Publié le 24 Décembre 2022
Aux sources acérées de la vie souterraine
Quel plaisir de retrouver Andy Moor, un de mes guitaristes préférés, frère en guitare de Fred Frith ! Non pas en compagnie de l'excellent Yannis Kyriakides, avec lequel il a fondé cette formidable maison de disques consacrée aux musiques expérimentales qu'est Unsounds. Mais avec la très bonne compagnie de la saxophoniste française Christine Abdelnour. Tous les deux explorent la notion d'hypnagogie ou sommeil non protégé, un état de conscience dans lequel on se sent très vulnérable, mais où en même temps l'esprit est hyper associatif avec une mémoire extraordinaire. Ce qu'ils nous proposent, c'est de nous enfoncer dans nos rêves profonds et leurs univers sonores.
Dès le premier titre, on retrouve la guitare tranchante d'Andy, cette façon d'écorcher les sons, de les faire craquer pour en extraire les métaux les plus bruts, les plus éclatants, les plus explosifs. Le saxophone l'accompagne comme s'il était devenu un instrument du type shō. Sur le titre éponyme, le saxophone aboie, la guitare pioche, déchire, libère des drones à chaque griffure. C'est une musique à vif, sèche et nerveuse, et en même temps d'une beauté étonnante. "80db is loud if you are snoring" plonge dans les graves, véritable ronflement onirique turgescent, magmatique, le saxophone quasiment indiscernable des drones de la guitare qui, elle, découpe et gronde comme un dragon infernal, cliquète frénétiquement. C'est hallucinant, prodigieux !
Le quatrième titre, "Telephone", donne de l'instrument de télécommunication une vision délirante. Entre les bips serrés ou plus espacés gîte un monde amorphe, dévasté ! "Compartment 5" plonge dans les compartiments du rêve : guitare obsessionnelle ravageuse, saxophone au ras du souffle. On croit entendre des fantômes remuer et chanter dans les ténèbres balafrées d'électricité noire. Eaux grouillantes, lourdes, c'est le début de "Exchanging Oversize Chrome objects", qui devient comme la rumination de la matière en pleine fermentation. "Building Ontop of Ourselves" débusque le chant serré des aigus, véritable compression dirait-on d'airs traditionnels enfouis, que les incursions graves de la guitare viennent troubler. Nous voici parvenus dans un antre calme, un lieu apaisé, avec "Flutter Bucket", saxophone frelon un peu endormi, guitare aux éraflures tranquilles, rêveuses...Des fragments mélodiques se libèrent, mais la guitare retourne vers les profondeurs, remue des forces plus troubles ! "Cool Cruel and Everything in Between" pourrait être l'art poétique de ce disque gorgé de vie exhumée des profondeurs de l'être.
Un disque exaltant, étincelant !
Paru en novembre 2022 chez Unsounds Records / 9 plages / 40 minutes environ