Publié le 25 Février 2011

Harold Budd / Clive Wright - A Song for Lost Blossoms

L'infinie dérive de la beauté perdue

   Harold Budd, compositeur majeur de la musique ambiante, doit sa renommée internationale à ses collaborations avec Brian Eno : Ambient 2 / The Plateaux of Mirrors, en 1980, puis The Pearl en 1984. Sa prolifique carrière a alterné albums solos et nombreuses collaborations. De même qu'il avait annoncé  qu'Avalon Sutra (2004) serait l'aboutissement de sa carrière, je pensais en avoir fini avec lui. Peut-être de l'avoir tant écouté, tant aimé, de reconnaître si facilement la somptuosité mélancolique et diaphane de sa musique, ô rien moins que tonitruante, de celle qui fuit la lumière crue, se pare de brume par native discrétion. C'était sans compter avec l'un de mes lecteurs - merci Dom, qui m'a signalé cet album sorti fin 2008, en collaboration avec le guitariste californien Clive Wright. Rien de bien nouveau, si ce n'est cette guitare électrique, justement, aux phrasés qui tracent des flèches de lumière dans la mer mélancolique : échos, réverbérations, retardements, éclaboussent l'horizon saturé de claviers à la douceur engloutissante, comme si souvent dans les compositions éthérées d'Harold. C'est une musique à faire peur, tant elle rend tangible le sentiment de vacuité de toute chose. Tout se dérobe, s'enrobe dans le voile de l'illusion. On cherche un appui, on trouve des sons comme des vecteurs qui s'enfoncent dans le lointain. "Pensive Aphrodite", magnifique premier titre de plus de trente-deux minutes! Je  pressentais, dès que j'ai entendu ces deux mots, qu'ils ne pouvaient être associés à une pièce ordinaire. Soudain plus rien ne compte, on est embarqué dans une poursuite virtuellement infinie. Déchirante dérive vers l'absence de rive, le néant qui absorbe tout sans jamais rien rendre. Cette musique splendide ne nous fait pas de cadeau : aux antipodes de la distraction, et même de ce qu'on appelle souvent à tort de la musique ambiante, elle nous extrait de notre enveloppe pour nous propulser dans l'océan prodigieux, chatoyant, si séduisant, de la mort universelle. Car la Beauté suprême, n'est-ce pas elle, médite Aphrodite, pensive ?

   Le reste de l'album vit à l'ombre de cette comète sidérante. Bluette hyper mélancolique, le titre éponyme vaut par le poème magnifique écrit et dit par Anna LaCazio (chanteuse du groupe Cock Robin, auquel a appartenu Clive Wright), du bout des lèvres, avec une douceur indicible. Le troisième titre, "Forever Hold My Breath", est une reprise nettement plus courte de "As Long as I can Hold my Breath", deuxième partie de l'album Avallon Sutra. Moins effrayant que la version longue, sorte de lutte avec la mort, grâce aux échappées lumineuses de la guitare électrique, mais quelque peu déprimant par son côté malgré tout glauque. "At this moment" nous tire des abysses, s'anime pour survoler les décombres. Le piano, peu présent dans cet album, se manifeste dans le très buddien "Of Many Mirrors" sous le signe de la raréfaction et de l'exténuement. On risque de sombrer dans les rets de cette acédie qui, de morceau en morceau, exprime la tristesse existentielle la plus accablante. Il faut être fort pour tenir le choc de cette musique insidieusement corrosive, d'une beauté malade.

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Paru en 2008 chez Darla Records / 7 titres / 74 minutes

Pour aller plus loin

Un poème personnel lié au titre éponyme : mise en page bricolée...

                           Aphrodite pensive

                                                                                     à Harold Budd & Clive Wright

Derrière la porte

Il n'y a rien
Une guitare

Éclaboussures

De lumière

Dans le ciel

Qui n'existe pas

Le soleil a fondu

Sous les doigts

De l'aveugle
Qui voit le jour

D'après

Perler
Au front pensif

D'Aphrodite

Interdite
De séjour
Les mains
Sur le clavier

Des Songes

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Pourquoi
Les étoiles

Filent-elles
Dans la nuit
Qui n'en finit pas

De dénoncer

L'imposture

Du jour ?

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Bientôt viendra

L'aurore
À fleur de rien

Danser

Sur le flanc lisse

Du vide
Et ça ira

 

© Dionys Della Luce

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 26 mars 2021)

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Publié le 19 Février 2011

Janus - I am not

    New Amsterdam Records, maison de disques non commerciale et organisation au service des nouvelles musiques, appartient à cette grande famille qui compte dans ses rangs Cantaloupe Music, Innova, Bedroom Community. Le catalogue de ce jeune label est une mine, dont j'ai déjà extrait le quintette féminin Victoire. Janus est une autre formation féminine qui mérite le détour. Ce trio, composé  d'Amanda Baker, à la flûte, aux percussions et au chant, de Beth Meyers, à l'alto, au banjo, aux percussions et au chant, et de Nuiko Wadden à la harpe et aux percussions, vient d'enregistrer son premier disque, I am not, qui regroupe les compositions  de six musiciens new-yorkais. L'album est scandé par les quatre titres de Jason Treuting, l'un des membres de So Percussion, en position 1-4-7-9, qui déclinent le titre I-am-not-(blank). Dès le premier titre, "I", on est enchanté par la légèreté délicate de la musique, mélodieuse et malicieuse. Les trois voix des musiciennes disent ce qu'elles ne sont pas tandis que la harpe nous entraîne dans une ronde grisante, que la flûte psalmodie très doucement à l'arrière-plan. Serions-nous dans le Valois nervalien avec ces nouvelles sirènes souriantes ? "Keymaster" accentue l'impression de rêve suave : la musique glisse, tisse des torsades incantatoires avant de se changer en danse à la Nyman ou à la Wim Mertens. C'est la fête, c'est un régal. Déprimés de tous les pays, cessez d'absorber des médicaments douteux, écoutez Janus, laissez-vous emporter dans le beau pays des tissages lumineux. Voilà qui donne envie de découvrir le compositeur, Caleb Burnhans, également violoniste, altiste, contreténor...

 

   Le morceau suivant, "Drawings for Meyoko", confirme que décidément, on tient un trio formidable : aisance et professionnalisme au service des meilleures musiques d'aujourd'hui, ici Angélica Negrón, musicienne originaire de Porto Rico, qui leur a écrit une pièce de chambre dense, avec sous-bassement de claviers et de sons électroniques. Arabesques intrigantes, micro-nappes pulsantes sur lesquelles l'alto s'élève à petites touches, une voix chantonne sur le clapotis de la harpe qui donne une ambiance discrètement celtique à ce très, très beau titre : comme une cérémonie d'envoûtement près d'une fontaine cachée. "Am", second titre signé Jason Treuting, sonne japonais, tout en éclats et en petites bulles percussives : jardin de petites pierres, flûte espiègle et mélancolique, à peine. Envol et frissons avec "Gossamer Albatross", pièce lyrique de Cameron Britt, qui est aussi percussionniste : magnifique chant d'alto sur les découpes de la flûte et la mer de la harpe, creusé en son milieu par des battements percussifs recueillis. "Beware Of" d'Anna Clyne commence avec la harpe liquide, une voix lointaine au téléphone peut-être. Percussions et flûte prennent le relais en imposant leurs hachures, créant comme une musique pixellisée qui découvre sans cesse des arrière-plans imprévus, les textures s'épaississent, s'évanouissent, voyage à Lilliput, grouillement soudain de nains sonores. Jason Treuting, avec "Not", propose sans doute le morceau le plus énigmatique : glissements lents de l'alto répétés ad libitum, bondissements percussifs, traits de flûte et petits surgissements. Une petite merveille. Avant d'aller voir sous le tapis, "Under the Rug", pièce de Ryan Brown : sobre trame de harpe, frottements et  frappe sourde, l'alto qui surgit, cygne, dans la danse ténue des galets qu'on entrechoque, mais pas trop fort. Jason Treuting conclut le disque par une pièce mystérieuse, marche lente de pizzicati et d'expirations électroniques.

   Encore un disque qu'il faut savourer dans son ensemble, beau parcours sans faute, sans esbroufe. Six compositeurs pour une musique de chambre de notre temps : sereine, intimiste, sobre, débarrassée des affects grandiloquents, attentive aux beautés discrètes. Réconfortante, en somme.

Paru chez New Amsterdam Records en 2010 / 9 titres / 44 minutes

Pour aller plus loin

- le site d'Angélica Negrón.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 26 mars 2021)

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Publié le 14 Février 2011

Alain Kremski - résonance / mouvements

     Résonance / Mouvements // Mouvement / Résonances, tel est le titre complet du dernier disque du pianiste, compositeur et improvisateur Alain Kremski. Pas un seul article en français, si j'ai bien cherché, sur ce disque admirable (en dehors d'une brève présentation sur le site du label). Signe des temps ? Conséquence de la discrétion de cet homme à la carrière atypique ? Remarqué par Igor Stravinski, élève de Nadia Boulanger et d'Olivier Messiaen, premier grand Prix de Rome de composition et donc pensionnaire de la villa Médicis, il esquive une brillante carrière de pianiste. Car il se passionne pour les sons des cloches de temples d'Asie, des gongs, collectionne les bols chantants tibétains. Cet intérêt pour l'Orient, mais aussi les voyages, les arts, l'architecture, le pousse dans une direction unique. S'il enregistre l'intégralité des œuvres de Georges Gurdjieff, retranscrites pour le piano par le compositeur russe Thomas de Hartmann, ou encore celles de Nietzsche, il aime associer son piano aux cloches, gongs, bols tibétains. « Ce qui est important pour un artiste, c’est d’avoir un but. Et chaque but est possible, s’il est clair. Le mien est de réveiller dans le public la nostalgie de la « source » perdue, quelque chose qui vient de très loin, parfois même de l’enfance. J’aime la rencontre des disciplines artistiques : la musique, l’architecture, le cinéma, la danse, la peinture, la réalisation de calligraphies pendant que l’on joue du piano etc. » confiait-il dans un entretien en 2010. En concert, il se produit parfois avec un portique spécialement conçu pour ces instruments qui ont un point commun avec le piano : percussifs comme lui, ils résonnent, parfois longuement, après avoir été frappés.

   « Tout l'Occident est basé sur la dualité – y compris l'ordinateur avec les zéros et les uns. En Asie, on compte jusqu'à trois : entre les sons et les silences, entre le plein et le vide, il existe un passage, et c'est dans ce passage que réside le mystère.  Les instruments tibétains ou japonais vibrent très longtemps. Entre le moment où le son s'arrête et le vrai silence, on ne discerne pas très bien la limite : c'est comme le passage entre le jour et la nuit... dans cet instant-là, on atteint quelque chose qui est de l'ordre du Sacré. » nous dit Alain Kremski sur le passionnant et très beau livret, illustré de peintures, encres et photographies de Simon Leibovitz qui accompagne le disque. La musique est un médium : « Au Conservatoire, on était encore très influencés par ce qu'on appelle le style et le langage, mais la quintessence de mon travail, c'est autre chose : essayer de retrouver l'énergie pure. Qu'est-ce qu'une énergie pure ? C'est être en contact avec une énergie du cosmos qui ne passe pas par toutes les références intellectuelles...C'est réveiller chez l'auditeur la nostalgie de la source perdue, cette impression que j'éprouvais quand je lisais  les contes de fée ou Michel Strogoff...Attention, ce n'est pas de l'apitoiement sur soi, cette nostalgie-là est de l'ordre du Sacré, comme le souvenir de quelque chose d'où l'on vient et qui est unique. »

   Le disque est divisé en deux : cinq danses pour piano, gongs et grands bols rituels, avec pour titre celui de l'album entier ; puis cinq pièces pour piano et gongs regroupées sous le titre "L'Appel des Îles Lointaines". Le chroniqueur ici s'arrête un temps : qu'ajouter aux commentaires lapidaires d'Alain Kremski ? Aux fragments de textes, poèmes qu'il y adjoint ? L'essentiel n'est-il pas dit ? 

   La danse rituelle "Résonance / Mouvements qui ouvre l'album est une entrée saisissante, un portique impressionnant. Gongs initiaux, contraste puissant entre deux registres pianistiques :  massifs martelés sans ménagement et fluidité caressante d'une source sans cesse renaissante malgré les interruptions abruptes. Comme un combat fondamental, l'affrontement du Yang et du Yin, nous dit Kremski. L'auditeur est happé dans cette dialectique qui l'installe dans une autre durée, presque 14 minutes. Des falaises à escalader pour découvrir le miracle. Nous voici "Sous les étoiles silencieuses", danse sacrée translucide, délicate, sur les pointes lumineuses des aigus qui surplombent quelques notes graves et les résonances profondes des bols et des gongs, comme sur un pont suspendu. On retient son souffle devant l'invisible rendu visible, pour paraphraser la belle phrase de René Daumal que le musicien place en exergue au disque tout entier : « La Porte de l'Invisible doit être visible. » "Pour invoquer la Terre", danse chamanique, est un pièce presque facétieuse. Les notes se bousculent, se répètent, ponctuées par une frappe sèche et les résonances percussives conjuguées. Nous sommes prêts pour l'embarquement sur le fleuve de l'Amour : "Rituel de l'Amour", danse incantatoire, enveloppe l'auditeur dans les courbes puissantes d'une mélodie profonde comme le désir, qui se dérobe pour réapparaître plus séduisante. On n'échappe pas à cette insidieuse emprise qui seule pourra nous révéler la "Présence de l'Âme Oiseau", dernière des cinq danses, elle aussi initiatique. Longue marche méditative jalonnée d'éclats acérés dans la splendeur de l'ailleurs. C'est fragile et solide, volatile et si dense, l'égrènement d'une tranquillité transcendante qui transforme le temps en or audible.

   Que dire de la suite ? Les cinq pièces de "L'Appel des Îles Lointaines" sont admirables, bouleversantes, au point de synthèse improbable et magique des musiques de Gurdjieff, Debussy, Messiaen, et j'ajouterais John Luther Adams, tous animés de cette recherche de la source qui ressurgira quelque part...Au milieu pourquoi pas de "L'Oubli, l'Eau et les Songes", ce lointain écho de la cathédrale engloutie debussyste, justement, qu'est le sixième mouvement résonnant de ce voyage vers l'essentiel. Les titres disent assez que la musique est poème, tremblement de l'indicible. "Neige, les pas étoilés des oiseaux", inspiré d'une poésie de Théophile Gautier, avance à pas rêveurs mais décidés dans un paysage raréfié. Avant de s'envoler dans un frou-frou gracieux d'ailes, c'est "D'Ailleurs, l'Oiseau Annonciateur", qui virevolte et se dissout dans le silence. Plus grave est la "Rencontre, le passage de l'Aube", morceau traversé de vapeurs, tout en miroitements rentrés, l'intériorité qui se regarde en lissant ses plumes, occupée à faire briller très doucement ses couleurs qui coulent dans l'espace en gouttes éclaboussées. Miracle de délicatesse radieuse. Ce toucher limpide, ferme et doux, que l'on sent animé d'une ferveur extraordinaire, d'une concentration au-delà de toute tension..."L'Appel des Îles lointaines" répond au premier titre, d'une durée d'ailleurs très voisine. Carillonnements, balancements, la houle des harmonies fluides prend les allures d'une symphonie légère et majestueuse, ultime danse, Vénus toujours naissante sur les flots d'une mer verticalisée par la montée incessante des vibrations et les plongées dans les abîmes lumineux.

   Un disque rare. Un Absolu.

Paru en 2009 chez Iris Music / Cézame Carte blanche. 10 titres / 73 minutes.

 Je comprends qu'Alain Kremski cite à plusieurs reprises Jean-Yves Masson, son frère, et le mien...

"Est-ce toi qui reviens dans les jardins de fièvre,

Voix d'une ancienne solitude, est-ce la mer

dont l'appel sous les pins murmure dans le soir,

là-bas comme si d'immenses fontaines

s'étaient ouvertes sous le ciel plein de nuages ?"

(Extrait de Offrandes, paru chez Voix d'Encre en 1995)

Pour aller plus loin :

Hélas, rien sur le disque. Quelle honte !

- Piano et bols chantants, extrait d'un autre disque :

- Alain Kremski interprète la musique de Nietzsche :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 26 mars 2021)

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Publié le 7 Février 2011

Victoire - Cathedral City

  L' électrique vêture veloutée du mystère

   Victoire, quintette de chambre entièrement féminin fondé en 2008, appartient à cette floraison d'ensembles de grande qualité qui témoigne de l'extraordinaire vitalité des musiques contemporaines aux États-Unis. Dirigé par Missy Mazzoli, compositrice, claviériste, qui ajoute à sa panoplie jouets et mélodica, il compte quatre autres instrumentistes : la violoniste Olivia de Prato, la claviériste Lorna Krier, la clarinettiste Eileen Mack, et la contrebassiste et bassiste électrique Eleonore Oppenheim. Cathedral City est leur premier disque, mais elles sont toutes des instrumentistes à la carrière déjà bien remplie. Quelques invités enrichissent la palette du groupe.   Que voilà un  disque pour réconcilier le public avec la création d'aujourd'hui ! Mélodieux, chaleureux, il associe sonorités acoustiques et sons électroniques pour créer des morceaux à la fois beaux et complexes, à mi-chemin entre abstraction et musiques expérimentales, électroniques ou post-rock. C'est dire qu'il défie les catégories, ou plutôt qu'il les transcende, qu'il s'en moque. Dès "A Door in the Dark", le premier titre, on sait qu'un territoire se dessine, tout en courbes et en chaudes résonances. C'est intense, ça dérape électrique : une porte en effet s'ouvre sur le mystère créé par une écriture à base de claviers soutenus par le boisé de la clarinette, le violon déchiré. Du Slow Six à leur plus haut niveau, en plus resserré, plus intrigant. "I am coming for my things" débute à la clarinette et au violon, avec échantillon vocal retraité. Boucles et variations, avancées enveloppantes et envolées discrètes tissent une atmosphère intimiste troublante, comme si l'on nous chuchotait un secret qui explosait au soleil sombre des chambres closes. Le morceau-titre s'ouvre sur la lumière de vocaux diaphanes ponctués de percussions pointillistes, puis le violon, des échantillons, démultiplient la perspective. La clarinette approfondit le tout, rejointe par la contrebasse profonde, pour un cantique englouti dans une gangue sinueuse. Et l'on débouche sur un titre sidérant, magnifique : "Like a miracle", tout en vocaux retraités, tremblés, cernés de nappes bégayantes de claviers, de violon frémissant. Du post minimalisme à la fois voluptueux et rigoureux. Ce titre justifierait à lui seul l'acquisition de l'album, c'est peu dire. La fin est prodigieuse, complètement hoquetante, avec l'impression de rentrer au cœur épais de la fabrique souterraine des affects.

   La suite confirme les talents de compositrice de Missy Mazzoli. "The Diver" superpose nappes glissantes de claviers et de clarinette traversées de zébrures de violon pour libérer ensuite une mélodie élégiaque au violon soutenue par les claviers ouatés : nage en eaux profondes, avec des torsades lumineuses et des moments dansés. Le chœur nonchalant des sirènes vous accueille dans cet aquarium où se déroule un ballet virevoltant qui creuse comme un appel... Le violon dialogue avec la guitare électrique de Bryce Dessner (de The National) sur fond de clavier sostenuto : voici "A Song for Mick Kelly", les accordailles de l'acoustique et de l'électrique avant l'échappée belle de la voix de Melissa Hughes pour un hymne suave qui s'enflamme dans une superbe montée électrique. Voix syncopée, beats et orgue donnent à "A Song for Arthur Russell" une allure de gospel furieusement singulier parti à l'escalade d'un ciel en trompe l'oreille, perdu dans les boucles et les soupirs. L'électronique se fait plus présente dans les cafouillis, crachotements d'échantillons qui marquent le dernier titre, mystérieux et envoûtant : le violon écorché survole une plaine de claviers profonds, tout semble s'arrêter avant la reprise crescendo et les ultimes voltes  aiguës du violon. Un disque superbe de bout en bout, qu'on ne se lasse pas de réécouter.

Paru en 2010 chez New Amsterdam Records / 8 titres / 45 minutes.

Pour aller plus loin

- le site de l'ensemble, très bien fait, avec 5 titres en écoute.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 26 mars 2021)

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Publié le 3 Février 2011

Brendan Perry - Ark

    Deuxième album solo de Brendan Perry, l'un des fondateurs de Dead Can Dance, Ark renoue en partie avec les grandes mélopées dramatiques qui ont fait les beaux jours du groupe australo-britannique entre 1981 et 1998. Sa belle voix de baryton, aux souples inflexions, épouse les méandres de compositions amples et majestueuses, tantôt marquées par une ambiance médiévale gothique, tantôt inspirées par un climat oriental mystique. On pourra reprocher au disque sa nonchalance, sa mollesse diront les mauvaises langues, mais c'est justement l'un des charmes de cet album que de prendre son temps, se développer en voluptueuses volutes. Un brin de guitare, beaucoup de synthétiseurs, des percussions parfois exotiques, servent le chant fervent de ce barde à la veine volontiers épique. Encadré par deux titres très dead can danciens - si je peux risquer ce néologisme, le solennel "Babylon" en ouverture et l'envoûtant "Crescent" pour finir, sur lequel on imagine évidemment la voix de Lisa Gerrard (les deux titres viennent d'ailleurs de la reformation du groupe dans les années 2000 pour des tournées d'adieux), l'album ne manque pas d'allure, d'une grandeur sombre, que les détracteurs ne manqueront pas de qualifier d'emphatique, ampoulée. Je ne suis pas  si sévère. S'il n'apporte rien de bien nouveau - faut-il demander  du nouveau à tous les musiciens, en permanence ?, il enveloppe l'auditeur dans une atmosphère rêveuse. Un disque pour bercer sa mélancolie, approfondir le secret douloureux qui nous fait languir, pour paraphraser Baudelaire dans La Vie antérieure.

Paru en 2010 chez Cooking Vinyl / 8 titres / 55 minutes 

Pour aller plus loin

- son site personnel, très soigné.

- une fausse vidéo sur le dernier titre "Crescent" : regardez-la au fond des yeux, longtemps, longtemps...

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 25 mars 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours