musiques electroniques etc...

Publié le 5 Avril 2024

Egil Kalman - Forest of Tines (Egil Kalman plays the Buchla 200)

   Après un premier disque solo consacré au Synthi 100, Egil Kalman, compositeur et bassiste suédois installé à Copenhague, joue du mythique Buchla 200, un synthétiseur des années soixante-dix dont un exemplaire est conservé au Elektronmusikstudion de Stockholm où il était en résidence en 2021. Titré Forest of Tines, c'est un double vinyle longue durée. Les titres ont été enregistrés en direct sans effets ajoutés, le premier disque sec et le second à travers un AKG BX20, système de réverbération à ressorts des années 60 et un système modulaire eurorack (ne m'en demandez pas plus !). Sur le dix-huitième titre la batterie est pré-enregistrée et traitée par le Buchla.

   Prestiges et séductions du Buchla 200

   Le miracle, c'est le Buchla 200, ce son rond, incroyablement doux. Imaginez des perles soyeuses, bondissantes. Un monde sans angle, des enfilades de notes, des croisements. De l'énergie pure, radieuse, débarrassée des affects lourds, dramatiques. Du Vasarely musical, de la géométrie dans l'espace. Rien qui pèse, quel bonheur ! De temps en temps, ce qui ressemble à des sons de terrain, comme le gigantesque ressac au début de "Glint" (titre 2). Mais Egil Kalman en fait un usage modéré : le Buchla se suffit à lui-même, il est un monde à part entière. Les notes glissent dans une concaténation joyeuse sur un tapis de bourdon, s'évaporent...Le Buchla est capable de donner une version savoureuse de titres folkloriques, comme "Blågeten" (titre 3), tout en nappes ouatées, entremêlées, ensorcelantes qui sonnent comme des cornemuses d'une fluidité invraisemblable.

   "Dub One" (titre 5) est d'une légèreté sautillante admirable, aux antipodes de tout un dub bien lourd. Il faudra bien que l'on parle de la grâce de ce synthétiseur, capable de battements liquides extraordinaires. Avec lui, les feuilles d'automne ("Automn Leaves", titre 6) chutent au ralenti dans un frissonnement quasiment mystique, une extase vibrante. "Mbira" (titre 7) est une suite d'éclaboussements, de gloussements, "Springar" (titre 8) un écho de "Blågeten", de la quintessence folklorique sous une forme mouvante et sonnante. Le "Blues" (titre 9) - qui conclut le premier disque, est une incantation minimaliste à base de boucles serrées, vrillées, saturées de particules, et c'est magnifique !

   Le deuxième disque s'ouvre avec "Sync" (titre 10) curieux morceau siffleur, dépouillé, le synthétiseur ramené à une percussion aux sons creux. Au contraire, "7th" procède par nappes veloutées, battements résonnants, agglutination de textures : le Buchla en majesté, d'une tranquillité impériale. Du très beau travail !

   Et la suite me direz-vous ? Elle ne démérite pas. "Subtines" joue des substrats harmoniques, c'est une des pièces les plus mystérieuses, un peu glauque... "Polska" est une autre incursion dans le folklore, une danse à l'effervescence trouble provoquée par le fondu des notes entourées d'un halo prononcé. "Klystron" (titre 14) vibre d'hyperfréquences modulées aux rebonds hypnotiques. Les deux "Electric Music Box" (titres 15 et 16) font penser à des boules se déplaçant sur une roulette avant d'entonner un chant entre ivresse folle et danse de transe. Le Buchla se fait oiseau sur "Entropic", avec gloussements et trilles ! Il avale une batterie sur "Drums" pour une étrange cérémonie en pleine jungle. "From Stone" (titre 19) nous projette sur une planète inconnue, désolée : le moindre son y résonne comme une énigme, semblant sourdre d'une source pétrifiée ! Et l'on retrouve le Buchla séducteur, enveloppant, pour le dernier titre "Ocquet", avec ses tapisseries ondoyantes, ses flûtes agrestes en pelotes vives et ses bourdons tournoyants...

   Une belle traversée des possibilités sonores du Buchla 200, le roi des synthétiseurs modulaires analogiques, suave et mélodieux, jamais agressif. 

