Publié le 27 Février 2014
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 30 juillet 2021)
Inactuelles, musiques singulières
Chronique des musiques singulières : contemporaines, électroniques, expérimentales, du monde parfois. Entre actualité et inactualité, prendre le temps des musiques différentes, non-formatées...
Publié le 27 Février 2014
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 30 juillet 2021)
Publié le 24 Février 2014
Né en 1956 dans le nord de la Californie, Phillip Schroeder a commencé très tôt une carrière musicale sous le signe de la diversité. Trompettiste, choriste dans des chœurs de garçons ou mixtes, joueur de basse électrique dans des groups de rock, chef d'orchestre de chambre, membre d'ensembles d'improvisation...et pianiste, il a à son actif de très nombreuses œuvres pour ensemble de vents, orchestres de chambre, mais aussi pour piano, compositions électroniques en direct, voix... Il enseigne depuis de nombreuses années la composition et la théorie musicale à l'université d'état de Henderson, dans l'Arkansas. Cet article et le suivant présentent deux disques qui lui sont entièrement consacrés, le premier pour piano solo, le second pour piano multi-piste, synthétiseur, voix, violoncelle et basse électrique. C'est le beau disque de la pianiste Jeri-Mae G. Astolfi, Here (and there), chroniqué voici quelques articles, qui m'a mis sur la piste de Phillip Schroeder. Comme quoi des programmes bien conçus par des interprètes sensibles ouvrent des horizons...
À nouveau interprété par la pianiste Jeri-Mae G. Astolfi, Music for piano rassemble un cycle de douze pièces de 2003, trois pièces de longueurs inégales et un petit cycle consacré aux différentes phases de la lune sous le titre Moons.
Comprises entre un peu plus de une minute et un peu plus de trois, les douze quasi miniatures de "Twelve Pieces for piano" s'ouvrent sur une atmosphère doucement hypnotique de boucles lentes, augmentées et variées. La pièce n°2 contraste avec la précédente et la prolonge : courts arpèges brillants coupés de silences et d'interrogations intenses. On revient avec la trois vers la un, mais en plus chantant, une fragile mélodie s'esquisse sur une base obsédante de graves, monte dans les aigus sur un rythme decrescendo, s'interrompt pour poser à nouveau ses quelques notes sur le silence. La quatre cavalcade, brillante et narquoise. La cinq est à nouveau lente, lointaine, brumeuse dans ses aigus tenus ponctués de notes plus graves : c'est un ralenti, une retenue qui forcent l'écoute, comme une cloche qui appelle, insistante. On comprend avec la six que le cycle est construit sur une alternance de pièces calmes et de pièces plus brillantes, sans jamais d'excès. Cette six joue sur une note répétée, agrémentée de grappes sonores chatoyantes, rapides, une eau vive coule autour d'un caillou, d'une roche tranquille. La sept sonnerait presque romantique si elle n'était découpée par des plans imprévus, des contrastes comme des à-plats. La huit nous entraîne un peu du côté de Morton Feldman, quoique sur un rythme légèrement plus rapide : un motif intrigant, une succession d'interrogations mystérieuses soudain résolue en source fraîche fragmentée en petits jets gracieux. Un strumming marque la neuf : fleuve puissant et clair, jeu des arrière-plans, notes répétées jusqu'au silence. On reçoit d'autant mieux l'évanescente dixième, d'abord descendante, puis montante, renforcée de graves profonds et qui s'épanouit dans des médiums lumineux. La onze fait contraster des graves profonds, martelés, avec des aigus ou médiums chargés d'harmoniques. Le cycle se termine sur une pièce méditative qui laisse résonner les notes, dans une sobre alternance de graves et d'aigus. Un vrai cycle, absolument passionnant, jamais démonstratif, ciselé avec un vrai sens de la mesure et du mystère.
"No Reason Why" (2003), c'est le coup de la grâce. Une fluidité, une lumière changeante à partir de notes répétées, de motifs délicats écartelés entre différents registres, d'où comme une légère ondulation traversée de traînes harmoniques lorsque les graves se prolongent. C'est un paysage : de petites vagues viennent s'amortir sur le sable dans la lueur diffuse de l'aube ou du crépuscule. Splendeur, joie immense et immobile, extatique, toutes les lignes convergent vers cette note pointée qui éclabousse de lumière la totalité. Un chef d'œuvre !
"Floating" (1980/2003) joue sur deux plans : un accord énigmatique dans les aigus, auquel répond un grondement prolongé de graves. L'étrange dialogue se poursuit, enrichi, décomposé en notes tenues, avec irruption de frottements de cordes dans l'intérieur du piano. Suspension, mystère... très belle pièce également.
"From the Shadows of Angels" (2003) se tient constamment au seuil du mystère, qu'elle entoure d'une série d'interrogations, d'envolées tranquilles et insinuantes. C'est la promesse d'un chant, l'écho démultiplié d'une grâce ineffable, inépuisable, à l'ombre de laquelle on s'essaie à la lévitation, avec un court moment pendant lequel on sent que l'on tient, avant de repartir dans l'instable et répétée reconquête, mais transcendée. Du niveau de "No Reason why"...
"Moons" (2003) n'est pas moins intéressant que le reste. La nouvelle lune est fraîche, hypnotique avec ses motifs répétés, surprenante avec ses profondeurs soudaines : elle nous attire, nous déconcerte, envoûtante. Le premier quartier se tient dans une lumière irréelle, arpégée, presque narquoise : il se montre et se cache, brillant et toutefois lointain...Musique frémissante et subtile, nimbée d'harmoniques vives. La pleine lune est la plus mélodique, mais elle ne dit pas tout, se reprend dans un réseau d'entrelacs lumineux. Elle danse entourée de voiles diaphanes, pose parfois sa tête alanguie sur nos oreilles. Le dernier quartier carillonne volontiers, virevolte, tout cela comme un somnambule, ébloui, qui se réveille à moitié avant de sombrer à nouveau dans un rêve obsédant.
Je ne connaissais pas Phillip Schroeder : je viens de découvrir un très grand compositeur !
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Paru chez Capstone Records en 2005 / 19 pistes / 62 minutes
Pour aller plus loin
Rien à vous proposer, hélas, même en 2021 !
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 30 juillet 2021)
Publié le 17 Février 2014
Premier article consacré à la compositrice canadienne Ann Southam (1937 - 2010), à l'occasion d'un disque assez bref que lui a consacré le pianiste R. Andrew Lee sur un label passionnant que je suis en train d'explorer, Irritable Hedgehog Music. Pour sa biographie, je renvoie le lecteur à la Vitrine des Compositeurs du Centre de Musique Canadienne, beau site bilingue (et non tristement unilingue anglais comme trop de sites de labels et d'artistes français, je récidive !!). Son œuvre abondante, à peu près inconnue en France, a fait l'objet de plusieurs disques dont j'espère vous présenter bientôt une sélection.
Le disque comprend douze mouvements, plus un interlude après la septième pièce. Ann Southam, qui n'est pas spécialement adepte du dodécaphonisme rigoureux d'Arnold Schoenberg, a cependant adopté son procédé, utilisant la même série au fil des années, reconnaît-elle, lui insufflant, à l'entendre, un sens tonal - Schoenberg récusait d'ailleurs le terme d'atonalité, faut-il le rappeler. Sous-titrées "Douze méditations sur une série de douze tons", les pièces peuvent, selon la compositrice, être jouées dans n'importe quel ordre, voire séparément. Neuf d'entre elles répètent certaines séquences rythmiques et certaines notes, contrairement au "dogme" dodécaphonique, si bien que la série n'est complète qu'à la fin de la plupart des mouvements. En somme, la musique d'Ann Southam croise dodécaphonisme et...minimalisme !
Il en résulte une musique à la fois méditative et fraîche, tonifiante. Chaque pièce sonne comme l'esquisse intrigante d'une mélodie, une interrogation fougueuse ou rêveuse. L'utilisation de la pédale contribue à unifier ces séquences sonores de notes juxtaposées - à de rares exceptions dans les deux derniers mouvements. Leur air de famille, surtout dans les sept premières, contribue à leur charme énigmatique. L'interlude, irisé de très brefs éclats, fragmente le motif récurrent jusqu'à le diluer dans son apaisement lumineux. Il ouvre la voie à des pièces plus contrastées, comme la puissante huitième, articulée sur des martèlements dramatiques, ou l'étonnante neuvième, réplique assourdie de la précédente, plus tâtonnante dirait-on. Le motif revient dans la dixième, plus interrogateur encore, dans un jeu insistant de boucles, pour disparaître dans la onzième qui joue dans les marges, déploie des accès de violence imprévus, avance comme une somnambule ironique et distante. Le cycle se clôt sur la limpide douzième, qui étire le motif, le décline avec une langueur majestueuse, une grâce souveraine.
Un disque superbe, interprété avec une vibrante rigueur par R. Andrew Lee. Oubliez les vingt-trois minutes : ces miniatures dilatent le temps !
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Paru chez Irritable Hedgehog Music en 2011 / 13 pistes / 23 minutes
Pour aller plus loin
- le site du pianiste
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 30 juillet 2021)
Publié le 14 Février 2014
Le pianiste français Nicolas Horvath, ardent défenseur et interprète des musiques minimalistes les plus exigeantes, est à Kiev pour les promouvoir. Deux concerts sont prévus, le premier consacré aussi bien à Philip Glass qu'à Scriabine, illustrant l'éclectisme de ce pianiste curieux. Le second fait partie des défis qu'il aime se lancer : une nuit minimaliste du 15 au 16 février, de 23h à 8h du matin !! Un programme énorme, fascinant...Nicolas est un de ces défricheurs que j'aime à suivre (parfois à précéder, je n'en suis pas peu fier !). Vous savez ce qu'il vous reste à faire, si vous n'avez aucune obligation urgente...(Ce n'est hélas pas mon cas...)
Voici le programme complet :
Publié le 10 Février 2014
Quatrième album de itsnotyouitsme, duo constitué par le guitariste Grey Mcmurray et le violoniste compositeur Caleb Burhans, après Everybody's pain is magnificent, double cd de 2011, fallen monuments en 2010 et walled gardens en 2008, This I installe tout de suite les vastes paysages sonores, mélancoliques et raffinés, des deux comparses, qui jouent ensemble depuis 2003. Rejoints par Theo Bleckmann à la voix çà et là, et par Skuli Sverrisson à la basse, ils savent mieux que jamais sculpter l'espace de griffures de guitare, de virgules de violon tandis que l'air frémit de touches électroniques. Tous les deux fans de Brian Eno, Pink Floyd...et Jean-Sébastien Bach notamment, ils construisent avec rigueur une musique ambiante, électronique, d'une confondante beauté, toujours émouvante, peuplée de voix déchirées et fantomatiques qui se fondent dans les textures amples des morceaux. Les titres se font l'écho d'un monde doucement incompréhensible, frissonnant d'incertitude. "If the Ground Is Covered, Are We Still Ouside ?" demande le premier, plus de onze minutes d'ondulations inextricablement liées qui nous enveloppent de leurs caresses voluptueuses. On se baigne dans cette mélancolie frisée par des soleils couchants multiples, balayée par des vagues surgissantes se perdant dans les arrières d'un univers translucide. "things past are pretty now", le second titre, est le plus post rock de l'album, avec de petites incandescences nerveuses de la guitare électrique. C'est une sorte de danse sur place, tout en courbures, en sinuosités entre lesquelles la voix de Theo s'insinue, à peine détachée de la nébuleuse ambiante, soulignée par des chœurs plus graves à l'arrière-plan, danse qui se cogne doucement à des angles percussifs, comme si l'on se trouvait dans un palais des miroirs où les échos du passé ne cessent pas de mourir.
Le titre suivant, "Long Tales of Short Lived Victories" est l'un des plus envoûtants de l'album, saturé de réverbérations, d'effets de perspective trouble. Une ligne se déplace dans les airs au-dessus d'un relief dévasté, banquise des victoires célébrées déjà oubliées ; elle se rapproche, s'éloigne, tel un oiseau aux très vastes ailes qui pousserait parfois l'air très fort devant lui avant de disparaître dans un ultime coup d'aile. "Wrinkling Into A Beautiful And Broken World" détisse peu à peu des nœuds de guitare et de butées percussives pour prendre de l'altitude au-dessus d'un monde agité, foré de tourbillons sourds : second moment post rock assez net, sans pesanteur toutefois, sans cette emphase qui plombe trop souvent les compositions de ce courant. On arrive dans une contrée déblayée avec "The You Since Me", pièce très planante, doucement rythmée par la guitare obsédante, incantée par le violon et la voix qui se laisse aller à de belles envolées, sobres et lumineuses. En un sens, une pièce de réconciliation, d'harmonie supérieure entre les mois constitutifs du duo devenu quatuor, qui digèrera sans difficulté les aspérités bruitistes du début de la seconde moitié, en profitera même pour atteindre des couleurs extraordinaires avant de se permettre un ultime et rayonnant survol tandis que sombrent les miasmes d'un monde inquiétant. Le dernier titre, "Sometimes It's Hard Being Alive Seeing Bright Stars In The Sky", élargit et transcende la perspective, tout en lignes diaphanes, en disparitions malicieuses, en surgissements miraculeux de délicatesse. Les sons deviennent ceux d'une ruche cosmique, radieuse, frémissements de milliers d'ailes légères obéissant à l'appel répété de la guitare charmeuse.
À la confluence du post rock, du post minimalisme, de l'ambiante et des musiques électroniques, itsnotyouitsme continue de nous enchanter !!
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Paru chez New Amsterdam Records en 2013 / 6 titres / 48'
Pour aller plus loin
- album en écoute et en vente sur bandcamp :
( Nouvelle mise en page + ajout d'illustrations visuelles et sonores le 30 juillet 2021)