pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 3 Février 2011

Brendan Perry - Ark

    Deuxième album solo de Brendan Perry, l'un des fondateurs de Dead Can Dance, Ark renoue en partie avec les grandes mélopées dramatiques qui ont fait les beaux jours du groupe australo-britannique entre 1981 et 1998. Sa belle voix de baryton, aux souples inflexions, épouse les méandres de compositions amples et majestueuses, tantôt marquées par une ambiance médiévale gothique, tantôt inspirées par un climat oriental mystique. On pourra reprocher au disque sa nonchalance, sa mollesse diront les mauvaises langues, mais c'est justement l'un des charmes de cet album que de prendre son temps, se développer en voluptueuses volutes. Un brin de guitare, beaucoup de synthétiseurs, des percussions parfois exotiques, servent le chant fervent de ce barde à la veine volontiers épique. Encadré par deux titres très dead can danciens - si je peux risquer ce néologisme, le solennel "Babylon" en ouverture et l'envoûtant "Crescent" pour finir, sur lequel on imagine évidemment la voix de Lisa Gerrard (les deux titres viennent d'ailleurs de la reformation du groupe dans les années 2000 pour des tournées d'adieux), l'album ne manque pas d'allure, d'une grandeur sombre, que les détracteurs ne manqueront pas de qualifier d'emphatique, ampoulée. Je ne suis pas  si sévère. S'il n'apporte rien de bien nouveau - faut-il demander  du nouveau à tous les musiciens, en permanence ?, il enveloppe l'auditeur dans une atmosphère rêveuse. Un disque pour bercer sa mélancolie, approfondir le secret douloureux qui nous fait languir, pour paraphraser Baudelaire dans La Vie antérieure.

Paru en 2010 chez Cooking Vinyl / 8 titres / 55 minutes 

Pour aller plus loin

- son site personnel, très soigné.

- une fausse vidéo sur le dernier titre "Crescent" : regardez-la au fond des yeux, longtemps, longtemps...

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 25 mars 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 13 Janvier 2011

Jon Hopkins - Insides

      Tranquilles dérives

   Insides est le troisième album de ce britannique, pianiste et compositeur d'une musique électronique qui laisse encore une place à des instruments acoustiques, musicien  que j'ai découvert à l'occasion de la sortie du dernier opus de Brian Eno, Small Craft On a Milk Sea. L'album s'ouvre sur un titre très folk avec violon et cordes, fond brumeux de claviers : pourquoi pas, mais rien de bien passionnant. Le titre qui suit, "Vessel", est par contre une merveille de musique ambiante : ouverture intersidérale (il s'agit donc d'un vaisseau spatial), piano en boucles douces, beats syncopés, pour une belle montée en intensité dans une gangue de violon électrique et de cordes lointaines. Dommage que la sérénité qui nous envahissait soit brutalement brisée par un déferlement de déchirures percussives cette fois incongrues..rupture heureusement annonciatrice de la plage titre, elle aussi réussie... Mais il y a décidément chez Hopkins une suavité mélodieuse qu'il semble prendre plaisir à saccager par des dérapages métalliques et des froissements épais. Le flux reprend, mystère plombé qui ne manque malgré tout pas de charme. "Wire", tout en claviers tournoyants ponctués par une rythmique sèche et dynamique, confirme le sens mélodique, l'aisance du musicien qui sait nous titiller l'oreille : nous voici presque dans le monde de la techno.

   "Colour eye" reprend l'indolent voyage interplanétaire dans un cosmos piqueté de beats nerveux, avec un piano nébuleux pas si loin de l'univers d'Harold Budd : c'est ne pas compter avec les nuages méchants de particules qui viennent bombarder l'astronef, trou noir dans la plage qui ne s'en remet pas, pataugeant dans l'humide d'une planète inconnue. Sans doute faut-il apprécier la musique à l'aune d'un scénario de science fiction, ici d'une collision suivie d'un écrasement mou dans un monde putride ? Toujours est-il que nous voilà propulsés à l'intérieur d'une mélodie qui vrille le crâne, oh si doucement, et qui se répète dans le battement des claviers et des percussions assagies : c'est "Light through the veins", nous pulsons dans les artères de ce monde intrigant, neuf minutes suspendues, trop étirées, qui virent vers une certaine fadeur mièvre, dommage. Le piano est au premier plan de "The Low places", quel beau titre et quel beau début ténébreux, à l'insidieux moelleux. Le morceau s'anime avec des beats pointillistes qui semblent s'intercaler entre les notes délicates du piano : tricotage audacieux qui laisse la place à des moments éthérés. Jon Hopkins conduit sa barque avec sureté pour nous offrir une musique séduisante, pourquoi le lui reprocher ? Qui ne fondrait à l'écoute de la délicieuse pièce "Small memory", piano si doux aux notes clairsemées ? "A Drifting up" tient les promesses de son titre : il suffit de se laisser porter. Une légère mélancolie voile le dernier court titre, ruisseau limpide de piano.

