Publié le 26 Novembre 2009

Danton EEprom : "Yes is more", mémoire vive d'un dandy de l'électro
   Ancien rocker, DJ et producteur électro installé à Londres, le français d'origine marseillaise Danton EEProm signe son premier véritable album Yes is more (après des maxis, des remix...) sur le label InFiné, qui continue à frapper décidément très fort après nous avoir proposé l'excellent trio Aufgang voici peu. L'album est dans la lignée d'un Agoria, pour aller vite, assez éclectique, inégal aussi, disons-le d'emblée..
Meph.- Tu me rassures ! J'ai cru que tu allais faire comme tout le monde, encenser sans nuance le nouveau petit génie, car il est de bon ton de confondre information et publicité, n'est-ce pas ?
Dio.- Encore à me surveiller ! Tu es un code de déontologie à toi tout seul, ma parole ! Pire qu'un ange gardien !! Mais tu as raison, beaucoup de blogueurs hurlent dans le sens des sirènes médiatiques, s'effacent pour relayer des informations quasiment publicitaires, par manque d'audace ou par crainte de décevoir leurs visiteurs (attention, je n'ai pas dit "tous les blogueurs"...Ouh, le paquet d'ennemis virtuels que je risque de m'attirer !). Pour revenir à moi, le début de l'album me laisse sur ma faim. "Thanks for nothing" a tout du tube, morceau dance avec un petit côté rock, assez ennuyeux pour tout dire à part deux envolées un peu après deux minutes et à la fin. "Give me pain" commence de manière surprenante, à l'accordéon presque façon Piazzolla. Comme dans le titre précédent, Danton chante, voix cette fois plus nasale, plus aiguë. Le morceau traîne un peu, dynamisé par des accès funky, cuivrés et un beat pulsant. "Stillettos rising" est déjà nettement mieux, plus dépouillé au ras des beats (si j'ose dire), ambiance épaisse, alternance entre voix masculine basse et voix féminines en hoquets secs...
Meph.- Allez crache, avoue...
Dio.- C'est vrai, j'ignorais tout des stilettos, ces fins talons aiguilles comme d'affilés couteaux pour blesser nos cœurs.
Meph.- Romantique de pacotille, précieux commun. Tu préfères encore le morceau suivant, pourtant, comme moi. Tu aimes ce qui est ferme, serré, étroit, ajusté, "Tight", chef d'œuvre de techno sensuelle, érotisé par les brefs soupirs féminins qui émaillent ces neuf minutes, au secours, parfois les sirènes déchirent l'air vibrant pendant ce coït machinique virtuellement infini.

 
Dio.- Comme tu y vas, Meph...
Meph.- Ne fais pas l'effarouché. Tu as bien regardé la pochette, comme tout le monde, et ce qui pend là entre les pattes du cheval, c'est le canal musical de Danton, l'envers du chapeau, le vrai visage du dandy qui éclabousse les conventions.
Dio.- Ce que certains nomment son côté "révolutionnaire", pseudonyme oblige ?
Meph.- "Desire no more", moi je traduis "désir pas mort", voilà ma réponse. Ne pas se fier aux apparences. Avec ce morceau (celui-là ou le susdit comme le nez  lubrique au milieu du cheval, c'est du pareil au même...), on est au centre de la libido, voix des profondeurs abyssales, leitmotiv techno-gothiques. La salle capitulaire souterraine de l'album, chambre aux fantasmes. Splendide.
Dio.- Tout à fait d'accord. Et ça continue...
Meph.- Oui, le sommet... (morceau en écoute après l'article)
Dio.- Déjà sorti sur un maxi en 2007, je l'avais manqué.
Meph.- "Confessions of an english opium-eater", ça s'appelle, car Danton puise son inspiration un peu partout. Confessions d'un mangeur d'opium de Thomas de Quincey, traduites dès 1828... par notre délicat romantique, Alfred de Musset. Plus de dix minutes de techno minimale, implacable, magnifique, la quintessence du genre, diabolique à me donner son âme, vraiment.

