musiques de chambre d'aujourd'hui

Publié le 12 Avril 2024

Hanna Hurwitz / Colin Stokes / Daniel Pesca - The Night Shall Break

   Je m'aventure assez rarement du côté des œuvres composées avant 1960. Une fois n'est pas coutume sur ce blog, libre de toute façon.

   La maison de disques Neuma Records  a publié fin janvier un programme de musique de chambre que j'ai plaisir à vous présenter. Il réunit cinq compositeurs, nés à la fin du XIXè ou au début du XXè siècle, et décédés dans la seconde moitié du siècle. Les œuvres datent toutes des années 20 ou du début des années 30. Quatre sont écrites pour deux instruments, la cinquième pour un trio. Trois musiciens les interprètent : la violoniste Hanna Hurwitz , présente d'un bout à l'autre de ce récital, le violoncelliste Colin Stokes, et le pianiste Daniel Pesca, dont j'avais célébré le bel album solo Promontory, sorti en 2021 sur le même label.

De gauche à droite : Hannah Hurwitz - Colin Stokes - Daniel Pesca

De gauche à droite : Hannah Hurwitz - Colin Stokes - Daniel Pesca

   Le titre de l'album, The Night shall break est une citation partielle du dernier vers du poème de William Blake (1757 - 1827) Cradle Song (Berceuse) : « Then the dreadful night shall break. » (Alors la terrible nuit éclatera), poème que la compositrice Rebecca Price mit en musique au moment où elle composait son trio pour piano, deuxième œuvre du disque. L'omission de « dreadful » est peut-être significative de la volonté de mettre davantage l'accent sur la lumière de ces compositions de l'entre-deux guerres que sur les tristes suites de la Première Guerre mondiale et sur les menaces à l'horizon.

Deux compositrices
plus fortes que les préjugés...  

La première pièce, la "Fantaisie N° 1" pour violon et piano (1933) de Florence Beatrice Price (1887 - 1953), première compositrice afro-américaine à être reconnue de son vivant. La réussite de cette admirable composition tient à l'alliance d'une atmosphère post-romantique, brillante ou élégiaque, avec une mélodie suave évoquant le folklore afro-américain.

    Les vingt-deux minutes du "Piano Trio" (1921, en trois parties), de la compositrice et violoniste anglaise Rebecca Clarke (1886 - 1979), installée aux États-Unis à partir de 1916, sont une découverte majeure. La musique en est frémissante, dramatique, en écho aux drames de la guerre mondiale encore si proche. Les mélodies, magnifiques, sont traversées d'incroyables échappées lentes, explosant en bouquet d'arpèges éblouissants, en vigoureux coups d'archet ou pizzicati. Un motif récurrent unit puissamment les trois mouvements. Une œuvre forte, colorée, résolument moderne...

Trois compositeurs à la recherche d'une voie personnelle...

    Suit la brillante et mouvementée "Sonatina for violin and piano" (1924, quatre courts mouvements) du compositeur et pianiste mexicain Carlos Chávez (1899 - 1978). Fantasque, étincelante, moqueuse, elle se met à rêver bucoliquement dans l'adagio, a des accents debussystes et stravinskiens ça et là. C'est un régal !

    "Thème et variation pour violon et piano" (1932) d'Olivier Messiaen (1908 - 1992) est une promenade post-romantique de toute beauté à l'écriture ramassée, frisant parfois l'atonalité, s'abandonnant parfois à une virtuosité un peu folle ou à un lyrisme dépouillé presque déjà répétitif.

   Pour clore le programme, le "Duo n°1 pour violon et violoncelle" (1927) du compositeur tchèque Bohuslav Martinů (1890 - 1959) est une œuvre qui échappe aux étiquettes. Si elle prend en partie son inspiration dans le folklore de la Bohème ou de la Moravie, son écriture contrapuntique raffinée dans le premier mouvement ou la fin du second évoque aussi bien la Renaissance ou une exubérance toute personnelle d'autodidacte aux oreilles ouvertes à toutes les musiques de son temps, de Debussy au jazz.

   Un programme passionnant, interprété avec brio par trois musiciens talentueux !

Paru fin janvier 2024 chez Neuma Records (Saint Paul, Minnesota) / 11 plages / 57 minutes

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Publié le 9 Avril 2024

Ludwig Wittbrodt -Schleifen

   Ludwig Wittbrodt désigne le duo formé par Emily Wittbrodt au violoncelle et Edis Ludwig à l'ordinateur portable et à la batterie. Elle a une formation classique, mais s'implique aussi dans le free jazz. Lui est actif sur la scène improvisée de la région Rhin - Ruhr depuis des années et joue dans le groupe rock Düsseldorf Düsterboys. Leur musique, riche de ces influences, se situe encore ailleurs, dans une musique de chambre expérimentale entre musique électronique et musique contemporaine. Le disque compte sept titres, les quatre premiers de plus de cinq minutes, les trois suivants entre deux et quatre.

Ludwig Wittbrodt -Schleifen

   Le premier titre, "Fischer", commence au violoncelle et à la batterie, en deux frappes percussives répétées, sur lesquelles viennent se greffer des sons de terrain encore discrets, comme une fumée autour du battement, puis le violoncelle s'échappe en une longue traînée, doublée par l'électronique. Une mélodie élégiaque s'enroule sur un bourdon d'intensité variable. Nous y sommes. C'est là que se situe la musique des deux musiciens, méditative, d'une limpidité désarmante, pas très loin de la musique indienne, et toutefois déchirée, doucement hurlante comme une meute de loups une nuit d'hiver...

   Avec "Tulpen" (titre 2), l'atmosphère se fait plus étrange, la musique émet des bulles espacées, sèches, comme une respiration en eaux profondes. Le violoncelle pizzicato et l'électronique en nappes rayonnante sont en symbiose. Superbe pièce au cours de laquelle émerge une mélodie ensorcelante dans les cercles de laquelle nous sommes peu à peu emprisonnés. Le charme continue d'opérer avec "Freibad", pièce d'un onirisme frissonnant. Le violoncelle sonne comme un sitar ou un sarod (à moins que ce ne soit un avatar électronique produit par l'ordinateur) : c'est une sorte de raga alangui, suave.

    Le morceau éponyme (titre 4) joue sur des sons abrasés, des notes tenues. Si l'on songe à la signification du titre de l'album, « moudre » en français, c'est bien de cela qu'il s'agit, d'une toile microtonale animée de scintillations, de sourds broiements. Puis des harmonies somptueuses se déroulent sur le fond mouvant bourdonnant.

  "Volcano" (titre 5) est un dérivé du titre deux, violoncelle pizzicato et électronique foisonnante. C'est une lente avancée dans un pays mystérieux qui dissout progressivement la musique. La reprise de "Freibad" (titre 6) semble une germination un peu monstrueuse du premier : éructations bizarres, clapotis inquiétants... "Flamenco" surprendra les amateurs du genre par sa gestuelle ralentie. Le violoncelle chante langoureusement, à demi englouti dans les textures électroniques, curieux et très beau chant du cygne...

   Une musique de chambre étrange, onirique, envoûtante !

Paru début mars 2024 chez Ana Ott (Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne) / 7 plages / 37 minutes environ

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Publié le 26 Mars 2024

Linda Catlin Smith - Dark Flower

   Installée à Toronto, Linda Catlin Smith s'est affirmée ces dernières années comme une des compositrices en vue des musiques contemporaines. En 2005, elle est devenue la deuxième femme à remporter le Prix Jules-Léger pour la nouvelle musique de chambre. Son inspiration est stimulée par des écrivains et des peintres qu'elle apprécie, comme notamment Marguerite Duras, Giorgio Morandi, Mark Rothko, Agnès Martin. Son nouveau disque Dark Flower devrait réconcilier les amateurs de musique classique à l'ancienne et les passionnés des nouvelles musiques. La pièce titre a été commandée par le Thin Edge New Music Collective, un ensemble lui aussi installé à Toronto (depuis 2011), collectif qui comprend piano, violon, alto, violoncelle, clarinette et percussion.

La compositrice Linda Catlin Smith

La compositrice Linda Catlin Smith

   En la quiétude d'étranges contrées...

Dark Flower, avec ses neuf compositions pour près d'une heure trente ( à noter que les trois dernières sont des bonus uniquement numériques), permet de prendre la mesure de l'univers de Linda Catlin Smith. Sa musique est d'une grande douceur, méditative, et en même temps intense, aux arrangements calmement somptueux. Il y a là un sens inné du raffinement, de la délicatesse, un grand respect pour l'auditeur, peu à peu enveloppé dans les lentes évolutions harmoniques. À la fois proche, intime, et réservée, lointaine, elle s'aventure dans des contrées étranges, des brumes. Souvent en l'écoutant, je pensais à Morton Feldman, d'ailleurs inspiré également par Mark Rothko. C'est particulièrement  dans le sublime duo pour violon et piano "With their Shadows Long" (1997) que cette parenté est flagrante.

   Peut-être le premier titre, "Wanderer" (2009, révisé en 2022) donne-t-il l'une des clés de la création de la canadienne. C'est une musique errante, vagabonde, qui aime à s'aventurer dans des méandres où elle débusque des harmonies inconnues, glissantes, sensuelles, veloutées, des harmonies dont se lèvent soudain des frissonnements indicibles, des respirations diaprées...

   Le duo de violoncelles (2015, titre 2) est exemplaire de la réconciliation entre l'ancien et le nouveau. Sur une mélodie aux accents baroques se greffent des explorations sonores très contemporaines. La suavité des sonorités est travaillée par des étirements, des glissendos mystérieux. "Dreamer Murmuring" (2014, pour piano, violon et violoncelle, titre 4)) est d'une veine voisine : volutes mélodieuses des cordes, piano en courts éclaboussements ou en soulignements énigmatiques.

   Dédié au pianiste et compositeur britannique Howard Skempton, "Unbroken" (2017, pour piano solo, titre 6), est également un vagabondage, d'une tranquillité légère et dépouillée, réduite parfois à la répétition d'une même note

 

   La pièce éponyme, de plus de vingt-cinq minutes, pour piano et les trois cordes, d'une confondante beauté, semble une longue marche au bord des ténèbres, au bord des rêves, là où fleurit justement la fleur noire ou la fleur sombre. Seule une avancée précautionneuse peut entendre cette fleur s'épanouir, puis la suivre dans son capricieux itinéraire. Le temps ici ne compte plus, distendu, intérieur, seules comptent ces poussées florissantes, cet apprivoisement du Mystère. La gravité ici n'est jamais tristesse, mais la marque même d'un immense respect face à l'Ineffable qu'il faut entourer de rêts patients pour l'approcher un peu, dans les trous et les interstices d'une durée espacée, aérée. Car cette musique respire, et chante un autre chant, bouleversant, dans la seconde moitié de ce chef d'œuvre envoûtant.

   Les trois bonus, trois solos, ne sont pas inférieurs aux compositions précédentes. Le troisième et plus long, pour piano solo, "A Nocturne" (1995) est une pièce magnifique, erratique, là encore très feldmanienne, avec une partie centrale comme un dialogue entre main gauche et main droite, entre force parfois abrupte, dramatique et faiblesse ou plutôt refus du combat avant un affrontement monolithique sur la fin, les médiums très intenses, et une coda dans des aigus mystérieux.

   Un disque admirable de bout en bout, indéniablement l'un des plus grands de l'année 2023. 

Paru en novembre 2023 chez Redshift Music (Vancouver, Canada) / 2 disques - 9 plages / 1 heure et 26 minutes environ

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Publié le 8 Février 2024

Sylvain Chauveau - Le Livre noir du capitalisme
La reparution bienvenue
d'un disque magistral !   
Sylvain Chauveau, Le Livre noir du capitalisme
Couverture originale en 2000

 

   Sorti en 2000 chez une petite maison de disque française installée à Dijon, Noise Museum Records, Le Livre noir du capitalisme, premier album de Sylvain Chauveau, était reparu en 2002 (Les disques du soleil et de l'acier), puis en 2008 chez Type Records sous un titre anglais. Le label berlinois sonic pieces a eu l'excellente idée de rééditer ce disque marquant sous son titre français, remasterisé par Andreas Lubich, alias Loop-o, dans une nouvelle édition très limitée (cd et vinyle), avec une nouvelle couverture en toile noire.

La musique contemporaine, autrement...

   Sylvain Chauveau écrit une musique de chambre fluide et sensible à base d'arrangements de cordes, de piano, marquée par les boucles, les répétitions, et l'utilisation (assez discrète) de couches électroniques et de sons de terrain. Elle s'inscrit dans un post-minimalisme marqué par le post-rock et la musique ambiante. À plus de vingt ans de distance, on voit mieux qu'il s'insère dans un large courant de recomposition de la musique contemporaine sous l'influence des Minimalistes, d'Erik Satie, d'Arvo Pärt, de Brian Eno : redécouverte de la tonalité, attention portée aux mélodies, importance du silence et d'un certain dépouillement. On pensera à Max Richter, à Wim Mertens, à Yann Tiersen, et à quelques autres.

« Et peu à peu les flots respiraient

comme on pleure »

   Le titre de la première composition annonce une esthétique fondée sur l'émotion, un rapport poétique au monde, mais aussi politique, de manière décalée, le titre de l'album comme un écho aux provocations de Jean-Luc Godard (cf. titre 2) et comme le souvenir d'une époque post-soixante-huitarde où il était naturel d'être anticapitaliste et maoïste. Le disque se plaît à brouiller les frontières : si la musique semble plutôt du côté poétique, ce que bien des titres, si beaux, soulignent, elle s'aventure parfois dans ce que beaucoup considèrent comme l'anti-poétique pur, les divagations obscènes de Serge Turc évoquant sa vie sexuelle dans "Hurlements en faveur de Serge T." (titre 3). Sylvain Chauveau est parti pour ce titre d'un enregistrement cassette du passage  de cet homme, croisé à Toulouse à la fin des années quatre-vingt-dix, sur une émission de radio locale. Il en a choisi quelques extraits, a échantillonné sa voix et, après avoir obtenu l'autorisation de l'intéressé, en a fait ce morceau d'anthologie, digne d'un Godard goguenard. Les propos de Serge T. se détachent sur un fond répétitif ambiant sombre : véritable bombe contre toute tentation à couper la poésie du réel.

    En trois titres, le compositeur s'est permis une liberté magnifique : commencer avec le sublime " Et peu à peu les flots respiraient comme on pleure", élégie de chambre d'esprit minimaliste à la Arvo Pärt, continuer avec "JLG", hommage inaudible au cinéaste (l'hommage est dans le titre !), jolie pièce de piano en forme de ritournelle obsédante, et leur opposer les hurlements de Serge T. en troisième position. "Le marin rejeté par la mer" renoue avec le titre 2, confirme le talent de Sylvain Chauveau dans un néo-romantisme teinté de sentimentalité, tout à fait irrésistible mélodiquement, piano chantant et cordes suaves, voix chantonnantes. Il rentre aussi en résonance par le titre avec le premier. 

   Et c'est le titre 5, "Dernière étape avant le silence", cordes glissantes et frémissantes sur un staccato quasi ininterrompu, un tintinnabulement de cloches. De ces titres qui ne vous quittent plus, d'une beauté déchirante, un ondoiement et un bercement, l'épaississement de la matière sonore au fil de la composition, avec violoncelle et vents. "Dialogues avec le vent" ouvre d'autres horizons, avec ses guitares un peu rock, auxquelles viennent se mêler clavier et surtout trombone (?) pour une ode instrumentale (la voix de Sylvain comme instrument) en forme d'appels tuilés de corne de brume ! "Ses mains tremblent encore", outre ses résonances avec les titres 1 et 4, semble une pièce échappée de l'univers de Wim Mertens, la voix très haute au début, le piano dans des boucles chaloupées.

De la lumière aux ombres...

    Les quatre titres suivants, marqués par l'usage de la première personne, reviennent à une veine "autobiographique" que le titre 3 avait exploré sur le mode cru et direct. En fait, il s'agit d'abord d'une veine plus expérimentale ; nappes électroniques troubles et sombres de "Ma contribution à l'industrie phonographique", mer inquiétante, autre face des flots du premier titre ; belle échappée à la guitare électrique chaleureuse, aux claviers scintillants, rythmée de manière sourde et obstinée, de "Géographie intime", à la mélancolie en creux, sa voix et ses chœurs comme l'appel des sirènes surgi de « l'océan de ton corps » avant le long engloutissement dans l'obscur informe peuplé de textures mouvantes avec le cœur battant lentement et une sorte de succion infernale à la fin, écho musical de la confession de Serge T. disant sa peur de la femme et de son « antre ».

  ...quand la vie s'en mêle !

    Lui succède sans coupure l'autre titre "dérangeant" de l'album,  « Je suis vivant et vous êtes morts » - autre titre godardien - citation tirée d'Ubik de Philip K. Dick (merci Philippe R de me l'avoir signalé !), orage planant de drones, boîte à rythme narquoise en guise de cœur, fond auquel sont mêlés des extraits de cassette pornographique ou des fragments d'une vie intime, des mots murmurés, puis dans la seconde partie, tandis que la musique se fait océanique, les gémissements d'une femme peut-être fessée, ponctués de bruits machiniques, réponse sonore aux hantises de Serge T.. "Mon royaume" termine cette séquence avec des boucles hystériques incrustées d'échantillons  « toujours mystérieux » de bribes de paroles et de cris, terminés par un « alors silence ! » péremptoire. On referme la boîte à cauchemars, la tentation du grand mixage en guise de musique de la vie, musique-vérité contre les mensonges des idéalisations, veine expérimentale digne des "docu-fictions" d'un Yves Daoust parues, elles, en 2023. La porte refermée, "Mon royaume" laisse rentrer le piano roi, la mélancolie qui vous chavire et vous illumine.

    Restent deux titres : le tourmenté "Potlatch", curieux montage, précédé d'un vent noir électronique, l'accordéon tournant dans un fond ambiant de plus en plus saturé puis se résorbant en brouillard ; et "Un souffle remua la nuit", possible souvenir du film L'homme qui dort (1974), d'après le roman de George Perec, l'homme dormant rêvant ici un monde merveilleux de conte de fée qui s'efface vite pour un retour à la respiration et aux bruits presque surréels du quotidien nocturne, une cloche isolée en guise d'ultime musique, dernière étape avant le silence.

  Un des premiers "classiques" du XXIe siècle. Disque biface fascinant, disque-monde passionnant. Et que de titres inoubliables, d'une beauté sublime !

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sonic pieces publie en parallèle un nouveau disque de Sylvain Chauveau, ultra-minimal, un concert solo enregistré en direct au café Oto à Londres en mars 2022. Sylvain n'y joue que des instruments acoustiques : piano, guitare, harmonium et mélodica.

Nouvelle parution début février 2024 chez sonic pieces / 13 plages / 43 minutes environ

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Publié le 29 Décembre 2023

Andrea Burelli - Sonic Mystics for Poems (of Life and Death of a Phoenix)

   Compositrice de musique électronique expérimentale née à Venise, Andrea Burelli a quitté l'Italie à l'âge de quinze ans, mais y revient mentalement ou physiquement pour retrouver les chemins de sa poésie. Voilant la dimension autobiographique des textes sous le symbolisme du voyage imaginaire d'un phénix, elle a rassemblé quinze courts poèmes aux images colorées inspirées par les cultures méditerranéennes du Sud de l'Europe, du Moyen-Orient ou de l'Afrique du Nord, et par son ancienne pratique de peintre ou les œuvres d'Odilon Redon. Ce monde mystique à mi-chemin du rêve évoque les cycles et changements sans fin, la possibilité d'une transformation spirituelle, amenant une renaissance plus forte transcendant souffrances et limites. Ces quinze compositions constituent un cycle contemporain de lieder, avec Andrea Burelli à la voix et à l'électronique, Mari Sawada au violon, et Sophie Notte au violoncelle, deux musiciennes membres du Solistenensemble Kaleidoscope.

Instants de lumière avant le néant

    Tout commence par un "Chant", celui des deux instruments à cordes joués aux limites de l'aigu et du souffle pur, puis le violoncelle chante en contrepoint du violon resté dans les nuées à s'envoler et à pleuvoir des étoiles filantes. Avec "Fiori strappati", le cycle s'inscrit entre polyphonie traditionnelle (sarde notamment) et musique de chambre contemporaine. Une petite fille dévale des escaliers, sourit au Sud, entend un ange l'appeler par son nom, l'Italie la regarde de ses yeux verts... "Petto Rotto", quelle danse étourdissante !
« Turcs et femmes s'inclinant

devant le chant soufi
Cartes de rues poussiéreuses
et diseuses de bonne aventure
 
Un feu dans le néant
au-dessus de nous,
Une couverture d'étoiles
et de poussière sonore du sud
 
Danse
cheveux et lèvres
Je confonds l'odeur
avec le souffle des rochers
 
Un œil sublime
limites de peau
J'implore un rayon
de sève de réalité
 
Les tempêtes balancent
un plaisir aigu,
une conscience inhumaine
ici sur mes mains
 
Je ne suis qu'un écho épais,
un pacte lâche,
Je suis une poitrine brisée
qui fait voler un cerf-volant  »
 
 

   "Benu" est une délicieuse berceuse alanguie sur une mélodie au parfum de Renaissance, auquel répond en diptyque un poème en espagnol, "Cielo Azul", nimbé d'une mélancolie extatique. "Nido" a une allure plus orientale et médiévale à la fois, chant poignant accompagné d'un dramatique pizzicato puis de suaves harmonies des cordes. Les pièces suivantes sont aussi réussies, de petits chefs d'œuvre de concision délicate autour de la voix légère et haut perchée d'Andrea Burelli, souvent démultipliée en une polyphonie populaire et raffinée. L'électronique est discrète, au service des deux instruments à cordes, magnifiquement joués.

   "Benu" est une délicieuse berceuse alanguie sur une mélodie au parfum de Renaissance, auquel répond en diptyque un poème en espagnol, "Cielo Azul", nimbé d'une mélancolie extatique. "Nido" a une allure plus orientale et médiévale à la fois, chant poignant accompagné d'un dramatique pizzicato puis de suaves harmonies des cordes. Les pièces suivantes sont aussi réussies, de petits chefs d'œuvre de concision délicate autour de la voix légère et haut perchée d'Andrea Burelli, souvent démultipliée en une polyphonie populaire et raffinée. L'électronique est discrète, au service des deux instruments à cordes, magnifiquement joués. L'album culmine à nouveau (cesse-t-il de culminer ?) avec deux des plus longues pièces (chacune autour de trois minutes...), "Ali di Fuoco" et "L'Ultimo Giorno", la première d'un sublime hors du temps, la seconde passant d'un chant sarcastique  dramatisé par des ralentis à une coda majestueuse, celle du Dernier jour : « Le dernier jour / Nous regardons autour de nous / La nuit s'illumine / La vie cesse sans le savoir. ». "Sogno Diurno" dit le passage du rêve nocturne au rêve diurne dans un chant en boucle soutenu par un bourdon, avant "Ocre", conclusion a capella sur le presque rien qu'est toute vie, presque rien d'où surgissent cependant lumière et amour...

   Un cycle de mélodies d'une magnifique pureté sur de très beaux textes sensibles.

Paru en novembre 2023, autoproduction / 15 plages / 35 minutes environ

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Publié le 26 Juin 2023

Kate Moore - Ridgeway

   Ridgeway, le titre de l'album, est le nom du chemin qui parcourt la vallée d'Uffington Castle (Comté d'Oxfordshire, Grande-Bretagne), près duquel se trouve le grand cheval blanc taillé dans la partie supérieure d'une colline de craie. C'est lui sur la photographie de couverture. Kate Moore vécut près de là un temps pendant son enfance, et elle a choisi cette figure datant de l'âge du bronze pour illustrer des œuvres composées entre 2009 et 2019. Ce choix voudrait illustrer le lien entre les souvenirs de lieux et l'expérience sensorielle. Il traduit aussi sa profonde fascination pour les forces naturelles qui façonnent le monde.

   Née en 1979 et formée notamment par Louis Andriessen, ayant participé à des séminaires dirigés par David Lang, Julia Wolfe et Michael Gordon, Kate Moore, australienne née en Angleterre et vivant souvent aux Pays-Bas, a déjà publié The Open road (2010), Revolver (Unsounds, 2021). Ridgeway est son deuxième disque sur ce magnifique label Unsounds. Les pièces sont interprétées par le Herz Ensemble, un large ensemble de chambre, sauf lorsque je l'indiquerai : violon, alto, violoncelle, saxophone, clarinette basse, guitares électriques, piano, orgue, percussion, didgeridoo, et contre-ténor. Pour Kate, cet album évoque l'étrangeté du paysage, du son de ses contours et du langage mystique de ses nuances et de ses ombres, à la fois divinement belles et sombres et mystérieuses...

 

Kate Moore par Jeff Zimberlin

Kate Moore par Jeff Zimberlin

   Le titre éponyme ouvre l'album, coloré, mystérieux, contrasté, entre douceur ineffable et poussées puissantes, martelantes, de tout l'ensemble. Comme une quête fervente, des échappées mélodieuses magnifiques, une série d'appels, les jappements d'espèces disparues dans les collines dorées du souvenir. Quel beau début ! Sur lequel vient se greffer l'envoûtant "101", avec ses boucles, ses tournoiements, ses scansions profondes. Le frémissement des cordes, le piano minimaliste, les déchaînements brefs et fous donnent à cette partition une allure à la fois grandiose et intime : c'est une merveille digne de David Lang, étincelante de trouvailles harmoniques, tout en chevauchements nerveux et échappées sublimes ! Avec une coda au piano...

... qui nous prépare à la surprise du troisième titre, "Prelude" : une pièce de quatre minutes pour piano seul ! Ce prélude liquide, lyrique, radieux, fort, nous emporte dans sa fougue, digne des meilleures compositions dans la mouvance du minimalisme. On retrouve Laura Sandee au piano dans une nouvelle pièce, plus longue, "Sliabh Beag" (Petite montagne). Après un début suave en lents cercles parsemés de gouttelettes lumineuses, la pièce présente une longue cadence tourmentée, aux multiples fractures, très rythmique, comme une succession d'escalades farouches, toujours recommencées, qui laissent place à une gigue irlandaise endiablée, enivrante. Irrésistible !

    La suite du disque présente deux pièces longues d'une quinzaine de minutes chacune. C'est d'abord "Bushranger Psychodrama", cordes frémissantes à la Purcell dans son air du froid, puis magnifiques accents bucoliques du saxophone sur un lit de cordes, et soudaine envolée lyrique ponctuée de percussion sourde. C'est l'extase de l'âme devant le paysage, son épanchement mélancolique, un laisser-aller hors de toute tension, mais des souvenirs ou des images reviennent harceler le spectateur, l'emmènent dans leur fièvre. La pièce offre ainsi comme un combat entre abandon et impétuosité.

   "The Dam" (Le Barrage) joue d'un dense enchevêtrement de strates, dont émerge la voix du contre-ténor Kaspar Kröner comme un cygne mélodieux sur la surface d'un lac soudain apaisé, à peine parcouru de quelques rides. La clarinette basse se fond à une reprise vigoureuse, vite transmuée en accents et entrelacs mélodieux dans le calme à nouveau revenu. Peu à peu, la tension remonte, avec des remous agressifs que le contre-ténor transcende de son vol ou accompagne d'une fougue nouvelle. C'est à mon sens la pièce la plus faible (relativement...), la plus convenue, surtout dans le long crescendo final.

   Oubliez mes réticences quant à la dernière pièce. Les quatre premières sont éblouissantes, et la cinquième très estimable, ce qui suffit à faire de cet album un des grands disques de 2023.

Paru en mai 2023 chez Unsounds (Amsterdam, Pays-Bas) / 6 plages / 1 heure et 14 minutes environ

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Publié le 13 Avril 2023

Giovanni di Domenico / Silvia Tarozzi / Emmanuel Holterbach - L'Occhio Del Vedere

   Giovanni Di Domenico, né en 1977 à Rome, travaille à Bruxelles, est l'auteur d'une œuvre abondante, soit en solo, soit en collaboration ou avec des ensembles, dans le domaine des musiques contemporaines, expérimentales si l'on veut. Curieusement, je viens de retrouver un autre disque de lui, Zuppa di Patienza, paru chez three:four records en 2019, disque que je n'avais pas écouté en entier et laissé dans les marges ( il est temps de l'écouter attentivement !).

     L'Occhio Del Vedere : L'Œil Du Voir. Quel titre magnifique, prolongé par la sublime photographie de couverture ! Avant même de commencer à écouter, on a pris le chemin dans les landes de diverses rousseurs, on va vers les bosquets noyés de brume. L'Œil Du Voir, je préfère traduire ainsi, plutôt que "L'Œil du Regard". Ce n'est pas le regard de quelqu'un qui est en jeu, c'est la faculté en elle-même, sa capacité à percer l'invisible, à voir dans la brume, malgré la brume. Je comprends le titre comme une métaphore de la musique. Car la musique ne donne pas seulement à entendre, elle permet de VOIR ce qui traverse notre champ de vision pour nous mener vers l'au-delà. Je pense au beau livre de Maria Tasinato, L'Œil du silence (Verdier, 1990), dont le sous-titre est "Un éloge de la lecture". La temporalité particulière de la lecture silencieuse déclenche une rêverie que provoque aussi la musique quand elle joue sur les longues durées. La musique ne représente rien, n'en déplaise aux musiques programmatiques. Abstraite, elle donne au silence forme auditive, audible, en ce qu'elle l'arrache au chaos originel. En l'écoutant, on est tenté de fermer les yeux, pour mieux l'entendre dit-on, peut-être surtout pour voir ce que l'on ne voit pas avec les yeux de chair. La musique ouvre les yeux de l'âme par son pouvoir vibratoire, c'est en cela qu'elle est l'œil du voir. L'audible est le mode d'accès privilégié aux visions intérieures, au(x) mystère(s), à ce qui échappe pour s'envelopper dans les écharpes de brume. Quoique fabriquée par des instruments matériels, elle est immatérielle, permet de débusquer le beau sans en être mortellement ébloui, parce qu'elle ne le dégage pas complètement de ses ouates de brume. Telle est en tout cas la musique jouée par ce trio composé par Giovanni Di Domenico (pianiste et compositeur initial, la pièce a été ensuite développée en collaboration avec les deux autres interprètes), Silvia Tarozzi (violon et violon accordé au 1/16ème de ton, membre de l'Ensemble Dedalus, qui interprète notamment la musique d'Éliane Radigue), et Emmanuel Holterbach (grand tambour sur cadre, et auteur de la photographie de couverture / et par ailleurs archiviste d'Éliane Radigue). Sans doute loin du cycle pour piano Dans les brumes (1912) de Leoš Janáček (1854 - 1928), beaucoup plus proche des grandes compositions de Morton Feldman  (1926 - 1987), et encore plus de celles d'Éliane Radigue (Comment s'en étonner ?), cette composition d'un peu plus une heure nous invite à la contemplation.

  

La Quête de la beauté enfouie  

   Des bribes mélodiques espacées émergent de la brume, se répondent, se répètent. Piano et violon se détachent sur les frémissements de la percussion qui tissent un bourdon à peine perceptible. Le temps est comme suspendu, à l'écoute des résonances. Le violon étire ses notes, le piano ne cesse d'interroger le mystère ondoyant d'une créature irreprésentable qui se contorsionne dans l'épaisseur, suscitée par Emmanuel Holterbach et son jeu prodigieux du tambour sur cadre. Peu à peu, la musique se densifie, en même temps que l'écart entre le violon et le piano semble augmenter. Aux plaintes du violon, le piano répond en basculant vers l'obscur, l'inquiétant, soutenu par les vibrations du tambour. Vers dix-sept minutes, le piano semble sortir de sa fascination, se réveiller dans un bref ébrouement jazzy, pour mieux retomber au cœur du mystère par des à-plats assourdis. C'est alors une avancée prudente, patiente, dans le suspens de laquelle on entend la respiration du tambour, voix de l'Ineffable qui n'a pas cessé, au seuil du silence, de sous-tendre les évolutions respectueuses du violon et du piano.

    Commence alors un deuxième temps, autour de vingt-et-une minutes. Le temps du chant osé, du déploiement mélodique, mais sur un fond plus tourmenté, celui des gémissements du tambour, bœuf mugissant des ténèbres : l'Ineffable est menaçant, dirait-on. La musique effectue de larges et lents cercles, comme dans un rituel magique, pour conjurer l'attraction de l'obscur. Le rythme s'accélère, boucles serrées de piano, violon presque grinçant, sur la toile bourdonnante du tambour. C'est une transe, que le piano ralentit, faisant mieux ressortir la plainte élégiaque du violon dissonant. On est ailleurs, dans les plaines de l'indicible peur. Le piano met en garde, il est barrage contre la montée sourde. Mine de rien, c'est une lutte de la forme contre l'informe. Le piano passe parfois sur le devant, laissant le violon s'allonger sur le lit vibratoire et  redevenir un enfant-violon, si fragile... Après un moment de silence relatif peuplé par le tournoiement du drone de tambour, autour de quarante-sept minutes, une troisième phase frémissante d'union plus étroite des trois instruments semble atteindre la plénitude. Le piano peut arpéger sur le fil, tel un danseur au-dessus du violon extatique et du tambour vibrant, devenu un acteur à part entière. Miracle d'un équilibre qui fait parler le tambour : l'Ineffable ne fait plus peur, même lorsqu'il gronde, il est le socle constitutif du Mystère de la Beauté cachée, toujours en partie enfouie : lui ôter totalement ses limbes brumeuses, ce serait la tuer...

   Une pièce admirable. Un rituel d'apprivoisement patient de la beauté dans ce qu'elle a de potentiellement effrayant parce que souterraine, mais si fragile, si émouvante.

Paru début avril 2023 chez elsewhere music / 1 plage / 1 h et deux minutes environ

Pour aller plus loin

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En écho : Con Tempio / Photographie personnelle © Dionys Della Luce

En écho : Con Tempio / Photographie personnelle © Dionys Della Luce

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Publié le 6 Avril 2023

David Lang - shade
David Lang, en majesté

   Un article pour un disque si court ? C'est vrai, en général, j'élimine...sauf si, voilà, ce n'est pas n'importe quel musicien, c'est David Lang, dont je suis un inconditionnel depuis longtemps. Au point qu'il a dans ce blog, lui et les autres cofondateurs du festival Bang On A Can, une catégorie, "David Lang - Bang On A Can & alentours". Je crois n'avoir négligé que ses opéras (sauf un), et ses musiques de film. Pour le reste, il est bien ici chez lui, je cite dans le désordre :  writing on water (2018), Child (2003), Pierced (2008), Are You experienced ? (2001), this was written by hand (2011), the day (2018), death speaks (2013), mystery sonatas (2018, grande année Lang), The Carbon Copy Building (2006), opéra coécrit avec Michael Gordon et Julia Wolfe, the little match girl passion (2009)...

   La pièce maîtresse, c'est la composition éponyme, "shade", pour trio (le Mammoth TrioElly Toyoda au violon, Ashley Bathgate au violoncelle et Lisa Moore au piano) et orchestre à cordes (le Contemporaneous, direction David Bloom, comprenant 18 violons, 6 altos, 6 violoncelles, 4 contrebasses). David Lang précise : « Tout ce qui se passe dans l'orchestre est un détail projeté sur eux à partir de la musique d'abord jouée par le trio avec piano. Le trio avec piano initie toute la musique, et l'orchestre vit à son ombre. » [ italique ajoutée  par mes soins].

  Le violon dessine dans le ciel des arabesques, un peu comme dans les mystery sonatas, rejoint par le piano, puis le violoncelle, puis l'orchestre des cordes. La musique est montagne, pentes et montées. Tout danse et s'élance, un frisson sublime passe dans ces assauts, cette géologie tumultueuse. Que du nerf, une netteté extraordinaire dans cette mélodie démultipliée. Un bref arrêt annonce un deuxième temps, le violon et le piano déchiquetant une esquisse mélodique, dans les fragments de laquelle l'orchestre, et notamment les contrebasses, pose des fondations sombres. Le violon continue ses mouvements vifs, les cordes dans les creux, le piano réduit à une ligne discontinue de notes presque confondues avec les pizzicati du violoncelle ou d'autres cordes, puis commence un troisième temps, très rock d'inspiration, d'attaques abruptes, le violoncelle répondant au violon. Vers huit minutes, c'est un mouvement lent, d'une infinie suavité, à pleurer de beauté, déchirant, par le trio seul, avant que l'orchestre réponde pudiquement, puis emporte la mélodie vers des hauteurs mystérieuses, au rythme d'un bercement tapissé par le piano si calme. Le temps s'est volatilisé dans l'ineffable. Vers douze minutes, nouvelle phase plus dynamique initiée par le violoncelle, c'est une nouvelle escalade, un gonflement puissant, un tournoiement. David Lang nous tient, et voici la dernière phase, grandiose, menée par le piano, comme une fanfare, une explosion de triomphe, avec de belles suspensions. Tout cela est magnifiquement scandé, découpé, chaque élan s'arrêtant à chaque fois net devant le vertige, puis tout s'éloigne pour laisser le violon exhaler une traînée d'une indicible douceur dans l'au revoir des cordes respectueuses.

   Un absolu de la musique orchestrale du XXIè siècle.

   [ La deuxième pièce, "Wed", a déjà été enregistrée, notamment sur Pierced, sous forme d'une version pour piano solo. C'est ici une version pour orchestre à cordes. À l'origine, elle fut écrite pour le Kronos Quartet, en mémoire d'un amie décédée qui s'était mariée dans son lit d'hôpital. Aussi David Lang avait-il voulu tenir un équilibre entre consonance et dissonance, entre tragédie et espoir. Belle pièce pudique, entre renaissance perpétuelle et failles intimes, tout en fins glissements et respiration ralentie. ]

Paru le 24 mars 2023 chez Cantaloupe Music / 2 plages / 23 minutes environ

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