Paru en décembre 2024 chez Ideal Recordings (Suède) / 20 plages / 1 heure et sept minutes environ

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Publié le 30 Mars 2024

Musique infinie - Earth

    Musique infinie est le duo formé par Manuel Oberholzer (alias Feldermelder), compositeur et artiste sonore italo-suise, et Noémi Büchi, compositrice franco-suisse de musique électronique qui réinvente la musique romantique et impressionniste dont elle revendique l'influence. Le disque est une version spontanément composée en direct pour une projection du film muet Zemlya  (La Terre, 1930) d'Alexander Dovzhenko (1984 - 1956), cinéaste ukrainien soviétique

Feldermelder (à gauche) et Noémi Büchi (à droite)

Feldermelder (à gauche) et Noémi Büchi (à droite)

    Si les deux parties du disque correspondent, pour aller vite, aux deux versants (très inégaux en longueur) du film, "Creation" à l'enthousiasme pour la collectivisation et les tracteurs, "Destruction" à la fin du film qui se termine par le meurtre du jeune et ardent communiste, l'auditeur, en l'absence du film, prend la musique en tant que telle, sans référent.

   "Creation" est une ode lyrique et tumultueuse. Synthétiseurs grondants, voix synthétiques éthérées, vents cosmiques. Les deux Suisses s'inscrivent à certains moments nettement dans le sillage des premiers albums du groupe allemand Tangerine Dream, période Ohr et début de la période Virgin avec Phaedra (1974). D'impressionnants courants se greffent sur des phases élégiaques. La beauté des textures, très travaillées, séduit l'oreille. C'est toute la création qui lève comme une énorme germination dans les intenses dernières minutes.

   "Destruction" débute sous des auspices inquiétants. La musique se fait quasiment industrielle, confluence de gigantesques glissements de matières, animés d'à-coups syncopés, de percussions à la rythmique affolée. Tout se fractionne, se diffracte, se métamorphose. Des sons fantômes travaillent la masse, un ballet de spectres nous nargue, ce qui n'empêche pas la musique d'être grandiose, légèrement transparente, frémissante. Parfois, les sons chavirent, puis c'est tout un chœur masculin et féminin qui s'inscrit dans le déferlement courbe des vagues tremblantes, le traitement presque à la Autechre des textures micro-fissurées, râpeuses, raclantes, avec à la fin une véritable vaporisation...

   Une excellente bande sonore, même sans film !

Paru début février 2024 chez Hallow Ground (Lucerne, Suisse) / 2 plages / 27 minutes environ

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Publié le 20 Mars 2024

Andrew Ostler - Dots on a Disk of Snow

   Un bien curieux album que ce Dots on a Disk of Snow, le quatrième pour la maison de disque Expert Sleepers que le multi-instrumentiste et compositeur Andrew Ostler dirige. Imaginez une rencontre entre instruments à vents (trompette, clarinette basse, cor baryton, saxophone ténor), arrangement de cordes et synthétiseurs modulaires. Les cinq pièces ont été construites autour d'improvisations, avec d'autres instruments pour étoffer les harmonies.

   Le premier titre, "Tunes Blown Tremulous in Glass", fait irrésistiblement penser à Arvo Pärt. C'est une sorte de canon perpétuel aux arrangements de cordes en vagues ascendantes successives sur lequel vient se greffer une rythmique synthétique pointilliste, une suite d'élans sublimes vers le Ciel. Quelle superbe composition, au très beau titre, "Airs soufflés tremblants dans le verre" (traduction possible)...

  

   "The Dooms Electric Mocassin" pourra semble en franche rupture avec ce début raffiné. Composition d'abord toute entière en rythmes électroniques minimaux à la limite du glitch, elle laisse peu à peu apparaître un arrière-plan de cordes, puis un solo de trompette vaporeux. Les cordes s'amplifient pour former un écrin mélancolique à la trompette, et c'est une belle et lente dérive, cette fois avec un fond étonnant de glitchs grouillants. La fin est d'une suavité élégiaque magnifique !

    Le plus court titre 3, "Rowing in Eden", avec ses échantillons de cour d'école frémissante de bavardages et cris comme fond premier, est sans doute le ventre mou de l'album, englué dans un chœur de clarinettes un peu sirupeux à mon goût. Oubliez-le !

   "Soudless As Dots on a Disk of Snow" (titre 4) est une variante du premier titre, comme son mouvement lent, cordes aux mouvements étirés, vents mélancoliques à leur tour lancés vers le Ciel en envolées ouatées, puis survient un battement rythmique crescendo qui accompagne plus régulièrement un ample largo d'une grande allure.

   Le dernier titre, "Scarlet Experiment", est une toile mouvante sous la pluie du début, vite sous-tendue par un battement sourd. Les vents grondent et tournent doucement, les cordes les rejoignent à l'arrière-plan, puis la composition se fait plus bondissante, l'électronique très présente. Tout devient comme irréel, diaphane, au milieu de la pièce, avant que cordes et vents ne soient à demi-submergés sous une rythmique énergique, à la pulsation quasi reichienne, hoquetante, avec un ultime retour des cordes en cercles élégiaques, et la pluie battante du début. Un très beau titre !

   Sublime, suave, élégiaque, toujours harmonieux, le disque d'Andrew Ostler est un baume pour oublier les noirceurs du monde.

Paru début décembre 2023 chez Expert Sleepers (Édimbourg, Écosse) / 5 plages / 36 minutes environ

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Publié le 14 Mars 2024

Michael Vincent Waller - Moments Remixes

   Compositeur américain installé à New-York, Michael Vincent Waller a étudié avec La Monte Young, Bunita Marcus (pianiste, amie proche et collaboratrice de Morton Feldman à la fin de sa vie). Deux ans après Trajectories, il sort en octobre 2019 Moments, un album de pièces pour piano solo, avec quelques compositions pour vibraphone solo. L'idée de faire des remix est contemporaine de la sortie de l'album. Le premier date de la fin 2019, avec Jlin, musicienne électronique, productrice et DJ originaire de l'Indiana. En janvier 2020, un second est sur les rails, avec Xiu Xiu, un groupe de rock expérimental américain. Fin 2021, presque tous les remix sont produits, mais il faudra encore trois années de maturation pour qu'ils trouvent leur forme définitive. Seize musiciens ou groupes interviennent sur ce double LP.

   Les pièces de Michael donnent ainsi naissance à une galaxie de titres appartenant à des genres variés : musique électronique, IDM (Intelligent Dance Music), rock d'avant-garde, musique ambiante ou de drones...Chaque remix est le fruit de la collaboration entre Michael et l'artiste intervenant.

Michael Vincent Waller à gauche et Jlin à droite

Michael Vincent Waller à gauche et Jlin à droite

    Une pléiade de musiciens talentueux...

   La deuxième partie du cycle Return from L.A. pourrait servir de fil directeur à cet ensemble. Remixée trois fois, par Moor Mother avec l'ajout d'une partie vocale à demi rappée (titre 3), par Tom VR avec glitchs, percussions syncopées et arrière-plan de synthétiseurs, (titre 5), par Jlin dans une version plus syncopée encore, véritablement trouée de dérapages et relativement hypnotique (titre 8), elle atteste du succès des mélodies de Michael Vincent Waller.

     "For Papa", le premier titre de l'album initial, est remixé deux fois, par Xiu Xiu en première position, une très étonnante version expérimentale hyper élégiaque avec guitare saturée et chant tordu ou déformé, torrents de particules électroniques, et par DJ Marcelle /Another Nice Mess, version tribale avec percussions bondissantes au premier plan et arrangement de synthétiseurs languissants au second pour accompagner le piano (titre 12).

Deux remix aussi pour le magnifique "For Pauline" : d'abord celui de Yu Su (titre 9), l'un des plus beaux peut-être, brumeux et chaloupé, répétitif à souhait, avec un côté Terry Riley (mai oui, la compositrice revendique d'ailleurs son influence !) ou quasi reichien (Steve, bien sûr...), puis celui de Prefuse 73, alias de Guillermo Scott Herren, compositeur de musique électronique et de hip-hop, aussi remarquable, extrêmement élaboré, orchestral dans des textures changeantes splendides, qui donnent à la composition une profondeur vibrante.

...pour un double LP ambitieux !

   Deux remix encore pour "Vibrafono Studio", le premier à nouveau par Prefuse 73 (titre 11), avec une étrange version à deux vitesses, le second par Fennesz (titre 13), qui signe une version glauque, abyssale, d'une lenteur magnifique, autre grande réussite de ce double LP.

   Deux aussi pour "Jennifer", le premier par la britannique Loraine James (titre 14), vision d'un dub minimal presque entièrement percussif, le remix le plus déconcertant pour moi je ne le cache pas, le second (titre 18) par la norvégienne et mexicaine Carmen Villain, ambiant et répétitif, lent engloutissement dans une brume dévorante.

