Publié le 16 Février 2017

Rougge - Monochrome

   Un grand piano, une voix qui s'envole, prononçant les syllabes d'une langue inconnue. C'est Rougge, artiste nancéien, et c'est son deuxième disque, Monochrome, huit ans après Fragments, sorti en 2007. Il s'agit encore de fragments numérotés sans qu'on sache à quel ordre secret cela renvoie. Peu importe. On est emporté. C'est une promenade qui devient une invocation, une incantation. Le piano insiste, martèle, sonore ou grondant, tandis que la voix de contre-ténor monte, descend, murmure. Quel saisissement ! Comme si la voix détachait des lambeaux d'infini...depuis un ailleurs soudain si proche. La trame mélodique, d'inspiration minimaliste, enveloppe l'auditeur dans un réseau de motifs serrés, volontiers répétés ostinato, d'où l'ambiance vite envoûtante. La voix dérape parfois de sa tessiture pour prendre des accents d'une extraordinaire douceur avant de repartir dans une suavité farouche. Comment ne pas penser à Wim Mertens, notamment dans Maximizing the audience (1988), dans le fabuleux "Whisper me", ou encore à Antony de Antony and the Johnsons ? Mais ces références ne sont que des repères grossiers, il faudrait remonter une longue tradition vocale héritée du Moyen-Âge, des monodies grégoriennes ou de certains hymnes qui ne comportaient que des sons vocalisés... ou encore vers les chants de gorge par exemple. Le chant ne dit rien dans aucune langue : le chant chante, c'est un pur chant, du chant-joie. De fragment en fragment, on dérive au fil des nuances, le temps se dilate dans des ralentis élégiaques suaves ou se contracte dans des passages nerveux et sombres. Nous sommes dans les marges, dans les arrière-mondes de la musique, quelque part où ça se déchire, où notes et vocalises épousent l'émotion. L'étreinte est langoureuse, intense, perd la notion du temps, intemporelle par essence. Et c'est cela qui ravit, l'abandon extrême, la liberté de jouir du son sans se soucier de rien d'autre.

  Qu'on l'habille de cordes, cette voix, dans le dernier fragment, annonce une nouvelle étape, qui se concrétisera par la sortie, début mars, d'un disque réalisé avec un véritable quintette à cordes.

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Paru en novembre 2015 / 9 titres / 44' environ

Pour aller plus loin :

- l'album en écoute et plus sur bandcamp :

 

 

Programme de l'émission du lundi 13 février 2017

L'Intégrale : (enfin presque...)

Tristan Perich : Surface Image (Piste unique, 63'), extrait de Surface Image (New Amsterdam Records, 2014)

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