musiques ambiantes - electroniques

Publié le 29 Juillet 2022

Lawson & Merrill - Signals

   David Margelin Lawson et David Merrill, ingénieurs du son et stylistes sonores, se sont rencontrés il y a longtemps déjà pendant des sessions d'enregistrement aux studios CityVox de New-York. Ils partageaient des goûts musicaux voisins : un intérêt passionné pour la musique électronique du milieu du vingtième siècle et des compositeurs comme Morton Subotnick, Éliane Radigue ou Steve Reich. Toutefois, ce n'est que récemment qu'ils ont commencé à partager des idées et à collaborer. Signals est le premier fruit de leur travail commun. Ils présentent l'album comme des "peintures soniques sculptées".

      Les instruments ? Toute une palette allant d'anciens synthétiseurs analogiques ou modulaires de collection à des ARPs et des Moogs modernes.

   L'album compte cinq titres assez longs, entre six et seize minutes. Une ample "Morning Meditation", le plus long titre, étire une toile ambiante chatoyante aux nuages de drones changeants, qui permet de déployer les couleurs et les timbres des différents synthétiseurs. Une manière de rompre avec le quotidien sous pression de nombre de nos contemporains, et par conséquent de se baigner dans ce flux magnifique et paisible.

   "A Day at the Beach" sculpte davantage les textures. Sur fond intermittent de vagues profondes surgissent des motifs mystérieux, les battements sourds d'oiseaux inconnus. Il y a un petit côté Tangerine Dream (celui des premiers disques) dans ce mini opéra au seuil de l'étrange, ces lentes volutes répétées dans un crescendo dramatique. On appréciera le contraste entre matières graves, épaisses, et surgissements striés d'aigus rayonnants. De toute beauté !

     L'eau, chuintante en pluie micro fine : c'est le début de "Rivière", pièce reichienne à la pulsation irrésistible. Les synthétiseurs combinent vives approches percussives et robes colorées, parfois froissées. Après un brève accalmie autour de dix minutes, la pulsation revient, enrichie d'un substrat de drones majestueux et de voix synthétiques - on les avait brièvement entendues au début, et en même temps plus alanguie, peuplée de petits événements sonores. Une autre grande réussite de l'album.

   Des vents se lèvent, une tourmente sombre, grandiose : "Dark Angel" est comme un puits de ténèbres bruissantes dans lequel chute une lumière étouffée, celle de Lucifer sans doute, au rayonnement trouble et inquiétant. Un ultime sursaut d'une splendeur explosive avant la disparition dans les vents du néant...

   La "Coda" finale, puissamment diaprée, est une sorte d'hymne énorme...aux charmes infinis des synthétiseurs rutilants !

   Après un premier titre ambiant que certains trouveront peut-être un peu convenu en dépit de ses indéniables attraits, un disque tout à fait réussi aux compositions colorées, sculptées en effet dans les moindres détails par deux amoureux (professionnels) du son.

Paru en juin 2022 chez Neuma Records / 5 plages / 57 minutes environ

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Publié le 21 Juillet 2022

T. Gowdy - Miracles

   Pour Miracles, son deuxième disque chez Constellation, le producteur montréalais/berlinois T. Gowdy, présent dans de nombreux festivals et galeries, s'appuie sur des sources créées à l'origine en 2018 pour un projet audiovisuel inédit basé sur des images de surveillance. Il couple ces matériaux avec différents procédés électroniques pour nous donner un album de Musique de Danse Intelligente (IDM en anglais : Intelligent Dance Music) qui mérite vraiment le détour.

   "350J"sert de brève préface : atmosphère lourde, épaisse, dont émerge des sons tourbillonnants chargés de scories, déchirés de stries granuleuses. Le titre éponyme nous emporte avec son rythme bondissant, sa mélodie en boucles lancinantes. Émaillé de pétillements percussifs, il mute en ronflements saturés et tressautements internes. La machine IDM est parfaite ! "Déneigeuse", dont le titre ne manque pas d'humour, peut en effet évoquer le démarrage pétaradant d'une déneigeuse, transformé en transe métallique hypnotique, puis en glissements ambiants.

   L'attrait de cette musique tient à sa dimension malgré tout vivante, les textures électroniques agitées de battements, gonflées de pulsations, de renflements. "Transcend I", "U4A" bouillonnent, le deuxième titre hanté par une strate assez proche de la voix humaine dans l'énorme montée orgasmique du plasma électronique. D'où des lignes incantatoires étonnantes. "Vidisions" est un bel échantillon de techno minimale agrémentée de glitches qui s'insère parfaitement dans cet album rigoureux, plus austère au fil des morceaux.

