Publié le 28 Mars 2018
Il est temps de revenir au passionnant label Unsounds, fondé par le guitariste Andy Moor, le compositeur et artiste sonore Yannis Kyriakides et l'artiste visuelle Isabelle Vigier pour promouvoir des musiques expérimentales, hybrides et singulières (petit clin d'œil au passage...). Curieusement, je laisse pourtant passer certaines de leurs parutions, alors il est temps. Temps de parler de ce disque de la compositrice, improvisatrice et installatrice Sarah Peebles, américaine qui travaille à Toronto à partir de sons de terrains, de sons trouvés, en vue de performance en direct assez variées. Elle joue aussi du shō, un petit orgue à bouche japonais, instrument qui est à la base de Delicate paths. Le shō est fait de roseaux de bambous qui donnent, une fois fumés si j'ai bien compris et enduits de malachite moulue, recouverts d'un mélange à base de cire d'abeille, les tuyaux de cet orgue au timbre si particulier. Il comporte également des anches en bronze (la page du label présente l'instrument assez en détail, photographies à l'appui). C'est dans les années quatre-vingt, alors qu'elle étudiait la musique au Japon, que Sarah Peebles s'est intéressé à cet instrument traditionnel qui viendrait d'ailleurs à l'origine de la Chine.
Le disque alterne des solos de shō improvisés, intitulés "Resinous Fold", avec deux "Delicate paths" où elle joue avec deux ou trois autres musiciens et une composition électroacoustique de plus de treize minutes, "In the Canopy".
Les "Resinous Fold", qu'on pourrait peut-être traduire par les "Replis résineux" nous transportent dans la musique de cour japonaise, le gagaku, une musique raffinée, très contemplative, qui nous fait entrer dans les sonorités de l'instrument. Les pièces, multi-pistes, sont en effet enregistrées par des micros placés très près de l'instrument, selon différents angles, dans une pièce relativement sèche. Des drones harmoniques résultent des sons tenus circulant dans l'instrument avant de s'en échapper par plusieurs orifices, enveloppant l'auditeur dans des volutes immatérielles.
Les deux premiers chemins délicats se font en compagnie d'Evan Parker aux saxophones et de Nilan Perera à la guitare électrique et aux effets divers. Evan Parker donne l'impression d'une jungle végétale naine qu'on survolerait de près, et qu'on traverserait même pour dénicher les sons à leur naissance. Ses saxophones s'emballent ensuite brièvement pour épouser les aplats du shō avant de jouer aussi des notes tenues. Une mini-floraison percussive anime ces paysages sonores qui changent très vite, happés par les nappes hypnotiques du shō. Le troisième, avec la chanteuse indienne Suba Sankaran, est évidemment un pont entre ces deux grandes cultures musicales. Voilà un raga inédit, luxuriant, le chant se faufilant entre les poussées harmoniques de l'orgue à bouche...
"In the Canopy", pièce électroacoustique, est, nous dit la compositrice, inspirée par ses expériences lorsqu'elle enregistrait oiseaux et abeilles en Nouvelle Zélande. Je passe sur les précisions apportées par la pochette du disque. Le titre complet en est : "Meditations from Paparoa and Kapiti Island". Le disque ne propose que la première partie de ce travail qui accompagnait une méditation sur le mouvement, la lumière, l'ombre et la couleur, dans une forêt, méditation créée par deux réalisateurs, John Creson et Adam Rosen en 2013. Nous sommes donc à proximité des insectes, des oiseaux, autant de présences invisibles qui tracent dans l'espace des sillages sonores presque imperceptibles : froissements, ondes qui se propagent, murmures et fragments de chants, s'entrecroisent, se superposent, se répondent, créant une fresque tout en transparences, flottements, avec à l'arrière-plan parfois quelques mouvements plus graves, mais eux aussi perçus dans un halo d'une grande douceur. La fin s'anime de roulements dans lesquels se glisse in extremis le shō. C'est très beau, épuré !
Vraiment un disque à savourer dans le silence. Digipack superbement illustré, avec les notes abondantes et très intéressantes de Sarah Peebles (ça change des pochettes laides et vides ou illisibles !).
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Paru en 2014 chez Unsounds / 8 plages / 67 minutes environ.
Pour aller plus loin :
- la page du label consacré à l'album (avec un extrait en écoute)
- l'album en écoute et plus :
(Liens mis à jour + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 septembre 2021)