musiques ambiantes - electroniques

Publié le 13 Janvier 2025

Yair Elazar Glotman & Mats Erlandsson - Glory Fades

   Le duo constitué par Yair Elazar Glotman et Mats Erlandsson existe depuis 2015. J'avais inclus dans ma liste des disques de 2017 leur Negative Chambers (paru chez Miasmah),  disque pour lequel je n'avais pas écrit d'article. Je suis heureux de les retrouver, car je n'ai pas oublié ce disque. Et d'écrire à propos de Glory Fades ( La Gloire s'estompe... un beau titre !) que publie la maison de disques suédoise XKatedral.

   Yair Elazar Glotman a une  double formation de contrebassiste d'orchestre et de composition électroacoustique. Il a travaillé avec Jóhann Jóhannsson et a collaboré à plusieurs bandes sonores pour des films à grand succès comme Joker (2015) et À l'Ouest Rien de nouveau (2022, All Quiet On The Western Front). Sa musique a été enregistrée par des labels prestigieux tels que Deutsche Grammophon ou Bedroom Community. Mats Erlandsson, lui, vient plutôt de la scène électronique. Sons tenus, analogiques ou numériques, synthétiques, sont à la base de sa pratique musicale.

     Pour Glory Fades, les deux musiciens développent une musique de chambre originale constituée côté acoustique par de la guitare pincée et frottée, de la cithare, des cloches, de la contrebasse, du violon et des percussions, et du côté électronique, par des  traitements, le recours à des bandes manipulées et de la réamplification.

Mats Erlandsson

Mats Erlandsson

   La cithare et la magnifique guitare acoustique donnent à Glory Fades une allure singulière, presque magique. Leurs riches résonances, le pincement de leurs cordes incantent cet ensemble de titres. Le premier, "At Ends", leur associe une électronique brumeuse de bourdons suaves. Le charme de l'album tient notamment dans  cette alliance entre sons discontinus et sons continus. On est au seuil des musiques folkloriques par la beauté des mélodies, mais ces dernières prennent une tournure méditative, introspective, voire répétitive, dès le très beau "Copper Entries" (titre 2). "All Canals Dry" mêle raclements de fonds, motif hypnotique de guitare et bourdons enveloppants. C'est une musique en apesanteur, tapissée d'échos.

   Écoutez le merveilleux "On the Folding of Leaves" (titre 4, Sur le pliage des feuilles) : on se promène dans un jardin enchanté, sur la pointe des pieds pour ne pas provoquer la disparition du mystère des rencontres sonores. Les notes s'égrènent, s'alentissent, gorgées de splendeur. Le court "Servitude", sombre et envoûtant comme un noir rituel, introduit "The Grinding Wheel" (titre 6, La Meule) et sa si belle mélodie à la guitare, ponctuée d'accords graves de contrebasse. La meule tourne, la guitare s'enroule en boucle inlassable dans un doux crescendo : quelle beauté forte et tranquille, lumineuse !

   Un piano fantomatique perdu dans le brouillard hante "Pale Stars" (titre 7), traversé par d'étranges voix synthétiques, comme des instruments qui pleurent tandis que s'effondrent au ralenti des pans obscurs. Une élégie doucement déchirante avant le titre éponyme, le dernier, où l'on retrouve les cithares (et les guitares, comment les différencier ?), lâchant des accords espacés répétés tout au long d'une mélodie disloquée, exsangue : c'est un crépuscule, une agonie, animée de quelques frémissements percussifs...

Yair Elazar Glotman / Photo © José Cuevas

Yair Elazar Glotman / Photo © José Cuevas

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Entre splendeur enchantée et dérives au bord du désespoir, Glory Fades chante les beautés prenantes de la Mélancolie.

