musiques percussives

Publié le 10 Septembre 2024

Connor D'Netto & Yvette Ofa Agapow - Material

[À propos du disque et des compositeurs]

Connor D'Netto et Yvette Ofa Agapow sont deux musiciens australiens pouvant être présentés comme "post-genre", tant ils mêlent de tendances et d'influences. La musique de Connor D'Netto navigue entre post-minimalisme, néo-classique, pop, musique électronique ; celle de Yvette Ofa Agapow est entre bruitisme, ambiante, musique de bourdons, etc. Première collaboration entre les deux artistes, Material est l'instantané de deux tranches de vie, sorte de collage sonore marqué par des souvenirs et événements personnels, traumatiques ou non, et leur goût pour des matériaux sonores comme les bandes magnétiques, le métal, les fibres naturelles et divers objets. Élaboré sur une longue période, le disque comporte cinq parties titrées "Material" I à V, avec ajout de quelques mots en guise de programme : "chute rugueuse, bras écorchés" / "lin posé sur la pierre" / "ça vient par vagues" / "déficit en dopamine" / "à temps"

Connor D'Netto & Yvette Ofa Agapow par George Levi

Connor D'Netto & Yvette Ofa Agapow par George Levi

[L'impression des oreilles]

  Au début, l'impression d'une musique post-industrielle : machines errantes... Mais les bourdons opaques, les longues traînées spiralées créent un univers sonore énigmatique, celle d'une musique ambiante hantée en son cœur par des présences discrètes, dissimulées derrière des blocs se transformant soudain en sources de lumière, et c'est le très beau "Material II", lin posé sur la pierre, liquide et ouaté, flux minimaliste à la douce pulsation, très reichien jusque dans l'usage de marimbas ou instruments voisins : pluie micro-syncopée en gouttelettes micacées, sous-tendue de drones de velours !

   Entre de brèves ponctuations percussives, "Material III" alterne glissandos ténus comme sur le bord d'un verre et vagues surgissantes, violentes et râpeuses, tornades troubles au milieu desquelles s'entrechoquent des nuages de particules. Peu à peu, les glissandos s'étoffent de phrases mélodiques animées que les vagues détruisent rageusement sans parvenir à les faire disparaître : la fragilité renaît au cœur des tourmentes !

    "Material IV", déficit de dopamine, paraît désarticulé, percussions erratiques comme des bulles dans le vide, parfois troublées de déflagrations mourantes, puis cela se construit, se sédimente, coagule dirait-on autour de vagues électroniques, de grouillements, de déchirures, avec un crescendo crachotant, lacéré par les cymbales, orgasme douloureux avant l'apaisement.

   La voix humaine apparaît en "Material V", voix fragile dans un milieu quasi amniotique, caverne de bourdons continus et de clapotis. Une voix infra-humaine (masculine ?) semble répondre à la voix féminine en un étrange duo ralenti tandis que s'éteignent les dernières sombres couleurs musicales.

----------------------------

Une fantaisie électronique en cinq mouvements nimbée d'une belle aura poétique.

 

Paru début août 2024 chez Room40  (Brisbane, Australie) / 5 plages / 38 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur Bandcamp :

Lire la suite

Publié le 26 Août 2024

Giraffe - ATOMS

[À propos du disque et des compositeurs]

Le trio GIRAFFE, de Hambourg, est composé de Sasha Demand à la guitare, de Jürgen Hall aux claviers et à l'électronique, et de Charly Schöppner aux percussions, ce dernier décédé avant la fin de l'enregistrement. Ce disque a été réalisé dans le garage de Schöppner, puis, posthume, terminé par les deux autres membres. Il comprend neuf compositions improvisées d'une durée de six à plus de neuf minutes chacune.