 
Dio.- Avec une fin...on voit les flammes noires, la combustion par le dedans. On a oublié le début laborieux de l'album, tout pardonné.
Meph.- Et le morceau suivant est d'une sensualité (faussement)perverse réjouissante !" The feminine man" entremêle la voix masculine épaisse, caverneuse et la petite voix délicieuse de Chloé sur fond de pulsations douces, de cloches et claviers langoureux.
Dio.- Comment ne pas fondre...Même veine pour "Unmistakably You", peuplé de voix déformées, grimaçantes, beats sautillants, musique de transe pour des fantômes ou des morts-vivants.
Meph.- Influences cinématographiques dans l'air, films de vampires ou d'épouvante passés à la moulinette du mixage.
Dio.- C'est le moment d'émerger , perdus dans la musique, "Lost in music", musique de club...
Meph.- Tu ne sais pas t'arrêter d'admirer. Musique bavarde pour draguer la minette... Je préfère "Attila", plus sombrement jouissif.
Dio. Tu m'aurais laissé parler... Danton cède à la facilité, même à la fin de ton morceau. Des titres chantés, "Vivid love" est peut-être le plus convaincant, mais les claviers sonnent assez ringards.
Meph.- Sans parler du dernier morceau, sans parole, juste un sac d'air, comme son titre l'indique.
Dio.- Tu es vraiment excessif, je trouve, c'est joli. Oublions les faiblesses, le début et la fin ; le disque vaut pour son cœur...
Meph.- Tu m'exaspères avec ton vocabulaire sentimental. Le disque vaut pour sa caverne centrale, son gouffre basaltique, les titres 3 à 8..
Dio.- Un peu le 9, et je te concède la moitié d'"Attila" pour complaire à ta sauvagerie hongroise...
Meph.- Bougre d'hongre !! Tu n'as même pas parlé du pseudonyme, à part "Danton"...
Dio.- EEprom ? Strange ! Pas un nom d'écrivain exotique, ni de cinéaste-culte underground. Un acronyme :
Electrically Erasable Read Only Memory, une forme de mémoire morte effaçable électriquement et programmable, que disent les spécialistes. Une manière d'afficher son implantation dans les musiques électroniques, en somme.
Paru en 2009 chez InFiné / 12 plages / 65 minutes environ

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 janvier  2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Électroniques etc...

Publié le 19 Novembre 2009

Bruce Brubaker (1), interprète sensible des musiques d'aujourd'hui.
   Tout me menait vers Bruce Brubaker, ce pianiste américain enseignant à la Julliard School et directeur du département de piano du New England Conservatory de Boston. Parce qu'il compte parmi ses élèves Francesco Tristano Schlimé, l'un des deux pianistes de l'excellent trio Aufgang (chroniqué récemment). Et parce qu'il interprète les grands compositeurs américains que je défends depuis longtemps. Philip Glass et John Cage dans son premier disque paru en 2000 sur le label Arabesque, auquel il reste fidèle depuis. John Adams et Alvin Curran sur Inner Cities paru en 2003. Voilà un enregistrement magnifique pour découvrir ces deux immenses compositeurs, même si trois (quatre ?) des cinq œuvres proposées sont disponibles ailleurs. "Phrygian Gates" et "China Gates" de John Adams ont été enregistrées par la pianiste Gloria Cheng-Cochran sur le label Telarc en 1998. Ce sont deux compositions qui témoignent d'une première période minimaliste de John Adams, qui a depuis pris ses distances avec ce courant. Sous les doigts de Bruce, la première est une longue pulsation flottante sur un brouillard lumineux coupé de cadences dynamiques ; la seconde,  incantation en boucles chromatiques intenses. Le pianiste belge Daan Vandewalle a quant à lui consacré un coffret de quatre cds aux Inner Cities d'Alvin Curran, l'un des premiers monuments pour le piano de ce vingt-et-unième siècle (cf. chronique).