Paraît le 17 janvier 2025 chez XKatedral (Stockholm, Suède) / 8 plages / 44 minutes environ

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Publié le 11 Janvier 2025

Zane Trow - For Those Who Hear Actual Voices

[Reparution : avec l'ajout après le titre "(20th Anniversary Edition)" ]

Zane Trow est un musicien anglais né à Londres en 1956, actif dans le monde du son contemporain depuis le milieu des années soixante-dix, engagé dans de nombreux projets d'installations sonores pour des musées et lors de festivals internationaux. Il a étudié la musique Kathakali en Inde et tourné en Malaisie, à Singapour ou Taiwan. Il travaille aussi en Australie. C'est la reparution du disque de 2004,  avec un visuel différent et la mention supplémentaire "(20th Anniversary edition)", manière de marquer ses vingt années de collaboration avec Room40, Il utilise des écouteurs, un ordinateur portable ainsi que le logiciel de création musicale Audiomulch. Il dit avoir travaillé tard dans la nuit pendant que ses jeunes enfants dormaient ou très tôt le matin dans son petit bureau où il disposait d'un appareil à effets et d'un synthétiseur FM. La notion de fréquence à demi entendue lui vient de son enfance quand il essayait d'écouter le signal fluctuant de Radio Luxembourg sous les couvertures... au lieu de dormir !

Les extraits musicaux viennent du disque de 2004, sauf sur Bandcamp.

Le compositeur Zane Trow

Le compositeur Zane Trow

Apparitions sonores

   La musique se promène d'une oreille à l'autre en un flux variable. Vagues et boucles, un continuum chatoyant, c'est "Bigrivered", le premier titre. Tout un univers étrange, comme des rivières se croisant. Zane Trow nous embarque à chaque fois dans une musique ambiante en demi-teintes, très onirique. "Arcade" est un tremblement répété nimbé d'un voile mélancolique. Les titres énigmatiques semblent des concaténations, des mots-valises, non dénués d'humour, pour ce monde intérieur, radicalement souterrain (musique sous les couvertures, n'est-ce pas ?). Si la musique électronique est en un sens une musique abstraite qui ne renvoie à rien d'autre qu'à elle-même, cela ne l'empêche pas d'exercer un charme certain, de stimuler l'imagination. "Longair" (titre 4) pourrait servir de bande sonore à un film de science-fiction se déroulant sur une planète lointaine. Là se rencontrent des forces, des surgissements, des trajectoires, loin de l'homme.  Là où le sommeil est plus fort, plus bruyant ("Louder Sleep", titre 5), juste avant l'inconnu sidéral, l'intraduisible "Maral" et ses frottements de textures, son sillage étoilé de micro particules. "Clearaa" semble une série d'appels superposés, submergés par une grande vague. Il y a quelque chose d'océanique dans ces titres qui sont autant de fragments échappés de rêves obsessionnels. Ajoutons que "Clearaa" sonnera familèrement pour tous ceux qui ont écouté les premiers disques de Tangerine Dream : c'est le sommet envoûtant de ce disque nocturne.

   Un peu plus avant, après le court interlude "Maralo", se lève "Synmooning" (titre 9), cloches tintinnabulantes et voix spectrales de moines perdus dans des steppes sidérales, volutes grondantes. Tout cela surgit, monte, puis passe, descend, remplacé par d'autres vents. Zane Trow est un montreur et un monteur d'apparitions sonores : rien de stable dans ce monde mouvant de brèves tempêtes frappées d'effacement, comme sur "Thnth" (titre 10). La répétition parfois obsédante de motifs tente de pallier à cette loi implacable de la disparition. La splendeur de "Ais" n'y échappe pas, sans cesse diminuée, comme aspirée de l'intérieur par des forces sourdes. Trois petits tours et puis s'en vont les formes musicales, déjà épuisées de s'être manifestées...Le plus long et dernier titre, "Thirtihri", ne prend-il pas la forme d'une série entêtante d'adieux dans la poussière des soirs inconnaissables ? 

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Un beau disque intemporel, enroulé sur lui-même, qui n'a pas une ride.

Paraît le 17 janvier 2025 chez Room40 (Brisbane, Australie) / 12 plages / 48 minutes environ

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 1 Janvier 2025

Kenneth Kirschner -- April 27 - 2023

   Commencer l'année avec une œuvre d'une durée totale de deux heures et quarante-neuf minutes, n'est-ce pas une pure folie à notre époque où, pour la plupart, le temps est rongé par les écrans, les formalités, les "occupations" ? Le compositeur Kenneth Kirschner (voir mon article d'octobre 2024 concernant Three Cellos) vous rassurera : lui-même n'a pas essayé d'écouter les douze mouvements de ce monument d'affilée. Il recommande seulement de les écouter dans l'ordre.

Composer autrement...

Harmoniser le hasard !

   April 17, 2023 se présente comme un quatuor à cordes, avec son instrumentation, ses timbres et ses gammes, mais résulte d'une construction purement électronique, s'inscrivant dans la perspective d'un travail sur les possibilités et les limites relatives  des méthodes acoustiques et des méthodes électroniques.

   L'œuvre est comme une méditation à partir du concept de répétition, familier à Kenneth Kirschner qui a grandi avec la pop des années quatre-vingt et le minimalisme classique. Plutôt que de se cogner la tête contre le mur répétitif et de céder à la facilité d'une béquille commode, il a essayé une autre voie : écrire une pièce comportant des centaines d'accords, dont aucun ne se répète directement, chaque note de la pièce ayant été générée par des procédures de hasard soigneusement restreintes. Il est donc possible que certains accords finissent par réapparaître, lui-même avoue ne pas tous les avoir vérifiés. L'approche électronique lui a permis d'intégrer profondément les processus aléatoires dans la composition, tout en restant le maître d'œuvre, l'éditeur scrupuleux, veillant à chaque détail du timbre, du rythme et de la hauteur. Ce qui pour lui "maintient" la musique ensemble, ce n'est donc plus la répétition, mais les relations harmoniques sous-jacentes dans lesquels se déplacent les différentes voix de la pièce. Son travail compositionnel d'éditeur du hasard a consisté aussi à discipliner ce hasard, à le corriger et l'améliorer pour en tirer un contrepoint musicalement intéressant.

   Dernières précisions. D'abord, si la composition semble obéir à une alternance régulière entre son et silence, elle se déplace sur une surface construite sur un rythme irrégulier et non métrique, ce que l'oreille ne perçoit pas facilement. Ensuite, si elle est techniquement dans le tempérament égal, chaque mouvement est simultanément dans quatre versions différentes de ce tempérament, chaque instrument étant accordé sur une hauteur de base subtilement différente. Aussi est-elle de fait discrètement mais systématiquement microtonale.

   Cette immense composition est découpée en douze mouvements pour la commodité, chacun explorant un ensemble différent de relations harmoniques et d'accordage entre les quatre instruments du quatuor

Keneth Kirschner (sa photographie Bandcamp)

Keneth Kirschner (sa photographie Bandcamp)

La mise à mort de la répétition par ses fantômes

   L'ensemble des accords constitutifs de cet immense quatuor peut être envisagé comme un éventail de variations proches, posées en à-plats glissants séparés par des silences. Chaque glissement est un gisement de micro-tonalités, une gerbe forte et lente striée de traînées harmoniques, pailletée, feuilletée de levures intérieures. Cette musique ne cesse de tenter de se lever, puis de retomber, dans une sorte de respiration obstinée qui empêche de peu qu'on ne la trouve funèbre. N'est-elle pas au contraire comme une image de la vie quotidienne où chaque jour ressemble à celui qui précède et annonce celui qui vient, sans que jamais pourtant deux jours soient vraiment identiques ?  Kenneth Kirschner nous a averti : il se pourrait qu'un accord revienne, mais il n'a pas vérifié, et notre oreille est trop grossière pour affirmer pouvoir reconnaître le retour d'un accord passé. On se tient au bord de l'éternel retour, au bord de la répétition, trompé par les fantômes que sont les variations, même infimes. Le recours au hasard au début du processus compositionnel est comme une tentative pour éviter l'écueil (la facilité) de la répétition, mais la mise en œuvre donne l'impression auditive d'un vaste cycle de répétitions dans lequel nous nous perdons, comme au milieu d'un labyrinthe presque infini par sa durée. Ce labyrinthe hypnotique, dans sa rigueur hiératique, décourage toute reconnaissance. On s'abandonne à ce flux entrecoupé, à ce faux lamento toujours renaissant, et l'on perd pied, on s'enfonce dans l'épaisseur des sons, dans le tremblement des timbres. Ce qu'on croyait entendre presque identique, on le découvre autre, on s'émerveille de la diversité, de la richesse des phrasés. On se laisse alors couler dans ces apparitions diaprées, dans ces strates entre sifflements et souffles. Au cœur des longs mouvements IV et V (tous les deux autour de seize minutes), on a déposé les armes de l'analyse, on se laisse bercer par la beauté ineffable des sons. Comment ne pas être ému, comment ne pas être envahi par ces fantômes vibrants qui ne cessent de creuser, d'approfondir le mystère de la musique ? À chaque mouvement, on dérape ailleurs, tout près, on ne reconnaît rien, on sait seulement qu'on ira jusqu'au bout de cette joie étrange qu'on pouvait au début prendre pour de la tristesse, et qui n'était que de l'ignorance, que de la surdité générée par de mauvaises habitudes d'écoutes trop pressées. Car cette musique se mérite, elle demande toute notre attention, exige une disponibilité totale, un oubli du temps, pour donner toute sa mesure, sa démesure, pour révéler sa chair sonore. Car cette musique pudique est au fond d'une inconcevable sensualité, prodigieux surgissement renouvelé de milliers de caresses superposées, illuminantes...au point de nous entraîner peu à peu, au long cours des derniers mouvements, dans des abymes à frémir !

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Une aventure sonore bouleversante, une expérience d'approche de l'Infini, de la Totalité.

Paru fin novembre 2024 chez Room40 (Brisbane, Australie) / 12 plages / 2 heures et 49 minutes environ

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Publié le 27 Novembre 2024

Samuel Reinhard - Movement

[À propos du disque et du compositeur]

   Samuel Reinhard devient l'un des compositeurs majeurs de notre temps. Après For piano and shō chez elsewhere music (voir mon article avec une petite présentation du musicien), Movement présente quatre collages électroacoustiques, c'est-à-dire des enregistrements instrumentaux arrangés selon un système  prédéterminé faisant revenir plusieurs fois des fragments de sons dans des intervalles superposés de différentes tailles. Chaque instrument est d'abord enregistré par son instrumentiste avant d'être retravaillé par le compositeur. Le piano de Samuel Reinhard est rejoint selon les moments par le violoncelle de Leila Bordreuil, la flûte basse de John Also Bennett, le saxophone baryton de Michal Biel, la contrebasse de Vincent Yuen Ruiz et la harpe à pédales de Shelley Burgon en 1 et en 4.

Samuel Reinhard

Samuel Reinhard

[L'impression des oreilles]

   Quatre poèmes de la durée mouvante...

   Que le lecteur ne s'effraie pas des précisions techniques apportées ci-dessus. Au bout du processus, les quatre pièces de vingt minutes chacune composant Movement donnent à entendre une musique de chambre ambiante mélodieuse d'une immense douceur, empreinte d'un néo-classicisme minimal, minimaliste aussi. "N°1" est une toile de piano aux notes tenues, répétées, superposées, brodée par les interventions des autres instruments. La matière musicale flotte dans une brume légère, déploie tranquillement ses résonances. C'est comme un éternel retour de petites cellules, de motifs, parfois empilés et décalés, avec des moments plus intenses, plus texturés, mais toujours aérés : un mouvement dans sa lente mouvance délicatement hypnotique.

   "N°2", sur le même principe, tisse un contrepoint plus serré, joue sur les proximités sonores, brouillant les frontières de la perception. Les résonances bourdonnent davantage, enveloppant l'ensemble d'un halo dense. Des notes et de leurs harmoniques éclosent, s'épanouissent comme des bulles au fil du flux ramassé ou plus distendu, toujours d'un calme merveilleux.

   Les deux parties suivantes sont mes préférées. Là, Samuel Reinhard opère une sublimation de la durée. Le piano-roi se démultiplie, se vaporise, et installe les autres instruments sur ses traînes harmoniques. D'une lenteur majestueuse, "N°3" semble un cortège de cloches ouatées sonnant dans une nef à demi détruite envahie par une brume épaisse de poussières magnétiques, violoncelle et saxophone en longs glissendos à ras de frottement et de souffle. Cette musique n'a plus de nom, c'est la Musique, la Suspension des choses, c'est une marche extatique à l'Effacement...

Et la "N°4" !! Le piano se diaphanise dans une pluie éparse de micro-picotements, le violoncelle et la contrebasse frottent l'âme du néant, le saxophone vacille et crachote au bord de l'effritement...et le tout monte comme la fumée vibrante d'un rituel immémorial, fumée dans laquelle sont enchâssés de menus signes de vie, des traces...

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Quatre émanations quintessenciées de la Beauté du Monde flottant.

Paru en octobre 2024 chez Hallow Ground / Präsens Editionen (Lucerne, Suisse) / 4 plages / 1 heure et vingt minutes environ

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Abbaye de San Galgano / Photographie personnelle © Dionys Della Luce

Abbaye de San Galgano / Photographie personnelle © Dionys Della Luce

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Publié le 19 Novembre 2024

Andrea De Witt - (sans titre)

   Collaborateur régulier du label Undogmatisch - il a participé notamment à la trilogie Magnum Opus Collectio series, le musicien italien Andrea de Witt y a sorti son premier véritable album solo, sans titre autre que son nom. Synthétiseur, boîte à rythmes, électronique (piano et voix traités, etc.). Ses compositions sont principalement spontanées, plutôt que fondées sur des modèles ou motifs pré-établis, confie-t-il.

Andrea De Witt
Andrea De Witt

 

   Entre quasi miniatures (1'19 pour le titre 10) et études (à peine cinq minutes pour la plus longue pièce), Andrea De Witt semble nous livrer un journal sonore intimiste. "Mai 5", la première pièce, est une machine hypnotique, de la techno industrielle onirique aux boucles lancinantes. C'est ce titre qui m'a fait revenir à l'album, presque oublié dans l'avalanche des parutions.  "Jun 4", ponctué de scratches et de rayures, rythmé lourdement, joue avec une mélodie sourde. "Aug 5" continue dans une veine techno minimale, ambiance de jungle noyée de brume épaisse. La marque d'Andrea de Witt, c'est un sens aigu de la concision, une manière de travailler le matériau finement  pour un effet maximal, ce en quoi il rejoint l'esthétique minimaliste, mais dans le domaine des musiques électroniques. "Apr 5" (titre 4), surtout percussif, tout en arythmies sculptées, se contente de bouffées espacées de matières granuleuses zébrées de petites déflagrations. Le premier "Pianochrom" introduit quelques pâles couleurs dans ce monde monochrome, en harmonie avec un album décidément intériorisé. Apparemment plus dramatique, "Jul 4" prend un aspect fantomatique avec les voix murmurées enchâssées dans les boucles résonnantes. Quant à "Oct X"(titre 7), c'est le retour à une veine un peu hallucinée, techno-industrielle douce et prenante, "Oct Y" en donnant une version plus rapide et plus ambiante, presque grandiloquente pour une fois dans ses draperies de bourdons (drones). La trilogie d'octobre se termine avec "Oct Z" (titre 9), bourdonnante, incrustée de dialogues téléphoniques (?), une techno minimale étrange. "Setting 7" est un court hymne pour piano étouffé dans une touffeur électronique de halos réverbérés, introduction au deuxième "Pianochrom", la plus longue pièce, bijou hypnotique hanté par des voix traitées, qui m'a fait songer à Alva Noto, par le fin picotement rythmé de la trame. "Amb 523" donne une fin étonnamment mélancolique à l'album : au revoir émouvant, sans boîte à rythmes.

Titres préférés :

-  "Pianochrom 2M" (titre 10), "Oct X" (titre 7), "Mai 5" (titre 1) et "Aug 5" (titre 3)

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Un beau disque aux confins mystérieux d'une techno minimale raffinée.

Paru en juin 2024 chez Undogmatisch (Berlin, Allemagne) / 12 plages / 39 minutes environ

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Publié le 8 Novembre 2024

Ezekiel Honig - Unmapping the Distance Keeps getting Closer

   Installé à New-york, Ezekiel Honig est le fondateur des labels Anticipate Recordings et Microcosm. Sa musique électronique incorpore un certain nombre d'enregistrements de terrain qui lui donnent une assise géographique certes indéfinie, mais font de son disque Unmapping the distance keeps getting closer (Dématérialiser la distance la rapproche) comme une promenade dans une ville, ou une forêt aussi bien, lieux à la fois proches et mystérieux.

Ezekiel Honig

Ezekiel Honig

J'ai mis un certain temps à rentrer dans le disque. Chaque titre est enveloppé d'un halo trouble. Les instruments (piano, cuivres, sons électroniques) sont presque indiscernables, les rythmes sont brisés, si bien qu'on a parfois l'impression qu'il pleut (cf. "Editing Is A Lifelong Process", titre 6). Les graves deviennent aisément des bourdons, la musique semble respirer dans un environnement saturé, ouaté. Et c'est ça justement qui est beau, ce bain dans une musique semi-liquide, brumeuse, dégoulinante d'une mélancolie finalement majestueuse.

     Oui, on dirait aussi la bande son d'un film ("Soundfilm", titre 7), un film sauvé de la destruction, restauré, mais traversé de chuintements, de poussières. Le piano vient de tout près, et en même temps d'un passé lointain. La musique colle au paysage, au point que tous les deux prennent une dimension fantomatique ("Taking It Apart", titre 8). Le battement tranquille qui rythme le morceau le maintient paradoxalement dans l'irréel, ce serait l'accompagnement idéal de la contemplation d'une toile d'Alberto Giacometti : quelque chose cherche à se matérialiser, mais reste entre-deux, prudemment. Parvenu au titre neuf ("Unmapping the Unmapping"), on se laisse porter par cette musique glauque et caressante aux lentes volutes tremblantes. On nage dans l'appartement noyé d'ombre pendant le dernier titre ("Moving Through the Apartment"), comme un poulpe au fond de l'océan, auquel parviennent encore quelques souvenirs de la surface. Un peu comme dans une cathédrale engloutie, doucement illuminé par une lumière vacillante, épaissie par la profondeur. C'est très prenant, très émouvant.

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Une musique ambiante amortie, tamisée, qui peu à peu impose un univers à demi-enseveli où la réalité se défait et rayonne d'une grande beauté mélancolique.

Paru le 20 septembre 2024 chez 12k (New-York, New-York) / 10 plages / 37 minutes environ

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Rédigé par Dionys

Publié dans #Musiques Ambiantes - Électroniques

Publié le 21 Octobre 2024

Mazza Vision - Ohm Spectrum

Claude Pailliot et Gaëtan Collet, deux musiciens  s'intéressant aux arts électroniques et membres fondateurs de Tone Rec et Dat Politics, se lancent avec Ohm Spectrum dans un nouveau projet baptisé Mazza Vision. Si l'électronique est bien présente avec synthétiseur et échantillonneur, elle côtoie des sons de terrain, des instruments acoustiques comme la guitare, l'orgue, la basse, l'accordéon, et surtout la batterie, ce qui est peu fréquent dans ce domaine. C'est même cette dernière qui donne le son particulier de cet album, un drôle de rock ambiant, atmosphérique et doucement allumé. Avec de longues traînées d'orgue ("Sun Riser, titre 2), une tendance glitch sur "Dynamic Field" (titre 1) aux textures brouillées, leur musique crée des paysages sonores vacillants, dynamiques, mélodieux, qu'on se surprend à réécouter avec grand plaisir. Le début très expérimental de "Pulse Random Fix" (titre 3) cède vite la place à un voyage interplanétaire aux irisations tournoyantes, batterie et autres percussions découpant la trajectoire en multiples tronçons à fleur de bourdon !

"Flicker Day" (titre 4) s'abandonne à des climats étranges et colorés :  synthétiseur trouble et orgue presque diaphane chantent un rituel d'envoûtement accompagné de picotements percussifs et d'un cœur qui bat. Ce serait du rock, un rock psychédélique dans les allées irréelles du Temps. "Monogram" (titre 5) est le titre le plus étonnant, au début véritable raga avec voix de chant Dhrupad, que l'intrusion bruyante de la batterie ne parvient pas à casser tant les autres instruments composent comme une tresse harmonique, puis se fondent dans une pulsation douce et veloutée au ras de bourdons somptueux. C'est une immense corolle qui s'évase lentement dans la splendeur de l'aube...

   Le dernier titre, "Hot Noise Circle", greffe sur un début bruitiste une comète d'orgue et de sons électroniques étirés ponctuée par une batterie d'abord sage, puis sèche et claquante.

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Un album séduisant d'ambiante étrange, un peu illuminée, mâtinée de souvenirs de rock et de touches expérimentales.

Paru en septembre 2024 chez Sub Rosa Label (Bruxelles, Belgique) / 6 plages / 38 minutes environ

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Publié le 17 Octobre 2024

Ekin Fil - Sleepwalkers
Ekin Fil - Sleepwalkers
   Somnambules jusqu'à la fin des temps...

    Septième opus de la musicienne turque Ekin Fil chez The Helen Scardale Agency, Sleepwalkers (Somnambules) est un astéroïde à déguster dans le noir pour en capter tous les rayonnements. Voix éthérées perdues, nuages épais d'effets, de  distorsions, composent un paysage nébuleux tapissé de bourdons (drones), à mi-chemin du rêve et du cauchemar. L'incroyable enchevêtrement sonore de "Stone Cold" (titre 2), dans la lignée d'un Tim Hecker, est paradoxalement (si l'on songe au titre) en proie à une lente combustion, puis à un embrasement de textures brouillées. Dans "Reflection", deux orgues noyés dialoguent au milieu de vagues noires, avec une étrange voix, d'abord déformée puis naturelle, qui semble leur répondre. Je pense en écoutant cette musicienne installée à Istanbul à la fameuse citerne basilique construite sous le règne de l'empereur Justinien. On dirait que la musique vient de là, des profondeurs mythiques... 

    La version 2 du morceau éponyme (titre 4), confronte la voix fragile d'Ekin (je suppose) à une nappe ondulante saturée de bourdons, piquetée de fines vibrations percussives : de toute beauté ! Le grondant et doucement grandiose "Gone Gone" nous emporte loin dans sa traîne lente aux mille voiles. Le monde n'a jamais existé qu'en rêve !

Paru en juin 2024 chez The Helen Scardale Agency (Californie) / 5 plages / 40 minutes environ

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