[L'impression des oreilles]

   On ne balance pas longtemps avec un tel disque. L'album forme manifestement un tout, d'où la numérotation de 1 à 9 (dans le désordre). Ces trois-là entraînent l'auditeur dans le creuset magnétique d'une électro-pop expérimentale hantée, celle de la giration des atomes, chargée de luminescences. C'est une musique intense, dense, solidement structurée par les percussions. On passe d'un post-rock sombre, incandescent, traversé de sirènes et de larges ondulations synthétiques striées de guitare ("ATOM IX"; titre 3), à une musique minimale déchirée, lancinante comme l'extraordinaire "ATOM VIII" (titre 4).

"ATOM VII" (titre 5) allie magistralement percussions variées, claquantes, modulations synthétiques, guitare préparée dans une pièce post-industrielle en fusion, lacérée. "ATOM VI" (titre 6) gronde et chuinte entre des frappes lourdes : musique noire, d'une énergie condensée, musique hallucinée d'un monde pilonné chantant sous les bombes !

Les trois bonus numériques (ATOM II, III, et IV) sont tout aussi impressionnants, plus hiératiques, arides. Le II et le III semblent l'émanation d'une créature fantomatique, enchaînée dans un monde glacial. Une musique idéale pour L'Enfer de Dante ! Au contraire, le IV s'envole, orgue grandiose et ténébreux charriant dans ses plis un capharnaüm percussif, comme une révolte de la matière rebelle à la transcendance. Quelle apothéose...pandémoniaque !

------------------

Un des grands disques de cette année. Une écriture d'une puissante fermeté, à tel point qu'on en oublie la dimension improvisée, trop souvent synonyme de relâchement et de complaisance. Magnifique !

Paru en juin 2024 chez Stoffe (Hambourg, Allemagne) / 9 plages / 1 heure et 3 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur Bandcamp :

Lire la suite

Publié le 13 Décembre 2023

Eugene Carchesio + Adam Betts - Circle Drum Music

   Lawrence English, fondateur de Room40 et musicien éminent de la scène électronique et ambiante, a organisé la rencontre et conçu le disque de l'australien Eugene Carchesio et du britannique Adam Betts. Le premier s'est fait connaître dans le monde des musiques électroniques par une série baptisée "Circle Music", entre minimalisme et techno. Le second est un percussionniste qui a joué avec de nombreux groupes de rock, punk et métal, influencé par le jazz créatif et les sons électroniques qu'il retraite dans ce disque où l'on retrouve aussi son énergie.

   Le premier des vingt-et-un courts titres (de "A" à "U") ressemble furieusement à du Steve Reich passé à la moulinette techno-punk-industriel : puissant, brut, il nous attaque de front ! Passé cette entrée presque furieuse, on est surpris par l'inventivité de cette musique qui mêle étroitement frappes percussives énergiques et traitements électroniques extrêmement fins. Respirations rythmées sur fonds frottés, roulements qui emportent tout, impressions d'excavations dans un univers de particules clignotantes...Le disque exprime une joie pure, chaque pièce instaurant un monde sonore propre. "E" est une danse hypnotique jouant sur un beau contrepoint percussif, sous-tendu par une couche électronique vibrante. On est surpris de ne jamais s'ennuyer, ce qui advient pour nombre de disques de percussion ! Le dépouillement de l'écriture fait de chaque morceau une épure abstraite d'une grande efficacité, ce qui n'exclut pas un foisonnement bruitiste, post-industriel, comme sur "G".

   On est chaque fois emporté par une force, un déferlement, et comme obligé à l'attention par la richesse des agencements sonores, cette élégante concision du cercle de l'idée directrice de la composition. Prenez "O", ce pourrait être une banalité, ce rythme syncopé, mais il vire à l'incantation, me rappelant soudain la musique hallucinée d'Andy Stott, en plus magnifiquement sec ! "P" a tout d'un petit poème électronico-percussif facétieux, tout comme le suivant d'ailleurs, sur un flot roulant de sortes de crécelles. Après ces deux titres, les plus longs, au-dessus de deux minutes, on revient à des miniatures étincelantes, irrésistibles.

   Un disque lumineux et nerveux, étonnant, pour éventuellement se réconcilier avec les percussions.

Paru en novembre 2023 chez Room40 (Brisbane, Australie) / 21 plages / 30 minutes environ

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

Lire la suite