pas comment les lignes pourraient bouger. » Délicieuse parodie de scène de rencontre, comme un écho au très beau début d'Aurélien, l'un des romans de Louis Aragon les plus étincelants. "On vit dans un manège"...qui bascule dans des lointains flous nimbés d'électricité légère, style post-rock. La politique et la vie amoureuse se rejoignent pour de surprenants délires décalés : ah ! le réjouissant Les Pensions de retraite : « La nuit, je pense encore à Rachida Dati, quand nous marchions ensemble le long de la mer Adriatique, on se racontait tout, nos troubles obsessionnels, nos conduites addictives, on se donnait la main, comme les rescapés d'un camp. La nuit, je pense souvent à rachida Dati, quand on faisait le point sur les progrès induits par la révolution industrielle, on descendait en barque jusqu'à l'estuaire, avec une bouteille de vin d'Anjou et quelques tubes des années 80 sur un radio-cassettes ». Les musiques sont aérées, rock délicat, pop harmonieuse aux rythmes entraînants. Je ne peux pas rester, le titre 13 (ou 12 si l'on néglige le silence), est l'une des grandes réussites de l'album, avec un texte subtilement inquiétant, teinté de sadisme vengeur, mi-chanté sur un rythme mécanique, véritable départ vers la folie : « Je jette une valise pleine de vieux métaux sur un couple qui passe dessous, en plein sur leur bonheur qui fatiguait les yeux. Ils étaient en mouvement vers un endroit que j'ignorais, et je pensais "tout ce qui n'est pas gris ne doit plus exister". Et ils n'existent plus. » Un disque qui mine de rien dit un monde "sans aucun lendemain", saturé de listes d'objets et et procédures techniques, de conventions et de soucis de confort : seul le vent nous sauvera, car " il peut tout balayer s'il le veut et (nous) laisse sans rien. Tout est délimité, devient illimité, juste là, à cet instant sans aucun lendemain ", et "la nuit qui nous enveloppera"  nous protègera du monde factice, après avoir descendu "les falaises (qui) tombent à pic". « Nous nagerions jusqu'à la pointe si nous savions aller aussi vite que nos joies soudaines. » Une belle invitation à revenir aux sources fraîches que ce disque où le désespoir se mue en malice et en transgressions minuscules.

Paru en 2011 chez Institut / Rouge-déclic / 14 titres / 40 minutes.

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp  :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 13 avril 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #L'Autre Chanson française

Publié le 23 Novembre 2007

Dominique A / Gravenhurst / Fink : La chanson sans fard, probablement.
   Pour une fois, la chanson. Plaisir des  voix, des mots, des mélodies simples et belles. Trois disques récents raviront les amateurs. D'abord le disque en public de Dominique A, que je découvre (je l'avoue). Si l'on excepte le premier titre, L'Amour, qui ressasse un peu trop les mêmes paroles, et le dernier, Empty white blues, à mon sens inutilement en anglais, restent  treize titres magnifiques d'émotion, de pudeur, d'énergie aussi. Car les guitares électriques se déchaînent parfois, zébrées d'éclats cuivrés, succédant à des moments intériorisés, où la voix murmure presque, fragile. Ecoutez le poignant Pour la peau (en écoute ici), qui évoque l'amour comme une cérémonie religieuse qui "l'a rendue toute chose" avant de célébrer jusqu'à la frénésie l'embrasement du désir. Ou encore Marina Tsvétaïéva, hommage à la poétesse russe scandé sur une rythmique obsédante à la Léonard Cohen dans Songs of Love and Hate : "Marina, Marina, tu le sais ici tout / brûle", avec cette façon si particulière qu'a Dominique de segmenter l'énoncé  en en détachant la fin et en l'accentuant, ou, ailleurs, de désarticuler la phrase en faisant attendre la suite. L'alliance réussie de textes, de vrais textes quoi, littéraires (pour le meilleur !), et d'un accompagnement rock intelligent, à la Sonic Youth qui sert à merveille cette voix délicate et vibrante, limpide comme une source surgie de très loin. Tout est déjà dans la pochette, sublime : l'homme de Music Hall, "qui avance parmi les dunes" et "chemine en se balançant", est un Stalker sorti du film d'Andréi Tarkovski, l'homme qui se détourne pour se fondre dans le sépia, c'est lui qui suit sa route, les yeux fixés sur l'intérieur du coeur et les échappées de l'âme.
 
Dominique A / Gravenhurst / Fink : La chanson sans fard, probablement.

   Cinquième album de Gravenhurst, groupe de Bristol mené par Nick Talbot,  The Western Lands ne présente guère qu'un seul défaut, sa relative brièveté, à peine plus de quarante minutes. Entouré du batteur Dave Collingwood, du bassiste Robin Allender et du second guitariste Alex Wilkins, l'anglais chante avec bonheur entre folk et rock sur des mélodies à l'évidente beauté. Comment oublier Song among the pine, ballade folk à la mélancolie sereine, ou She dances, au début électrifié d'une grande élégance acérée, auquel succède un air léger et tournoyant peu à peu envahi par les guitares rageuses ? La voix aérienne de Nick baigne l'album d'une lumière discrètement psychédélique, tant on songerait parfois à Syd Barrett. Tout est juste, sans esbroufe, serti d'accompagnements délicats. Plaisir des guitares électriques jouées en finesse, de la batterie qui offre ses battements avec une retenue pas si fréquente, de la basse presque voluptueuse. Un petit bijou...
 

Dominique A / Gravenhurst / Fink : La chanson sans fard, probablement.

  Le DJ Finian Greenall, alias Fink, a abandonné ses platines au profit de la guitare. Après Biscuits for breakfast, première surprise folk, il récidive avec Distance and time. Avec un batteur, un bassiste, sa guitare et sa voix caressante et insinuante, il égrène des chansons simples, qui prennent leur temps. Et on revient l'écouter pour comprendre comment il a pu nous accrocher, l'air de rien. De quoi surprendre sur le label électro Ninja tune, non ?
L'émission du 18 novembre a inséré ces trois artistes entre Robert Wyatt et Slow six, déjà chroniqués ici.

Sur nos forces motrices de Dominique A est paru en 2007 chez Cinq 7 Wagram Music

The Western Lands de Gravenhurst  est paru en 2007 chez Warp Records

Distance and Time de Fink est paru en 2007 chez Ninja Tunes

 

(Nouvelle mise en page + illustrations sonores )

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