Publié le 15 Avril 2013

Svarte Greiner - Black Tie

Black Tie est le premier album de Svarte Greiner — qui a par ailleurs enregistré une bonne dizaine d'albums sous différentes formes depuis 2006 — , alias du projet solo d'Erik K. Skodvin, musicien norvégien, sur son propre label Miasmah Recordings. Conçu au départ comme la bande son pour une installation de l'artiste norvégienne Marit Følstad, le disque s'insère parfaitement dans les sombres perspectives de son catalogue.

  Deux plages d'un peu plus de vingt minutes chacune pour la version envoyée à la presse (apparemment un titre supplémentaire pour le disque à paraître fin avril).

   La première, au titre éponyme, est une longue méditation pour violoncelle, cordes et sons électroniques d'ambiance. Le violoncelle est utilisé pizzicato dans les graves, au premier plan, pour rythmer implacablement, tranquillement, le morceau, tandis que les cordes et autres sons créent un arrière-plan mouvant. De ce rapport entre statisme hiératique et dynamisme insaisissable naît une belle tension dans toute la première moitié, tension finissant diminuendo, relayée par une phase d'indifférenciation, le violoncelle se fondant dans la toile fond, réduit à des grattements, chuintements, tandis que surgissent des déflagrations, démultipliées par des échos, réverbérations dans une atmosphère raréfiée. D'autres cordes viennent fulgurer en longues traînées incandescentes qui s'entrecroisent avec les décharges régulières. C'est superbe, hanté, sculpté, avec une fin surprenante : retour du violoncelle percussif, en frappes plus troubles, quasi sépulcrales avec les résonances étirées, ces liaisons noires qui ont sans doute amené le titre.

   Le deuxième titre, "White noise", n'imaginez pas qu'il rayonne par sa blancheur...Le bruit blanc est un terme qui désigne « un processus aléatoire dans lequel la densité spectrale de puissance est la même pour toutes les fréquences » (dixit Wikip.) En somme, un processus d'écrêtage, de tassement qui produit au départ un bourdonnement, des drones oscillant légèrement sur un fond réduit à un souffle. On ne peut plus sombre, l'impression d'être enfermé dans un lieu saturé de sons très graves qui s'infiltrent au fond de vous. Là-dessus, car sinon ce serait...infernal, viennent se superposer plusieurs niveaux de sons plus aigus, comme des plaintes lointaines striant l'espace, cherchant à atteindre un ciel inaccessible, animées d'une énergie concentrée. On en est à sept minutes. Le bourdonnement cesse, les cordes continuent, leur mouvement se fait courbe, elles-mêmes génèrent un autre bruit blanc, vrille lancinante crescendo, épaissie par le retour des drones initiaux : longue stase decrescendo, puis triomphe de sons amorphes, millions de fourmis agglutinées, marche au supplice, escalade implacable, assourdissante clameur soutenue par un battement sourd et puissant qui scande seul les derniers instants de son halètement inhumain.

   Une musique sans concession pour un voyage dans la beauté trouble des espaces intérieurs ou de mondes dont l'homme est absent. Ambiante, en partie électronique, elle est aussi abstraite, en un sens, mais pour le meilleur ! Svarte Greiner / Erik K. Skodvin, un compositeur dont il sera question dans ces colonnes à nouveau très bientôt...

--------------------

À paraître fin avril 2013 chez Miasmah recordings / 3 titres / plus de 45 minutes..?

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur bandcamp :
 

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 5 juin 2021)

Lire la suite

Publié le 6 Avril 2013

Nico Muhly - Drones

Le bourdonnement ambiant de nos habitations

 

   Il m’est souvent arrivé l’expérience suivante : je mets sur ma platine un nouveau disque que je viens de recevoir, une oeuvre nouvelle que je découvre. J’écoute la musique, plus ou moins attentivement, quand un son, un bruit vient perturber mon attention, titiller mon oreille — un chant d’oiseau, une sirène, un vrombissement — et de me demander : est-ce dans le disque ou dans mon jardin, dans la rue, est-ce le réfrigérateur dans la cuisine ou un vrombissement dans le disque ?? Où s’arrête la musique, où commencent les bruits ambiants qui nous entourent dans nos habitats ?