   Vous l'aurez compris. Michael Vincent Waller a soigneusement sélectionné les participants, a veillé à ce qu'on entende aussi sa musique. Les remix ouvrent les potentialités de ses pièces souvent courtes, limpides et mélodieuses. Le remix par Jlin de "Nocturnes - N°4" (titre 4) -- original superbe dans l'esprit d'Erik Satie, est d'une remarquable finesse, ponctuant les articulations de la composition de hoquets, glitchs et de très brèves interventions vocales. La ravissante et diaphane "Love - I. Valentine" est nimbée d'allégresse légère dans le remix de Lex Luger (titre 6), comme la danse d'une bergère dans un pré paradisiaque. Le très glassien "Bounding" (je pense aussi à Wim Mertens), dernière pièce de Moments (5'12), donne lieu au plus long remix (7'20), celui de Levon Vincent, d'un minimalisme "house" épuré jusqu'à la corde rythmique, juste brièvement agrémenté de voix spectrales sur la fin. Jefre Cantu-Ledesma creuse la veine élégiaque de la rayonnante première partie de "Return from L.A." dans le titre 10, distendu, caverneux, crépusculaire, n'ayant pas hésité à faire quasiment disparaître la musique originale. La française Lafawndah ose un remix en grande partie vocal (et a capella) de "Divertimento" (titre 15) : et c'est très beau, avec des résonances de musique indienne.

   Je n'oublie pas la version plutôt jubilatoire que donne Xiu Xiu de "Roman" (titre 16), cavalcade hennissante et fantasque dans un pays de fantômes...

   Régalez-vous, c'est du très beau travail collaboratif, une superbe traversée des musiques vivantes d'aujourd'hui !

Paraît le 15 mars 2024 chez play loud ! productions (Berlin, Allemagne) // 2 LP - 18 plages / 1 heure et 6 minutes environ

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Publié le 12 Mars 2024

Point of Memory - Void Pusher
De la MAO* pour embrasser l'expérience humaine...

    Point of Memory désigne un artiste sonore, ou sculpteur sonore, qui tente avec Void Pusher de créer une musique assistée par ordinateur acoustique, en combinant fragments numériques, bruits ambiants en direct. Ainsi, des fréquences super-basses inaudibles traversent une pièce remplie d'instruments acoustiques et de guitares électriques réglées pour frémir et gronder avec sympathie. « Enregistrez ensuite le résultat ; une cacophonie de caisses claires retentissantes, de drones harmonisants et le subtil cliquetis des shakers, des cloches et des tambourins. La plupart du temps, vous n'entendez pas les basses, juste les réactions qui y sont associées.(...) Tous les sons sources ont été enregistrés en direct ou traités par réamplification et manipulés en direct en studio avant d'être édités à la maison. Les sessions d'enregistrement ont eu lieu au printemps, en été, en hiver et en automne, capturant un large spectre d'ambiances sans chercher délibérément de catharsis. Le but était de rester émotionnellement ouvert et d’éviter toute direction excessive, dans une tentative superstitieuse de capturer quelque chose de la condition humaine au sens large. » Projet singulier, ambitieux, se voulant en résonance avec des sentiments universels plutôt qu'avec des affects individuels. Filippo Tramontana joue du cor d'harmonie sur le premier titre.

*MAO : musique assistée par ordinateur

   Les Métamorphoses du Néant poussé dans ses retranchements

   Le disque démarre très fort avec "Pro-Dread", nappes d'orgue et de cor d'harmonie chatoyantes, immobiles et comme suspendues sur l'or du couchant. Titre grandiose ! D'emblée, nous sommes très haut, planant au-dessus des petites misères humaines, dans l'empyrée, tout près des dieux immortels, les bourdons (drones) comme les grondements éternels des Olympiens. "Put in the past" (titre 2) et "Carried by Ravens" (titre 3) sont moins flamboyants, plus tourmentés, véritables antres sonores pour Vulcains sombres ourdissant quelque vengeance imparable : c'est le passage par le Tohu-Bohu, le chaos primordial d'avant la Création. Void Pusher ne signifie-t-il pas « Pousseur de Vide » ? Le titre 3 évoque le prophète Élie, nourri par les corbeaux. Le chaos se lisse un peu, Dieu protège son prophète : atmosphère hyper harmonieuse, mais d'une luxuriance fabuleuse. Tout est en place.

   L'album décolle à nouveau, après une phase grondante, sur le morceau éponyme. L'univers éructe, crache une beauté déchirée, lacérée, la matière hurle, se tord tout au long de ce "Void Pusher" extraordinaire suite d'explosions hallucinées, du Francis Bacon sonore à la puissance X. Si vous passez ce cap, vous êtes prêt pour la suite....