   "Clipse" effectue un virage encore plus net vers une musique électronique abstraite et impeccable, d'une sombre beauté. À mon sens, le chef d'œuvre de ce disque dont "Transcend II" est l'épilogue assez flamboyant.

   Laissez-vous envoûter par cet itinéraire fascinant !

Paru début juin 2022 chez Constellation Records / 8 plages / 38 minutes environ

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Publié le 11 Juillet 2022

Instruments of Happiness - Musique lente et tranquille à la recherche du bonheur électrique / Slow, quiet Music In Search of Electric Happiness

   L'ensemble de guitares électriques de Montréal, Instruments of Happiness, qui peut prendre des configurations différentes, se consacre à l'interprétation de la musique nouvelle sous la direction artistique de Tim Brady . Ici, il est constitué par un quatuor de quatre instrumentistes. Tim Brady (l'un des membres du quatuor) a donné une même consigne à quatre compositeurs canadiens : écrire une pièce de quatorze minutes environ, pour quatre guitares très espacées dans un espace réverbérant. Comme l'idée était de jouer la musique dans l'église Le Jésus de Montréal, dont le temps de réverbération est de sept secondes, l'équipe de production a utilisé une réverbération à réponse impulsionnelle numérique pour recréer la réverbération du lieu, avec un micro rapproché sur les amplificateurs de guitare pour capter le son détaillé des instruments.

Les quatre instrumentistes

Les quatre instrumentistes

   C'est la compositrice Louise Campbell qui ouvre l'album avec une pièce langoureuse, "Sideways", s'étirant voluptueusement dans l'espace, tout en fines franges mystérieuses, d'une nervosité plus rock dans la seconde partie sans jamais renoncer à une spatialité un peu diaphane qui ménage bien des surprises.

      Suit Rose Bolton, pas inconnue dans ces colonnes, puisque j'avais célébré comme il se doit l'excellent The Lost Clock en octobre 2021. Pour des oreilles non averties, il est au début difficile de reconnaître des guitares électriques, tant elles sont jouées comme des claviers, produisant drones et nappes. Le titre, "Nine Kinds of Joy", ne ment pas : ce morceau d'une grande quiétude radieuse dans son premier tiers devient le théâtre de surgissements envoûtants, guitares tournoyantes comme des astres lointains entourés d'un halo suave. Rose Bolton est vraiment une des grandes compositrices d'aujourd'hui. Les textures sonores sont d'un grand raffinement, permettant aux guitares d'apparaître dans une lumière surnaturelle au fil de la composition, une lumière arachnéenne d'une extraordinaire délicatesse. Les quatre dernières minutes, traînées et gouttes de guitare créent un paysage chatoyant, celui d'une joie cosmique et océanique à la fois. Absolument magique !

   Deux femmes, puis deux hommes... Le guitariste et compositeur Andrew Noseworthy présente avec "Traps, taboos, tradition" une œuvre déconcertante, trouée de silences. Une virtuosité déconstruite, parfois ravageuse, finalement au service d'une pièce presque méditative par moments malgré elle... conformément au cahier des charges ! Les guitares frottent, éraflent, dérapent sur les cordes, jouent des résonances : elles semblent jouer comme des chattes miaulantes qui se répondent tout en restant à distance, bien sûr. Pourquoi le bonheur serait-il sérieux ? L'autodérision, voire une certaine verve satirique bon enfant se donnent rendez-vous, pour éviter les pièges, les tabous de la tradition, ne pourrait-on comprendre le titre ainsi ?

   Le ton change évidemment avec la pièce suivante, "Notre-Dame is burning" d'Andrew Staniland, guitariste et compositeur, dont le titre est chargé de connotations dramatiques. Guitares grondantes comme des avions décrivant des cercles inquiétants, guitares pour une élégie déchirée, une plaintive montée au ciel de flammes bientôt environnées de fumées de drones étouffants. L'atmosphère est lourde, pourtant les guitares percent, s'envolent pour une prière extatique, pour d'autres flammes à l'étincellement inextinguible. Le morceau oscille ainsi entre l'ombre et la lumière à travers une gamme de demi-teintes mourantes, les graves tentant de recouvrir d'une chape de mort les oraisons fragiles des guitares écorchées. L'expressionnisme épuré atteint une grande et émouvante beauté !

