Publié le 29 Avril 2010
Duane Pitre n'est pas un inconnu sur ce blog (voir article notamment). Ce compositeur et instrumentiste qui circule entre New-York et San Diego est l'un des artistes majeurs des nouvelles musiques. Travaillant sur les sons longs, les drones, la microtonalité, il écrit des œuvres qui combinent avec bonheur l'instrumentation acoustique et les sons électroniques. Il a travaillé deux ans sur cette compilation de pièces écrites selon l'intonation juste (je vous renvoie à ma présentation de cette notion), disque paru en novembre 2009 sur le label Important Records. Huit titres, huit compositeurs. On y retrouve sans surprise un extrait du splendide Revelation de Michael Harrison, ce proche de La Monte Young qui fait sonner son piano comme personne. Duane Pitre donne un solo semi-improvisé de ukelin,
instrument à cordes de la famille des cithares, sans frette. "Comprovisation for Justly Tunes ukelin n°1", inspiré au départ par le koto japonais, est une merveille de délicatesse qui joue de la transparence des résonances. Musique limpide de méditation, de joie pure. Le disque s'ouvre avec "Blue Tunnel Fields" d'Ellen Fullman & Theresa Wong. La première est cette étonnante compositrice, née en 1957, conceptrice d'un instrument incroyable, à cordes longues, le "long string instrument", dont les cordes doivent atteindre entre 16 et 60 mètres et être jouées par des mains enduites de résine. Son instrument est depuis le début accordé en intonation juste, dont elle est une pionnière. Le morceau joue sur une succession de sons glissés, étirés, qui créent un continuum ondulatoire fascinant. L'auditeur se sent enveloppé de boucles sonores insinuantes, en perpétuelle métamorphose. J'imagine qu'en concert l'impression doit être extraordinaire, un véritable massage vibratoire. La compilation m'a permis de découvrir James Tenney (1934-2006) compositeur qui fut l'un des interprètes du légendaire "Pendulum Music" (1969) de Steve Reich. Le deuxième titre, "Star Primes" lui est en effet dédié par Greg Davis, artiste de Chicago qui a déjà quelques cds à son actif depuis 2001et qui travaille à la fois avec l'ordinateur portable et des instruments acoustiques. Ses recherches récentes portent sur les drones, ces sons tenus parfois en clusters denses, et sur les très basses fréquences. Ici, ces dernières, synthétiques, sont agitées de microvibrations, pulsent lentement grâce à l'utilisation de systèmes de retardement et d'écho. R. Keenan Lawler utilise une sorte de guitare préparée, guitare résonante à archet pour un extrait de "Bow Shock", longs drones scintillants comme produits par des corps à grande vitesse dans la stratosphère. Retour d'un instrument apparemment plus conventionnel avec l'accordéon de Pauline Oliveros, compositrice qui a théorisé le "deep listening", notion qui distingue l'entendu de l'écouté. Artiste du courant minimaliste et des musiques électroniques, elle joue de son accordéon accordé en intonation juste comme une déesse. L'instrument est transfiguré, éblouissant, si bien que cet extrait de "Beauty of Sorrow" est l'un des sommets du disque. La compilation se termine avec deux titres très différents. Zachary James Watkins propose une pièce quasi orchestrale, "Country Western" pour un ensemble composé de koto, guitare préparée, violon, clarinette, saxophone, trombone, percussion, tous les instruments en intonation juste, bien sûr, voix et poème, programmation : musique extatique, en lévitation majestueuse. Puis "Stanzas set Before a Blank Surface" de Charles Curtis, nappes d'aigus à l'unisson parsemées de trous noirs, difficile, vraiment expérimental.
En somme, une compilation indispensable pour aborder les expérimentations musicales d'aujourd'hui et, dernier titre excepté, des œuvres d'une belle tenue, très souvent superbes, qui donnent un sentiment de grande plénitude.
Paru en 2009 chez Important Records / 8 plages / 73 minutes environ
Pour aller plus loin
- le site officiel de Duane Pitre
- le site officiel d'Ellen Fulman.
- pas d'extrait du disque, alors je vous propose une video en public, plus récente que le disque :