Publié le 6 Janvier 2023
Musicienne électronique et chasseuse de sons : ainsi se définit Simona Zamboli, de Milan (Italie). Je me retrouve assez mal dans le dédale de ses nombreuses productions, et je ne sais si je pourrai vous trouver une illustration sonore, l'album n'étant ni sur bandcamp ni sur YouTube. Si le rire est fragile rébellion, comme elle le dit à propos de son album, il faut reconnaître que le disque dans son entier semble en rébellion contre tous les clichés, tous les attendus. Pas de son léché ou impeccable, oh non, un son agressif, brutal, bruitiste, qui congédie les notions d'harmonie, de fluidité, de clarté. Nous sommes dans un univers chargé, saturé, hoquetant, déchiré. Un titre comme "Corrosive Tears" dit bien cette anti-esthétique, ce refus du joli et des bons sentiments lénifiants. Cette musique détruit, attaque de toutes ses lames, elle laisse le monde dehors nous dit le titre 9 : "Leave the World Behind", que je lis comme un ordre, pour accéder à son monde souterrain (titre 2 : "Underworld"). Cela ne veut pas dire non plus que la beauté soit absente, à condition de la concevoir comme absolument obsédante, avec des boucles folles, des rythmes de plomb, un foisonnement chaotique, des sons déformés. Certains titres oscillent entre post-punk et musique industrielle, expérimentale : mais ravagée, comme le titre éponyme, hallucinant déferlement de déflagrations, tirs, cisaillements, mais monstrueuse, telle une hydre déchaînée n'en finissant pas de cracher son dégoût, son rejet absolu !
Si on envisage les titres, un cheminement se dessine : le titre 1, "Haunting Ruined Landscapes", survole un monde détruit, quasi inaudible, réduit à des gargouillis, des squelettes mélodiques aplatis ; on croit entendre pendant quelques secondes le travail de destruction qui a produit ces ruines. Le titre 2, "Underworld", c'est l'entrée dans un univers industriel marqué par un pilonnage rythmique puissant, épais, accompagné de rouages inhumains, grinçants. Suit un titre de techno minimale dans un premier temps, "I'm not there", la voix remplacée par un curieux coassement, puis véritable sous forme d'un halo lointain tandis que nous avons l'impression d'être dans l'antre de Vulcain : forgerie d'un monde inconnu ! Les trois titres suivants, "Dive", "Movement" et "Breathe", nous apprennent à vivre dans ce nouveau monde dans lequel nous sommes immergés, contraints par un balbutiement-pulsion et des coups de fouet électronique : la plongée, "Dive", est virtuellement infinie, nous laisse peu à peu cependant en étrange pays, et nous sommes accueillis par une vraie voix, un fragment en boucle bientôt mêlé à un second, et surtout à une turgescence sonore, un capharnaüm sidérant. "Breathe" offre un bref exemple de mélodie à l'arrière-plan, recouvert par un picotement sonore : nouvel adieu au monde d'avant. "Giuditta & Oloferne", titre biblique s'il en est (la mise à mort du général Holopherne, envoyé par Nabuchodonosor, grâce à une ruse de la juive Judith, qui sauve ainsi son peuple), évoque une guerre sombre, interminable, tout en boucles ronflantes, encrassées de particules électroniques coagulées. La suite, vous la connaissez un peu déjà..
Au total, un "Cruel World" (titre 11), évocation onirique (cauchemardesque !) d'un monde réduit à quelques mouvements répétés, déchiré par des forces obscures...
Un disque visionnaire et décapant, évidemment pas pour les délicats.
Pas d'extrait du disque à vous proposer. Faute de mieux, une performance studio de Simona Zamboli, beaucoup moins sombre et plus sage que le disque, je trouve...
Paru fin décembre 2022 chez Mille Plateaux / 11 plages / 57 minutes environ