musiques ambiantes - electroniques

Publié le 11 Octobre 2016

Midori Hirano - Minor Planet

Née à Kyoto, Midori Hirano a étudié le piano dès le plus jeune âge. Elle a quitté le Japon pour Berlin où elle réside actuellement. Après avoir signé des musiques pour des films, des vidéos ou des spectacles de danse ainsi que plusieurs albums entre 2006 et aujourd'hui, elle sort sur le label berlinois sonic pieces son premier disque, Minor Planet.

   La particularité de ses compositions est sa manière d'enrober les notes de piano d'un halo de sons électroniques et de terrain, créant une atmosphère veloutée, légèrement trouble. Dès "By the window", le monde semble perçu à travers une fenêtre embuée : la musique flotte au gré des douces ondulations des bribes mélodiques développées en boucles sur un fond chatoyant de claviers.

   L'effet s'intensifie sur "Night Travelling" : épais brouillard, piano plus lointain qui semble se dématérialiser, se fondre dans un nuage de sons eux-mêmes très irréels. On songe alors à certaines compositions d'Harold Budd. On marche doucement sur les traces des "Rabbits in the path" du titre suivant. La terre est meuble, tout pourrait peut-être s'effondrer tant les terriers s'entrecroisent sous nos pieds. Ne sont-ils pas, ces lapins, en train de danser pataudement dans la poussière qui monte au détour du chemin, là, enfin là plutôt, car on ne discerne que de vagues contours ? "Two Kites" est hanté par des sons erratiques en avant du piano cotonneux dont les accents se réduisent à de courtes phrases mélodiques brisées, revenant inlassablement à un point de départ s'éloignant. La pièce se termine avec le mystère de pas, de déplacements à peine audibles. Nous sommes loin d'ici. 

Comment ne pas penser pour ce curieux voyage aux films de Kiyochi Kurosawa ? Nous étions au pays des fantômes, des esprits, tout près du nôtre, mais irrémédiablement à côté.

   Le ton change avec "She Was There". La musique s'est rapprochée. Nous y sommes, sur cette planète mineure. Les couches électroniques se croisent, pulsent fort, accompagnées de déchirures intenses, d'orages magnétiques. "Haiyuki" voit le bref retour du piano, porte-parole des esprits de l'autre monde, cette fois serti dans une électronique vive qui l'efface et que viennent ponctuer une énigmatique ponctuation grave, puis des picotements en rafales irrégulières, des sons éclatant dans l'espace. Indéniablement un excellent titre ! Mais "Rolling Moon" est tout aussi réussi, témoigne d'une belle maîtrise des matériaux électroniques. Sur un continuum, les textures se boursouflent, germent, créant un univers sonore absolument fascinant en perpétuelle métamorphose. C'est d'une grande beauté, avec quatre minutes hypnotiques, envoûtantes, pour finir cet album... que certains trouveront un peu court.

--------------------------

Paru en septembre 2016 chez sonic pieces / 7 titres / 35 minutes.

Pour aller plus loin :

- le disque disponible et en écoute partielle (quatre premiers titres) sur bandcamp :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 12 août 2021)

Lire la suite

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 12 Septembre 2016

Michel Banabila - Earth Visitor

   Compositeur et artiste sonore né en 1961, le néerlandais Michel Banabila a déjà derrrière lui une carrière bien remplie. S'il vient plutôt des musiques expérimentales, électroniques, il multiplie les collaborations avec des artistes de formation plus classique ou liés au jazz, aux musiques du monde. Une alliance étroite entre sons électroniques et acoustiques est au cœur de son travail avec l'altiste Oene van Geel pour Music for viola and electronics et Music for viola and electronics II. Mentionnons aussi ses rencontres fréquentes avec un autre musicien néerlandais présent dans ces colonnes, Rutger Zuydervelt alias Machinefabriek, un des maîtres actuels des musiques électroniques et ambiantes, et l'on aura une petite idée de ce compositeur éclectique et bouillonnant, que je suis loin de suivre d'ailleurs dans toutes ses réalisations, tant sa discographie est prolifique.

    Pour Earth Visitor, Michel Banabila campe une ambiance : Juin, beaucoup de pluie. Il regarde des vidéos de la NASA sur la mission Junon. Le disque viendrait de là. Un côté spatial : la terre vu par un visiteur...

   Un piano mélancolique, brumeux, parasité, c'est le début du premier titre éponyme. Une scène terrestre vue déjà à une certaine distance qui n'exclut pas l'humour, les discrets miaulements du chat de Michel participant de la bande sonore qui vire vers une certaine étrangeté, comme en témoigne une voix tordue. Un souffle envahit cette atmosphère feutrée, on sent qu'on bascule, qu'on s'éloigne encore des familiarités humaines. Nous rentrons dans l'infini royaume des musiques ambiantes, d'où nous parviennent les "Distorted Messages" du titre deux, torsade trouble de sons divers, d'instruments embués, de voix méconnaissables devenues des traînées-écho d'un monde sauvage et fascinant. Titre vraiment très beau ! "What creatures is that" accentue la dimension spatiale du disque, presque visuelle : des vaisseaux traversent l'espace, majestueusement. Pulsations, battements, respirations étranges, comme dans un roman ou un film de science-fiction. Il n'y a plus que des trajectoires, des ondes voyageuses aux résonances multiples, puis des froissements, puis rien. "Star Trails" retrouve le piano, amplifié, dialoguant avec un synthétiseur, des cordes lointaines telles des sirènes : c'est un chant solennel, un hymne lent, prélude à "The Situation Room", courte pièce dramatique qui serait très à sa place dans un film d'angoisse, même si elle est illuminée  par une poussée lyrique somptueuse. Dans ce contexte, on attendait l'invasion, voilà les étrangers par excellence , "We are the aliens" est une jungle sonore étouffante et pourtant séduisante, ensorceleuse. Le septième titre est présenté comme une reprise, un mixage de l'espace profond, "Deep spca Mix". On pense aux odyssées électroniques de Brian Eno, en un peu plus bruitiste, plus accidenté aussi, hanté par une guitare perdue, ou deux même : dérive et fière déréliction dans une circulation sidérante d'astronefs étincelants, de roches brutes avant que de sombres tourmentes ne provoquent de secrets naufrages et que ne resurgisse un piano halluciné redevenu quasi clavecin d'exo-planètes improbables.

    Un très bel album d'électro ambiante parfaitement maîtrisé. Les acquéreurs de l'album numérique se régaleront de surcroît avec un immense remix en direct du festival de Valkhof qui flirte avec une techno ravageuse, et une curieuse bande annonce abyssale, fantomatique.

--------------------------

Paru en juin 2016 chez Tapu Records / 3 titres / 47 minutes.

Pour aller plus loin :

- le site personnel de Michel Banabila

- le disque disponible et en écoute sur bandcamp :

- une vidéo à partir de "We are the aliens" :

Lire la suite

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 5 Septembre 2016

Rainier Lericolais et Susan Matthews - Before I Was Invisible

   La britannique Susan Matthews s'est fait connaître en temps que compositrice d'une musique plutôt expérimentale, voire bruitiste, à la fois puissante et hypnotique. En 2005, elle a fondé la maison de disque indépendante Siren Wire Recordings, qui devient Siren Wire Editions en 2010, un label qui produit artisanalement des artistes expérimentaux du monde entier. Depuis ses débuts, elle participe à des projets multiples. Before I Was Invisible, sorti en octobre 2015, est son troisième disque (les deux premiers parus sur son label) en collaboration avec le français Rainier Lericolais.  Cette fois, c'est le micro label fondé par la pianiste et composititrice éclectique Delphine Dora qui les a pris en charge. Nous sommes ici au croisement subtil des musiques électroniques et ambiantes.

    Trois titres de durée décroissante pour cet album dont la couverture et le dos de l'emballage cartonné (fabrication locale, assemblage manuel...) donnent le ton par leur étrangeté surréalisante. "The Healers art", plus de vingt-cinq minutes, nous embarque dans un voyage parasité par un crépitement de fond. Disons-le tout de suite. Le profane ne saurait dire souvent ce qui est produit acoustiquement ou électroniquement. Tout commence par un son tenu, sur lequel viennent glisser d'autres surgissements plus aigus. Puis c'est de l'orgue, des claviers, qui les enveloppent dans une trame ondulante. Les ondes (je pense aux ondes Martenot, aux scies musicales...) s'égratignent, dirait-on, dans les amples oscillations, laissant loin derrière tout paysage connu. Un piano fait son apparition, plaque quelques notes dans ce continuum intense, semble susciter les voix déformées de mannequins perdus au fond des temps. La pièce acquiert une grâce fantastique, comme en lévitation, doucement pulsante. Qu'elle évoque par son titre l'art du guérisseur n'est pas anodin. Un vrai chant très pur, intériorisé, de Susan, sans doute, nous libère des fardeaux quotidiens. Tout se déforme, perd sa matérialité, on reste suspendu à ce léger battement d'un souvenir de guitare. Ce qui se tisse, c'est une toile lente, le filet mystérieux d'une incantation où se prennent les sons, distordus ou pas - on reconnaît un saxophone au passage - comme dans une chambre d'écho aux multiples failles. Il y aurait un violoncelle englouti au fond de l'antre sonore, on serait arrivé au pays où l'on ne meurt plus jamais, porté par un mouvement si doux, une harmonie archangélique. Une splendeur !