« J’ai commencé à écrire les pièces de Drones (bourdonnements) comme une méthode de développement d’idées harmoniques sur une structure statique. Une idée de quelque chose pas très différente que de chanter seul avec un aspirateur, ou avec le subtil mais constant murmure que l’on trouve dans la plupart des habitations. Nous nous entourons d’un bruit constant, et les pièces de Drones sont une tentative pour honorer ses bourdonnements et les styliser. » écrivait Nico Muhly en 2012.

    En réfléchissant à cette idée de Drones en tant que bourdonnement, murmure ambiant, omniprésent dans nos habitats, je me suis mis à fredonner un air, puis à murmurer des paroles...

Gradually                                                                                 progressivement

we became aware                                                  nous avons pris conscience

of a hum in the room                                   d’un bourdonnement dans la pièce

an electrical hum in the room        un bourdonnement électrique dans la pièce

it went mmmmmmm                                          cela faisait hum m m m m m m

  Je fredonnais le premier couplet de la chanson d’ouverture de Songs from the liquid days de Philip Glass. « Changing Opinion », le texte écrit par Paul Simon était l’exact écho de ce que je venais de lire.

   L’album Drones est la compilation de trois maxis (Drones & Piano / Drones & Viola / Drones & Violin), qui furent d’abord téléchargeables sur le site de Bedroom Community avant d’être édités en cd avec un bonus, "Drones in Large Cycles" en forme de coda.

   Nico Muhly a enregistré sur bande des sons de piano et de violon, qu’il va utiliser comme un bourdonnement statique sur lequel il va faire jouer tour à tour un piano dans la première pièce, puis un alto et enfin un violon. "Drones & Piano" est en fait, la seule vrai pièce pour instrument solo des trois, les deux suivantes étant des « solos » avec piano (alto et piano, violon et piano).

   Ce qui frappe dès les premières secondes de "Drones & Piano", c’est un jeu de  piano sec, froid, sans aucun vibrato, une musique qui semble dénuée de toute émotion, presque une caricature de certaines oeuvres sérielles ; pourtant, la musique est parfaitement tonale. Ce n’est pas un hasard si Nico Muhly a choisi le pianiste  Bruce Brubaker  (bien connu de ces pages) pour interpréter ces pièces. Nico Muhly dit de lui : « Il a cette capacité à faire émerger des émotions d’une musique apparemment sèche, comme les études de Philip Glass, ou mes propres expériences étranges de drone ». Mais de cette apparente froideur, va naître une musique qui devient rapidement addictive. Drones est certainement le disque que j’ai le plus écouté l’été dernier.

   C’est à partir de "The 8th Tune", la partie la plus courte de "Drones & Piano", que le piano devient presque lyrique, puis quasiment élégiaque dans la partie suivante ; la mélodie est juste esquissée, comme une ombre entraperçue. Les  puissants accords de piano reviennent pour la dernière partie  qui se termine par une série d’accords au violon.

   Émergeant du brouillard du drone, l’alto de Nadia Sirota pose le décor pour "Drones & Viola", mais semble rester en arrière plan. Il faudra attendre la deuxième partie pour que l’alto prenne de l’ampleur et devienne le vrai soliste et que là aussi, un certain lyrisme l’emporte sur la froideur apparente de la musique.

   C’est bien le violon qui a le premier rôle au début de "Drones & Violin", mais dès la deuxième partie, le staccato du piano revient au premier plan et la pièce devient un duo. Un effet miroir se crée alors entre les deux solistes et leurs doubles murmurant dans le drone conçu par Nico Muhly.

    "Drones in Large Cycles", la coda du disque, beaucoup plus électro, est plus une ouverture vers d’autres oeuvres à venir qu’une conclusion d’un cycle. Tel ce "Drones, Variations, Ornaments" écrit pour le Crash Ensemble.

   À remarquer également, sur la pochette du disque, quatre magnifiques photos noir et blanc du photographe portugais Luis Filipe Cunha. Des photos de racine et de tronc d’arbre qui, à défaut d’avoir un lien évident avec les murmures de nos habitats, apportent une belle touche finale à ce superbe disque.

------------------------------------

Paru chez Bedroom Community en 2012 / 14 titres / 50 minutes


Une chronique de Timewind

Pour aller plus loin

- album en écoute et en vente sur Bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 5 juin 2021)

Lire la suite