   Un disque à la beauté discrète et insinuante, auquel on finit par pardonner ses quelques moments plus discutables.

Paru en 2009 chez Double Six / Domino Records

Dio. - Au fait, et le second passager ?

Meph. - Passager de quoi ?

Dio. - Ben, du radeau...

Meph. - Je l'ai poussé !

Dio. - Quoi, tu n'apprécies pas le grand guitariste Leo Abrahams, convié par maître Eno sur son dernier disque ?

Meph. - Cette musique d'instrumentiste talentueux m'ennuie à mourir. Jamais pu supporter. Même John Mclaughlin, j'ai envie d'écrire Mac Laughing tellement je m'esclaffe sévère.

Dio. - Tu as raison. The Grape and the Grain, pas moyen d'en tirer vendange ou récolte. Je l'envoie...

Meph. - Au diable ? Merci, qu'il se noie dans sa mer de lait. Je ne me souviens que de "A Ghost in every Corner", là je commençais presque à frémir...

Paru en 2009 chez Double Six / Domino / 10 plages / 48 minutes environ

Pour aller plus loin

- le site personnel de JH

- une vidéo d'un remix de "Vessel" par Four Tet : visuellement superbe !

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 25 mars 2021)

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Publié le 20 Novembre 2010

Antony and the Johnsons - Swanlights
Antony and the Johnsons - Swanlights

Mystères d'envols 

   Dès les premières notes, l'émotion, intense. La voix, le piano, tout est nouveau, les tâtonnements dans le recueillement du dit, every/ everything/ everything is new, la harpe s'ajoute au piano, la voix s'élance sur le vide, s'enroule et coule dans la volupté du mélisme accompagnée des cordes, de la guitare plus tard. Une envolée somptueuse, et folle, un hymne vibrant à la vie. C'est le premier titre de Swanlights, le quatrième disque d'Antony Hegarty et de son groupe, autrement dit d'Antony and the Johnsons. On sait qu'il sera difficile de rester à une telle hauteur, et j'avoue ma surprise à lire toutes ces chroniques qui prétendent que l'album ne commencerait vraiment qu'avec le titre éponyme, le sixième de l'album. Antony évolue d'album en album, s'affirme comme un vrai compositeur, et pas seulement de chansons. Ne l'enfermez ni dans la pop, ni ailleurs ! Antony est un artiste à part entière, un vrai musicien qui cherche en s'entourant d'autres musiciens et compositeurs de talent, comme je le signalais dans l'article consacré à Another World.

   Le second titre, "The Great White Ocean",  est émouvant dans sa simplicité quasi folk, voix-guitare sèche et un fond lointain de cordes pour une histoire qu'on peut relier avec l'ours blanc ensanglanté de la pochette, un aurevoir à toute la famille.

 Mystères d'envols 

    Co-signé par le génial Nico Muhly, "Ghost" réalise l'accord idéal entre la voix de contre-ténor ou de haute-contre d' Antony ( ce sont bien sûr des approximations) et le piano caracolant, les cordes caressantes : il s'agit d'ouvrir le ciel, de partager sa peau comme le serpent convoqué dans cette incantation vibrante. Comprenez bien que l'horizon d'Antony, c'est aussi celui de la mélodie, du lied.., ce qui n'exclue pas hélas un titre plus facile comme "I'm in Love", envahi par des répétitions stériles. Suit un délicieux intermède pour cordes et piano, "Violetta", à la grâce mystérieuse. Le titre éponyme commence comme certains morceaux de Robert Wyatt, murmures fondus dans le lent tournoiement sonore du piano et des cordes glissandi, puis la voix se détache, décolle, se dédouble dans un halo suspendu sur un mur électrique animé de courtes saccades et traversé d'éclairs de guitare, le piano repart, emporte le morceau vers sa disparition, véritable évaporation à l'image de ce que suggère le titre, avec ce néologisme de "Swanlights", splendide trouvaille pour évoquer le rayon de lumière émis par un esprit au moment de quitter un corps. Lumières du cygne, cygne-lumières, juste avant le bouleversant "The Spirit Was Gone", thrène admirable, tremblé dans les harmoniques du piano et de lointaines cordes qui s'approchent. Là, les répétitions ne sont pas agaçantes ou synonymes de faiblesse d'écriture, elles sont signifiantes, "it's hard to understand", la plainte se retourne en elle-même, dérisoire annulation du temps mortifère. L'ondulant "Thank you for your love" prend des teintes cuivrées, ronflantes, sorte d'hymne affolé après le désolé titre précédent. La construction soignée de l'album devient de plus en plus évidente, Antony alternant tensions sublimes et relâchements presque triviaux. Co-signé et co-interprété par Björk, "Flétta" est un duo lumineux ponctué de pauses très douces, intimes, servi par un piano tour à tour introspectif et endiablé. "Salt silver Oxygen" commence de manière primesautière, « The flying horse carries me across the sky », fait se succéder des images étonnantes - notamment celle d'un Christ devenu femme, dansant avec son cercueil, tandis que l'orchestre, d'abord léger, entame une marche ponctuée par le trombone, s'envole et se dissout...Le disque se referme avec un autre chef d'œuvre,  "Christina's farm", dont les paroles font écho au premier titre : « everything was new / every sock and shoe / my face and your face tenderly renewed ». Le piano, avec son martèlement obstiné, est encore pour beaucoup dans l'extraordinaire beauté de ce morceau lyrique. Le chant d'Antony y est à son plus haut niveau, dépouillé des tics qui agacent tant certains : plein, recueilli, suave comme il sait l'être, la modulation comme caresse de l'ineffable. « i awoke to find a whiteness inside / everything did shine, slyly, from each body ». Tout brille en effet après le passage de cette voix archangélique qui tutoie l'au-delà des apparences.

Paru en 2010 chez  Secretly canadian / 11 titres / 43 minutes

Mes titres préférés : Everything is new / Ghost / Violetta / Swanlights / The Spirit was Gone / Flétta /  Salt siver Oxygen / Christina's farm // Presque tout, en somme...

Pour aller plus loin

- une fausse vidéo du dernier titre, "Christina's farm" :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 16 mars 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 30 Septembre 2010

Laurie Anderson : "Homeland", chants de l'Esprit et du Coeur.

    Premier disque depuis 2002, Homeland marque le retour d'une artiste au plus haut. Laurie Anderson jette sur le monde, et plus spécialement les États-Unis, son pays, un regard incisif comme celui de son clone masculin Fenway Bergamot - apparence enfin dessinée de sa voix filtrée avec laquelle elle aime jouer depuis des années, qui nous scrute sur la pochette. Ce disque nous regarde, tranquillement, intensément, jusqu'au fond. La musique est d'une beauté sereine, épanouie, sculptée jusqu'aux moindres détails, informée par une pensée, une sensibilité, qui se disent dans la douceur, la délicatesse, et néanmoins une admirable fermeté. L'album développe et entrelace deux veines. L'une que l'on pourrait appeler politique, avec de grands textes qui observent le monde, débusquent ses faux-semblants, comme "Only an expert", qui revient malicieusement sur la prolifération des dits experts, "Another day in America", raconté par sa voix déformée, ou "Dark time in the revolution", qui pointe les contradictions d'un pays à la pointe de l'âge des machines où l'on enferme encore des hommes dans des cages (Mais à quoi peut-elle bien penser ?!). L'autre, avant tout lyrique, c'est-à-dire intime, personnelle, réflexions sur l'amour et notre passage sur terre. Sans solution de continuité entre les deux : sans pesanteur ou dogmatisme dans la première, sans mièvrerie ou affectation dans la seconde. Son violon glisse de l'une à l'autre. Sa voix chante, dit, murmure, caresse les mots, mieux que jamais. Avec elle, les mots comptent encore, clairs, audibles, portés vers nous par la vague musicale de mélodies magnifiques, d'arrangements subtils et surprenants interprétés par des amis et des musiciens rencontrés lors de ses multiples déplacements. On y trouve bien sûr parfois à la guitare Lou Reed, son mari depuis 2008, John Zorn au saxophone, Anthony pour deux parties vocales. Et puis la chanteuse Aidysmaa Koshkendey et deux joueurs d'igil, sorte de vièle à archet à deux cordes, tous les trois du groupe Chirgilchin, originaire de Tuva, une république ex-soviétique frontalière de la Mongolie. Elle les a vus et entendus à New-York. Enthousiasmée par leur musicalité, les nouveaux sons entendus, elle a décidé de les associer au projet Homeland, qui s'est construit au fil de ses tournées.

   Cela donne au premier titre, "Transitory Life", une résonance extraordinaire. On peut penser aux étonnantes réussites de Jocelyn Pook sur l'album Untold Things (2001) ou pour la bande originale de Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick. Voix de gorge d'Aidysmaa, praticienne du chant diphonique, graves profonds et ronronnants des igils, violon frémissant de Laurie, alto et claviers, créent un paysage sonore dépaysant sur lequel la voix fragile de Laurie, entre dit-chanté et chant, évolue avec une grâce suave, une gravité si douce qu'elle envoûte l'auditeur. On nous a rarement traité avec tant d'égards. Quatre couplets en forme de vignettes et un refrain pour nous rappeler notre condition humaine, notre vie transitoire (Laurie se définit comme une nomade).

   C'est toujours risqué de commencer par un chef d'œuvre comme celui-ci. "My right eye" capte pourtant notre attention : " Concentration. Vide ton esprit. / Laisse le reste du monde s'en aller. / Retiens ton souffle. Retiens ton souffle. Ferme tes yeux // Rochers et pierres. Os brisés. / Toute chose finit par revenir à son origine. / Dans la nuit. Dans la nuit. // S'il te plaît pardonne-moi si je tombe un peu à côté du but. / Mais il y a encore des choses enfouies dans mon cœur, silence. / Arrête-toi mon cœur, arrête-toi. Puis disparais. Puis disparais." Percussion légère du cœur, mots prononcés à peine, glissandi des cordes, claviers éthérés : admirable délicatesse. L'enchantement continue. À quoi bon continuer la revue ? Si l'on excepte "Only an Expert" au texte fort mais à la partie musicale plus heurtée, dissonante, peut-être un peu long avec un refrain à mon sens plus grossier (en ce sens adapté au sujet !), l'album est d'une tenue superbe. Qui d'autre que Laurie pourrait réussir "Another Day in America", véritable poème en prose, hymne bouleversant à ce pays fascinant et agaçant, au si beau refrain : "Et ah ces jours. Tous ces jours ! Pourquoi ces jours ? / Pour nous éveiller. Pour mettre entre les nuits interminables."

   Me relisant, je m'aperçois que je n'ai rien dit de "The Beginning of Memory": une histoire immémoriale, un mythe passionnant qui nous propulse très loin, qui donne la distance nécessaire pour embrasser ce parcours dans les différentes strates du réel et de l'imaginaire, avant le "Flow" final, solo dépouillé, poignant, pour violon.

  Un sommet entre pop, ambiante, expérimentale et musique du monde. Par une artiste, une grande.

Paru en 2010 chez Nonesuch / 12 titres / Environ 66 minutes. accompagné d'un DVD (pas encore regardé...).

Pour aller plus loin

- le site officiel de Laurie Anderson

- Laurie Anderson, page du label Nonesuch, avec l'abum en écoute.

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 14 mars 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 5 Juin 2010

High Tone : "Out back", le dub urbain se porte bien.

   De retour après une cure de silence, trop occupé ailleurs... J'ai beaucoup hésité à chroniquer ce disque.  Effrayé déjà par le jargon des critiques musicales, qui multiplient les étiquettes incompréhensibles. Une véritable novlangue, qui ne fait plus l'effort de traduire : des initiés s'adressent aux initiés, aux branchés. « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. » disait ce brave Boileau. Et en français ! Je n'en démords pas.

   De plus, après la première écoute, je me disais qu'on ne le verrait jamais sur ce blog. Je trouvais la musique lourde, envahie par des tics technologiques agaçants. Le premier titre, "Spank", concentrait en fait mes griefs : trop de zébrures, d'échos, l'impression d'être dans une baraque de tir avec une bande d'excités, pouf pouf pouf, je triture le maximum de boutons... Avec le recul et plusieurs écoutes, je ne vais pas crier au chef d'œuvre, certes non, mais ces lyonnais, au fil des titres, parviennent à capter l'attention, à séduire par la grande diversité d'approche du dub, et, curieusement, par un certain humour. La lourdeur de "Dirty Urban Beat" n'est pas dénuée d'une grâce éléphantesque que souligne plaisamment le commentaire final : "this is the most beautiful ugly sound in the world". D'ailleurs, reprocher au dub sa lourdeur n'est-il pas ridicule ? Le dub s'appuie sur la terre, il se dandine tranquillement, indifférent aux moqueries. Il est là pour célébrer le rythme dans son épaisseur. Une fois acceptés ces simples prolégomènes, on peut apprécier cette musique sans complexe, qui charrie des influences très diverses. "Liqor", avec la prestation vocale de l'excellent Oddateee, est, à mi-chemin du reggae et du rap, un morceau bourré d'une belle énergie. "Rub-a-dub Anthem" m'amuse beaucoup, reggae parfait transcendé par les inflexions presque enfantines de Pupa Jim. "Fly to the moon" prend des allures parodiques de dub gentiment braillard, pied de nez à toutes les sauces cosmiques. "Boogie dub Production", d'une folie un peu poussive, ferme la première partie, titrée Dub Axiom, de ce disque à deux faces.

    Je ne cache pas ma préférence pour No Border, huit autres titres qui font preuve d'une belle volonté de renouvellement. Et tant mieux si on oublie les axiomes posés précédemment. "Space rodeo" est un morceau hip-hop mâtiné de pop tout à fait convaincant, rudement mené par le très inspiré Ben Sharpa, avec une très belle fin électrique. "Bastard" prend le temps du rêve, orgue et guitare, glisse dans un climat orageux, tranquillement halluciné, avant une fin très douce, mais oui, vous avez bien lu. Le meilleur se profile avec "Home way", flûte envoûtante surgie d'une lointaine galaxie indienne sur un reggae d'abord aérien, délicat, puis lui aussi incantatoire avec le retour des volutes de la flûte, avant la surprise finale. En voix off, quelques phrases en français, déclamées avec une emphase amusante, ponctuées de coups de cymbales : "J'ai commencé à parler au milieu du silence / J'ai fait en sorte que tous les hommes disposent d'un chemin sur lequel marcher / J'ai ouvert tous les yeux afin qu'ils puissent voir / Mon œil droit est le jour / Mon œil gauche est la nuit / et le Nil prend son élan sous mes sandales." Parodie de discours prophétique qui ne manque pas de sel ! "Propal" s'ouvre sur un vibrato percussif brumeux : nouveaux territoires, décidément, d'autant que les percussions roulantes, les cordes frémissantes, la guitare hawaïenne, une clarinette égarée, dépaysent le dub, et tant mieux. Un nuevo dub, comme on eut un nuevo tango ? Sans doute l'un des plus beaux titres de l'album, de fait inclassable, parfaite musique de film si l'on veut prendre en compte les échantillons de la fin. "Uncontrolable flesh" confirme la mutation génétique du groupe : morceau qui surfe sur les marges du dub, ambiance quasiment lynchienne avec relents de western psychédélique, mixture électrisée et fantômatique, cauchemardesque, peut-être un peu chargé je le concède, mais une belle conclusion. Les oiseaux chantent, de curieux grincements inquiètent, c'est "Ollie Bible" zébré de scratches, à la progression enrayée de hoquets, disques qui tournent à l'envers et sons synthétiques glissants : drôle de titre, agaçant et original à la fois. Le titre suivant, "7th Assault", sera plus consensuel, avec sa rythmique d'acier, son atmosphère étouffante et ses arrière-plans bruitistes, saturés, le tout  se résorbant peu à peu dans une échappée belle assez inattendue : long morceau de plus de sept minutes incanté in extremis par une flûte veloutée et l'insertion d'un court texte dit (dont je n'ai pas identifié l'origine...) : « L'espèce humaine, contrairement à ce que nous avons tendance à croire, est tout à fait au commencement de son histoire. Elle vient seulement de faire, vers l'infini de l'espace, son tout premier pas. La terre est une graine qui commence à germer." Propos que je suis tenté d'appliquer à High Tone, qui termine en beauté son très long album avec "Altered State",  imaginez un dub hanté par un dulcimer, la réconciliation des musiques électro-technologiques et des musiques traditionnelles. Pas si mal, décidément. Et dire que j'ai failli me taire. Voilà ce que c'est, de vraiment les écouter : ils nous emportent, et l'on oublie les scories.

Paru en 2010 chez Jarring Effects / 16 titres / 79 minutes environ

Pour aller plus loin

- leur site officiel, un peu foutraque, en construction, qui rétrécit votre page internet, curieux...

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 9 mars 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 27 Avril 2010

The Album Leaf / Reverse Engineering : promenades électro bucolico-industrielles.

Meph. - Tu tiens vraiment à parler d'eux ?

Dio. - Pourquoi non ? Que leur reproches-tu ?

Meph. - L'ensemble n'est pas trépidant, c'est lent, on s'endort bercé par une cornemuse à fleurs. Un disque pour boy scouts ou bergers ramollis.

Dio. - Toujours à jouer les durs, hein ? Moi, je trouve que Jimmy LaValle, après un bien joli album Into the Blue again sorti en 2006,  nous offre avec ses compères une balade reposante, sans prétention...

Meph. - ...Et sans surprise. L'électro moins l'électricité, ça donne une musique qui ne cesse de s'étirer à la recherche d'une vaine inspiration. On a envie de bailler avec eux.

Dio. - Tu es injuste. A Chorus of Storytellers, paru chez Sub pop Records, ce sont claviers mélodieux, rythmiques détendues, guitares lumineuses. Des titres gentiment post-rock, un tantinet ambient. Pour qui cherche la douceur, voilà une musique moelleuse, qui n'a pas peur d'être bucolique, rêveuse. Écoute "Summer Fog", nappe électronique et violons en apesanteur, un andante pour aujourd'hui...

Meph. - ...qui pèse des tonnes, j'en suis tout ankylosé. En apesanteur, tu parles, nous sommes aux antipodes de la légèreté. "Until the last", j'attends toujours que ça décolle, parce que pour ce qui est de piétiner dans la gazon spongieux de la section de cordes, mâtinée d'un brin de cuivres, je me sens tout visqueux, liquoreux. Et ne me parle pas de lyrisme, sinon je t'ensoufre !

Dio. - Je n'insisterai donc pas, d'autant que Jimmy n'est pas une voix impérissable.

Meph. - C'est toi qui l'as dit...

Dio. - J'aime toutefois sa diction détachée, à distance, une assez belle nonchalance.

The Album Leaf / Reverse Engineering : promenades électro bucolico-industrielles.

Passons au deuxième album du trio suisse Reverse Engineeering, Highly Complex machinery, sorti en début d'année chez Jarring Effects. Cela te convient mieux ?

Meph. - L'énergie est là, tu ne diras pas le contraire ?

Dio. - J'avais déjà évoqué leur premier disque, Duck & Cover, sorti en 2006 sur le même label. C'était impressionnant, glacial, massif.

Meph. - Oui. Un groupe marquant de la scène électronique, qui allie cette fois la puissance des musiques industrielles à la fantaisie hip-hop. Avec toujours quelques titres instrumentaux plus abstraits, comme on dit.

Dio. - L'entrée dans une nouvelle ère, celle d'un lyrisme implacable, dès le premier titre éponyme. Voix désincarnées, rythmes démultipliés en rafales de claviers, plus aucun instrument reconnaissable. D'où peut-être le recours au rap, manière d'humaniser une musique qui pourrait sembler trop machinique...

Meph. - Discutable, le rap transforme le flot verbal en mitrailleuse, en machine percussive. Chaque mot est une balle, une unité jaillissante, bondissante. Le langage se métallise pour mieux se fondre dans le beat.