   "Truth past the dare" sonne d'emblée plus étrange, plus résolument contemporain, expérimental : discontinuité, sorte de gargouillis sonore dont se détachent toutefois une clarinette et une voix, celle-ci prenante dans ses aigus tenus, contrastant avec le magma du premier plan. Un piano s'insinue entre les deux, la matière s'aère, la voix domine les volutes embrouillées. La palette orchestrale s'étoffe : un clavier / accordéon installe une respiration, la clarinette réapparaît, d'où un curieux dialogue entre les instruments et les brouillons sonores. Là aussi, l'écriture resserre les liens, assure la cohésion entre le diaphane de la voix et le reste du vaisseau sonore, le tout étant d'une vraiment troublante beauté.

    Le fantôme est bien là dans "Your ghost moves with me", dont le début me fait irrésistiblement penser aux très beaux disques de Tamia chez T Records (par exemple le magnifique Senza Tempo) puis ECM au milieu des années quatre-vingt : la superposition des voix, leur décalage, crée un étrange oratorio rythmé par une percussion sèche obsédante. Nous sommes dans la forêt des voix, émerveillés, frôlés par mille créatures invisibles. Les voix se font plus discrètes, souvent recouvertes par de brusques surgissements énigmatiques, peut-être les geôliers des esprits féminins emprisonnés, rejoints à la fin par quelques voix masculines...

   Une magnifique découverte, un très grand disque !

--------------------------

Paru en 2015 chez Wild Silence / 3 titres / 47 minutes.

Pour aller plus loin :

- le disque disponible et en écoute sur bandcamp :

 

- Un extrait de Senza tempo (T Records, 1981)  de Tamia (chanteuse et compositrice née en 1947 ...pas son homonyme américaine !)

Lire la suite

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 7 Juillet 2016

Brian Eno - The Ship

    Quatre ans après Lux, Brian Eno revient avec The Ship, paru fin avril sur son lapel Opal associé à Warp comme le précédent. Deux titres, dont le second fractionné en trois, pour vérifier que Brian reste l'un des grands de la musique électronique ambiante dont il a été le pionnier incontesté ! The Ship est au départ prévu pour une installation sonore qui a déjà été réalisée à Stockolm en 2014, puis à Genève en mars 2016 au lieu d'exposition Le Commun. N'ayant visité ni l'une ni l'autre, je ne rends compte que de mon expérience d'auditeur du disque, qui a figé une pièce destinée à se modifier au fil des installations et des lieux.

 La première pièce, qui donne son nom à l'album, est une longue errance sonore de plus de vingt minutes, dans la lignée de Lux. Nappes étagées de synthétiseurs, voix déformées lointaines, percussions résonnantes, puis la voix de Brian, très en avant, sans doute passée à une sorte de vocoder qui la dédouble ou multiplie, pendant qu'en arrière-plan les glissements sonores, espacés comme pour une respiration, se font plus puissants, mêlant fusions électroniques torsadées, battements et fragments radio. Comme toujours, le mixage est superbe. "The Ship" est en effet une odyssée du son, lente et majestueuse, qui nous déporte doucement, après quinze minutes de voyage, vers des contrées étranges peuplées de voix féminines désincarnées, sirènes de l'ère de l'anthopocène, puis d'autres voix troublantes, tissant comme des bribes de conversation dans l'espace immense, hors du temps, after wave after wave after wave...

 

Brian Eno - The Ship

   La première partie de la seconde composition, "Fickle Sun (i)", est encore meilleure, plus originale. La matière autour de la voix de Brian, qui chante d'abord plus ouvertement, sans filtre ou déformation, est plus agitée. Cela gronde, cela s'enfle, s'enflamme. Brian Eno réussit ici un véritable oratorio électronique de dix-huit minutes. La pièce est impressionnante. Si l'on pense fugitivement à Fennesz, on abandonne vite le jeu des références, tant l'écriture est en même temps à certains moments d'un néo-classicisme appuyé, avec des effets grandioses lors des grandes balafres cuivrées qui sectionnent le titre autour de huit minutes. Après ces ponctuations, la voix de Brian revient, vocodée, entourée de halos mélodieux. Le morceau se déchire entre cette voix et d'autres, plus vocodées encore, à la limite de la désincarnation. C'est alors un long lamento halluciné construit sur des boucles lancinantes, une sorte d'adieu à l'humanité qui disparaîtrait dans les artefacts de la nouvelle réalité électronique. Une des plus belles réussites de Brian, peut-être même la meilleure, en tout cas preuve d'une inspiration au plus haut.

