pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 3 Décembre 2013

Braids - Flourish // Perish

Dans l'ombre de Steve Reich !

Meph. - Tu as entendu ? Ils ont des oreilles, Braids ! "Victoria", le premier titre de leur nouvel album, on dirait un remix de Music for 18 instruments de Steve Reich...

Dio. - On ne va pas s'en plaindre ! Enfin une pop écrite comme de la musique, pas seulement des chansons ficelées en série.

Meph. - C'est leur deuxième album, à ce trio de Montréal. Et on se réjouit du mariage très réussi entre pop et musique électronique. Ce qui me plaît énormément, c'est l'association de la petite voix flutée, caressante de la chanteuse...

Dio. - Un parfum de Björk, Kate Bush...

Meph. - Si tu veux...association, disais-je, entre cette voix de chanteuse pour midinettes...

Dio. - Comme tu y vas !

Meph. - Tu ne me connais pas encore ? Je reprends : et un accompagnement vraiment élaboré, alliance de machines et de percussions synthétiques qui enveloppe la voix dans un filet serré, constamment inventif.

Dio. - Ajoute que la chanteuse donne parfois de la voix, elle a du coffre, la petite !

Meph. - C'est vrai ! Les compositions jouent avec cette voix, la démultiplient pour abolir l'écart entre l'acoustique et l'électronique. Incarnation, désincarnation ? Rêveuses, comme le début de "Hossak", le titre 4, à l'atmosphère orientale grâce au pointillisme des claviers, et en même temps décalées par des bruissements d'ailes métalliques, des réverbérations, ralentis.

Dio. - Étranges, aussi. Pense à "Girl", le morceau suivant, délicatement découpé sur fond d'orgue, trois nappes convergentes, si l'on écoute bien : la voix, l'orgue, les percussions résonnantes, c'est superbe !

Meph. - "Together" commence presque comme du Autechre : glacial, piqueté au scalpel, mais l'orgue rajoute de l'émotionnel, et puis la voix très douce vient glisser sur le tout, dans un mouvement de larges boucles parfois bégayantes...

Dio. - On est déjà de l'autre côté de l'album, celui qui n'a plus peur de la durée, avec des titres plus longs, de véritables envolées...

Meph. - De la voix de la chanteuse, mais aussi des mélodies qui meurent dans les lointains...

Dio. - Je ne te savais pas si sensible, mon cher Meph...

Meph. - Il ne faut jamais s'en tenir à l'imagerie catholique...en plus, j'aime les chœurs de "Ebben", autre pièce dépaysante, qui n'hésite pas à casser le fil du chant pour laisser surgir un véritable paysage abstrait de toute beauté. Halte au ronron, vive l'invention, qu'ils nous disent, et là j'applaudis très fort ce patrouilleur de la garde de nuit !

Dio. - "Amends" continue le voyage aux confins, sorte de féérie aux paroles pleines d'humour et de techno ambiante aux recoins superbes, à nouveau discrètement hantée par Steve Reich !!

Meph. - Un régal, surtout dans sa seconde moitié, suivi par une autre merveille, "Juniper", intimiste et sensuelle, voilée d'un brouillard de sons électroniques qui se développe à nouveau pour lui-même, même si le chant revient se couler dans la pâte sonore épaissie, travaillée par des éruptions répétitives et une efflorescence somptueuse.

Dio. - Pour finir sur...Steve Reich, encore, tu en conviens ?

Meph. - C'est évident. Il y a la pulsation, le martèlement, de beaux passages...

Dio. - Récupéré et détourné au profit du chant, non ?

Meph. - J'en conviens...Mais ce n'est pas ma tasse de cigüe...trop de vocalises et de joliesses.

Dio. - Personne n'est parfait. Tu es dur quand même, il y a un vrai plaisir du chant, une folie étourdissante qui a beaucoup de charme. Un fort bon disque, malgré tes réticences. Qu'ils s'émancipent encore plus du format chanson, et on applaudira des quatre mains !