Dio. - Que penses-tu des intervenants ?

Meph. - M. Sayyid, du duo de hip-hop électro new-yorkais Airborn Audio, présent sur deux titres en solo, assure comme un dieu...

Dio. - Comme tu y vas, ça m'étonne de toi, tu dérailles !

Meph. - Tu n'as rien compris ! Comme un dieu, trop bien fait, trop beau. Il manque un grain de méchanceté.

Dio. - Tant mieux. Tu as entendu la fin de "Six clicks", superbe d'abstraction et de plus en plus envahi par une atmosphère de conte de fée, avec des voix féériques, sensuelles. C'est nouveau, ça, chez eux...

Meph. - On ne peut pas se passer des femmes. Jasmine sur "Instant Art" fait son enjôleuse au cœur des rythmes graves, des scratches. Et puis il y a Diyala sur l'étonnant "World in reverse", velouté et envoutânt comme le meilleur de DJ Shadow. Titre inspiré, halluciné, là tu pourrais dégainer ton lyrisme, celui qui brûle, emporte.

Dio. - Je dégaine. "Socially acceptable", qui suit, est aussi une très belle réussite inhumaine. "Harmosaurus", le titre 10, évoque un monstre post-apocalyptique dans une sorte de préhistoire à l'envers.

Meph. - On se rejoint. Assez d'humanité. L'homme n'est qu'une transition. Blu Rum 13, l'autre rappeur, qui apparaît une fois en solo et une autre en duo sur le dernier titre avec M Sayyid, me plaît davantage avec sa voix aigre, acide, une voix à décaper toute sentimentalité.

Dio. - Ne sois pas injuste avec M. Sayyid. Le duo final, "Future Schock", est acéré à souhait, ponctué de lourdes percussions syncopées. Grand...

Meph. - Encore un effort, et on sera au niveau d'Harmonic 313...

Dio. - Beau compliment dans ta bouche !

A Chorus of Storytellers paru en 2010 chez Sub Pop Records / 11 plages / 50 minutes environ

Highly Complex machinery paru en 2010 chez Jarring Effects / 12 plages / 41 minutes environ

Pour aller plus loin

- le site officiel de The Album Leaf, pour se rendre compte que Meph est bien sévère... au fait, la cornemuse n'est peut-être pas imaginaire, on croit l'entendre (sons synthétiques, violons languissants ?)  sur le second titre, "Blank pages", le plus simplement lyrique, si j'ose encore le dire.

 

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 2 mars 2021)

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Publié le 11 Mars 2010

Brain Damage : "Burning Before Sunset", majesté sombre.

   Cinquième album du duo stéphanois, Burning Before Sunset marque un tournant vers un dub ambient sobre et dense, moins démonstratif. L'importante place accordée au poète Black Sifichi, véritable troisième membre de fait, contribue à cette intériorisation de la musique : sa diction grave et envoûtante apporte une solennité impressionnante à l'ensemble. Il y a quelque chose de sépulcral dans cet album hanté, qui s'ouvre sur "There is A Wind", grande draperie dramatique aux claviers scandée par le beat lent et implacable de la percussion et la déclamation sourde de Sifichi, comme une cérémonie d'envoûtement. Du véritable dub gothique, une plongée dans des eaux troubles avec "Ignore", clapotis aquatiques et claviers obstinés pour un crescendo incandescent. "Only Lost In The Sound", fausse déambulation pastorale rythmée par des cloches, prend des tournures de descente aux Enfers, les synthétiseurs se font sirènes cuivrées qui tournoient dans le soir épaissi comme plomb fondu. Sifichi incante "Smoke In Our Minds", dub minimal hypnotique, avant que ne se lèvent les esprits des morts dans "Bull's Ass" traversé de ululements plaintifs, de mugissements.

   "Don't Ask Me Why"est une litanie autour du moi, "I", et de ses métamorphoses : atmosphère grinçante de supplices, sourdine survoltée. Des nappes de synthétiseurs nous apaisent, c'est "Possibility Of Love", cette clameur qui monte, et puis l'attente oppressante, les mots-dits si sombres du récit d'amour, du Iggy Pop étouffé, la plaine dévastée par une mélancolie poignante, oppressée par les nuages lourds. Une harpe surgit sur "Plain White Butterfly", court poème qui s'ouvre sur l'évocation de la mort d'Erik Satie, véritable fenêtre ouverte et si vite refermée, échappée dans la blancheur recherchée par delà le crépuscule enflammé. Cela a suffi pour nous décaler très loin, le paysage s'aère un peu, la harpe s'attarde sur les horizons désolés, se profile au loin "The Tower To Eternity". La voix de Sifichi se dédouble, le dub se fait statique et plus sourd, la harpe voltige encore sur la fin. Retour à l'ampleur splendide du premier titre avec "My Legs, My Arms, My Mind & My Brain", dub baudelairien de l'être brûlé par  ses impasses. Crépitements, cycles cristallins de la harpe (du synthé-harpe) pour "Invisible Click" qui prépare le terrain de "Hope Of Utopia", l'horizon s'éclaire, des enfants s'interpellent, le monde existera encore ?
    Un disque très cohérent, beau parcours qui nous sera peut-être plus intelligible si le disque nous fournit les paroles des poèmes, parfois difficiles à saisir au vol.

Paru en mars 2010 chez Jarring Effects / Discograph /12 titres / 47 minutes.
Pour aller plus loin
- la chronique de Short Cuts, leur album précédent.
- le très beau site perso de Black Sifichi

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 3 février 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours

Publié le 6 Décembre 2009

Nancy Elizabeth : "Wrought iron", la forge de la grâce.
   Ce qui frappe dès l'abord, c'est la présence massive du piano. La jeune galloise, pour son second album Wrought iron, a été conquise par l'instrument dans un bâtiment abandonné en Espagne, où elle était partie enregistrer. L'anecdote laisse rêver. On imagine les grilles lourdes, baroques, en fer forgé, le piano comme un appel dans les grandes salles désertes. Alors que "Battle and Glory" faisait retentir toute la panoplie idéale des instruments folk, de la harpe 12 cordes au dulcimer, dans des morceaux souvent très enlevés, Wrought iron est d'une veine plus intime. D'autant plus bouleversant que l'accompagnement s'est resserré, ce qui ne veut pas dire appauvri d'ailleurs, mais moins d'instruments en même temps. Guitares, mais aussi une belle apparition de la trompette sur le très folk "Lay low", harmonica sur le bluesy "The act", cloche sur le miraculeux "Winter, baby" et sur "Cat Bells" à la beauté suspendue,  pincée de chœurs, percussions diverses...tous servent la voix fine, fragile, flexible, transparente de Nancy Elizabeth et ses superbes mélodies. Ce deuxième disque confirme l'émergence d'une grande chanteuse, compositrice accomplie, capable de se renouveler profondément d'un disque à l'autre.
 

   On le sait dès le premier morceau, "Cairns", piano presque solo, morceau au hiératisme si doux, ponctué de chœurs séraphiques : paysage immémorial, un rêve d'harmonie. "Bring on the Hurricane", le titre suivant, est un petit bijou folk où la voix de Nancy joue de toutes ses nuances tandis que la guitare nous emporte, relayée par de courts chœurs puissants. Le piano revient au premier plan (il n'avait pas tout à fait disparu...) avec "Tow the Line", chanson dépouillée un brin mélancolique sur laquelle s'appuie avec parcimonie l'harmonica On le retrouve sur l'un de mes titres préférés, "Divining", complètement hanté par "Videotape", le magnifique dernier morceau de In Rainbows de Radiohead : la jeune galloise peut tout se permettre !

   "Canopy", parfois a capella, la voix qui semble se renverser, et les fées qui viennent vous caresser, encore un morceau envoûtant, le meilleur du celtique, et rien à voir avec le catastrophique dernier album d'Alan Stivell -qui fut parfois capable du meilleur, dans un autre siècle..., une douceur fulgurante. Et puis il y a "Ruins", somptueuse ballade d'une sirène pudique et suave, la raucité étrange de la voix par moments, le piano royal doublé par un piano jouet sur la fin. Magique, cet album, enchanteur. Nous avions Merlin, voici Nancy Elizabeth !
Paru en 2009 chez The Leaf label / 11 titres / 41 minutes environ.
Pour aller plus loin
- Chronique du premier album sur ce blog.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 janvier  2021)

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Rédigé par Dionys

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