Meph. - Tu tiens vraiment à parler d'eux ?
Dio. - Pourquoi non ? Que leur reproches-tu ?
Meph. - L'ensemble n'est pas trépidant, c'est lent, on s'endort bercé par une cornemuse à fleurs. Un disque pour boy scouts ou bergers ramollis.
Dio. - Toujours à jouer les durs, hein ? Moi, je trouve que Jimmy LaValle, après un bien joli album Into the Blue again sorti en 2006, nous offre avec ses compères une balade reposante, sans prétention...
Meph. - ...Et sans surprise. L'électro moins l'électricité, ça donne une musique qui ne cesse de s'étirer à la recherche d'une vaine inspiration. On a envie de bailler avec eux.
Dio. - Tu es injuste. A Chorus of Storytellers, paru chez Sub pop Records, ce sont claviers mélodieux, rythmiques détendues, guitares lumineuses. Des titres gentiment post-rock, un tantinet ambient. Pour qui cherche la douceur, voilà une musique moelleuse, qui n'a pas peur d'être bucolique, rêveuse. Écoute "Summer Fog", nappe électronique et violons en apesanteur, un andante pour aujourd'hui...
Meph. - ...qui pèse des tonnes, j'en suis tout ankylosé. En apesanteur, tu parles, nous sommes aux antipodes de la légèreté. "Until the last", j'attends toujours que ça décolle, parce que pour ce qui est de piétiner dans la gazon spongieux de la section de cordes, mâtinée d'un brin de cuivres, je me sens tout visqueux, liquoreux. Et ne me parle pas de lyrisme, sinon je t'ensoufre !
Dio. - Je n'insisterai donc pas, d'autant que Jimmy n'est pas une voix impérissable.
Meph. - C'est toi qui l'as dit...
Dio. - J'aime toutefois sa diction détachée, à distance, une assez belle nonchalance.
Passons au deuxième album du trio suisse Reverse Engineeering, Highly Complex machinery, sorti en début d'année chez Jarring Effects. Cela te convient mieux ?
Meph. - L'énergie est là, tu ne diras pas le contraire ?
Dio. - J'avais déjà évoqué leur premier disque, Duck & Cover, sorti en 2006 sur le même label. C'était impressionnant, glacial, massif.
Meph. - Oui. Un groupe marquant de la scène électronique, qui allie cette fois la puissance des musiques industrielles à la fantaisie hip-hop. Avec toujours quelques titres instrumentaux plus abstraits, comme on dit.
Dio. - L'entrée dans une nouvelle ère, celle d'un lyrisme implacable, dès le premier titre éponyme. Voix désincarnées, rythmes démultipliés en rafales de claviers, plus aucun instrument reconnaissable. D'où peut-être le recours au rap, manière d'humaniser une musique qui pourrait sembler trop machinique...
Meph. - Discutable, le rap transforme le flot verbal en mitrailleuse, en machine percussive. Chaque mot est une balle, une unité jaillissante, bondissante. Le langage se métallise pour mieux se fondre dans le beat.
Dio. - Que penses-tu des intervenants ?
Meph. - M. Sayyid, du duo de hip-hop électro new-yorkais Airborn Audio, présent sur deux titres en solo, assure comme un dieu...
Dio. - Comme tu y vas, ça m'étonne de toi, tu dérailles !
Meph. - Tu n'as rien compris ! Comme un dieu, trop bien fait, trop beau. Il manque un grain de méchanceté.
Dio. - Tant mieux. Tu as entendu la fin de "Six clicks", superbe d'abstraction et de plus en plus envahi par une atmosphère de conte de fée, avec des voix féériques, sensuelles. C'est nouveau, ça, chez eux...
Meph. - On ne peut pas se passer des femmes. Jasmine sur "Instant Art" fait son enjôleuse au cœur des rythmes graves, des scratches. Et puis il y a Diyala sur l'étonnant "World in reverse", velouté et envoutânt comme le meilleur de DJ Shadow. Titre inspiré, halluciné, là tu pourrais dégainer ton lyrisme, celui qui brûle, emporte.
Dio. - Je dégaine. "Socially acceptable", qui suit, est aussi une très belle réussite inhumaine. "Harmosaurus", le titre 10, évoque un monstre post-apocalyptique dans une sorte de préhistoire à l'envers.
Meph. - On se rejoint. Assez d'humanité. L'homme n'est qu'une transition. Blu Rum 13, l'autre rappeur, qui apparaît une fois en solo et une autre en duo sur le dernier titre avec M Sayyid, me plaît davantage avec sa voix aigre, acide, une voix à décaper toute sentimentalité.
Dio. - Ne sois pas injuste avec M. Sayyid. Le duo final, "Future Schock", est acéré à souhait, ponctué de lourdes percussions syncopées. Grand...
Meph. - Encore un effort, et on sera au niveau d'Harmonic 313...
Dio. - Beau compliment dans ta bouche !
A Chorus of Storytellers paru en 2010 chez Sub Pop Records / 11 plages / 50 minutes environ
Highly Complex machinery paru en 2010 chez Jarring Effects / 12 plages / 41 minutes environ
Pour aller plus loin
- le site officiel de The Album Leaf, pour se rendre compte que Meph est bien sévère... au fait, la cornemuse n'est peut-être pas imaginaire, on croit l'entendre (sons synthétiques, violons languissants ?) sur le second titre, "Blank pages", le plus simplement lyrique, si j'ose encore le dire.