   "Fickle Sun (ii) The Hour is fine", à peine trois minutes, est un poème dit par Peter Serafinowicz d'une voix à l'impeccable diction, avec accompagnement de piano mélancolique : retour à une veine que Brian Eno a tenté à plusiseurs reprises. Sauf qu'ici le texte a été créé par un générateur de texte Markov. Tout le disque, en somme, brouillerait la frontière entre l'humain et le machinique...Troublant, beau à écouter en tout cas.

   La dernière partie de "Fickle Sun" est une reprise du Velvet Underground, "I'm set free". Manière de revenir à l'humain ? D'affirmer sa liberté créatrice ? Il y a toujours eu en Brian Eno un homme qui voulait simplement rester un chanteur pop. On lui pardonne cette plage sirupeuse, si apparemment loin des deux longues aventures musicales : il se fait plaisir... Ce que je comprends ainsi : BRIAN ENO n'est pas que ONE BRAIN !!

   Comme à l'habitude, une production parfaite, entièrement contrôlée par le maître, avec plusieurs versions disponibles, y compris pour collectionneurs.

--------------------------

Paru en avril 2016 chez Opal - Warp Records / 4 titres / 48 minutes.

Pour aller plus loin :

- la page Bleep de l'album, très bien faite.

- le titre éponyme en écoute (impossible de trouver "The Fickle Sun (i)":

Lire la suite

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 19 Mai 2016

Maninkari - Oroganolaficalogramme

Musique pour une cathédrale luciférienne

   Les deux jumeaux Frédéric et Olivier Charlot composent et interprètent leur musique sous le nom de Maninkari depuis 2007. Ils ont sorti depuis lors huit disques sur divers labels. Oroganolaficalogramme serait donc leur neuvième album, cette fois auto-produit sur leur label ferme-l'œil dont il est l'opus primum. Accompagné d'un grand dessin format A5 sur papier vergé en tirage limité, du rhodoïde transparent du même motif, c'est un disque vraiment singulier, hors du temps, qui a donc évidemment sa place ici. Orgue, alto, violoncelle et percussions : sept titres de musique ambiante, post-romantique à tendance minimaliste, dominés par l'orgue, majestueux, utilisé enfin comme je l'ai rêvé si souvent et si rarement entendu. L'orgue, c'est le souffle infini, la beauté transcendante. Il suffit de quelques modulations, variations, pour créer une tapisserie grandiose sur laquelle viennent évoluer les autres instruments. L'orgue remplace les voix de bourdon de la musique orthodoxe. Il émeut parce qu'il vibre puissamment, fait vibrer en nous les couches les plus profondes de notre moi, les plus spirituelles comme les plus inconscientes.

   Oroganolaficalogramme : l'orgue s'élance sans cesse, il s'étire, s'étage, se répond. Aucune intention de virtuosité. Il est le préalable, le verbe sonore sur lequel s'écrit la chute vertigineuse de l'alto dans les trois premiers titres. Si l'on suit la présentation et en regardant le dessin de couverture, le disque réfèrerait à la figure de Lucifer, l'archange déchu. D'où la lumière noire de l'album, la méditation grandiose qui se déploie dans des drapés chromatiques hypnotiques. Le quatrième titre est plus sombre, envahi par des grondements, roulements percussifs graves. Nous sommes au cœur du mystère, c'est-à-dire de la lutte entre ténèbres et lumière. Mais la lumière absorbe les ténèbres (ou l'inverse), sort grandie, insolente dans le titre cinq. Tandis que l'orgue triomphe, l'alto est pris d'une véritable transe, griffe la muraille sonore comme un forcené, comme un oiseau gigantesque englué dans les replis de la robe d'orgue. Le titre six semble revenir aux tonalités ultérieures, en plus sourd, comme porteur d'un lourd fardeau. Cette fois c'est le violoncelle qui grince, se débat, lui aussi dans les graves. L'univers est plombé, voilé de drones. On croirait entendre Cerbère, le chien des Enfers, aboyer à la malédiction qui passe...L'album se termine avec le retour au couple orgue / alto. Lucifer continue sa traversée de l'espace, sombre et toujours flamboyant. L'alto serait-il ses ailes de géant ? Le porteur de lumière incendie l'espace qu'il vrille littéralement par des nappes distendues d'harmoniques et les myriades de micro éclairs produit par l'alto lové contre le grand corps de l'orgue.

   Sacré nom ! J'en viens à trouver Tim Hecker presque falot ( je vais me faire des ennemis : on ne tire pas sur une icône !!).

Et le titre, me direz-vous ? Les jumeaux renvoient au langage des oiseaux, à une sorte de symbolique des lettres ésotérique et mystique...

Paru en  avril 2016 chez ferme-l'œil / 7 titres / 41'.

Pour aller plus loin :

- le site du duo, très beau.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

 

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 11 août 2021)

Lire la suite

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 4 Mai 2016

Duane Pitre - Bayou Electric

   Après avoir rendu compte du magnifique Bridges (2013), il était inévitable que je m'intéresse à nouveau à Duane Pitre, ce compositeur américain enraciné dans sa Louisiane natale. Il rend hommage au domaine familial, le "Four Mile Bayou" dans un disque sorti en 2015, constitué d'une seule pièce éponyme de près de quarante minutes (pas de quoi effrayer INACTUELLES !), Bayou electric. Présenté comme la troisième partie d'une trilogie comprenant Feel Free et Bridges, Bayou electric fusionne en une tapisserie sonore intense sons de terrains enregistrés en fin de nuit d'août 2010 sur le domaine, synthétiseurs, sons sinusoïdaux, cordes amplifiées (violon, alto, violoncelle).

   Début très lent : alternance de silences et de drones en voyage. Patience ! Quelque chose se trame. Vague d'orgue loin en arrière-plan, violoncelle en avant, deux lignes onduleuses traversées par les drones. Plus de quatre minutes de prologue. Le chant se lève, au violoncelle très grave, parsemé d'une ligne discontinue de clavier. Puis revient, s'amplifie peu à peu, s'étoffe dans une large circularité. La musique de Duane Pitre est pour ceux qui prennent le temps, tout le temps. Il suffit d'attendre la splendeur en train de se former sous nos oreilles. Des insectes aux stridulations métalliques (criquets, cigales ?) se fondent à la trame, animée d'un doux mouvement respiratoire. Nous sommes dans le bayou des sons, ce kaléidoscope de lumières et d'ombres toujours changeantes que rend assez bien la photographie de couverture, prise sur les lieux. Il n'y a qu'un monde, qu'il faut apprendre à entendre, qu'il faut laisser venir, toujours le même et toujours différent, au lisible désappointement d'un critique visiblement agacé par ce qu'il feint de prendre pour des efforts vains en vue de monter une côte. Ce qui lui manque, à ce monsieur, c'est le sommet. Or, dans cette musique, ce qui compte, c'est la côte, justement. Seule la côte existe, seule la côte est belle, et plus on la remonte, plus elle devient somptueuse, luxuriante, voluptueuse. Il n'y a pas de sommet parce que l'accomplissement n'est pas au bout, mais pendant la montée. Autrement dit, tout auditeur qui ne s'intéresse qu'au but sera nécessairement déçu. Il faut écouter autrement, ne rien attendre pour saisir au fur et à mesure l'épiphanie mouvante de l'inaudible, de l'ineffable beauté du monde. Le mouvement musical n'a pas forcément pour but de mimer la montée orgasmique et la décharge consécutive de l'orgasme. Les préliminaires, le mouvement même des sons entraînés plus irrésistiblement qu'il ne semble, sont déjà le sommet du plaisir, un sommet continu et non plus momentané, bref et final comme dans le schéma d'une certaine conception de la jouissance. C'est en quoi cette musique est délectable, constamment sublime, jusque dans son abandon aux seules stridulations à onze minutes de la fin. Cette suspension du mouvement, cette stase, relance la dynamique pulsante du morceau, tout en torsades sonores, en vrilles parfois hachées, comme tremblantes ; se déploient alors des corolles géantes, plus belles d'avoir été si longtemps fondues dans l'émouvant tout. Musique exubérante, proliférante, que j'imagine en accord avec la riche flore des bayous.

    N'hésitez plus : plongez dans le Bayou electric pour une immersion émerveillée !

Paru en  2015 chez Important Records / 1 titre / 48'20.

Pour aller plus loin :

- le site de Duane Pitre

- la page du label consacrée au disque.

- Un extrait (7 minutes) en écoute sur soundcloud, puis le disque en entier :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 août 2021)

Lire la suite

Publié le 24 Février 2016

Christina Vantzou - N°3

   Depuis son premier opus solo N°1 paru en 2011 chez Kranky la compositrice américaine Christina Vantzou, installée à Bruxelles, a affirmé un style de plus en plus personnel, mélange de somptuosité altière et d'épure hiératique qui donne à sa musique ambiante un parfum unique. J'ai souri en constatant que iTunes la classait dans la rubrique New Age, sans doute parce que la beauté mystérieuse de sa musique peut être interprétée comme un appel spirituel. Il est vrai aussi que la pochette de son dernier opus, qui représente deux jeunes gens presque nus juchés sur d'impressionnants rochers à proximité d'une cascade dont les eaux rejaillissent sous la forme d'une buée bleutée, n'est pas sans évoquer une forme de vie naturelle, un retour aux sources. Quand on ouvre le triptyque cartonné du disque, on voit sur le volet de gauche une photographie grisâtre, un peu floue, représentant probablement une allée de cimetière, tandis que le volet de droite nous montre, en plongée, une jeune femme (Christina ?) en short et corsage assise sur un surplomb rocheux entre trois énormes rochers, le visage tourné vers l'un d'eux et non vers nous ; entre les deux, c'est la présentation de la musique, qui nous proposerait donc un trajet, un itinéraire menant de la mort à la vie (si on tient compte de notre sens de lecture), une histoire de renaissance, hypothèse que la liste des quatorze titres, de "Valley drone" à "The Future" semble confirmer. Si l'on ajoute que N°3,  d'une durée de 1 heure 11 minutes, n'est pas loin d'atteindre la somme de la durée de N°1 - forty-six minutes, forty-four seconds - et de N°2 - thirty-four minutes, thirty-seven seconds, vous allez en déduire que je suis en plein délire New Age, cabalistique, et que mon logiciel de lecture de musque a bien raison. Et pourtant la compositrice ne fait plus intervenir le Magik*Magik Orchestra comme dans les deux disques précédents, mais un autre ensemble acoustique de quatorze interprètes, The Chamber Players, où l'on retrouve toutefois cordes, cuivres, bois, percussion, deux mezzo-soprano et un haute-contre. Comme pour les albums précédents, ces sonorités classiques sont savamment arrangées, mêlées aux différents synthétiseurs que Christina abandonne cette fois à John Also Bennett, artiste sonore qui enregistre aussi sous le nom de Seabat.

"Valley Drone" s'ouvre sur des appels de synthétiseurs, cor et/ou trombone, basson : puissance des graves, discrètement ponctués de percussion en sourdine. Puis des voix lointaines émeuvent l'espace sonore, les vagues de drones se succèdent. Dans quelle vallée, sur quelle planète sommes-nous, pour quels rites très anciens ? "Laurie Spiegel", le second titre, est-il un hommage à la compositrice éponyme, pionnière de la composition algorithmique ou à tout le moins fondée sur des principes mathématiques que Christina mettrait en œuvre dans cet album (nous dit la page du label) ? Une voix murmurante devenant clameurs, rejointe par un mur sonore crescendo, comme des sirènes, tournoiements, une majestueuse ascension trouble entrecoupée d'aperçus chatoyants aux synthétiseurs dans lequel se love parfois le contreténor. Le charme agit. "Pillar 3", par son égrènement initial de notes au clavier, fait songer à certains albums de Brian Eno et surtout d'Harold Budd. Les notes éclaboussent de lumière ce titre puissamment jalonné de touches profondes, abyssales. On marche dans la vallée des rois quand se lèvent des vents profonds de l'infini, que le sol se craquèle parce qu'il se passe quelque chose. Musique extraordinaire qui transporte l'auditeur saisi loin des routes connues. N'oublions pas que Christina Vantzou est vidéaste, aussi sa musique est-elle authentiquement, non pas seulement visuelle, mais plutôt visionnaire : elle nous dépayse. Écrivant ceci, je m'avise que je pense à certains auteurs surréalistes ou surréalisants comme Julien Gracq. Je l'ai, ailleurs, associée à une grande dame de la science-fiction, Nathalie Charles Henneberg. Le premier comme la seconde conduisent le lecteur à décoller de la réalité ordinaire pour accéder à un autre monde, le véritable peut-être. Lecture et audition sont alors des expériences de lévitation, de dessillement.

     Le titre suivant, "Robert Earl", m'intrigue : je veux croire qu'il ne fait pas référence au fondateur de "Planet Hollywwod", mais plutôt à son père, chanteur de charme des années 50. Ceci dit, je ne suis guère avancé pour évoquer cette pièce incantée par des voix angéliques, parcourue de frémissements graves de trombone (?) et baignant dans une douce semi-lumière agitée dans la seconde moitié par de vifs et brefs tourbillons. Nous sommes là-bas..."The Library", court intermède, fait songer à une cérémonie étrange : fond tournoyant de synthétiseurs scandé par des pizzicati qui finissent seuls la pièce avec une rumeur de voix. "Entanglement" est en effet un enchevêtrement de motifs sonores sur une ligne sombre, comme une forêt primaire sommée de brume et qu'on verrait par avion. C'est grandiose, envoûtant. Faut-il voir en "CV" une carte de visite, un raccourci de la carrière de Christina ? Violoncelle suave, cordes sublimes, cette tenue, cette allure altière que j'aime tant chez elle, tout concourt à une effusion bouleversante. Cette musique nous caresse de l'intérieur, dirait-on, pour nous épurer.

   "Cynthia" nous vient d'outre-tombe : sonorités flutées au ralenti, voix sépulcrale, vents électroniques et claviers parcimonieux, qu'est-ce qui se lève dans cette poussière astrale des origines, signe d'une résurrection en marche, tout tourne et gronde doucement, s'enfle, passe et disparaît. "Stereoscope" est animé d'une sourde pulsation, autour de laquelle gravitent des ailes sonores diaphanes, comme s'il s'agissait du voyage intersidéral d'un astronef filmé à une distance suffisante pour qu'il paraisse presque immobile dans l'immensité cosmique. Puis les vents balayent la scène, un objet sonore grave envahit l'espace, démultiplié, c'est "Pillar 5", puissantes colonnes d'un temple imposant, laissant lui aussi un sillage poussiéreux en fin de titre. "Moon Drone" est sans doute l'une des pièces les plus étranges, avec ses spirales de basses profondes frangées de lumière qui envahissent un espace immense. Il y a chez Christina Vantzou un sens aigu de la profondeur de champ, des mouvements qui sont des passages de drapés, des déploiements retenus et imposants. Sa musique se fait incantation sobre, toujours majestueuse. "Shadow Sun", par contraste avec le titre précédent, est d'abord plus éthéré, parcouru de voix fragiles, ponctué de gouttes de clavier,  mais le soleil se voile d'ombre en même temps qu'il rayonne plus intensément sous des épaisseurs de voiles. La lente avancée musicale acquiert une grâce exquise, quasi extatique. Un titre prodigieux ! Nous voici arrivés au "Pillar 1", avant-dernière station de ce voyage. C'est la fête des graves, violoncelle et basson, trombone, on ne sait plus tant tout se mêle dans une indicible et superbe langueur soulignée par les violons. Chaque titre est comme une fleur qui s'ouvre, se déploie, passe devant nous avant de disparaître. Sans nous en apercevoir, nous avons traversé le temps, depuis la "Valley Drone" des lointaines naissances : place à "The Future", un futur qui ne diffère pas essentiellement des moments précédents, mais strié de glissendis, de notes tenues, distendues qui nous précipitent lentement dans l'extinction.

   Un disque remarquable à écouter d'une traite pour apprécier la palette sonore raffinée, parfaitement maîtrisée, de Christina Vantzou, compositrice vraiment singulière qui poursuit l'élaboration d'une œuvre à la beauté souveraine.

---------------------

Paru en  2015 chez Kranky / 14 titres / 71 minutes.

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

- puis une vidéo de Christina pour The Future

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 août 2021)

Lire la suite

Publié le 1 Décembre 2015

King Midas Sound / Fennesz - Edition 1

   Sur les rives envoûtantes du Léthé sidéral

   Edition 1 est le fruit de la rencontre inédite entre le trio britannique King Midas Sound, et le guitariste et compositeur autrichien Christian Fennesz. Le résultat est brumeux à souhait : voix distantes, comme au ralenti, claviers assourdis, éléments rythmiques entourés de gaze. De la musique électronique ambiante extrêmement prenante, dès le premier titre, "Mysteries". La voix du chanteur de King Midas Sound est chaude, douce : une invitation à dériver dans les soirs profonds. "On my Mind" est encore plus ouaté, plus intimiste, avec la voix de Kiki Hitomi, qui nous plonge dans un rêve chaloupé, revient chargée de réverbérations dans un dub sensuel et mélodieux à damner les anges les plus endurcis. Morceau facile ? Il est vrai que j'ai l'impression d'avoir déjà entendu cela, mais j'écoute tellement de musique, alors, je pense soudain à certains titres de Portishead, et j'adore, c'est ce qui compte, non ? "Waves" annonce la couleur planante de la composition, dominée par des drones et la voix de Roger Robinson, complètement en allée, langoureuse et envoûtante. C'est une lente descente vers des plaisirs (interdits ?), une incantation trouble mêlée d'une remontée avec des claviers diaphanes, plusieurs plans de sonorités électroniques superposées : titre splendide, qui s'étire dans un éther d'une incroyable sérénité. "Loving or leaving" crachote, pluie électronique intermittente soudain puissamment découpée par les interventions vocales du chanteur, soulignées d'une basse très lourde. Oh le choc !! Batterie cosmique, pulsations géantes, comment ne pas fondre, rendre les oreilles, abdiquer tout sens critique : cette musique nous dévaste, nous envahit comme une mer de foudre se changeant en traînées incandescentes. "Melt" vient de plus loin encore, ponctué par la basse insistante, la voix légèrement amplifiée et surplombante du chanteur, environnée de champs électroniques intenses piquetés de batterie. Des vents se lèvent dans une musique devenue abstraite, sourdement tourbillonnante et lentement disparaissante. "Lighthouse" : la guitare de Fennesz est un phare dans le brouillard électronique épais environnant la voix hallucinée du chanteur. Tout dérive à nouveau dans ce trip hop mâtiné de dubstep (oui, je me laisse aller aux étiquettes, je ne le ferai plus !!) d'une incroyable épaisseur.   

   "Waves" annonce la couleur planante de la composition, dominée par des drones et la voix de Roger Robinson, complètement en allée, langoureuse et envoûtante. C'est une lente descente vers des plaisirs (interdits ?), une incantation trouble mêlée d'une remontée avec des claviers diaphanes, plusieurs plans de sonorités électroniques superposées : titre splendide, qui s'étire dans un éther d'une incroyable sérénité. "Loving or leaving" crachote, pluie électronique intermittente soudain puissamment découpée par les interventions vocales du chanteur, soulignées d'une basse très lourde. Oh le choc !! Batterie cosmique, pulsations géantes, comment ne pas fondre, rendre les oreilles, abdiquer tout sens critique : cette musique nous dévaste, nous envahit comme une mer de foudre se changeant en traînées incandescentes. "Melt" vient de plus loin encore, ponctué par la basse insistante, la voix légèrement amplifiée et surplombante du chanteur, environnée de champs électroniques intenses piquetés de batterie. Des vents se lèvent dans une musique devenue abstraite, sourdement tourbillonnante et lentement disparaissante. "Lighthouse" : la guitare de Fennesz est un phare dans le brouillard électronique épais environnant la voix hallucinée du chanteur. Tout dérive à nouveau dans ce trip hop mâtiné de dubstep (oui, je me laisse aller aux étiquettes, je ne le ferai plus !!) d'une incroyable épaisseur.   

   Le sommet est atteint avec "Above water" : chef d'œuvre de presque quatorze minutes, virtuellement infini. Chant des claviers et des drones, vents électroniques, boucles rythmiques insidieusement implacables : l'univers n'est plus que ce battement distendu qui envahit le sang et les artères. On se laisse aller, le bonheur est là, dans ces boucles-mondes des origines, lorsque l'esprit survolait les eaux primordiales. Titre prodigieux, proprement mystique, en roue libre pour anéantir les apparences, les illusions !

    "We Walk together" semble se dérouler sur une planète lointaine. L'univers grésille, la voix de Kiki est portisheadienne en diable, double de Beth Gibbons porté par un courant hypnotique et des chœurs, des claviers poussiéreux et transcendants. L'univers est rayé de zébrures fauves jusqu'au jugement dernier ! "Our love" achève le périple. Tout a basculé vers un ailleurs narcotique peuplé d'échos plus que de voix, de réverbérations et de vagues sidérales.

   Un sacré coup de cœur, et il faut ça après Bruit Noir, histoire de réenchanter le monde...en l'oubliant d'abord, le temps des écoutes et de leurs prolongements en nous.

   J'attends évidemment les éditions 2, 3 et 4 annoncées, qui permettront à King Midas Sound de tester d'autres collaborations.

-------------------

Edition 1, paru en septembre 2015 chez Ninja Tunes / 9 pistes / 60 minutes environ.

Pour aller plus loin :

- la page du label consacrée au disque.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 août 2021)

Lire la suite