Publié le 25 Septembre 2012

Le pianiste Nicolas Horvath © Marine-Pierrot-Detry

Le pianiste Nicolas Horvath © Marine-Pierrot-Detry

   Une fois n'est pas coutume, je vous fais part d'un événement concocté par Nicolas Horvath, jeune pianiste rencontré lors de l'(entre)ouverture du Palais de Tokyo, le 12 avril dernier, après le semi-échec de la nuit consacrée à une autre intégrale, celle des Inner Cities (ce blog balbutiait encore) d'Alvin Curran , cycle pourtant magnifiquement servi par le pianiste Daan Vandewalle, mais desservi par une organisation déplorable, incapable d'assurer le silence dans la salle.

Concert Exceptionnel

"Hors les murs"  : Première intégrale des concertos pour piano de Philip GLASS
Jeudi 27 Septembre 2012 à 20h / Théâtre des Variétés - Monaco

 A l'occasion de son 3ème Anniversaire, l'Entrepôt, à Monaco, propose un concert exceptionnel: la première intégrale des Concertos pour piano de Philip GLASS.
De plus, en hommage à Philip GLASS, trois grands compositeurs internationaux offrent trois "bis" en création mondiale.
Programme :
- Philip GLASS : 1er Concerto pour piano, dit  "Tirol Concerto", deuxième exécution nationale.
- Jeroen VAN VEEN : « Minimal Prelude 26 ; Hommage to Philip Glass »
                                        (première exécution mondiale)

 - Philip GLASS : "Dracula : Suite", première exécution nationale.
- Regis CAMPO : « A Smiley for Mister Glass », (première exécution mondiale)

Entracte

- Philip GLASS : 2ème Concerto pour piano, "After Lewis and Clark", première exécution nationale.
- Kyle GANN : « Going to bed », première exécution mondiale

ENSEMBLE INSTRUMENTAL DE NICE / DIRECTION : Avner SOUDRY 

PIANO : Nicolas HORVATH

Le concert sera suivi d'un cocktail anniversaire à l'Entrepôt, au 22 rue de Millo.
 Plein tarif : 28€ / Tarif réduit : 15€
Tarif réduit en vente uniquement à la Galerie l'Entrepôt, 22 rue de Millo, Monaco

 Notes concernant les œuvres au programme :
 - 1er Concerto pour piano : Aussi nommé « Tirol Concerto », écrit pour piano et orchestre à corde, sans doute influencé par Dimitri CHOSTAKOVITCH, il possède tous les éléments typiques de l'écriture minimaliste de GLASS. Le concerto est devenu fameux car la mélodie de son deuxième mouvement a été réutilisée dans le film « The Truman Show », musique qui a valu à Philip GLASS un Grammy Award.
- Dracula : Suite / En 1998, alors qu' Universal s'apprête à rééditer le chef d'œuvre de Tod BROWNING, on commande à Philip GLASS de composer une Bande Originale qui par faute de moyens n'avait jamais été exclusivement composée. Philip GLASS voulant selon ses mots : « refléter l'atmosphère de cette fin du XIXè siècle ». Ayant un grand succès l’œuvre est souvent présentée en version Ciné-Concert. Beaucoup plus rare en concert, la « Dracula : Suite » en est un condensé adoptant la forme d'un concerto pour piano. En se recentrant sur les éléments principaux et en évitant les nombreuses répétitions nécessaires pour une BO, l’œuvre est sombre et dense.
-  2ème Concerto pour piano : Aussi nommé « Concerto After Lewis and Clark » en hommage à la première expédition transcontinentale. D'une écriture bien plus traditionnelle pour le piano, de facture fortement romantique, l’écriture est plus virtuose et de même que, pour la première fois des passages solo de hautes envolées font leur apparition. Œuvre brillante et lyrique.

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Nicolas, je ne pourrai pas être à Monaco ! Je me console en espérant t'envoyer quelques spectateurs - auditeurs de plus.

En attendant, le second mouvement du "Tirol concerto", orchestre dirigé par Dennis Russell Davies :

 

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 12 mai 2021)

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Publié le 25 Septembre 2012

Gavin Bryars - Piano Concerto (The Solway Canal)...

Je viens de vérifier que le nom de Gavin Bryars ne figurait dans aucun titre d'article de ce blog. Incidemment, on le trouve dans un article consacré à Carla Bozulich, et un second à Pierre-Yves Macé...

Meph. - Je te sens consterné, effrayé par ce trou incompréhensible dans ta liste de références sacrées.

Dio. - Content de te revoir, vieux démon. Tu ne crois pas si bien dire !

Meph. - Parce que Gavin, quand même, est au cœur de ton parcours.

Dio. - Je me rappelle le choc produit par l'écoute du Quatuor à cordes n°1.

Meph. - Interprété par le Quatuor Arditti, qui comprenait encore Alexander Balanescu avant qu'il ne fonde son propre quatuor. Un enregistrement de 1986 des nouvelles séries d'ECM encore assez récentes.

Dio. - Oui, la collection commence en 1984.

Meph. - Et va publier, en plus de Gavin, Steve Reich, Meredith Monk...

Dio. - Je te vois venir : tu ne vas quand même pas verser une larme, toi ?

Meph. - Big brother, il serait interdit de se souvenir ? Le fait est que tu as décroché de la production de Gavin après cette période féconde de la fin des années quatre-vingt et du début des années quatre-vingt dix.

Dio. - J'ai moins aimé ses disques du label Point Music, une filiale de Philips. Et j'en ai manqué quelques suivants.

Meph. - Tu le retrouves chez Naxos.

Dio. - Label indépendant fondé en 1987, qui fête donc en 2012 son vingt-cinquième anniversaire.

Meph. - Et cela ne te chagrine pas de le retrouver dans cette collection réputée d'abord pour être bon marché ?

Dio. - Pas du tout. D'abord, parce que Klaus Heymann, son fondateur, n'a jamais sacrifié la qualité. Ensuite parce qu'il a édité des compositeurs peu connus en valorisant des répertoires nationaux. Enfin, parce qu'il a l'audace de consacrer des disques à des compositeurs d'aujourd'hui, et pas n'importe lesquels. Vois le disque consacré à David Lang, magistral !

Meph. - Tu as raison. Je le retrouve avec plaisir.

Dio. - Quelques mots rapides pour le présenter : compositeur britannique né en 1943, contrebassiste de jazz, fondateur de ce drôle d'orchestre, le Portsmouth Sinfonia, qui avait le toupet de proposer des versions sonores approximatives de pièces classiques...

Meph. - Et membre du Collège de pataphysique, n'oublie pas, ça situe le bonhomme au parcours atypique. Devenu compositeur post minimaliste en suivant sa pente, pas un véritable cursus académique.

Dio. - Que nous retrouvons ici avec deux pièces pour piano seul et le concerto qui donne son titre à l'album. Je m'étonne qu'il te plaise, toi l'amateur d'énergie, de force. Ne le trouves-tu pas un tantinet mou ?

Meph. - Cela m'arrive de lui décocher ce reproche. Pour cet enregistrement, je retiens ma langue. J'apprécie en lui la mélancolie, le sens de la lenteur, le goût des graves. Sa musique est chaleureuse, brumeuse. Elle me semble témoigner de la faiblesse humaine. Éloignée de toute prétention, elle coule comme une rivière modeste aux beautés discrètes.

Dio. - Une musique facile, dans le meilleur sens du terme, en somme : pas de tics avant-gardistes,  un zeste d'électronique...

Meph. - L'équivalent britannique d'un Philip Glass : tous les deux ont réussi à être vraiment populaires, ce qui déplaît, tu t'en doutes.

Dio. - Gavin, comme d'autres minimalistes, revient aux sources anciennes. La première pièce l'affiche dès son titre "After Handel's Vesper", à l'origine prévue pour clavecin.

Meph. - Clavecin ? Impensable pour Gavin, l'homme des cordes sombres. Déjà, le piano, c'est une surprise.

  
Dio. - Cela donne une pièce fluide, parfois lente, à d'autres moments d'une belle vigueur, qui tient à la fois de l'ornementation baroque et du minimalisme par les accès de flux pulsant la dynamisant à intervalles réguliers, héritage de la première période de Gavin.

Meph. - De l'allure, vraiment, une ligne mélodique prenante, un lyrisme parfois orchestral.

Dio. - La composition suivante, "Ramble on Cortona", doublement dérivée d'une pièce antérieure de Gavin, "Laude", et de thèmes issus d'un manuscrit du treizième siècle trouvé à Cortona...

Meph. - Je t'arrête : à chaque fois, je pense à Janácek, "Dans les brumes".

Dio. - Gavin appartient donc au passé ?

Meph. - Il y a du néo classicisme dans le post minimalisme, non ?

Dio. - Je te l'accorde. Pour en revenir à Janácek, je trouve la narration de Bryars plus simple, et s'il y a brouillard, il est plein de douce lumière, ce n'est pas oppressant : le piano résonne tranquillement, il nous montre un chemin. "ramble", c'est une balade. Tu vois, moi, je pense bien plus à Gurdjieff, surtout dans les deux dernières minutes.

Meph. - On bavarde, mais on va  bientôt excéder la longueur maximum d'un article.

Dio. - Signe des temps : se presser, jeter. J'en arrive et termine avec le concerto.