Bruce Brubaker propose en plus une transcription inédite pour piano d'une aria de l'opéra Nixon in China de John Adams : page au lyrisme fluide, sensible, toute en transparences tranquilles.  Et puis il joue, il ose jouer la musique d'Alvin Curran. "Endangered species", un morceau ailleurs interprété au diskklavier, échantillonneur et synthétiseurs. Ici, c'est une interrogation litanique d'une bouleversante douceur posée au bord du silence dans la ouate de l'impalpable.

Et puis il y a "Inner Cities I", première pièce de l'immense cycle d'Alvin. Comparer les interprétations de Daan et de Bruce ? Les deux sont remarquables. Daan, rigueur analytique, tenue et densité, toucher ferme ; Bruce, attention, retenue et douceur, toucher tendre... Pour aller vite ! À chaque écoute, de toute façon, je bascule, quelque chose s'ouvre, se déclenche, je frémis, j'écris. Ceci par exemple :

 

Touche le fond

Touche-le

Touche le fond           le fond

Touche

Et

Rebondis

Bondis

Touche le bond

Le bond du fond

Tout au fond

Touche tout le fond                           

Le Tout du fond

Au fond du fond

Sans relâche

Touche

Ne te lasse pas

Appuie sur la touche

Qui les contient toutes

Délivre-nous des touches

Ne lâche pas la touche

Tu la tiens       ne cesse pas de la frapper

Ostinato

Ça vient          ça cède

Touche la touche

Coule dans la douceur des dessous

Touche sous la touche

Il n’y a plus de fond

Tout vient       l’eau des touches remplit la bouche d’infini

La touche fait souche dans la renverse du ciel

La touche touche

Accouche le silence    le silence qui lance

Le silence délicat des aubes diaphanes

Le silence qui danse éperdu au bord des notes caressées

 

En écoutant Inner Cities I d’ Alvin Curran

27 septembre -19 novembre 2009

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 janvier  2021)

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Publié le 13 Novembre 2009

Charlemagne Palestine / Tony Conrad : à la recherche du Son d'or.
    Ancien carillonneur, organiste et pianiste maître du strumming, Charlemagne Palestine a rencontré le compositeur et violoniste Tony Conrad dans les années soixante où ils ont joué ensemble de leurs instruments respectifs, mais aussi d'instruments de leur invention comme le "long string drone" de Tony et "l'alumonium" pour lui,  avant de le perdre de vue pendant plus de trente ans. Au début des années 2000, ils se retrouvent en Belgique où Philippe Franck de Transcultures organise une série de concerts : ils joueront à nouveau ensemble, et le résultant est tellement sidérant qu'un disque naît, fruit d'un "aural symbiotic mystery", titre qui sera donné à l'album paru en 2006 chez Sub Rosa.
  Voilà pour l'histoire des retrouvailles entre ces deux géants des débuts du minimalisme, avant que la génération Steve Reich ne l'infléchisse vers une tendance répétitive.à la fin des années soixante. Toujours vivants, plus que jamais, ils marient le strumming , les drones, les sons tenus, pour envelopper l'auditeur dans un réseau serré d'harmoniques, de résonances dont l'effet est hypnotique. La musique progresse par nappes, se déploie avec lenteur ou dans un climat de transe. L'orgue en fond continu joue un peu le rôle de la vînâ dans la musique indienne, musique que les deux compères ont étudiée et pratiquée depuis longtemps. Le violon est souvent méconnaissable, son épais, comme écorché, saturé, trituré par des étirements, avec le piano qui vient se loger dans la pâte sonore, rejoint à mi-parcours de cet unique morceau d'un peu plus de cinquante et une minutes par la voix de Charlemagne à pleins poumons dans ce qui devient de plus en plus un  magma en suspension travaillé par le pulse obstiné du piano, avec d'imprévisibles chutes de tension, des stases fabuleuses. Symbiose, en effet, entre les deux  musiciens qui n'ont rien préparé : ils jouent ensemble, c'est tout et c'est totalement inouï, inoubliable, une musique qui balaye, torrentielle par accès. Il arrive que le violon rie, qu'il rabote le temps tandis que l'orgue pleut des tuyaux de lumière, que la voix et le violon s'orientalisent dans des aigus tordus de cornemuse étranglée, un chant de gorge chamanique... Une rencontre au sommet, le disque rare de deux chercheurs d'absolu.
Enregistré au théâtre Mercelis de Bruxelles en octobre 2005.
Paru en 2006 chez Sub Rosa, le label bruxellois si précieux dans le domaine des musiques contemporaines, expérimentales, électroniques / 1 plage / 51minutes environ
Pour aller plus loin
- un article antérieur sur un autre album de Charlemagne Palestine.
- un entretien avec Daniel Varela en juin 2002, très intéressant (en anglais)

