Publié le 31 Mars 2014
L'Odyssée de la lumière
Après Weerzien, son premier disque solo sorti en septembre 2012, le néerlandais Anne Chris Bakker a continué son chemin, si bien que j'ai pris du retard ! Mais comme le chemin est beau, peu nous importe...En septembre 2013, il faisait paraître Tussenlicht (Entre la lumière / Between Light) sur le même label Somehow Recordings. C'est de lui qu'il s'agira ici, en attendant que j'aborde son troisième, paru en février de cette année.
À l'aide d'un archet de violon sur une guitare plus ou moins préparée et de quelques processus électroniques et sons de terrain, Anne Chris Bakker élabore une musique fragile et prenante, aux frontières d'une ambiante minimale, de l'électro-acoustique et de l'expérimentale. "Winter", le premier titre, c'est la rencontre avec des objets sonores à la dérive, qui tracent de profondes trajectoires vibrantes, ponctuées par un piano méditatif. Des cordes frémissent, des harmoniques persistent, des coulées langoureuses s'élèvent à l'assaut du ciel immense. Au bout d'un peu plus d'une minute, on y est, au pays de la lumière calme. L'auditeur s'abandonne au doux massage de ces sons qui tournoient avec une incroyable douceur veloutée, se vêtent de silences intermédiaires tapissés de decrescendos majestueux, sans emphase aucune.
"Tussenlicht" commence au piano, un piano qui se cantonne à un contraste entre médiums et aigus, comme un appel de la lumière qui surgit de l'arrière-plan sous forme d'ondes sonores et de bruits du quotidien. Un feu qui crépite, la lumière qui se précise tandis que le piano s'éloigne, c'est une vague d'orgue (ou similaire), à peine ondulante d'abord, qui monte ensuite en se tordant très légèrement, entaillée de piqûres aigues qui lui font une dentelle. Claquements secs de temps à autre, la vague reprend, illuminante, avec en contrepoint quelques notes éparses de guitare, un fouillis d'ondes, des crachotements, des enfants, tout se suspend presque, de rares notes frottées, puis la vague revient, s'élève dans sa pureté fastueuse, porteuse de quelques incidents sonores, rythmée avec infiniment de douceur par la guitare qui flambe à peine, puis un peu plus haut. J'ai beaucoup de mal à sortir de l'envoûtement dans lequel me tient cette musique extraordinaire...
D'autant que "Trage lichamen" (Corps lents / slow bodies) suit, nous emportant plus haut, plus loin. C'est la musique de l'ineffable. Anne Chris Makker nous emprisonne dans une comète sidérante. Cette musique dit l'odyssée de la lumière, cette lumière d'avant le temps, qui traverse et en traversant crée le monde. Nous ne pesons plus rien, elle nous prend dans ses bras cosmiques, nous soulève par profonds mouvements de houle successifs jusqu'à l'empyrée des sons battant le temps. Il n'y a plus rien que cet avènement splendide, cette respiration égale, enrichie des sons fondus en elle, comme tordus d'extase sourde. Rien d'angoissant comme chez un Harold Budd, par exemple, dont la musique est tant sous le signe de la nostalgie.
Non, c'est la musique du maintenant, plein, si émouvant, des petits riens du quotidien, comme le confirme "Ochtend" (Aube / Dawn), le chant de joie d'une aube toujours nouvelle. Lyrisme grandiose, guitare et cordes qui s'envolent à l'unisson, tracent des lignes de feu dans le ciel du matin...avant de continuer leur course infinie, de nous inviter à suivre leur trace qui décroit tandis que des sons métalliques s'agitent comme s'ils voulaient s'envoler. Reviennent des sons de récréation peut-être, des enfants jouent, écho terrestre de la joie extra terrestre de la lumière en allée. Et l'on retombe, parce qu'il faut bien retomber, pour retrouver le musicien qui vient de finir de jouer, de nous enchanter.
Le second disque solo magistral d'un musicien à la fibre indéniablement mystique. Ce qui fait sacrément du bien en ces temps d'implacable et brutale "réalité".
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Paru chez Somehow Recordings en 2013 / 4 pistes / 37 minutes
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
- le site du compositeur
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 2 août 2021)