Publié le 27 Avril 2024
Couvert de prix et de récompenses dans son pays, le pianiste et compositeur danois Simon Toldam, après avoir sorti avec son trio en 2019 l'album Omhu, salué comme le meilleur disque de jazz danois de l'année, s'est décidé pour un disque de piano solo. Du jazz ? Il n'en reste qu'un peu d'écume, ici ou là, et c'est tant mieux. Sa musique, il la dit fondée sur la notion de « mellemrum » (écart), mais on peut se référer au concept japonais de Ma : une pause dans le temps, un intervalle ou un vide dans l'espace. Ma désigne le temps et l'espace dont la vie a besoin pour respirer, pour sentir et établir des relations. Ces Cinq petites pièces avec le temps (traduction du titre danois) sont enregistrées dans la Sendesaal de Brême, réputée pour son acoustique.
Aucune prétention à révolutionner la musique dans ces cinq pièces. Elles prennent le temps, cultivent donc l'écart, le Ma. C'est une musique qui respire, qui laisse résonner les notes. On est comme en apesanteur, suspendu entre les notes. Le temps et l'espace sont d'abord vibrations. La séparation entre les notes est illusoire : l'intervalle est durée pure, pleine en dépit de son vide apparent. En se laissant aller au Ma, on parvient, on vient-par, dans des contrées d'une absolue douceur, comme à la fin de la première pièce, "To Linger".
Si "Insekt" débute par un court phrasé jazzy, la pièce y renonce vite, renforce son intériorité par des à-plats massifs, puis des graves, et c'est une marche au pays des ombres, une merveille d'étrangeté, feuilletée de froissements, suivie d'interrogations étincelantes et d'une suite de blocs abrupts, comme des rocs sur lesquels il faut passer pour atteindre la source vive, la grande résonance, qui défait les apprentissages (du jazz, avec ses tics...).
"Efterdønninger" (titre 3) s'aventure en contrées plus accidentées. Arêtes coupantes, et soubassements à longues résonances ou feutrés, d'une délicatesse pudique. La musique rêve, en dépit de tout, entre brisures et courtes éclaboussures lumineuses, jusqu'au seuil de quelque chose : encore une magnifique fin de pièce...
""Eng" secoue sa chevelure de jazz, sans parvenir à s'en libérer totalement, mais entre les souvenirs se dessinent des reliefs plus originaux, des aperçus d'une grande beauté. Avec "To ord", les amarres sont jetées, la musique flotte dans un bain de mystère, elle respire avec lenteur, avec précaution, s'enfonce dans de douces ténèbres et en même temps met au jour les fragments d'une mélodie lumineuse. Instants magiques !
De belles études de piano à l'écoute de l'espace dans le temps...
Titres préférés : 1/ "Insekt" (le 2), "To ord" (le 5)
2/ "To Linger" (titre 1)
Paru fin février chez ILK Music (Copenhague, Danemark) / 5 plages / 38 minutes environ
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur bandcamp :