Meph. - Le gros morceau, presque une demi-heure. Impressionnant, grave, dramatique, sur le temps qui passe. Une méditation élégiaque au bord dudit canal, sur les mots du poète écossais Edwin Morgan - on regrette que le livret ne nous en dise pas plus, ne fournisse pas le texte, le chant passant de temps en temps à l'arrière-plan de surcroît -, par un bel ensemble vocal, la Cappella Amsterdam.

Dio. - Le piano est plus lyrique que jamais, tandis que l'orchestre compose une tapisserie sonore vaporeuse, chatoyante.

Meph. - Et l'on se laisse porter par cette coulée profonde, hypnotique, le grand Gavin du Sinking of the Titanic...

Dio. - Bien avant le film...Oui, la vie est un songe aux multiples couleurs, un nuage qui passe, somptueux et changeant. On pourrait reprendre les mots de Walt Whitman que je citais dans l'article sur The Open road de Kate Moore : « We will sail pathless and wild seas ; / We will go where winds blow, waves dash... / Allons ! with power, liberty, the earth, the elements ! »

Meph. - C'est en effet un hommage émouvant à la vie. Le canal ne mène-t-il pas à la mer, à l'infini ?

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Paru en 2011 chez Naxos / 3 titres / 52 minutes environ.

Pour aller plus loin

- le site personnel de Gavin Bryars

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 10 mai 2021)

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Publié le 18 Septembre 2012

Due East - drawn only once

   Drawn only once est le second album d'un duo étonnant baptisé Due East. Elle, Erin Lesser, est une flûtiste confirmée impliquée dans l'interprétation de la musique contemporaine. Elle a notamment joué avec So Percussion. Lui, Greg Beyer, est un percussionniste friand d'interprétations solo et d'instruments non-occidentaux (oriental semblerait ici trop restrictif). N'oublions pas le compositeur, mentionné quand même au dos du cd : John Supko, né en 1980, qui a étudié à Princeton (notamment), mais aussi à l'École normale de musique de Paris, et déjà auteur d'un abondant catalogue d'œuvres associant souvent instruments acoustiques et électronique.

   Le disque comporte deux pièces. La première, "Littoral" est un quasi continuum de presque trente-cinq minutes articulé en quatre moments assez distincts. Début calme : vagues, bruits de moteur, sons électroniques répétés, auxquels la flûte et les percussions viennent se superposer. Impression de chants d'oiseaux, démultipliés, fractionnés. Frissonnement de milliers d'ailes, clapotis percussif. Sons aigus, brefs, percussions transparentes. Une immense aspiration à la lumière dans une aube encore trouble. Cercles, éclaboussures, jaillissements. Les percussions sont plus intenses, plus orientales de timbre tandis que le flux électronique est devenu plus prégnant. Nous sommes entre musique ambiante et musique électro-acoustique, enchantés par ce voyage merveilleux dans un paysage sonore aux mille micro variations, modulations.

   Le deuxième temps se caractérise par la superposition de poèmes de l'écrivain néerlandais Cees Nooteboom, dits par l'auteur : la trame musicale est encore plus nettement orientale, pas loin du gamelan indonésien. « des couches de couleurs sur un atlas aussi grand que le monde » dit l'un des poèmes. Des couches qui vibreraient sans cesse, s'interpénètreraient en un ballet dansant, aérien. Des extraits de The principal navigations, voyages, traffiques & Discoveries of the English nation (1598 - 1600) de Richard Hakluyt, dits par John Supko, marquent le troisième mouvement : texte réverbéré, recouvert, ou plutôt fondu dans la pâte sonore plus liquide. La mer impose sa présence, dans le temps même où percussions, fond électronique et flûte sont plus différenciés. Reviennent les mots de Cees Nooteboom : vagues de mots, ombres du passé, constellations. La musique comme mélange révélateur, « art du mètre et du temps » qui tente de saisir au vol le vivant volatile, l'oiseau des hauteurs et des profondeurs en ses multiples traces impalpables. Les tracés infimes entrelacés nous serrent dans les rets du temps, matérialisés par l'éternel retour hypnotique de la flûte, du triangle et des gongs dans les dernières minutes de cette composition atypique et splendide.

   "The window makes me feel" est un voyage intérieur dans l'épaisseur du papier, des mots et des voix. Une rêverie au fil du chuchotement féminin au premier plan, du piano intermittent au second, de drones et sons électroniques en fond sonore, le tout agrémenté de phrases veloutées de flûte, de percussions mystérieuses. Le texte support du poète Robert Fitterman est lui-même une série d'associations liées à l'idée de "fenêtre". Des sons d'extérieur - klaxons, bruits de rue - font d'ailleurs rentrer le monde dans la lente dérive, le flux très doux : ainsi s'abolit l'opposition intérieur / extérieur...« The window makes me feel like I'm flying all over the place, gliding and swirling down suddenly ».

   J'allais oublier. Sur l'autre tranche de l'emballage du cd, une phrase de Saint-John Perse : « Aile falquée du songe, vous nous retrouverez ce soir sur d'autres rives ! » Extrait de Oiseaux (1962), bien sûr...

   Un très beau disque servi par un livret très complet : textes, photographies, entretien avec John Supko - qui précise que tout est écrit, mais aussi que la partie électronique est issue d'instruments virtuels accordés de manière aléatoire, de voix retraitées. La partie Dvd m'enthousiasme moins pour le moment (en tout cas pour "Littoral", car je n'ai pas encore regardé la seconde vidéo).

Paru en novembre 2011 chez New Amsterdam Records / 2 titres / 50 minutes / Cd + Dvd

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 avril 2021)

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Publié le 10 Septembre 2012

Donnacha Dennehy / Lisa Moore - Stainless Staining

   Le compositeur irlandais Donnacha Dennehy, fondateur du Crash Ensemble, auquel on doit l'extraordinaire  Grá agus Brá sorti l'an passé, a le vent en poupe. Après son irruption fracassante sur le label Nonesuch (Steve Reich, Ingram Marshal, notamment), le voici adopté par Cantaloupe Music, le label fondé par Michael Gordon, David Lang et Julia Wolfe. Et joué par la fougueuse pianiste d'origine australienne Lisa Moore, dont la production discographique témoigne de l'ouverture et de l'engagement au service des musiques les plus passionnantes d'aujourd'hui. C'est ainsi qu'aux côtés d'une intégrale de l'œuvre pour piano de Leoš Janácek on trouve de multiples collaborations avec différents orchestres et ensembles - on ne sera pas étonné de la retrouver dans le Bang On A Can All-Stars, et publiant des enregistrements de pièces des compositeurs américains défendus dans ces colonnes.

   Stainless Staining est le troisième volet d'une trilogie de formats courts entamée par Lisa avec Seven consacré à Don Byron, poursuivie avec Lightning Slingers and Dead Ringers, musiques de Annie Gosfield. Je ne vais pas polémiquer au sujet de ces disques-cds dont la durée est nettement inférieure à trente minutes, mais à l'heure de la prolifération des fichiers au détriment des disques physiques (comme on dit, n'est-ce pas), de tels choix éditoriaux me laissent encore plus perplexes qu'à l'ordinaire : pourquoi diable ne pas utiliser le support à plein, et ainsi gaspiller de la matière ??? Vous sentez mon agacement devant ce non-sens... Passons à l'essentiel !

     En dépit de sa durée - c'est juré, je n'insisterai pas davantage - ce disque vaut le détour. Le morceau éponyme, presque un quart d'heure, lui, est un nouvel exemple de la puissance de la musique de l'irlandais. Composée à partir d'échantillons de piano à la fois normalement joué, mais aussi de l'intérieur, la pièce doit sa fascination à la masse d'harmoniques charriée dans une irrésistible pulsation -pas étonnant que Donnacha soit accueilli par des labels reichien et / ou languien (néologisme forgé à partir de David Lang, avec un "u" intercalé pour la prononciation française). Les martèlements étagés se chevauchant génèrent un climat frénétique et trépidant, mais non dénué d'un sfumato qui donne une dimension rêveuse assez imprévue à cette cavalcade farouche. Les décrochements internes fréquents, les frappes sur le bois, les touches et les cordes de l'instrument, fracturent et densifient l'aura sonore, modelant une sculpture aux reliefs accusés. Donnacha Dennehy est décidément un compositeur inspiré ! Quelle force, quelle chaleur !

  "Réservoir", un peu moins de dix minutes, c'est l'autre face de Donnacha : une sensibilité frémissante, un lyrisme bouleversant sans pathos. Le compositeur établit un lien entre sa composition en deux temps distincts et une vidéo vue des années auparavant d'un homme coulant peu à peu. La première partie, c'est comme un au revoir passionné, la lutte pour rester dans la lumière : notes répétées en crescendos ou decrescendos, spirales vertigineuses, le gouffre qui réclame sa proie. La seconde, c'est le monde sous-marin, glauques harmonies, paniques amplifiées par le jeu insistant de la pédale, la chute dans les graves profonds malgré les révoltes aiguës. 

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Paru en 2012 chez Cantaloupe Music / 2 titres / 24 minutes environ

Pour aller plus loin

- le site personnel de Lisa Moore

- album en écoute et en vente sur bandcamp :

( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 28 avril 2021)

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