Publié le 20 Juin 2009

Keene : "The River and the fence"
   Le récemment défunt label grec Poeta negra n'a pas fini de livrer ses trésors. Keene, un trio composé de Kostas Giazlas, Haris Martis et Dimitris Mitsopoulos, renforcé parfois du violoncelliste Evi Kazantzi,  au départ un projet audio-visuel, propose une musique alliant sons acoustiques et textures électroniques pour créer des ambiances denses, volontiers incantatoires, répétitives parfois. "Patch", le premier titre, juxtapose notes obsédantes de guitare et appels troubles de claviers, échantillons sonores de bruits divers. "Stroked trees" commence par une belle intro très mystérieuse au piano et aux claviers, puis surviennent guitare et cordes en vagues épaisses, peut-être un trombone en fond, le morceau avance dans la forêt inconnue, rythmé par une pulsation profonde, tranquille, qui ignore les accidents sonores surgis de tous les coins de l'espace. Musique architecturale, en réfractions multiples, comme, sur la couverture de l'album, cette structure du Prada Epicentre Store de Tokyo, conçu par le bureau d'architecture suisse Herzog & De Meuron. Ouverture en apesanteur pour "The River", le titre 3, avant une rupture inattendue, l'entrée en force d'une guitare électrique en boucle courte, du violoncelle plaintif sur bruits de pas qui résonnent lourdement, courant puissant et lent qui charrie tout jusqu'à ce que le violoncelle demeure presque seul en scène, que tout reparte plus puissamment encore tandis que l'arrière-plan se charge d'alluvions bruitistes, avant un duo inégal entre le violoncelle très en avant et la guitare peu bavarde accompagnée d'une clochette lointaine, coda mélancolique avant "Here", morceau pointilliste tout en perspectives lointaines, lui-même sorte d'interlude pour "Weir of fog", collage subtil de piano léger, appels étranges de claviers-cors, grappes de notes de cordes, entrecoupé de micro-silences. La musique de Keene tient du cristal, prismatique, tout en surgissements, en métamorphoses permanentes. "Door on glass", le titre 6, est magistral, inoubliable : dialogue en boucle obsessionnelle entre le piano et la guitare, ponctué de poussées de claviers. On est enfermé dans le labyrinthe, la structure s'opacifie, la tension monte, reflue, rendue sensible par la disparition progressive du piano, englouti sous d'autres boucles d'une sorte de glockenspiel synthétique. La musique devient hantée avec "Cave of error", peuplé de voix fantômales, de chuintements et de rumeurs, le violoncelle déploie un lamento lamentable, un rituel de sorcellerie se tient là-bas, dans les tréfonds. Nous voici devant la clôture, "The Fence", adagio majestueux en canon à la Arvo Pärt (encore lui, source d'inspiration très fréquente...), cordes élégiaques ad libitum, quels trains partiront pour quels ailleurs... Un des excellents albums de ce label consacré aux musiques électroniques-expérimentales.
Paru chez Poeta Negra / 8 plages / 45 minutes environ

Pour aller plus loin
- trois morceaux disponibles ici.(les 1, 2 et 6)
- pour acheter le disque ici.

Deuxième vidéo, remasterisation de la première. Essayez les deux en léger décalé...

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 17 décembre 2020)

Lire la suite

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 16 Juin 2009

An on Bast et Vizier of Damascus sur Rednetic Recordings.
   Non, je ne vous abandonne pas, c'est le temps qui me fait défaut depuis quelques jours. La matière ne manque pourtant pas, soyez rassurés. Je ratisse les ondes, le net surtout, vaste prairie fleurie de petites maisons de disques attachantes, qui méritent bien mieux que la petite niche où l'incuriosité, le conformisme...et le mercantilisme ravageur tendent à les confiner. Après avoir débusqué Debruit&desilence, ce très beau label parisien, je braque mon puissant projecteur sur Rednetic Recordings, label anglais consacré aux musiques électroniques. C'est en suivant la piste d'An on Bast, artiste de la scène électro polonaise, que j'ai trouvé son asile actuel et que j'ai ainsi pu me procurer son deuxième disque, Words are dead, un sept titres dans la lignée de Welcome scissors : électro délicate, tout en textures fines, avec des flambées lyriques inspirées de musiciens comme Mozart, Liszt ou Arvo Pärt. Elle invoque également l'influence d'Autechre..."sth important", le quatrième titre, est sans doute le sommet : claviers en boucles lancinantes, beats démultipiés, texte dit fragmenté et traité comme la pâte feuilletée musicale. Du très beau travail, décidément une artiste à l'univers très personnel.
Paru en 2008 chez Rednetic Recordings / 7 plages / 32 minutes environ
Première vidéo : deuxième titre de l'album / Deuxième : An On Bast en concert
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
  
An on Bast et Vizier of Damascus sur Rednetic Recordings.

Sur le même label, après quelques écoutes, j'ai aussi déniché Arfan Ezra Munir Rai, alias Vizier of Damascus, un anglais dont les racines familiales sont en Arabie, vers Samarcande, bref dans un Orient peut-être en partie fantasmé. Badshahi, un neuf titres, est un disque prenant inspiré par ses voyages de la Lybie à l'Ouzbékistan. Morceaux emprunts d'une poignante mélancolie, avec "Lament halves", lui aussi très inspiré par l'estonien Arvo Pärt, un canon magnifique piqueté de beats et de scratches ; paysages sonores apaisés, baignés de lumière diffuse dans l'hypnose des soirs interminables, comme sur le titre éponyme hanté par un hypothétique muezzin. L'impression que le temps s'est arrêté, soudain, immémorial à jamais, déconnecté de toutes les folies humaines. Il y a du mystique chez ce voyageur en quête d'origines, sculpteur attentif d'espaces sonores denses déchirés par des percussions erratiques.
Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 17 décembre 2020)

Lire la suite

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc...

Publié le 9 Juin 2009

Doctor Flake : "Minder surprises", le pré vert de la musique !

Paris at night

Trois allumettes une à une allumées dans la nuit
La première pour voir ton visage tout entier
La seconde pour voir tes yeux
La dernière pour voir ta bouche
Et l'obscurité tout entière pour me rappeler tout cela
En te serrant dans mes bras.

 

Pour toi mon amour

 Je suis allé au marché aux oiseaux
Et j'ai acheté des oiseaux
Pour toi
Mon amour
Je suis allé au marché aux fleurs
Et j'ai acheté des fleurs
Pour toi
Mon amour
Je suis allé au marché à la ferraille
Et j'ai acheté des chaînes
De lourdes chaînes
Pour toi
Mon amour
Et je suis allé au marché aux esclaves
Et je t'ai cherchée
Mais je ne t'ai pas trouvée
Mon amour

   Doctor Flake, pour son troisième album Minder surprises, a choisi de nous raconter un conte. Dans un coin, alors que les musiciens parlent des instruments qu'ils jouent, n'écoutent même pas la musique, un homme se tait. L'un des musiciens finit par lui demander de quel instrument il joue, lui qui se tait. Sa réponse, c'est le disque tout entier, qui s'ouvre sur un phrasé obsédant de clavier et.. .sur deux poèmes presque enchaînés de Jacques Prévert (reproduits ci-dessus), extraits du recueil Paroles publié en 1945. Quel rapport me direz-vous ? Quels rapports plutôt. Rapport à la langue française, déjà, qui regagne sa place dans la musique électro, laquelle se marie admirablement à la poésie, l'auriez-vous oublié ? Rapport à une esthétique du collage, ensuite, dont le chirursicien - non, ce n'est pas une coquine de coquille, vous comprendrez bientôt si vous ne faites pas partie du clan des Flakiens, est un expert patenté. Après l'introduction, "Amours obscurs" nous introduit dans un univers mélancolique et doux, ritournelle pour clavier, guitare et percussions ponctuée de soupirs féminins. "A last dance with Leon" est une danse obsédante pour pantin désarticulé.

Et c'est le magnifique "Fightclubbing", boucles de piano, paroles chuchotées et déformées de Vale Poher, guitares grondantes qui strient l'arrière-plan, l'incendie sensuel de la voix enfin nue, atmosphère lourde, on voudrait toucher le ciel...des pas se rapprochent, puis s'éloignent... La suite alterne morceaux franchement hip-hop, comme les excellents "Let us play with your brain" et "Hip hop tourist", ou résolument électro-atmosphériques comme l'ensorcelant "Sweep Out", le brumeux "Comedy", le délicat "Eclaircie", ou encore quasi techno comme l'exsangue et alangui "Loveless", sur lequel on retrouve la voix insinuante de Vale Poher. Collage parfait en son genre, qui digère tous les échantillons prélevés par le Docteur ChirurSicien pour distiller des morceaux évidents, prenants, voire très émouvants. L'air de rien, un bel album poétique, qui coule ...comme du Prévert.

 

Paru en mars 2009 chez New Deal / Differ-ant / 9 titres  / 34 minutes environ

Pour aller plus loin

- le site officiel de Doctor Flake

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 16 décembre 2020)

Lire la suite

Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc...

Publié le 4 Juin 2009

Louisville : "a silent effort in the night", confluences rêvées !
"Des champs / de l'eau / Chicago", le refrain murmuré du premier titre, "LouisEville", donne le ton de ce disque étonnant, d'une liberté poétique et musicale superbe. Un disque de rêve, aéré, sensuel, fougueux, mystérieux, qui passe du folk au post-rock et à l'expérimental, l'électronique, du texte dit du bout des lèvres, qui nous fait tendre l'oreille, aux ballades limpides, évidentes, du français à l'anglais (et au russe ou au polonais comme en passant).
  Olivier Cavaillé, multi-instrumentiste, Félicia Atkinson, textes et voix, Nikolu, guitare et basse, sont à l'origine de ce voyage imaginaire entre Louisville et Chicago.  "Dans LouisEville il y a Louisville", ça commence ainsi, par une évocation litanique des groupes mythiques de Louisville, avec un banjo balbutiant en fond, puis la guitare survient, le banjo lui emboîte le pas, la ballade surgit, le poème s'efface pour reprendre ensuite, et plus tard le texte dit par Félicia" se mêlera à la voix masculine chantée. Quel bonheur ! "a silent effort", quelques griffures électroniques,  la voix distordue de Félicia entre chant et murmure, les cordes suaves, le morceau vire au post-rock, guitare brûlante. "Matin" est un interlude brumeux, piano ouaté, miracle de la venue de la lumière sur les eaux,  bruits feutrés. Le monde est mystère, claviers suspendus, voici "The only thing to come now in the sea", " Tout n'est pas doux / Les aiguilles, les eaux croupies / Les stades, les stades vides / à contourner sans conduire / Les trombes couchées autour forment un rectangle / Autour de l'ovale vert et blanc / Une flaque, une mare / Une larme sur le gazon sec / Clairsemé / ", le morceau s'échauffe, "c'est l'été vers sa chute / la chute de la lumière sur les écorces", l'anglais prend le relais, le poème se fait vibrant, les guitares rageuses ou obsédantes pour une fin de morceau entre incandescence et intensité radieuse, apaisée. "Soir" répond à "Matin", à peine deux minutes hantées par le piano et le violoncelle dans une atmosphère trouble à la Harold Budd, avec les accents cristallins d'un glockenspiel dansant dans le crépuscule. Nous entrons dans la "Forest", le plus long titre avec ses un peu plus de huit minutes, morceau extraordinaire, atmosphérique, "Forest glass / Forest / hidden.(...) The evening is falling down / The forest locked us on / It's around us / A green circle made of leaves / With a visible hole inside", touffeur moite, mots troués de russe, crépitements, résonnances sourdes, le français revient, l'eau est là, voda, l'envolée soudaine des sons électroniques (Jean-Yves Macé n'est pas loin !?), dans le marais des sons d'inquiétants dérapages, "La rivière est un lasso / Chaque tige dans l'eau dévie la surface". Musique idéale pour Dans la brume électrique de Bertrand Tavernier, car elle aussi peuplée de revenants, saturée de présences. On peut alors s'abandonner, dans la lumière revenue et les repères retrouvés, à la magnifique ballade finale, interprétée par Sylvain Chauveau : entrée dans la légende country... L'un des plus beaux disques de ces premiers mois de 2009, celui qui me touche le plus en tout cas.
Paru en 2009 chez debruit&desilence / 7 plages / 32 minutes environ (album court, mais intégralement superbe... aucune allusion à la chronique précédente ?)

 

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 16 décembre 2020)

Lire la suite

Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours