Publié le 19 Juin 2020

Michael Vincent Waller- A song

   Depuis ses débuts en 2014 avec Five Easy Pieces puis Seven Easy Pieces  pour piano solo, je défends l'œuvre de Michael Vincent Waller, jeune compositeur new-yorkais qui a étudié avec La Monte Young et Bunita Marcus. Ont suivi trois albums : The South Shore en 2015, un ensemble de petites pièces pour piano ou musique de chambre ; Trajectories en 2017 pour piano, avec deux pièces pour piano et violoncelle ; puis Moments en 2019 pour piano solo (surtout) et vibraphone solo.

Michael Vincent Waller photographié par Tim Saccenti

Michael Vincent Waller photographié par Tim Saccenti

   L'improvisation est pour Michael Vincent Waller avant tout une pratique privée, quotidienne, qui a son existence propre à côté de la composition elle-même. Disons qu'elle est une porte d'entrée plus intime, plus libre, à son monde intérieur, sans qu'il y ait un quelconque hiatus avec l'écriture. C'est une écriture qui prend son temps, cherche, et nous cherchons avec l'improvisateur. Voilà ce qui est fascinant avec A Song, improvisation pour piano solo d'environ vingt-et-une minutes, enregistrée en une seule prise. Une note répétée trois fois, lentement, avec un rebond de deux autres, puis une et deux encore, et une quasi reprise du motif, déjà légèrement varié, A Song avance comme à tâtons, mais avec détermination, doux carillon sur le fil des résonances. C'est une avancée modeste, obstinée, qui revient au motif, qui creuse, qui s'intensifie brièvement, puis le fil se distend, la mélodie se trouve, quelque chose emporte, quelque chose chante, un oiseau dans la pureté de l'aube sur l'arbre qu'on ne voit pas. Un léger balancement, puis autour de six minutes, une cadence monte de très loin. Les arpèges s'enroulent dans un climat de grande douceur, de joie aussi qui suscite des boucles vibrantes. L'émotion gagne en même temps que la ferveur, ponctuée de belles accalmies. Le chant s'est frayé un chemin, le piano joue dans tous les registres, se fait orchestral, buissonne au cœur du chant dans un réseau d'entrelacs introspectifs, tout en cherchant encore au fond des taillis du silence. La musique semble écouter des frémissements inaudibles, auxquels elle répond dans une lente extase, elle emprunte un chemin bordé d'herbes sauvages, est gagnée par une fougue folle éclaboussée d'aigus. Elle s'abandonne au chant, à l'égrènement mystique des notes, à la beauté rayonnante qui l'emplit soudain de frémissements. Elle n'en finit pas d'explorer son thème comme une abeille butineuse avant une coda énergique se résorbant en un ralenti pensif. Cette musique coule de source parce qu'elle se laisse gagner par l'intérieur, sans a prioris dogmatiques, sans volonté d'en mettre plein les oreilles. Bien sûr, des oreilles techniciennes y trouveront tel ou tel schéma, procédé. Ma lecture improvisée a tenté de suivre le chemin pris par Michael dans sa quête inlassable d'une pureté essentielle. Chez lui, le post-minimalisme, est, si j'ose dire, décanté par l'âme, rafraîchi par une naïveté lumineuse, pour le plus grand bonheur de l'auditeur.

Paru en juin 2020 chez Longform Edition / 1 plage / 21 minutes environ

Pour aller plus loin :

- piste numérique en écoute et en vente sur bandcamp :

Une des illustrations du livret numérique

Une des illustrations du livret numérique

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Publié le 13 Juin 2020

29 pièces pour piano, alto, échantillonneur et électronique

29 pièces pour piano, alto, échantillonneur et électronique

Image de "Scènes de Seine", film de Christian Jacquemin

Image de "Scènes de Seine", film de Christian Jacquemin

(Nouvelle mise en page + illustrations sonores / Émission du 1er juillet 2007 ) Nouvelle conception, nouvelle parution !
David Shea : Il était temps de lui rendre un vibrant hommage ! Et de souligner l'importance d'un label comme Sub Rosa (cf. l'article, et le site de ce label belge), sans doute l'un des plus radicaux, des plus décalés depuis au moins vingt ans, mais bien sûr fort mal distribué en France. J'ai heureusement fini par trouver un bon filon pour me procurer les disques précieux sous la Rose, ainsi que de très nombreux labels passionnants : nulle doute que l'émission et ce blog y gagneront encore en diversité surprenante. Tout est parti de l'un des derniers disques de David, The Book of scenes, une œuvre pour alto, piano et électronique.
   Né dans le Massachusetts en 1965, David Shea s'installe à New-York en 1985 après des études musicales. Il est alors actif dans des collectifs comme Cobra, se produit avec l'ensemble de John Zorn notamment, travaille comme DJ dans divers clubs, écrit de la musique pour des films. Adepte de l'improvisation libre et de l'électronique, il s'interesse depuis le début des années 90 aux échantillonneurs, qu'il a contribué récemment à perfectionner.Continuant à participer à des concerts, il est attentif à faire de l'échantillonneur un instrument à part entière, qui joue sa partition comme les autres et peut même se produire en solo. Sa production récente associe instrumentistes et échantillonneur pour produire soit des "symphonies" d'un nouveau type, où le matériau acoustique est fondu dans un prodigieux travail sur le son, comme en témoignent les albums Satyricon ou Tryptich, soit des mises en scène de chambre, où l'électronique enveloppe les instruments dans une ambiance sonore qui n'est pas sans rappeler les musiques de film. Chorégraphes et vidéastes font souvent appel à lui, tant ses musiques suscitent des images, comme vous allez le voir. Il a une vingtaine de disques à son actif, participe à de nombreux festivals et vit maintenant à Bruxelles.
   Écrit pour le pianiste Jean-Philippe Collard-Neven et l'altiste Vincent Royer, ce Book of scenes propose vingt-neuf courtes scènes dont le principe exposé par le compositeur est à peu près le suivant : les instrumentistes, en direct, réagissent aux stimuli de leur environnement, échangent leurs rôles, considèrent ce qu'ils viennent de jouer comme des échantillons qu'ils retravaillent, arrangent, abolissant de fait la frontière entre l'acoustique et l'électronique, entre musique écrite et improvisation. Chaque pièce est un microcosme fascinant de précision délicate, avec des moments de grâce, des surprises continuelles : la musique convoque les éléments, les matières, les moments, les formes, pour inventer une beauté sauvage d'une légèreté rarement atteinte. Rien en elle qui pèse ou qui pose, pour paraphraser le poète... Un chef d'œuvre à découvrir !
Image de "Scènes de Seine", film de Christian Jacquemin

Image de "Scènes de Seine", film de Christian Jacquemin

Une symphonie électronique !

Une symphonie électronique !

Sous la Rose, le Diable, probablement...

   Tryptich, à mon sens une véritable symphonie électronique en trois mouvements, même s'ils sont d'origine diverse, est une œuvre ambitieuse, qui brasse cultures et textures dans une constante magnificence sonore. Christian Jacquemin a choisi un extrait de la troisième partie pour sonoriser un petit film étonnant , Scènes de Seine, inspiré par le livre Espèce d'espaces de George Perec (un peu de patience pour la vidéo : une minute avec le texte de Perec en off, puis plus de quatre minutes d'images et musique pures.... L'adéquation entre les images de synthèse et la musique est totale. Exemples d'images au long de l'article.

Image de "Scènes de Seine", film de Christian Jacquemin

Image de "Scènes de Seine", film de Christian Jacquemin

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Publié le 8 Juin 2020

Shannon Wright - Providence

   C'est en remettant en page un article consacré à Antony and the Johnsons que j'ai retrouvé Shannon Wright, à laquelle j'avais alors consacré des lignes rapides. Son album Secret Blood venait de sortir, déjà chez Vicious Circle. Me voici donc à fouiller sa discographie récente. Et j'écoute quelques titres. Et je m'enthousiasme pour Providence. Piano, voix, la veine intimiste. Des mélodies évidentes, des boucles envoûtantes. La voix déchirée, voilée, doucement rauque, caressante, implorante. Des chœurs en écho sur "These Present Arms", dans une atmosphère irréelle, embrumée : « All the harmonies / Swinging side to side / And your eyes reveal nothing  // So goodbye / So long to you / Let's just turn out the light » Chaque texte évoque sobrement, pudiquement, des histoires qu'on sent personnelles, vécues, bouleversantes. C'est "Close the door", une histoire d'amour-propre et de séparation : « You and your pride (?) / ??? / Such a price to pay », qui rapproche subtilement "pride" et "price", le prix à payer. Les mots sont presque chantés du bout des lèvres, mais le piano étincelle, comme s'il chantait une liberté retrouvée. "Someday" chante au contraire que rien n'est perdu, peut-être : «  You and some part of me / Cavaliers / In a softest light / If it was you that cried » Au piano solo, le titre éponyme est nostalgique, lyrique, un peu fou, dans la mouvance d'une belle écriture minimaliste, et l'on pense bien sûr à son association avec Yann Tiersen. Cette musique coule d'évidence, elle tutoie la grâce, la lumière, le mystère. "Wish You Well" nous plonge dans des cercles incantatoires, avec un harmonium enveloppant, des voix échappées en arrière-plan, et la seconde moitié s'abandonne à nouveau au piano seul, qui distille une atmosphère orientalisante, presque soufie d'extase suspendue, comme dans certaines pièces de Georges Ivanovitch Gurdjieff. Très étonnant, superbe ! Ce disque magnifique, trop court à mon goût, se termine avec "Disguises", sur l'enfermement dans les déguisements, les mensonges, tapissé d'échos menaçants en sourdine, avec une coda glissante, aspirante, comme si l'abîme avalait le tout.

Paru en septembre 2019 chez Vicious Circle / 7 plages / 33 minutes environ

Pour aller plus loin :

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

Shannon Wright - Providence

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Publié le 1 Juin 2020

Maninkari, musiques de transe et d'extase

   Maninkari ? Ce sont Frédéric et Olivier Charlot, deux frères, deux parisiens, les créateurs de cette musique "chamanique", comme ils aiment justement à dire. Expérimentale, onirique, extatique, combinant drones et une multitude d'instruments divers, selon les albums : santour, cymbalum, doudouk, alto, synthétiseurs, percussions, tambours de cadre, violoncelle, mélodica, guimbarde, voix, orgue, sons de terrain, bodhrán, zurna, marimba, etc. On le voit : ils manient aussi bien des instruments traditionnels, classiques, que résolument contemporains. Ce qui compte, c'est la création d'une ambiance, d'un climat de méditation, de fusion. Écouter Maninkari, c'est couper les ponts avec la réalité habituelle, rejoindre les grands courants telluriques, les vents dans les plaines de Mongolie, les tempêtes de sable dans les déserts. Leur musique rejoint les traditions ésotériques, soufies, mystiques. Le langage lui-même est emporté dans un continuum qui le fait dériver : là, l'océan rêve dans sa loisiveté, et peut-être rencontrerez-vous le vestige à demi-oublié d'un rêve (the half forgotten relic of a dream). Ils ne cessent de retravailler leurs sessions, comme si toute musique découlait d'une source commune qu'il ne s'agit plus que de remettre en forme, d'habiller d'autres instruments, de dilater, de réinventer de l'intérieur, par le souffle. Depuis 2007, ils n'ont cessé de traverser l'écho (Crossing the echo). Ils ont tiré le diable avec ses cheveux, inventé l'art des poussières. Leurs pochettes sont ornées des dessins étranges d'Olivier Charlot, qui publiera bientôt un livre illustré muet (voir ici) composé de six histoires alchimiques et poétiques dans une atmosphère lunaire en noir et blanc.

Dessin pour Oroganolaficalogramme

Dessin pour Oroganolaficalogramme

Le monde selon Maninkari (cliquez pour agrandir)Le monde selon Maninkari (cliquez pour agrandir)Le monde selon Maninkari (cliquez pour agrandir)
Le monde selon Maninkari (cliquez pour agrandir)Le monde selon Maninkari (cliquez pour agrandir)Le monde selon Maninkari (cliquez pour agrandir)

Le monde selon Maninkari (cliquez pour agrandir)

Discographie sélective :

- Art des poussières (Conspiracy records, 2008)

- Un souffle de voix (Neuropa records, 2009)

- The half forgotten relic of a dream (three:four records, 2011)

- L'Océan rêve dans sa loisiveté (three:four records, 2014)

- Continuum sonore (part 7 > 14) (Zoharum, 2014)

- Oroganolaficalogramme (ferme-l'œil, 2016)

- L'Océan rêve dans sa loisiveté (deuxième session) (Zoharum, 2017)

- L'Océan rêve dans sa loisiveté (troisième session) (three:four records, 2019)

Autre dessin d'Olivier Charlot

Autre dessin d'Olivier Charlot

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Hybrides et Mélanges