   "Doom's Hand Reaching For Your Moment of Triomph", c'est du Métal en fusion, distorsions et saturations, pluie de feu, bombardement de météores. À peine si le relativement court "Jawline of a City" (titre 6) ménage une pause dans ce voyage au cœur.. .des cités enfouies dans la mémoire universelle. Toutefois, "Ballad of a Myopic Triviality" apporte une touche radieuse à cette musique épique : on escalade des glaciers vertigineux, les sons se diffractent en énormes harmoniques translucides. C'est un autre sommet, traversé de multiples courants, de cet album impressionnant. On atteint une sérénité supra-terrestre, par-delà tous les affects minuscules et contingents, au centre des énergies librement déployées, royales, resplendissantes. Le crescendo final est à couper le souffle, d'une fulgurance terminale !

    L'avant-dernier titre, "Stranger with a Sad heart"commence par une série de sons qui font penser à des trompes de navire, et c'est parti pour une odyssée cosmique majestueuse, avec trépidations et tournoiements de drones, puis un arrachement et un brinquebalement dans le noir absolu. "Most of a Murder" (titre 9 et dernier) conclut en ambiante sombre, déchiquetée, écho cauchemardesque du titre éponyme, colossal train fantôme au pays de nulle part.

   Un disque aux flamboiements fastueux, d'une noirceur sidérale, véritable ovni sonore pour la fin des Temps.

Titres préférés : 1) "Void Pusher" (4) / "Ballad of Myopic Triviality" (7) / (Doom's Hand Reaching for Your Moment of Triumph" (5) / "Pro Dread" (1) / / "Most of a Murder" (9)... et le reste est loin d'être médiocre !

   

Paru fin janvier 2024 chez Misanthropic Agenda (Houston, Texas) / 9 plages / 1 heure et 11minutes environ

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Publié le 28 Février 2024

David Lee Myers - Strange Attractors

   J'avais sélectionné ce disque, puis je l'avais écarté, déçu par quelques fragments. L'ayant écouté voici peu dans sa continuité, ce qu'on ne peut pas toujours faire, ou ce qu'on ne prend pas le temps de faire pour diverses raisons, j'ai été conquis. D'où sa réintégration dans ces colonnes.

   Artiste visuel et sonore vivant à New-York, David Lee Myers, à son actif plus de soixante disques et des collaborations avec des grandes pointures de la musique électronique comme Merzbow ou Tod Dockstader, écrit ce qu'il nomme une musique à déplacement temporel en utilisant un mélange variés de retours (feedback), d'autres sources de bruits et des sons trouvés qui sont retardés, retraités, déplacés. Depuis l'introduction des unités de retard à bande, David Lee Myers est fasciné par le fait de prendre un moment du temps, de le stocker puis le déplacer et le plier sous différentes formes.

   Fermentations chaotiques du Temps

   L'album comprend quatre pièces, chacune entre treize et dix-neuf minutes environ. Quatre immersions dans une musique infiniment fluctuante. "Equality of Powers" pose les fondements d'un univers composé de couches rayonnantes, animées, hantées par des bruits enchâssés dans le flux chatoyant sous-tendu d'un chevauchement continu de drones. On reconnaît la touche Dockstader à la manière dont la musique semble générée par des ondes courtes, leur superposition et leurs conflits incessants, le tout ramené vers l'égalité par le mouvement perpétuel dans lequel il est emporté. Le temps est incessante variation, recomposition, il n'existe que dans le mouvement, l'instant de son émission.

   De longues sinusoïdes caractérisent le début de "Iniquities", pièce dans laquelle le temps se met à rutiler, à émettre des merveilles sonores en forme de tournoiements, de vrilles frangées de particules lumineuses. On est au cœur de cet album, on s'enfonce dans une forgerie de splendeurs foisonnantes. C'est notamment ce deuxième titre qui a motivé mon "repentir". On croit même y entendre, fugitivement, des voix intérieures...

 

    La suite est tout aussi prenante, encore plus au casque. Un monde de vibrations radieuses, de pulsations de drones, de déchirements internes crée un enchevêtrement sonore incroyable. Pas de place pour le vide ou le silence, même lorsqu'un long drone monopolise l'attention dans la dernière partie de "With Perfect Clarity", car très vite il est parasité par des surgissements bouillonnants, d'étranges attracteurs. Au bout de l'immersion, il y a "Yet Another Shore" (Encore un autre rivage), et, du chaos la lente émergence d'orages magnétiques tapissés de drones abyssaux, et ça fulgure, nom de Zeus ! C'est au-delà encore que se tient une majesté intermittente, voilée de brumes lourdes, une force d'arrachement dont le rayonnement est terminal.

    Une musique électronique, expérimentale, d'une superbe puissance.

Paru en juin 2023 chez Crónica (Porto, Portugal) / 4 plages / 1h et 9 minutes environ

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Publié le 3 Février 2024

Øjerum (2) - Your Soft Absence

   Paw Grabowski, alias ØjeRum, dont les étonnants collages ornent les couvertures des disques, est revenu incanter la fin de 2023.

Voici ce qu'il dit de Your Soft Absence :

« C'est une suite d’ondes sinusoïdales traitées et d’instruments à vent échantillonnés. C’est le récit d’un sentiment particulier d’absence qui me hante ; peut-être mieux décrit comme le désir d'une émotion d'enfance, un sentiment d'émerveillement inconscient, un état d'être simplement sans essence ou peut-être comme un souvenir qui s'éloigne continuellement chaque fois que j'essaie de m'en souvenir, apparemment le plus proche et le plus présent à une certaine distance, avec un certaine absence. »

    Pour l'auditeur, c'est la plongée dans une musique crépusculaire, le premier des trois longs titres étant d'ailleurs intitulé "Portrait of the Green Twilight" (Portrait du Crépuscule vert). Des ondes courbes s'enroulent, se succèdent, se chevauchent. Elles dessinent un paysage mouvant, comme des algues agitées par les vagues sous la surface de la mer, ou les ombres brumeuses des arbres dans une forêt parcourue par le vent. La musique tente de saisir l'insaisissable, de l'envelopper  sans jamais y parvenir, si bien que les trois pièces n'en font qu'une, l'ample et mélodieux déploiement d'une écharpe aux torsades d'une suavité ensorcelante. Les instruments échantillonnés et les ondes composent un nouvel orgue des abysses, l'orgue de la mémoire, dont les traînées de notes sont enrobées d'un voile opalin. Il n'est plus question d'en sortir, cette musique s'entortille aux parois de votre cerveau, comme si elle était l'émanation même d'une aspiration secrète, indicible, à se fondre dans la beauté vacillante des choses.

   Le troisième titre, "Tomorrow We Commemorate the Falling Leaves" (Demain nous commémorons la chute des feuilles), a la grâce bouleversante d'un immense appel frémissant, comme un brame renouvelé jusqu'à provoquer une sorte d'extase langoureuse d'une infinie douceur :

« Comme le cerf, selon le psalmiste, brame vers les sources des eaux vives, ainsi la conscience assoiffée soupire vers l'absent incognito dont nul ne sait le nom. »

        Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien,1957, p. 66.

Un disque au charme rayonnant, diapré, surgi des semi-ténèbres des souvenirs. Magnifique et absolument envoûtant !

Paru en décembre 2023 chez Room40 (Brisbane, Australie) / 3 plages / 48 minutes environ.

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Publié le 16 Novembre 2023

Jonathan Fitoussi - Plein soleil
Le Charme fou des synthétiseurs

   Le disque est paru voilà trois ans : il est toujours aussi rayonnant ! Jonathan Fitoussi (cf. le très beau Espaces timbrés en collaboration avec Clemens Hourrière) persiste dans son amour des synthétiseurs, avec une prédilection pour le Buchla modulaire. Quatre synthétiseurs sont utilisés au cours du disque, auxquels s'adjoignent selon les titres le cristal Baschet (dit aussi "orgue de cristal"), un orgue électrique, une guitare électrique et du piano sur le dernier.

   Jonathan Fitoussi écrit une musique du bonheur. Il suffit de se laisser porter par cette ambiante électronique colorée, chaleureuse, rêveuse, bondissante, dansante. C'est une splendeur sonore constante, une suite d'hymnes radieux aux beautés élémentaires du monde : "Océans", "Rayons solaires", "Continent blanc", "Dunes", "Soleil de minuit"... Tout est réconcilié, lié, enrobé, approfondi, emporté dans un mouvement irrésistible. On ne pense plus à rien, on baigne, on flotte dans des ouates irisées, sur des océans de boucles nonchalantes, chatoyantes. Il n'y a plus que l'évidence de la fin des tourments, des drames et des tragédies. Seule existe cette plénitude harmonieuse, délicate, d'un Éden retrouvé.

Paru en septembre 2020 chez Transversales Disques (Paris, France) / 9 plages / 48 minutes environ

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