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 janvier  2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Contemporaines - Expérimentales

Publié le 7 Novembre 2009

Zahia, musique "pour s'attabler au festin du destin".
   Un coup de cœur pour reprendre le fil distendu de ce blog (le temps de faire le vide de l'oreille pour mieux recevoir l'or qui raye le néant...). Des mots qui sonnent justes sur des environnements sonores électro, post-rock, posés au millimètre, au ras du silence dont ils n'ont pas peur. "Je suis nature / je suis mature / Je suis rature", la marque du slam qui slalome entre les mots, avec Salomé Barrot pour les très belles photographies, Selecta Seb pour les textes et Bruit : fantôme pour la musique. C'est une tribu qui contribue à dire la première personne d'aujourd'hui, "rester planté là / au milieu du carrefour / désorienté par la circulation", prendre le temps d'ouvrir la boîte aux souvenirs, de vibrer à l'appel "d'un doux rêve".
  

   Voyage vers les racines oranaises, la grand-mère qu'il n'a pas connue auquel le disque rend  un touchant hommage au terme d'un parcours qui parvient à déjouer les pièges du nombrilisme grâce à une salutaire candeur car, oui, Sébastien Seb est tel un candide qui se cherche dans l'indifférence du monde, sur fond de terribles fantômes qui ressurgissent au final, après l'évocation de Zahia suivie d'un long silence, le retour des trois lettres FIS, celles du Front Islamique du Salut, morceau torturé, puissant, inquiétant, après tant de rêveries qui ne cèdent pas à la mièvrerie, pas même la "Jeune algérienne", descendante de ces odalisques de harem, des algériennes peintes par Delacroix. Le disque est conjuration, exorcisme frais déployé autour de l'hymne à l'Afrique-mère (titre 9), parce qu'il y a en lui le refus de laisser aux Occidentaux "la joie d'occider ces gens là-bas" : titre ensorcelant, incandescent qui débouche sur l'apologie de la vie (titre 10) - et là j'entends les ricanements de certains lecteurs, mais après des propos qui sembleront parfois bien lénifiants, le morceau décolle dans une vision lucide d'un monde en voie de machinisation, la musique se fait implacable, presque techno, les mots se déchaînent et s'enchaînent. Parce que "l'homme derrière son costume a toujours un cœur" dans ce disque gorgé de douceur, d'effleurements et de caresses, qui croit encore dans les mots simples. Une invite salutaire à cesser de jouer les durs, à s'abandonner à l'effusion pour vivre l'infusion mystique.
11titres (+1 caché), environ 45 minutes.
Pour aller plus loin
- L'album est en téléchargement intégral libre quelque part sur Myspace, que je n'utilise plus. On trouve l'album en écoute intégrale aussi sur soundcloud.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 22 janvier  2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours