Guillaume Gargaud - Strange memories

Publié le 14 Octobre 2020

Guillaume Gargaud - Strange memories

Ma précédente rencontre avec Guillaume Gargaud remonte à juin 2011, quand j'ai chroniqué le très flamboyant Lost chords sorti peu avant, pour guitare et sons électroniques, et She, son second album solo paru en 2009, d'une sauvage beauté noire. Il en était déjà à son neuvième album, le troisième en solo. Depuis, il a encore multiplié les collaborations avec d'autres musiciens, la dernière en date avec le trompettiste finlandais Eero Savela, après la sortie en 2019 de Magic intensity  sur lequel interviennent le pianiste Burton Green et le batteur Marc Edwards. Strange memories est son huitième album solo, enregistré dans son studio personnel du Havre, et publié conjointement par le label new-yorkais Chant records et Setola di Maiale, label non conventionnel italien consacré aux musiciens indépendants travaillant dans le champ des musiques expérimentales et improvisées. Le disque regroupe en effet neuf improvisations pour guitare acoustique solo. Me voici donc confronté à un objet sonore  a priori peu dans la lignée éditoriale de ce blog... qui en a vu et entendu d'autre, et qui s'en remettra, quand bien même ce musicien a joué avec des grands noms du free jazz, jamais abordé. Loin des envolées électroniques dignes d'une science-fiction lyrique et grandiose, qu'a-t-il à vous offrir, qu'a-t-il qui me retient ?

   Dès "Mystery travel", c'est l'impression que l'improvisation cherche avec obstination, qu'elle n'a rien de gratuit ou de futile, et surtout rien de démonstratif, ce qui m'agace toujours particulièrement chez nombre de musiciens de jazz. Oui, c'est bien un mystérieux voyage, avec ses haltes, sa frénésie passagère, ses hésitations, son recueillement devant la beauté soudain débusquée au coin du feu. La guitare chante, tranquille. "Free spirit" développe un climat d'intimité contemplative  : la guitare se fait coquillage à spirale, repliée sur ses cordes qu'elle pince avec une tendre ferveur, hoquetante de bonheur, et l'on entend le guitariste fondre dans un murmure d'acquiescement, à l'écoute de l'éblouissement qui vient illuminer la fin. Comme une plainte pudique, "Stay away" ondule au seuil de l'indicible, notes prolongées, infimes grincements. Le morceau se creuse dans les graves, un rien solennel et très énigmatique, prélude idéal au titre éponyme, "Strange memories", perdu dans des souvenirs enfouis que la guitare va débusquer, délicate. Entre rêverie et jaillissements brefs, un flux finit par se faire jour, une source vive qui se joue tout en courbures, en joie colorée de minuscules gouttelettes harmoniques. Frottements, doux pincements, énergiques poussées rythmiques, "Glissando" se laisse aller à ses vertiges, se ferait presque jazzy par sa mélodie assez attendue, mais se reprend, se tient, le morceau a un côté gitan trépidant, incantatoire, avec une belle coda à l'étouffée ! Débutée sur le bois, des pizzicati d'oiseaux courant en tous sens, "No closing" est une pièce ébouriffée, qui glousse comme une poule devenue folle à cause de son enfermement. C'est l'improvisation la plus drôlatique de l'album, un sommet ludique qui n'en souligne que mieux l'atmosphère recueillie des autres, notamment de la suivante, "Curious things". Pièce hésitante, interrogative, elle se contemple, prend la pose, ronronnerait pour un peu, absorbée dans ses graves veloutés. On retrouve un climat plus méditatif encore au début de "Leave open", étude intense éclairée de fréquents éclats nerveux. La guitare virevolte, s'enivre, poursuivant une fantaisie insaisissable. Où l'on finit par de vieilles mélodies... "Old Melodies", jeu frémissant, et puis des envolées, un rythme profond, la montée de l'enthousiasme, la sorcellerie guitaresque dansant entre les mains de son musicien, habité, qui n'a plus qu'à s'abandonner au silence...

Des improvisations illuminées par une inspiration d'une attentive intensité. 

Paru le 23 septembre 2020 chez Chant Records et Setola di Maiale / 9 plages / 44 minutes environ. À noter que Setola di Maiale signifie... Poils de porc !

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques improvisées

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