Meph. - Et des pieds fourchus ! Voilà qui nous change de la pop soporifique. Un bouquet de fraîcheur, ce trio ! On les classe malgré tout dans la pop, pour la commodité.

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Paru chez Arbutus Records / Full Time Hobby / Flemish Eye en 2013 / 10 titres / 55 minutes

Pour aller plus loin :

- le site du groupe

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 juillet 2021)

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Publié le 23 Juillet 2013

The Streets : le rap pour ne pas sombrer...

Ils auraient mérité une chronique (1)

   Onze ans après la sortie de Original pirate material, je garde un faible pour ce premier album de The Streets, le groupe du rappeur londonien Mike Skinner. Voix acides et agiles, boucles lancinantes, échantillons variés - dont un extrait du premier mouvement de la Symphonie n°9 dite du Nouveau monde (1893) d'Antonin Dvorak inséré dans le titre "Same old thing"- créent une atmosphère survoltée, dramatique et ultra-lyrique. Pour cette rétrospective incomplète et capricieuse des oubliés de ce blog, je vous propose le dernier titre, "Stay positive", avec les paroles en-dessous.

  La couverture est inspirée de Tower Inferno (1995) de l'artiste et photographe Rut Blees Luxembourg.

Un clip sur INACTUELLES ? Tout est possible...

             "Stay Positive"
 

Cause this world swallows souls
And when the blues unfold
It gets cold silence burns holes
You're going mad
Perhaps you always were
But when things was good you just didn't care
This is called irony
When you most need to get up you got no energy
Time and time shit'll happen
The dark shit's unwrapping
But no-one's listening your mates are laughing
Your brethren's fucking and then you start hating
Your stomach starts churning and you mind starts turning.
So smoke another draw
It won't matter no more but the next day still feels sore
Rain taps on your window
Always did though but you didn't hear it when things were so-so
You're on your own now
Your little zone you were born alone and believe me you'll die alone
Weed becomes a chore
You want the buzz back so you follow the others onto smack

Just trying to stay positive
Just trying to stay positive
Just trying to stay positive
Just trying to stay positive

Feels nice and still
Good thing about brown is it always will
It's easy, no-one blames you
It's that world out there that's fucked you
You know less of a person and if God exists
He still loves you
Just remember that - the more you sink the further back from that brink
Maybe you've lifetime scars and you think tattoos might be more fitting
But who's picking?
Searching for yourself you find demons
Try and be a freeman and grasp that talisman
Cause your the same as I am
We all need our fellow man
We all need our samaritan.
Maybe I'm better looking than you though
Maybe I've got more dough - but am I happier... no.
Get the love of a good girl and your world will be much richer than my world
And your happiness will uncurl

Just trying to stay positive
Just trying to stay positive
Just trying to stay positive
Just trying to stay positive

Stop dreaming
People who say that are blaspheming
They're doing nine to five and moaning
And they don't want you succeeding when they've blown it
And you idols - who are they?
They too dreamt about their day
Positive steps will see your goals.
Whether it's dollars or control, feel the gold.
I ain't helping you climb the ladder
I'm busy climbing mine.
That's how it's been since the dawn of time
If you reach a cul-de-sac
The world turns it's back
This is you zone, it's like blackjack
He might get the ace or the top one
So organise your two's and three's into a run then you'll have fucked him son
And for that you'll be the better one
One last thing before you go though
When you feel better tommorow you'll be a hero
But never forget today. you could be back here
Things can stray
What if you see me in that window?
You won't help me I know.
That's cool, just keep walking where you go.
Carry on through the estate, stare at the geezers so they know you aint lightweight
And go see your mates
And when they don't look happy
Play them this tape

Just trying to stay positive
Just trying to stay positive
Just trying to stay positive
Just trying to stay positive

I hope you understand me
Just trying to stay positive
I ain't no preaching fucker and I ain't no do-goody-goody either
This is about when shit goes pear-shaped
And if you aren't or never have been at rock bottom then good luck to you in the big wide world
But remember that one day shit might just start crumbling
Your bird might fuck off or you might lose your job
It's when that happens that what I'm talking about will feel much more important to you
So if you ain't feeling it, just be thankful that everything's cool in your world
Respect to BC
Positivity
Positivity

Just trying to stay positive
Just trying to stay positive
Just trying to stay positive
Just trying to stay positive
Graffiti à Athènes / Photographie (cliquer dessus pour agrandir) : Dionys Della Luce

Graffiti à Athènes / Photographie (cliquer dessus pour agrandir) : Dionys Della Luce

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 26 juillet 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 8 Juillet 2013

The National - Trouble will find me

   Trois ans après High violet, The National, - le groupe de Matt Berninger, auteur-compositeur interprète, des deux frères Dessner, Aaron (guitare) et Bryce (guitare et claviers), de Bryan (batterie - percussions)  et Scott (basse) Devendorf - a sorti en mai un cinquième album, Trouble will find me. D'abord peu emballé, je suis de plus en plus charmé : c'est mélodique, chaleureux, idéal pour cet été. Si vous ne les connaissez pas, il est encore temps...

   À ceux qui s'étonneraient de la présence de The National dans ces colonnes, je rappelle que Bryce Dessner, l'un des guitaristes du groupe, a été choisi par David Lang pour l'accompagnement de son cycle "death speaks": ce n'est pas rien !

   Deux vidéos (une vraie et une fausse) du quatrième titre, "Fireproof", peut-être mon préféré. La première propose deux vidéos en parallèle, pas si mal, la seconde permet de suivre les paroles. Vous pouvez toujours essayer de les synchroniser, ou de les décaler pour le plaisir...Bonne écoute !

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 9 juin 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 23 Décembre 2012

Revo - In Vacuum.

   Le duo morlaisien Revo revient avec un batteur en renfort pour son second album In Vacuum, quatre ans après leur très bon premier opus, Artefacts. Moins de machines, la batterie très présente, l'album est résolument plus rock, plus instrumental encore.

Meph. - Impeccable pour une fin d'année bourrée d'énergie. De quoi galvaniser tes lecteurs endormis  par tes musiques molles...

Dio. - Fielleux ! Tu n'en penses rien, monsieur le très noir. Là où tu touches juste, pourtant, c'est que l'album répond à un besoin, chez moi en tout cas. Beaucoup de disques de post-rock - je ne parle même pas de ceux qui se réclament du rock, aujourd'hui une musique d'un conformisme trop souvent confondant - note bien ma prudence, jamais de généralités - me tombent des oreilles, même des groupes connus comme Sigur Ros. Or, avec Revo, on est me semble-t-il juste entre post-rock et rock, à un point d'équilibre qui donne au disque sa force, son homogénéité. Rien en trop, rien de trop attendu : certes, pas non plus de total inconnu, mais des titres nets, sans graisse, efficace.

Meph. - Du concentré, qui tape bien, puissant sans être lourd, car ça lorgne aussi vers le hard rock. Le trio, un quatuor en concert avec un bassiste en plus, doit être redoutable. Leur univers est tout en flambées aérées par de brefs moments plus rêveurs, les titres compris entre une minute et une seconde et six minutes vingt-sept, pour être précis. C'est un format en pleine adéquation avec leur propos, réorienté vers une évidente musicalité. Un disque moins glacé, plus humain.

Dio. - J'aime beaucoup leur pochette : des condensateurs géants (?) emprisonnant des immeubles, des tours, comme s'ils captaient l'énergie de cette population enfermée, qu'ils la mettaient en circulation. Une énergie saine, que l'on sent bonne, traversée de fines nervures comme dans "Hunt", du beau rock bien fini commencé pourtant comme une incantation fantomale.

Meph. - "Verse of agony", d'une veine un soupçon plus noire et en même temps plus atmosphérique, est aussi impeccable avec son entrée à l'harmonium, sa progression post-rock et sa retombée toute en résonances. Et "Belly", plus ravageur après un début tremblé étonnant.

Dio. - Bref, un virage réussi, un disque réjouissant, qui sait surprendre par des moments quasiment orchestraux, un réel sens du ciselé. Et qui vient de nous permettre d'entrer dans le nouveau cycle, après la fin d'un monde...déjà samedi 22 décembre, 0h02 !!!

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Paru en décembre 2012 chez Offoron Records / 10 titres / 40 minutes

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 25 mai 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 24 Juin 2012

Gul de Boa - Le Chant des peaux si bleues

Il n'est jamais trop tard pour découvrir un artiste qui s'est accompli dans votre dos, en catimini. Gul de Boa en est ainsi à son cinquième album. Et ça fait sacrément du bien d'entendre de vrais textes sobrement et efficacement mis en musique. Et en français...

Meph. - Arrête, tu plaisantes ? Il n'anonne pas en anglais comme tous les fatigués de la langue et les pressés de gagner du pognon en s'exprimant dans la langue du marketing souriant qui n'a plus rien à voir avec celle de Shakespeare ?

Dio. - En amoureux de la langue, il la cajole pour parfois la disloquer à la manière d'un Jean-Pierre Brisset : ainsi, le chant des possibles devient au fil des redites le chant des peaux si bleues. La voix tour à tour incisive et limpide ou plus grave et rocailleuse, bien timbrée, se fait mordante, sensible, s'emporte et s'enflamme dans un environnement musical plutôt rock, très électrique. Splendide guitare sur plusieurs titres, "Le Pavé numérique" dès le départ, ou "Cocotte minute", et surtout les magnifiques "La fucking guitar" et "Un peu".

Meph. - Guitare, contrebasse, batterie : et basta, pas besoin de tout un équipement technologique élaboré. Une touche de piano çà et là, rien de plus.

Dio. - Avec des textes en prise sur notre quotidien, mais vu avec malice, comme dans le premier titre, "Le Pavé numérique", ou le parodique "Cocotte minute", histoire d'un petit malfrat d'aujourd'hui intoxiqué par la société de consommation dont « Les cocottes sont (l')unique proie". Mais je me doute que certains titres ont plus particulièrement ta faveur...

Meph. - "Masochiste", confession hilarante d'un adepte de Sacher-Masoch. Ici, amour rime intérieurement avec...labour, délicieux à-peu-près : « Tape-moi sur le système / Prends moi le chou / Pousse-moi à bout / Fais-moi monter dans les tours / Sur mes grands chevaux / De labour, mon amour, / Et aux rideaux. » Et puis "Ton cul", plus pudique que ne le laisse penser le titre, et j'aime ce genre de décalage. Belle dialectique entre l'âme et le cul, pour une fois à égalité, sans fausse pudibonderie. Ou "Immature", une évocation d'un séjour peu conforme dans une maison de retraite : rebelle jusqu'au bout, Gul, dans ce monde dégoulinant de bonne conscience.

Dio. - La veine satirique est en effet réjouissante. Dans "Les Nouvelles du Dimanche", « Les sourires sont de mise et les souris soumises / Tranchent de géants gigots à des gendres idéaux. ». Verlaine revu par Queneau ou Boris Vian !!

Meph. - N'oublions pas des chansons...d'amour, voire méta...physiques.

 Dio. - "La fucking guitar", notre préférée, non ? La guitare chaude, en boucles insistantes et en longues trainées fulgurantes, sur un texte superbe. Je ne résiste pas au plaisir d'en citer le second couplet : « Tu sais petite moi des sirènes / J'en ai connu de plus coquines. / Elles avaient des yeux de Chimène / Et des mâchoires de requine. / Elles naviguaient entre deux mers / Poussées par les courants d'air chaud, / Là où s'accouplent les chimères / Aux dieux des reality show. / Sur les larges flots furibards / Tous secoué par les embruns, / Je ne faisais pas le malin. / Sur les larges flots furibards / Je composais des airs marins / À la fucking guitar. »

Meph. - Comme quoi on n'est pas contre l'anglais, à partir du moment où il est assimilé, couché dans notre langue comme dans un édredon de plumes fines.

Dio. - Je fonds à l'écoute de "24h", chant d'amour bouleversant pas si éloigné de la fougue folle d'un Léo Ferré, de "Mi ammazi (tu me tues)", voix et guitare, percussions frottées et sourdes...

Meph. - On aime sans restriction, pour tout dire, et on salue un frère qui nous rassure : on ose encore penser, chanter à mots nus, charnus, prononcés jusqu'à l'os.

Dio. - J'allais oublier : j'ai souvent pensé à Marcel Kanche !

Meph. - Ingrat, tu ne lui as encore consacré aucune chronique.

Dio. - Je ne suis pas toujours à l'aise avec ses textes, et surtout ses musiques, même si je lui reconnais une originalité indéniable. Qu'il écoute Gul de Boa !! Eh, dis, tu as remarqué sur la pochette ?

Meph. - La main sur la cigarette absente, remplacée par une croix rouge ?

Dio. - Dire qu'on en est là, aujourd'hui, avec la liberté...

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Paru voici peu chez Royale Zone - Accès digital / 13 titres / 40 minutes

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 25 avril 2021)

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Publié le 31 Mai 2012

Evangelista - In Animal Tongue

   Carla Bozulich, comment l'oublier ? Elle revient nous hanter avec ce quatrième album, In Animal Tongue, paru à nouveau sur le label canadien Constellation. Si je n'ai pas chroniqué le précédent, c'est plus par manque de temps, surabondance de matière, que défection. Comment ne pas aimer cette chanteuse qui chante comme on aime, avec passion, ardeur, de toute sa voix pleine, flexible. Tout brûle, dès le superbe "Artificial Lamb".

   Elle ne renoncera jamais à jouer les prophétesses, rôle qui lui sied à merveille. L'ardeur, oui, sans doute moins dévastatrice que sur certains titres des albums parus sous son nom, mais d'une intensité bouleversante, soutenue par une guitare obsédante, une percussion sombre et quelques poussées de synthétiseur et notes de clavier. Chevauchant un agneau artificiel auquel elle s'identifie, elle traverse la ville dans un climat halluciné, devenue métal, œil à l'intérieur duquel se reflètent les planètes. "In Animal Tongue" est plus sombre, concentré : temps de déréliction, « No bell was rung, no church was raised, no lord was praised », l'orgue surgit dans une lumière noire, tandis que les créatures s'expriment en langue animale. L'atmosphère est explicitement apocalyptique, le monde envahi par des bêtes chanteuses ensorceleuses. Pas étonnant que le troisième titre nous propose un "Black Jesus" adoré, figure d'Eros triomphant. La voix caresse, soupire, d'une sensualité magnifique, sous-tendue par une basse très sourde. "Bells ring fire" frappe par son dépouillement : basse discrète, et surtout violoncelle comme seul écho à la voix, parfois presque a capella, pour dire la difficulté à être au monde : « Forever I stood aside. To be in the world, I have tried...Holding myself to the sun waiting for just someone. » En attente d'être appelée par son nom pour enfin briller de tout son éclat... Le chant de Carla est invocation, désir immense de voler comme une aile en diamant noir pour enfin être à l'unisson des cloches sonnantes, du feu terminal. "Hands of Leather" sonne comme un interlude, un moment d'accalmie qui laisse brièvement la guitare devenir simplement lumineuse...avant "Tunnel To the Stars", incandescente chanson d'amour où pleurent alto, violon et violoncelle dans une ambiance lourde saturée par la scansion de deux contrebasses. La voix dit le rêve de fusion amoureuse, extatique, qui abolira les frontières de la réalité : « I feel you pushing into me. Every dream is an adventure. My hands folding into you as you sleep in my arms like your body is singing to the stars. ». Comme on est loin des mensonges et des fadeurs écœurantes des bluettes sentimentales ! Un des sommets de ce disque habité ! Le chant d'amour devient mélopée lancinante avec "Die Alone", la voix de Carla doublée en écho par une sorte de voix de gorge hurlant à la mort - l'amour : l'amour veut toujours aller plus loin, ne se satisfait pas de l'ordinaire. Et si le Prince allait venir ? Mais "Enter the Prince", dédié à plusieurs musiciens, dont Prince, dit plutôt la disparition de la lumière : la comète est passée tout près, laissant l'être à ses rêves de naissance véritable. "Hatching", morceau déstructuré, comme passé dans un hachoir géant, correspond peut-être à cette épiphanie tant guettée : la voix semble revenir d'un long voyage, déformée.  Du très beau travail que cette pop mâtinée de post rock, de blues, de gospel, transfigurée par une soif infinie et torturante d'amour.