    Quatre quatuors pour guitares électriques qui n'ont rien à envier aux meilleurs quatuors à cordes d'aujourd'hui, servis par l'éblouissante maîtrise instrumentale de L'ensemble Instruments of Happiness.

Paru fin avril 2022 chez Redshift Records /  4 plages / 58 minutes environ

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Publié le 17 Juin 2022

Luca Forcucci - The Room Above

    Luca Forcucci a étudié la musique électroacoustique à Genève, conduit des recherches à l'INA/GRM à Paris, gagné de nombreux prix internationaux. Sa musique est publiée notamment par Sub Rosa (Bruxelles), Cronica Electronica (Porto), son propre label LFO Editions, et pour ce disque par la maison de disques japonaise mAtter. The Room After a été enregistré dans l'église située au-dessus du Cercle Helvétique de Gênes, où il était en résidence entre septembre et décembre 2020. Dans cette église, Luca a joué quatre jours consécutifs, sans partition, sur l'orgue. Il dit avoir tenté de faire entrer l'identité sonore architecturale du bâtiment dans l'enregistrement, qui superpose et mêle à ce substrat d'orgue les réverbérations amplifiées et échantillonnées, des enregistrements de terrains et la projection d'autres espaces sonores, ceux d'autres concerts dans d'autres lieux, si j'ai bien compris.

    L'album se décompose en trois moments, titrés en décomposant le titre : "The" / "Room" / "Above". La première partie s'envole sur l'orgue tournoyant au milieu d'un halo électronique, s'abîmant dans des trous noirs de bruits blancs ou noirs. On vogue dans la mer cosmique, submergé de vagues énormes qui n'empêchent pas le radieux de monter toujours plus haut dans une lumière d'orage magnétique, avec des déchirements, des hachures. Rien n'arrête la trajectoire de cette beauté fulgurante en perpétuelle métamorphose !

   "Room", c'est la chambre des rumeurs, des esprits, la chambre hantée, dans laquelle la polyphonie des espaces sonores résonne, donnant naissance à un mille-feuilles vertigineux. L'espace ainsi creusé, agrandi, accueille tous les monstres électroacoustiques qui recouvrent l'orgue d'une toge grouillante, mais l'orgue se défend, resurgit en lames rayonnantes. Étonnant concerto goyesque où ne manquent pas les grotesques, les apparitions à la Füssli dans la traîne majestueuse de l'orgue. Prodigieuse musique !

   La troisième partie, "Above", si elle voit le retour en force de l'orgue, est aussi la plus envahie de perturbations électroniques lourdes. Morceau stratosphérique où la robe royale de l'orgue est fissurée de secousses, secouée, tronçonnée, sans d'ailleurs qu'elle perde de sa beauté transcendante, au-dessus de toute souillure, de toute atteinte.

   Un disque éblouissant, à écouter d'une traite !

Paru début juin 2022 chez mAtter / 3 plages / 35 minutes environ

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Publié le 20 Mai 2022

Gintas K - Lèti

   L'artiste sonore et compositeur lithuanien Gintas K sort, seize ans après son premier disque chez Crónica, l'excellent label portugais consacré aux musiques électroniques et expérimentales, Lèti, « Lent » en lithuanien. Onze titres de musique électronique à la fine granulation : regardez bien la pochette !

   Clochettes, touches de synthétiseur : un clapotis, un tintinnabulement enchanteur, c'est "Bells", surprenante vignette pastorale qui s'enfonce dans la touffeur des herbes électroniques. Vous y êtes ! Et ce n'est pas une "Hallucination" (second titre) désagréable. La musique gonfle, fait des bulles, danse imperceptiblement. De la musique pour des toiles d'Yves Tanguy. De petites toiles arachnéennes. Ce qui n'empêche pas l'envol de "Various", synthétiseurs grondants et dramatiques, toute une cavalerie grandiose jamais pesante en effet, du Tim Hecker micro-dentelé, avec une belle stase onirique à la respiration sous-marine. Superbe travail !

   Avec "Variation", la musique devient borborygmes, boursouflures minuscules du matériau sonore : surgit un monde étrange près de s'engloutir. "Atmosphere" est au contraire saturé, débordant d'événements sonores qui  se ralentissent, s'étalent autour de virgules ironiques sur fond de drones poussiéreux. Pas le meilleur titre, selon moi, ventre mou de l'album. Je préfère "Savage", granuleux en diable, crapaud sonore pataugeant dans une bouillasse électronique vaguement monstrueuse, dont émerge une poussée formidable, pustuleuse de bruissements métalliques serrés, qui retourne à la vase lourde. "Guitar" ? Souvenir énigmatique d'un instrument fantôme, réduit à des griffures courtes, espacées, accompagnées de gribouillis balbutiés !

   L'un des meilleurs titres de l'album, le miraculeux "Nice Pomp", est d'une délicatesse confondante, ce qui n'exclut pas une belle force. Le foisonnement électronique est travaillé en couches à multiples facettes qui s'estompent avant un finale hoquetant. "Query", à l'énigmatique beauté transparente, se charge peu à peu de poussées cascadantes d'orgue avant de retourner à un calme bucolique parsemée de fleurettes sonnantes : Gintas K est le maître de ces petites pièces précieuses ! L'avant-dernier titre, "Ambient", s'inscrit parfaitement dans cette esthétique raffinée. Il associe jeux d'eau et nappes synthétiques légères, créant une sorte de jardin japonais sonore, apaisant et nimbé de mystère grâce à son chemin de drones amortis.

   Le "Bonus Sound" conclut ce parcours par un hymne ambiant somptueux, feuilleté de frémissements, à la magnifique granulation électronique.

   Indéniablement un grand disque, subtilement ciselé !

Paru fin avril 2022 chez Crónica / 11 plages / 47 minutes environ

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Publié le 18 Mai 2022

Maria Moles - For Leolanda

   J'avais sélectionné ce disque, puis il a été relégué dans la file d'attente, sans doute à cause du premier titre, d'une ambiante électronique assez convenue m'a-t-il semblé alors. Un peu par hasard, en faisant de la photographie, j'ai réécouté les quatre titres de l'album. Enthousiasmé par les titre suivants, me voilà parti pour un petit article !

   Maria Moles est une percussionniste et compositrice australienne. Dédié à sa mère Leolanda, le disque part de ses racines familiales aux Philippines pour combiner le rythme et le timbre des diverses musiques de ce pays avec des percussions, un synthétiseur et des bols chantants, des cymbales à archet et des cloches, associant donc éléments électroniques et acoustiques. Elle s'inspire  de la musique Kulintang de ces îles.

Maria Moles par Nick McKinlay

Maria Moles par Nick McKinlay

   Le premier titre, "River Bend", est à dominante de synthétiseur, très ambiant, les touches acoustiques modestes, enfouies dans la masse électronique ondulante. Bon morceau, certes, mais à mon oreille assez conventionnel. Le disque devient passionnant avec le second titre, "In Pan-as", hommage indirect à sa mère, qui lui avait demandé de disperser ses cendres après sa mort sur la ferme Pan-as où elle jouait régulièrement. Elle a tenté d'écrire un rituel en partant de l'écoute de l'album Muranao Kakolintang - Philippine Gong Music, construisant la partie batterie qui ouvre le titre à partir d'un rythme entendu sur cet album. Le synthétiseur vient greffer sur le rythme hypnotique un vent de fond mystérieux qui envahit le premier plan lorsque la batterie cesse son battement. Les drones vibrants sont parcourus de touches percussives, de cloches, et dès ce moment, on sait qu'on se trouve dans un grand disque inspiré. Les bols chantants instaurent un dialogue avec les autres percussions, créant un carillonnement lent, espacé, de toute beauté. Quel magnifique rituel pour rendre hommage à un mort cher ! Des traînées électroniques, des frottements de cymbales accentuent le côté spirituel, immatériel, de la composition, dentelle diaphane sur le silence.

   Inspiré par la tribu du même nom, "Mansaka" est tout aussi fascinant. Cercles de synthétiseur auxquels répondent en écho comme des chants synthétiques : envoûtement garanti ! Peu à peu, des éléments acoustiques s'enchâssent finement dans ces tournoiements chatoyants, cliquetis léger tel un bracelet en mouvement, puis les percussions se déchaînent pour une transe de résonances. Un deuxième chef d'œuvre ! Le dernier titre, "Distant Hills", est le plus ouvertement exotique, avec ses percussions évoquant un orchestre gamelan (l'Indonésie n'est pas loin). Là encore, Maria Moles marie les harmoniques des percussions et celles du synthétiseur, qui joue le rôle d'un cocon résonnant.

   N'hésitez pas à franchir le premier titre, tout à fait écoutable d'ailleurs, pour découvrir ce beau disque très original ! Une musique électro-acoustique délicate et prenante, forte.

Paru fin janvier 2022 chez Room40 / 4 plages / 37 minutes environ

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Publié le 6 Mai 2022

Yann Novak - Reflections of a Gathering Storm

   Artiste interdisciplinaire et compositeur installé à Los Angeles, Yann Novak produit des albums numériques assez courts. Comme j'avais manqué l'un des précédents, il sera abordé à la suite de Reflections of a Gathering Storm qui vient de sortir.  Pour ce dernier, Yann Novak précise qu'il souhaitait explorer le sentiment nébuleux d'instabilité et d'insécurité qui semble imprégner actuellement nos vies. Aussi a-t-il cherché à se rendre vulnérable sur cet enregistrement. Il a associé des sons synthétisés à des enregistrements de sa propre voix, essayant de chanter. Les morceaux tentent de faire écho à cette délicate précarité, comme si nous étions au bord de l'effondrement. Les titres des trois titres renvoient à cette expérience particulière : un tremblement de lumière / la partie d'elle qui pouvait ressentir avait disparu / le frisson de la destruction imminente.

   C'est une musique électronique ambiante mouvante, grondante, comme une nébuleuse (en effet) en voyage, avec des attaques particulaires vibrantes, chargées de drones. Le monde vacille sur sa base, la lumière tremble (titre 1). Un chant, à peine un chant dans le lointain des nuages de drones dans lesquels tournent des spirales noires. Un orgue ne parvient plus à diffuser ses nappes, déchirées et froissées, hachées, il n'en reste que des bribes menacées, cernées (titre 2). Quel frisson monte ? Quelque chose d'énorme est sur le point d'éclore, de tout recouvrir. Angoisse somptueuse... et soudain une poussée formidable de lumière trouble, la venue du cataclysme, sur les bords du ravage, comme un bateau au sommet de l'entonnoir du maëlstrom. On ne peut que se laisser glisser, happer par l'envoûtante douceur mortelle.

   Beauté noire de ces joyaux ambiants !

Paru en avril  2022 chez Playneutral / 3 plages / 22 minutes environ

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Couverture de "Lifeblood of Light and Rapture"

Couverture de "Lifeblood of Light and Rapture"

   De Lifeblood of Light and Rapture Yann Novak dit qu'il voulait explorer le paradoxe sans doute central de notre époque : la plupart des choses que nous essayons pour rendre le monde vivable contribuent à sa destruction. Qu'il espérait que sa musique, elle, apporterait de la lumière sans causer de dommages...

   Un quatre titres vraiment magnifique. Quatre toiles ambiantes de drones, d'orgue et de synthétiseurs. Tournoiements, pétales colorés de fleurs mouvantes, orageuses. Yann Novak écrit une musique grandiose se déployant dans des titres assez longs, entre sept et dix minutes, que le titre trois, "The Ecstasy of Annihilation", résumerait assez bien. Elle exprime l'admiration, la fascination suscitée par la perspective de la disparition, de l'effacement : rien n'est plus beau que cette proximité terrible, que ce ravissement dans la lumière terminale. Quand nous serons partis, le silence restera suspendu dans l'air ("Silence Will Hang in the Air (When We Are Gone)") : longue respiration, velours des textures floues, lente montée de la lumière dans un halo de drones suaves...

Yann Novak : maître des musiques d'entre-deux mondes !

Paru en juin  2021 chez Room40 / 4 plages / 34 minutes environ

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Publié le 22 Mars 2022

Ale Hop - Why Is It They Say A CIty Like Any City ?

   L'artiste expérimentale d'origine péruvienne Ale Hop (pseudonyme de Alejandra Cárdena) travaille à Berlin. Elle a commencé sa carrière dans les années 2000 à Lima, sur la scène underground, où elle a participé à des groupes aussi bien pop, punk, que de musique électronique. C'est pendant un périple en Amérique latine, dans un contexte de confinement et d'immobilité, qu'elle a lancé des messages postés dans différentes villes à treize musiciens d'un peu partout, qui ont relevé le défi en lui répondant par des collaborations sonores. Elle a reçu ainsi des enregistrements de terrains, des drones de violoncelles, des percussions de bouche, des boucles électroniques, des rythmes et des voix arythmiques. Elle a assemblé, superposé, tordu, transformé ces matériaux, d'où résultent les six vignettes de l'album Why Is It They Say A City Like Any City, en s'interrogeant, nous dit-elle, sur le lieu, la circularité, l'enracinement et l'expérience. Elle a voulu, derrière cette expérimentation, utiliser la géographie comme outil de mémoire et d'imagination pour faire émerger de nouveaux paysages sonores.

Ale Hop par R.S.Z.

Ale Hop par R.S.Z.

   C'est cette dimension de paysages sonores qui m'a séduit très vite. Des paysages moins abstraits qu'on pourrait le penser, vivant chacun de leur propre vie, d'une géographie intériorisée. La première vignette, "The Mountains That Eats Men" (collaborateurs sonores : Raul Jardin et la marocaine Sukitoa o Namau), mélange synthétiseur déraillant ou haché et voix synthétisée délivrant un message ou complètement désossée de manière répétitive. Je pensais curieusement à certains morceaux du groupe Gong, pour un onirisme très fin, les spirales écrasées de boucles translucides, un vague côté pop psychédélique discrètement rythmée. Une très belle entrée dans l'album ! "Mayu Islapi" (collaborateurs : Ana Quiroga, Fil Uno et Ignacio Briceño) unit drones de violoncelle, synthétiseurs et électronique dans un chant envoûtant d'après la composition andine éponyme, mélodieux, autour de boucles alanguies, profondes, rythmées en profondeur. Lorsque la voix de Fil Uno se met à chanter à l'arrière-plan, on est à la confluence des musiques traditionnelles et expérimentales, d'autres voix tissées autour de la première constituant une polyphonie raffinée évoluant entre le synthétiseur aigu d'Ana Quiroga et les drones de synthétiseur de Ignacio Briceño.  La mexicaine Daniela Huerta (sons de terrain, échantillons, synthétiseurs) et Manongo Mujica (udu - percussion idiophone du Nigéria en forme de jarre - et voix percussives) ont collaboré au troisième titre, "Latitud 0", qui nous entraîne dans une contrée maritime équatoriale : bruit des vagues, instruments traditionnels, chants tribaux. Dépaysement garanti avec des voix déformées, des chuintements réverbérés, une atmosphère magique peuplée de miaulements, d'esprits, de cascades lumineuses !

Lettre envoyée pour le titre "Mayu Islapi"

Lettre envoyée pour le titre "Mayu Islapi"

   "They Thought of Themselves" (collaborateurs : l'australienne Felicity Mangan, sons de terrain et synthétiseur et KMRU, alias de Joseph Kamaru de Nairobi - présent sur l'album Touch paru en 2021 -, sons de terrain et synthétiseur) nous plonge dans une ambiante aérée : oiseaux, murmures de drones, électronique vaporeuse évoquent une intériorité paisible, chaude, voluptueuse, parcourue de courants sourds. "Chiapas Y Phinaya" (collaborateurs : Conceptión Huerta, enregistrements de terrain et bandes magnétiques et Tomas Tello, sons de terain et charango, sorte de guitare des populations andines) est construit sur de brèves séquences montées de manière hachée, donnant l'impression d'une fête foraine qui aurait déraillé, rythmée par de fines percussions étincelantes, puis déchirée d'éclats zébrés, travaillée par des nappes électroniques sourdes. Tout à fait incantatoire, ce Mexique et ce Pérou (Phinaya est une ville du Pérou) de la mémoire ! L'album se termine avec "Once Upon A Time" (collaborateurs : Elsa M'Balla, voix, synthétiseur et échantillons, et l'artiste multimédia chilienne Nicole L'Huillier aux échantillons percussifs), titre bouillonnant, aux percussions bondissantes sur la voix grave et rocailleuse d'Elsa, parfois démultipliée, réduite à des fragments très courts, au synthétiseur diaphane : comme un conte mystérieux, immémorial, enchâssé dans un faisceau de splendeurs irisées, qui s'efface pour laisser la place à une traînée méditative.

   Merveilleuses vignettes intemporelles : six microcosmes finement ciselés pour exprimer l'infinie variété du monde !

Lettre envoyée pour le titre "Once Upon A Time"

Lettre envoyée pour le titre "Once Upon A Time"

Paru en février 2022 chez Karlrecords / 6 plages / 39 minutes environ

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