Publié le 20 Décembre 2009

Julia Wolfe : "Dark Full Ride", multiple splendeur.
   « Avec chaque pièce, j'ai essayé de plonger dans un paysage psychédélique, à la fois multicouches, fracturé, extatique, silencieux, énergique, cacophonique et direct. » dit la compositrice de son dernier opus. Cofondatrice et codirectrice artistique du Bang On A Can Festival, Julia Wolfe ne se manifeste pas souvent sur disque, le dernier remontant à 2003.

 

    Raison de plus pour frapper très fort. Après des quatuors étonnants, voici des "Musiques pour multiples", comme l'indique le sous-titre programmatique de l'album. Dark full ride propose quatre équipées autour de quatre instruments. La cornemuse est multipliée par 9 avec "Lad", extraordinaire odyssée qui ravirait Naïal, ce duo français déjà chroniqué dans ces pages : l'instrument se prête à des jeux répétitifs sur fond de bourdon. La batterie par 4 dans le titre éponyme, qui m'inquiétait beaucoup a priori. Passé la première écoute déroutante, je dois avouer que le morceau est une réussite, Julia réussissant à créer de véritables envolées. On oublie la sécheresse de la frappe pour se concentrer sur la structure, le dynamisme : la première partie joue seulement des cymbales, tandis que la seconde fait dialoguer celles-ci avec les caisses, le résultat est fascinant... et musical ! "my lips from speaking" est une relecture déstructurée d'un standard du rhythm & blues pour 6 pianos : pièce énergique, puissamment syncopée, pleine de grondements et de silences imprévus, avec des allures de piano mécanique à la Conlon Nancarrow par moment. C'est tout simplement ébouriffant. Le parcours se termine avec "Stronghold" pour 8 contrebasses, où l'intrication des textures est d'une complexité redoutable et belle, avec des dérapages veloutés, des frémissements et des échappées magmatiques. La fin très sombre est un hymne à la lumière noire d'un hiératisme farouche. L'un des grands disques de ce début de siècle, pour amateurs de sensations fortes et de libres expérimentations.
Paru en 2009 chez Cantaloupe Music  / 7 plages / 49 minutes environ
Pour aller plus loin
- la deuxième partie du titre éponyme interprété par des membres de l'ensemble Talujon Percussion pour lequel a été écrite la pièce
- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 janvier 2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #David Lang - Bang On a Can & alentours

Publié le 18 Décembre 2009

William Duckworth : "The Time Curve Preludes", chef d'oeuvre du post-minimalisme.

   Que voilà un cycle admirable ! Découvert grâce à l'interprétation du livre I par Bruce Brubaker (voir mon article précédent). On peut encore se procurer l'enregistrement intégral des deux livres, 24 préludes comme chez Debussy, par un autre pianiste américain, Bruce Neely : c'est un des très beaux disques du label new-yorkais Lovely Music, fondé en 1978 et consacré aux nouvelles musiques américaines. L'enregistrement initial remonte à 1979, le cd est de 1990, d'une fraîcheur extraordinaire. Rien à ajouter à l'article précédent, le second livre est aussi beau que le premier. Bien sûr, l'écoute des deux livres permet de mieux percevoir l'architecture en courbe du cycle. Tout ce que l'on peut attendre de la musique : force et douceur, limpidité et chatoiements, éclat et mystère. Quelques morceaux sont en écoute ici.

Paru en 1979 puis 1990 pour le Cd chez Lovely Music / 24 plages / 57 minutes environ
Pour aller plus loin :

En 2011, le pianiste américain R. Andrew Lee a enregistré le cycle chez Irritable Hedgehog.

-Album en écoute et en vente sur bandcamp

 
William Duckworth : "The Time Curve Preludes", chef d'oeuvre du post-minimalisme.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 janvier 2021)

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Publié le 13 Décembre 2009

Bruce Brubaker (2), défricheur des musiques d'aujourd'hui.
  Bruce Brubaker fait décidément partie de ces rares pianistes qui n'ont peur de rien, qui vont jusqu'au bout de leurs enthousiasmes musicaux. Sur hope street tunnel blues, sorti en 2007, il propose un programme qui alterne des œuvres de Philip Glass et d'Alvin Curran. Si le premier a gagné les faveurs du grand public, le second reste dans l'ombre alors qu'il est l'un des compositeurs majeurs de ce temps. De Glass, Bruce interprète une transcription de "Knee Play 4", un fragment de l'opéra Einstein on the beach", "Wichita Vortex sutra", deux morceaux typiques de ce minimaliste au lyrisme fluide, le célébrissime "Opening",  un morceau que je ne me lasse pas de réécouter, mais aussi une des très belles études pour piano, la cinquième, intériorisée et frémissante, un versant moins grand public de ce compositeur prolifique. D'Alvin Curran, Bruce retient le morceau éponyme, prodigieux, une machine à accumuler de l'énergie avant de se résoudre en fleuve irrésistible, en vrai blues lancinant. Et il se lance à nouveau dans ce monument pour piano, "Inner cities", dont il interprète cette fois, après la première pièce sur son disque précédent, la seconde, tout aussi radicale dans sa beauté  lumineuse et désolée, dans son obstinée recherche d'absolu. Plus de vingt minutes si loin des vaines agitations, si près du son originel et ultime à la fois...

Paru en 2007 chez Arabesque Recordings / 6 plages / 60 minutes environ
Bruce Brubaker (2), défricheur des musiques d'aujourd'hui.

   Fidèle à Philip Glass, Bruce Brubaker a sorti voici quelques mois un nouvel opus où il interprète ses six études dans la version originale de 1994. À écouter pour ne pas enfermer le minimaliste dans des clichés injustes ! Comme dans ses disques précédents, le pianiste en profite pour entraîner ses auditeurs vers de nouveaux continents. Cette fois,  vers un autre de ses compatriotes, né en 1943, William Duckworth, compositeur, professeur de musique à l'université de Bucknell, à qui l'on doit un superbe cycle pour piano, The Time curve preludes (1977-1978), que certains considèrent comme l'une des premières manifestations du postminimalisme. En tout cas, un grand cycle, dont nous n'avons ici que le premier livre de 12 préludes. Alors, un Debussy du postminimalisme ? Assez juste pour quelques pièces vaporeuses, lignes impalpables et clapotements. Il y a aussi du John Cage - compositeur qu'il a beaucoup étudié, dans ces pièces imprévisibles, discrètement envoûtantes, je pense au sixième prélude, carillon en boucles serrées, l'une des pièces où le titre d'ensemble se comprend le mieux, l'auditeur pris dans les filets du temps courbe. Comme des miniatures d'une extraordinaire fraîcheur, labiles, des truites qui s'échappent dans les éclaboussures, éblouissantes et rieuses.

Time Curve (Musique de Philip Glass et William Duckworth)

Paru en 2009 chez Arabesque Recordings / 18 plages / 70 minutes environ
Pour aller plus loin
- mon article précédent consacré au pianiste, le 19 novembre.
- une vidéo où Bruce montre comment il "prépare" son piano pour jouer la musique de William Duckworth.

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 janvier 2021)

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Publié le 6 Décembre 2009

Nancy Elizabeth : "Wrought iron", la forge de la grâce.
   Ce qui frappe dès l'abord, c'est la présence massive du piano. La jeune galloise, pour son second album Wrought iron, a été conquise par l'instrument dans un bâtiment abandonné en Espagne, où elle était partie enregistrer. L'anecdote laisse rêver. On imagine les grilles lourdes, baroques, en fer forgé, le piano comme un appel dans les grandes salles désertes. Alors que "Battle and Glory" faisait retentir toute la panoplie idéale des instruments folk, de la harpe 12 cordes au dulcimer, dans des morceaux souvent très enlevés, Wrought iron est d'une veine plus intime. D'autant plus bouleversant que l'accompagnement s'est resserré, ce qui ne veut pas dire appauvri d'ailleurs, mais moins d'instruments en même temps. Guitares, mais aussi une belle apparition de la trompette sur le très folk "Lay low", harmonica sur le bluesy "The act", cloche sur le miraculeux "Winter, baby" et sur "Cat Bells" à la beauté suspendue,  pincée de chœurs, percussions diverses...tous servent la voix fine, fragile, flexible, transparente de Nancy Elizabeth et ses superbes mélodies. Ce deuxième disque confirme l'émergence d'une grande chanteuse, compositrice accomplie, capable de se renouveler profondément d'un disque à l'autre.
 

   On le sait dès le premier morceau, "Cairns", piano presque solo, morceau au hiératisme si doux, ponctué de chœurs séraphiques : paysage immémorial, un rêve d'harmonie. "Bring on the Hurricane", le titre suivant, est un petit bijou folk où la voix de Nancy joue de toutes ses nuances tandis que la guitare nous emporte, relayée par de courts chœurs puissants. Le piano revient au premier plan (il n'avait pas tout à fait disparu...) avec "Tow the Line", chanson dépouillée un brin mélancolique sur laquelle s'appuie avec parcimonie l'harmonica On le retrouve sur l'un de mes titres préférés, "Divining", complètement hanté par "Videotape", le magnifique dernier morceau de In Rainbows de Radiohead : la jeune galloise peut tout se permettre !

   "Canopy", parfois a capella, la voix qui semble se renverser, et les fées qui viennent vous caresser, encore un morceau envoûtant, le meilleur du celtique, et rien à voir avec le catastrophique dernier album d'Alan Stivell -qui fut parfois capable du meilleur, dans un autre siècle..., une douceur fulgurante. Et puis il y a "Ruins", somptueuse ballade d'une sirène pudique et suave, la raucité étrange de la voix par moments, le piano royal doublé par un piano jouet sur la fin. Magique, cet album, enchanteur. Nous avions Merlin, voici Nancy Elizabeth !
Paru en 2009 chez The Leaf label / 11 titres / 41 minutes environ.
Pour aller plus loin
- Chronique du premier album sur ce blog.

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

(Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 27 janvier  2021)

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Pop-rock - dub et chansons alentours