Publié le 27 Janvier 2018
Une surface aride hérissée d'épines acérées : la redondance de la couverture par rapport au titre thorn (« épine ») a quelque chose de rude, de sauvage. Les auditeurs sont prévenus : ce nouvel album de David Lang, l'un des trois compositeurs fondateurs du collectif musical Bang On A can , n'est pas là pour flatter vos oreilles ou pour les tapisser de miel. Le disque regroupe des petites pièces écrites pour la flûtiste Molly Barth, membre fondatrice de l'Ensemble Eighth Blackbird. Elle est accompagnée par un ensemble pouvant aller jusqu'à sept instrumentistes (piccolo, trompette, hautbois, violon, violoncelle, piano et percussions).
David Lang a donné des notes d'intention pour chaque pièce. Je les ai lues...pour mieux les oublier ? Ce qui compte dans la perspective de cet article, c'est la réception.
Le titre éponyme est en effet hérissé d'épines, tout en aigus, en souffles courts, acérés. Impressionnant solo de Molly qui nous tient en haleine, sans relâche aucune. Nous entrons dans l'univers dense de David Lang. "lend/lease" fait dialoguer la flûte et la percussion sèche des blocs de bois : comme de la musique japonaise décantée jusqu'à l'os. Piccolo, piano, violon et violoncelle sont requis pour "short fall", danse haletante, serrée, sur un lit de notes de piano en boucles. Le désert a fleuri de tous ses cactus, ses agaves. Les bouquets explosent en gerbes serrées, tranchantes, en quasi apesanteur. David est en pleine forme ! "Involontary" serait une musique de fanfare pour deux piccolos, deux trompettes, un batteur à la caisse claire : enjouée, claironnante (si j'ose dire !), sans rien de pesant, irrésistiblement entraînante. Pour flûte et piano, "vent" nous entraîne au cœur de l'univers langien, dans une course vertigineuse, âpre, ponctuée d'arrêts brutaux. Crêtes de montagnes, à-pics, escalades implacables. Les deux instruments se mêlent, s'enlacent avec furie, se fracassent ensemble pour repartir avec des accents suaves, des virgules farouches. À lui seul, le morceau justifie l'acquisition de l'album, chef d'œuvre qui laisse pantelant, étourdi. Et ce n'est pas fini. L'étourdissant "burn notice" est un carrousel effréné des différents instruments, comme une spirale infinie s'élargissant, se reconstituant sans cesse autour de la flûte moqueuse, hoquetante, spirale de plus en plus irréelle affectée de ralentis et d'accélérations prodigieuses. Magistral, là encore ! Le disque se termine avec "frag", abréviation pour "fragmentation bomb". Flûte, hautbois et violoncelle pizzicato découpent impitoyablement l'espace sonore dans un rituel hallucinant, l'unisson se fragmentant en courts segments abrupts dont finissent par surgir, autour de la flûte aux abois, des à-plats mélodieux, tenus.
Un très grand disque de musique contemporaine par l'un des tout premiers compositeurs d'aujourd'hui, que je défends depuis des années.
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Paru en 2017 chez Cantaloupe Records / 7 plages / 37 minutes environ.
Pour aller plus loin :
- l'album en écoute et plus :
Différentes compositions (pas seulement de l'album "thorn") de David Lang en concert :
(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 septembre 2021)