Evangelista - In Animal Tongue
L'univers visionnaire de Carla Bozulich

L'univers visionnaire de Carla Bozulich

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Paru fin septembre 2011 chez Constellation / 9 titres / 42 minutes environ

Pour aller plus loin

- la page du label consacrée au disque, en écoute.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 25 avril 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 22 Mars 2012

   D'une pierre, deux coups. Deux disques de ces texans, que certains présentent comme un groupe post-rock, ce qui me laisse un peu perplexe ou qui me paraît réducteur. Qu'on parle de pop au sens large, pourquoi pas, avec un côté folk plus ou moins prononcé. Je parlerai plutôt de musique de chambre d'aujourd'hui, même si on ne peut parler proprement de musique contemporaine. Car les cinq ou six musiciens jouent de la guitare, du banjo, du violon, du violoncelle, de la contrebasse, du mélodica, et du piano (deux parfois), la batterie restant discrète.

Balmorhea - Constellations / All is wild, All is silent
Balmorhea - Constellations / All is wild, All is silent

   All is wild, All is silent, sorti en 2009 chez Western Vinyl, est leur troisième (?) album. Il s'ouvre sur une pièce d'un peu plus de six minutes, presque une ballade folk, mélodieuse et rythmée, creusée par un ralenti central, une quasi disparition avant la renaissance menée par les guitares. Une entrée simple, évidente, peuplée de chœurs d'abord très légers dans son deuxième tiers. On sent déjà cette tranquillité du groupe, une manière d'en prendre à son aise, de se laisser aller avant le final où les voix s'affirment, accompagnées de claquements de mains. Il y a une rondeur, un bonheur de faire sonner les instruments qui ne se dément pas par la suite. Avec des surprises, comme le magnifique troisième titre, "Harm & Boon", entrée au piano en boucles envoûtantes, rejoint par le violoncelle grave et élégiaque, puis par les autres musiciens, avant un brusque passage rock, vite résorbé dans une tonalité rêveuse, elle-même cédant la place à un aspect country, folk, le banjo assez en avant. On n'est pas très loin de certaines pièces de Peter Broderick dans la suite de l'abum, notamment dans le très beau "Remembrance", étiré et mélodieux. Si certains pensent au post-rock, c'est lié à la présence de passages plus nerveux dans plusieurs titres. Mais le groupe joue la carte des mélodies évidentes, compose des pièces élaborées, pas de simples chansons — il n'y a d'ailleurs jamais de paroles, juste des voix —, sans en être trop éloignées. Au total, un album agréable, joli...Et vous vous demandez déjà pourquoi je les intègre dans les musiques singulières...Indépendamment de mon éclectisme légendaire, et revendiqué...

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

Balmorhea - Constellations / All is wild, All is silent

   C'est qu'ils ont sorti en 2010 Constellations, à mon sens bien plus étonnant, fort, plus éloigné des formats pop-folk. D'une écriture plus libre, plus personnelle, dans laquelle le piano prend parfois nettement la première place. L'album oscille entre tâtonnements émouvants et flux lyriques. Il ne cherche plus à séduire, obéit à une logique intérieure. Les trente-huit minutes forment une suite, au sens de la musique de chambre instrumentale, une méditation poétique sensible aussi dans le choix des titres, "To the Order of Night", "Winter circle", "Constellations", "Night squall", "On the weight of night", titres qui affirment la dimension nocturne d'une musique plus intériorisée. L'ensemble rend un hommage au compositeur italien Palestrina dans son dernier titre où de brefs passages de chant choral lointain se détachent sur un fond atmosphérique de cordes filées ponctué de quelques notes de guitare. Une belle évolution qui me réjouit, un groupe à suivre !

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All is wild, All is silent / Paru en 2009 chez Western vinyl / 9 titres / 42 minutes

Meilleurs titres : "Harn & Boon" / "Remembrance"

Constellations  / Paru en 2010 chez Western vinyl / 9 titres / 38 minutes

Meilleurs titres : "To the Order of night" / "Winter circle" / "Constellations" / "Steerage and the lamp"

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 21 avril 2021)

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Publié le 18 Mars 2012

Breton- Other People's Problems / Picore - Assyrian vertigo

Meph. - On commence ces notes d'écoute ? [ Catégorie abandonnée depuis...]

Dio. - Une nouvelle catégorie consacrée à des disques qu'on aime...

Meph. - Mais pas assez pour une chronique  à part entière, c'est çà le concept ?

Dio. - En partie. Ça voudrait aller plus vite pour des disques inégaux de la mouvance pop au sens large, être aussi plus polémique, avec de la critique négative plus marquée. Breton est tout désigné pour ce début.

Meph. - Le groupe, un collectif londonien, fait un tabac bien orchestré, avec clips à l'appui.

Dio. - J'ai bondi quand j'ai entendu la référence à André Breton.

Meph. - Très vite oubliée, disons-le d'emblée. Mais le début de Other People's Problems est excellent. Ouverture d'enfer avec "Pacemaker", du rap intelligent bien syncopé, strié de sons sales, chant acide du meneur, chœurs écoutables...

Dio. - Et une section de cordes superbe auxquels ils laissent toute la fin élégiaque imprévue.

Meph. -"Electrician", le second titre, est tout aussi réjouissant, une électro vive, traversée de claviers incandescents. C'est nerveux, joyeux, bien ponctué et bien fini.

Dio. - "Edward The Confessor" continue sur la lancée d'un rock tout en nerfs, un brin halluciné, aéré de quelques arpèges de harpe.

Meph. - J'adore ce toupet, ces petits grains décalés dans la folie dense de ce groupe qui sait en finir, contrairement à tant d'autres.

Dio. - D'un seul coup il y a "2 years", bluette qui serait bêtement sentimentale si elle n'était désossée, déclinée en tranches troubles et belles, section de cordes magnifiquement découpée par des percussions hésitantes, des ralentis étonnants.

Meph. - Dis, ça prend la tournure d'une chronique ? Pas moyen qu'on fasse court ?

Dio. - Tu seras d'accord avec moi, la suite est moins bonne...

Meph. - Je taille à la hache :  "Wood and Plastic", bruyant pour pas grand chose ; "Governing correctly", de la pop très ordinaire, pas de quoi frémir, trop de chœurs et de chipotages.

Dio. - Quant à "Interference"...

Meph. - On se croirait sur un stade, pas dans le disque d'un groupe qui compte...

Dio. - Je sens que tu vas te faire beaucoup d'ennemis !

Meph. - Halte aux critiques molles, consensuelles, qui veulent hurler avec les sirènes publicitaires !!

C'est mauvais, circulez !

Dio. - "Ghost note" commence mieux, pour se perdre en percussions bien lourdes, en synthés répandus comme du gros rouge...

Meph. - On retrouve un peu de finesse avec la harpe au début d'"Oxides", le chant mis à distance, les décalages rythmiques, avant que le synthé ne bave à nouveau.

Dio. - Au point qu'on se demande si on écoute le même album que celui des quatre premiers titres. Et c'est pire pour "Jostle", même pas drôle, franchement consternant.

Meph. - Ça donne envie de piétiner cette saloperie de clavier envahissant...

Dio. - Oui, heureusement qu'on revient au meilleur avec le dernier titre, "The Commission": presque de l'ambiante, chanté avec retenue, entre pulse et syncope, grondant et émouvant.

Meph. - Cinq titres sur onze à se caler dans les oreilles.

Dio. - On espère qu'ils vont ne garder que le meilleur pour être un peu plus surréalistes.

Meph. - Sinon, plus question de parler d'André...Ils ne seront plus que ...bretonS !!

Dio. - Je te laisse assumer la responsabilité de tes allusions anti-folkloriques...

Breton- Other People's Problems / Picore - Assyrian vertigo

Meph. - Si on passait à Picore ?

Dio. Je sens que tu vibres un peu plus avec les lyonnais, qui en sont à leur troisième album.

Meph. - Je veux : rien de vraiment mauvais, ici. Disons quelques titres moins puissants, et puis un défaut : on entend parfois mal les textes en français, c'est vraiment dommage de sabrer le caractère visionnaire des paroles. On a beau s'allonger les oreilles...

Dio. - Restées pointues...

Meph. - Paix, chrétien refoulé ! Pour les amateurs, voilà un post-rock mâtiné d'industriel et de musique planante qui nous entraîne dans une alchimie barbare, puissante. Le titre ne ment pas : vertige assyrien, vents de sables à décoiffer les tiares les mieux accrochées.

Dio. - D'accord, mais reconnais le caractère plus convenu de certaines attaques, comme le début presque caricatural de "Fiasco", post-rock de mille tonnes...

Meph. - Ma mansuétude n'est pas infinie. Je leur pardonne parce qu'ils sont vraiment dans leur voyage vers une Assyrie largement fantasmée...

Dio. - Déjà par Delacroix dans La Mort de Sardanapale, tableau qu'ils font d'ailleurs figurer sur leur site.

Meph. - Suffit d'écouter le chanteur pour sentir l'authenticité de la fougue, de l'inspiration qui anime cette musique violemment colorée, sculptée par des percussions massives, éclairée par les guitares traçantes et transcendée par les claviers atmosphériques.

Dio. - Avec de très belles pages rêveuses soulignées par une clarinette ou une trompette inattendues.

Meph. - Une musique qui prend le temps d'installer ses atmosphères au lieu de ne penser qu'aux formats radiophoniques imbéciles.

Dio. - Tu penses notamment aux quasi neuf minutes de l'envoûtant "Gilgamesh".

Meph. - En effet. Morceau proliférant, monstrueux, loin des manières de Breton...

Dio. - Tu n'as pas digéré leurs faiblesses !

Meph. - Je n'aime pas qu'on ne tienne pas ses promesses. J'attendais un groupe à mi-chemin entre rock et musique contemporaine, dans la mouvance de Bang On A Can...

Dio. - N'exagère pas...

Meph. - Pas de trahison ou de tapage avec Picore, la trajectoire est claire, le projet consistant. La fin d'album, pas seulement cinq minutes, note-le bien, mais vingt-cinq minutes, les quatre derniers titres, est de très haute tenue, à la fois majestueuse et folle, frénétique.

Dio. - "Vertigo", mélopée voluptueuse introvertie, est une belle invitation à la fuite d'une société verrouillée : « N'attendez pas la lumière de ceux qui la vendent. »

Meph. - Une lente avancée vers la lumière fulgurante... beaucoup plus proche du surréalisme, au fond, que ces usurpateurs...

Dio. - Restons-en là, veux-tu. On attend que Breton écarte les scories qui l'aveuglent.

Meph. - Et on se prosterne devant la hauteur de vue de Picore.

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Breton : Paru en 2012 chez FatCat Records / 11 titres / Moins de 42 minutes.

Picore : Paru en novembre 2011 chez Jarring Effects / 13 titres / 61 minutes (le double CD inclut tout un disque de remixes).

Pour aller plus loin

album de Breton en écoute et en vente sur bandcamp :

- puis une très belle, et très inquiétante (Meph. - Encore la fascination enfantine pour la technologie ?)  , vidéo sur le dernier titre de l'album de Breton :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 21 avril 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours