Hanna Hurwitz / Colin Stokes / Daniel Pesca - The Night Shall Break
Publié le 12 Avril 2024
Je m'aventure assez rarement du côté des œuvres composées avant 1960. Une fois n'est pas coutume sur ce blog, libre de toute façon.
La maison de disques Neuma Records a publié fin janvier un programme de musique de chambre que j'ai plaisir à vous présenter. Il réunit cinq compositeurs, nés à la fin du XIXè ou au début du XXè siècle, et décédés dans la seconde moitié du siècle. Les œuvres datent toutes des années 20 ou du début des années 30. Quatre sont écrites pour deux instruments, la cinquième pour un trio. Trois musiciens les interprètent : la violoniste Hanna Hurwitz , présente d'un bout à l'autre de ce récital, le violoncelliste Colin Stokes, et le pianiste Daniel Pesca, dont j'avais célébré le bel album solo Promontory, sorti en 2021 sur le même label.
Le titre de l'album, The Night shall break est une citation partielle du dernier vers du poème de William Blake (1757 - 1827) Cradle Song (Berceuse) : « Then the dreadful night shall break. » (Alors la terrible nuit éclatera), poème que la compositrice Rebecca Price mit en musique au moment où elle composait son trio pour piano, deuxième œuvre du disque. L'omission de « dreadful » est peut-être significative de la volonté de mettre davantage l'accent sur la lumière de ces compositions de l'entre-deux guerres que sur les tristes suites de la Première Guerre mondiale et sur les menaces à l'horizon.
La première pièce, la "Fantaisie N° 1" pour violon et piano (1933) de Florence Beatrice Price (1887 - 1953), première compositrice afro-américaine à être reconnue de son vivant. La réussite de cette admirable composition tient à l'alliance d'une atmosphère post-romantique, brillante ou élégiaque, avec une mélodie suave évoquant le folklore afro-américain.
Les vingt-deux minutes du "Piano Trio" (1921, en trois parties), de la compositrice et violoniste anglaise Rebecca Clarke (1886 - 1979), installée aux États-Unis à partir de 1916, sont une découverte majeure. La musique en est frémissante, dramatique, en écho aux drames de la guerre mondiale encore si proche. Les mélodies, magnifiques, sont traversées d'incroyables échappées lentes, explosant en bouquet d'arpèges éblouissants, en vigoureux coups d'archet ou pizzicati. Un motif récurrent unit puissamment les trois mouvements. Une œuvre forte, colorée, résolument moderne...
Suit la brillante et mouvementée "Sonatina for violin and piano" (1924, quatre courts mouvements) du compositeur et pianiste mexicain Carlos Chávez (1899 - 1978). Fantasque, étincelante, moqueuse, elle se met à rêver bucoliquement dans l'adagio, a des accents debussystes et stravinskiens ça et là. C'est un régal !
"Thème et variation pour violon et piano" (1932) d'Olivier Messiaen (1908 - 1992) est une promenade post-romantique de toute beauté à l'écriture ramassée, frisant parfois l'atonalité, s'abandonnant parfois à une virtuosité un peu folle ou à un lyrisme dépouillé presque déjà répétitif.
Pour clore le programme, le "Duo n°1 pour violon et violoncelle" (1927) du compositeur tchèque Bohuslav Martinů (1890 - 1959) est une œuvre qui échappe aux étiquettes. Si elle prend en partie son inspiration dans le folklore de la Bohème ou de la Moravie, son écriture contrapuntique raffinée dans le premier mouvement ou la fin du second évoque aussi bien la Renaissance ou une exubérance toute personnelle d'autodidacte aux oreilles ouvertes à toutes les musiques de son temps, de Debussy au jazz.
Un programme passionnant, interprété avec brio par trois musiciens talentueux !
Paru fin janvier 2024 chez Neuma Records (Saint Paul, Minnesota) / 11 plages / 57 minutes
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur bandcamp :